Eglises d'Asie – Taiwan
Taïwan inaugure son premier centre pour personnes âgées handicapées
Publié le 05/03/2019
Taïwan est longtemps resté privé d’une réelle politique d’aide sociale, ce qui se ressent particulièrement dans la prise en charge du handicap. Si plusieurs structures d’accueil existent, celles-ci restent majoritairement l’initiative des groupes religieux chrétiens et bouddhistes qui s’appuient essentiellement sur la générosité de la population, faute de subventions suffisantes. L’île compte plus d’1,17 million de personnes handicapées, selon les données du ministère de la Santé et du Bien-être, soit 4,96 % de la population. Le 4 avril prochain, une toute nouvelle structure verra le jour avec l’inauguration du Centre I-Fong Yuan, spécialisé dans la prise en charge des personnes âgées handicapées.
Un premier centre fondé il y a trente ans
Sous l’égide du père Yves Moal, prêtre des Missions Étrangères de Paris établi à Taïwan depuis plus de cinquante ans, le Centre I-Fong Yuan, qui doit accueillir cinquante pensionnaires de plus de 45 ans s’inscrit dans les efforts du gouvernement de mettre en place des structures adaptées aux besoins des personnes handicapées en fonction de leur handicap et surtout de leur âge. Le père Moal confie qu’au début de sa mission à Taïwan, « les Églises locales soutenaient les plus défavorisés avec les moyens du bord afin d’éviter qu’ils ne soient délaissés ou marginalisés, puisque rien n’était proposé pour les personnes handicapées ». C’est ainsi que sur la côte Est du pays, la mission des MEP a accueilli les enfants handicapés et fondé un premier centre il y a trente ans : « Le Centre André, fondé par le père André Cuerq (MEP, décédé depuis), s’était concentré sur l’accueil des enfants handicapés avant de se tourner vers les jeunes adultes, à la demande du gouvernement, quand il a ouvert des classes d’éducation spécialisée pour les enfants handicapés de 2 à 15 ans. Du coup, nous nous sommes adaptés aux nouveaux besoins pour apporter notre aide à ceux qui en étaient encore dépourvus, c’est-à-dire les jeunes handicapés de plus de 15 ans. »
Pour le père Yves Moal, un environnement familial est capital pour le bien-être des personnes accueillies, qui sont réparties en divers ateliers de travail selon les capacités de chacun, afin qu’elles puissent contribuer aux besoins de la vie quotidienne et s’épanouir, en réalisant quelque chose par le travail et en participant à la vie sociale pour mieux s’intégrer : « Ces personnes handicapées sont comme tout le monde. Elles ont juste besoin d’être aidées et accompagnées, ce que nous essayons de faire par le biais d’ateliers. Elles ont beaucoup à nous apprendre et à nous donner si nous acceptons de nous mettre à leur écoute, à leur école. » Même arrivées à l’âge mûr, ces personnes ont besoin de garder ces repères familiaux, c’est pourquoi les exigences du gouvernement de séparer les structures d’accueil en fonction de l’âge des pensionnaires, pour mieux répondre à leurs besoins spécifiques, a représenté un nouveau défi : être capable de leur offrir le meilleur suivi sans bousculer leur quotidien.
Finalement, après une dizaine d’années de discussions, de réflexions et de préparatifs, le nouveau centre I-Fong Yuan a pu être construit avec le soutien de nombreux donateurs taïwanais, pour un investissement total de plus de trois millions d’euros. Le père Moal est « toujours très ému de voir cet élan de générosité de la part de milliers de Taïwanais, qui ont compris l’importance de proposer des activités adaptées dans un environnement propice aux personnes handicapées », et qui ont pu contribuer à la création de ce centre, situé juste en face du Centre André pour garder contact et mettre l’accent sur des activités communes. De même que le centre André a évolué en fonction des besoins de prise en charge des personnes handicapées, le nouveau centre I-Fong Yuan est doté d’une accessibilité optimale et d’équipements médicaux nécessaires à l’accompagnement des personnes handicapées. En accord avec le gouvernement, le centre a opté pour l’accueil des pensionnaires dès 45 ans, âge à partir duquel les personnes handicapées vieillissent généralement plus rapidement et ont besoin de plus de soins médicaux adaptés.
Inauguration officielle le 4 avril 2019
Déjà présent pour le lancement du projet et pour donner un premier coup de pelle symbolique, le vice-président taïwanais Philip Chen Chien-jen est attendu pour l’inauguration officielle du centre I-Fong Yuan le 4 avril prochain. Pour le père Yves Moal, il s’agit du « soutien très précieux d’un fervent catholique dans les hautes sphères du gouvernement », ce qui démontre également la prise de conscience des autorités de la nécessité d’une politique durable envers les plus démunis et les plus dépendants. C’est d’ailleurs cette prise de conscience qui a d’ailleurs d’envisager le nouveau centre, alors qu’au départ, aucune aide matérielle publique n’était envisageable. En effet, selon le système actuel d’assistance à la prise en charge du handicap à Taïwan, le centre ne peut demander des subventions qu’après son ouverture, à hauteur de 60 % de son fonctionnement.
Pourtant, le père Moal n’a pas hésité à se lancer dans le projet, malgré les obstacles, tant les futurs pensionnaires