Eglises d'Asie

Sœur Pillai, survivante d’un accident de train, continue de servir les enfants des rues de Khandwa

Publié le 24/02/2023




Sœur Ambika Pillai, une religieuse indienne de 45 ans, membre des Filles de Notre-Dame du Jardin, est cofondatrice du centre pour enfants de Navjeevan (« Nouvelle vie ») de Khandwa, dans l’État central du Madhya Pradesh. À ce jour, le foyer fondé en 2003 a pris en charge plus de 600 garçons, souvent trouvés sur les quais de gare de Khandwa. Depuis un grave accident de train en 2017, la religieuse, handicapée à vie, continue son service au centre malgré la perte de sa jambe. « Dieu voulait que je vive », confie-t-elle.

Des membres des Filles de Notre-Dame du Jardin avec des garçons du centre Navjeevan, qui prend en charge des enfants secourus sur les quais de gare de Khandwa.

Sœur Ambika Pillai, assise à une table, répond aux questions des enfants occupés à créer des décorations en papier. Membre des Filles de Notre-Dame du Jardin, une congrégation religieuse enseignante, hospitalière et missionnaire de droit pontifical, elle est secrétaire du foyer pour enfants de Navjeevan (« Nouvelle vie ») à Khandwa, une ville de l’État central du Madhya Pradesh.

Les enfants du centre viennent majoritairement de familles brisées – en général abandonnés ou orphelins – et finissent souvent par traîner près des gares ; leurs pères sont souvent drogués et leurs mères ne parviennent pas à gagner assez d’argent pour soutenir leurs familles. « Dans certains cas, les enfants s’enfuient après avoir été battus ou réprimandés par leurs parents », explique sœur Pillai, interrogée par Global Sisters Report, ajoutant que dans ce cas, « nous faisons de notre mieux pour les réunir avec leur famille ».

La religieuse, vêtue d’un habit gris, d’une veste noire et d’un voile noir, s’aide d’une béquille et d’une prothèse de jambe pour marcher. Il y a six ans, elle a perdu sa jambe gauche dans un accident de train. Sœur Pillai, membre fondatrice du centre Navjeevan, a joué un rôle essentiel dans le développement du foyer depuis sa création en 2003, en aidant à reconstruire les vies brisées des enfants en fugue, jusqu’au 4 janvier 2017, un jour qui a changé sa vie pour toujours.

« Dieu voulait que je vive »

« J’avais l’habitude de me déplacer en train pour chercher des enfants abandonnés », confie la religieuse indienne, âgée de 45 ans, en racontant le jour de l’accident. « Ce jour-là, alors que je m’apprêtais à descendre en gare de Lonavala, le train a soudainement accéléré et je n’ai pas pu mettre pied à quai. » Elle est passée sous les roues du train qui ont coupé sa jambe instantanément. « J’étais pleinement consciente et je pouvais voir ma jambe démembrée qui était entraînée par une roue », raconte-t-elle. « J’ai appelé à l’aide et après le choc initial, les gens m’ont ramenée sur le quai. »

Quand le chirurgien de l’hôpital lui a dit que 80 % de sa jambe devait être amputée, elle a pleuré en comprenant qu’elle serait handicapée à vie. Elle explique qu’elle recevait les visiteurs avec le sourire, malgré sa détresse. « J’ai compris que je devais décider si je voulais être heureuse ou malheureuse pour le reste de ma vie », ajoute-t-elle. « Dieu voulait que je vive, c’est pourquoi j’ai perdu seulement ma jambe », poursuit-elle, en ajoutant cependant que « Dieu aurait pu l’éviter ».

Elle s’est remise de son traumatisme après un long soutien psychologique qui l’a aidé à retrouver confiance. « Je ne pourrais pas être ici aujourd’hui si on ne m’avait pas soutenu et si on n’avait pas cru en moi », assure-t-elle, en parlant de ses supérieures et de ses sœurs de sa congrégation.

« C’est un travail à temps plein, nous devons les accompagner à chaque instant »

En août 2022, elle a repris son travail au secrétariat du foyer pour enfants, tout en étant en plus nommée supérieure de la communauté locale composée de six membres. Pranay Barve, une amie chargée par le réseau ferroviaire d’identifier les enfants, se dit impressionnée par « son dévouement au service des enfants abandonnés, qui persiste malgré la perte de sa jambe ». La religieuse et son équipe enseignent aux enfants l’art, l’artisanat, l’informatique et l’étiquette, en plus de les aider dans leur travail scolaire. « C’est un travail à temps plein, nous devons les accompagner à chaque instant », confie sœur Pillai, en ajoutant que les enfants arrivent souvent au centre avec des problèmes psychologiques.

Elle explique que son amour pour les enfants l’a poussée à travailler dans les rues et les gares, parce que c’est là qu’ils deviennent victimes de l’exploitation et des abus. Son seul regret est de ne pouvoir conduire elle-même comme elle le faisant avant son accident. « Même le fait de rester debout cinq minutes est douloureux », confie-t-elle. « Mais je peux les aider ainsi que leur famille », souligne-t-elle, en étant résolue à réunir les familles brisées et à tenter de résoudre leurs différents problèmes comme l’addiction.

Dans ce but, sœur Pillai s’est inscrite en master pour se spécialiser en psychothérapie. Elle possède déjà des diplômes de travail social, de psychologie et de conseil familial, obtenus dans différentes universités. Elle a complété sa formation sur son lit d’hôpital. Sœur Indu Toppo, de la même congrégation, aide la religieuse dans ses engagements et pour la gestion du centre. Elle explique que sœur Pillai est la preuve qu’un handicap n’empêche pas de travailler. « Elle ne nous donne jamais l’impression qu’elle a un problème, mais elle fait tout avec nous et elle nous encourage. »

Plus de 600 jeunes hébergés depuis la création du centre

À ce jour, l’équipe a soutenu plus de 600 garçons jusqu’à 18 ans, l’âge limite légal pour pouvoir rester au foyer. Elle envoie également des filles dans un centre public de la ville. Le centre compte actuellement 24 garçons, qui étudient dans des écoles privées et publiques. Parmi eux, Durgesh Sanjay, lycéen, se dit surpris que sœur Pillai ait continué de travailler après son accident. La religieuse l’a trouvé sur un quai à Khandwa. L’adolescent, âgé de 16 ans, a perdu son père étant enfant et sa mère durant la pandémie. Il espère devenir policier. Il confie que si sœur Pillai ne l’avait pas amené au centre, « je ne sais pas ce que je serai devenu ».

Govinda Jugunu, ancien résident du centre Navjeevan, se souvient du jour où la religieuse l’a trouvé dans une gare étant enfant. Il explique qu’ils ne savent toujours pas comment il était arrivé là : si ses parents l’y avaient abandonné, ou s’il s’était enfui de chez lui. « Je cherche toujours mes parents et ma famille, mais je n’ai aucune trace d’eux », confie-t-il, aujourd’hui âgé de 24 ans et employé dans une ONG à Indore, capitale commerciale du Madhya Pradesh. Il ajoute que sœur Pillai l’a aidé aller au bout de sa classe de seconde, même après qu’il avait quitté le centre. « Elle continue de me soutenir. »

Sœur Pillai est née dans une famille hindoue dans l’État du Kerala, dans le sud-ouest de l’Inde. Elle confie que sa vocation à la vie religieuse catholique s’est accompagnée de grandes difficultés. « J’ai grandi dans une famille hindoue traditionnelle, qui offrait des prières spéciales aux divinités. Mais à chaque fois que nous disions ces prières, ma mère se comportait comme si elle était possédée », raconte-t-elle. Un jour, quelqu’un a conseillé à ses parents de rencontrer un prêtre catholique dans une paroisse locale. Le prêtre a prié pour sa mère, et la rencontre a conduit la famille à devenir catholique. Toutefois, leurs proches les ont pressés de retourner à l’hindouisme, et tout le monde sauf sœur Pillai a cessé d’aller à l’église.

Après la fin du lycée, elle a dit à ses parents qu’elle voulait devenir religieuse, mais ils lui ont demandé de continuer ses études. « J’ai quitté la maison en disant que j’allais étudier, mais plus tard tout le monde a appris que j’étais dans un couvent. » Après son accident, une de ses tantes a déclaré que c’était une punition pour être devenue religieuse. « Aujourd’hui, je réalise que ce qui m’est arrivé dans la vie fait partie du plan de Dieu, c’est pourquoi je l’accepte sans me plaindre. »

(Avec Ucanews)


CRÉDITS

GSR / Saji Thomas (Ucanews)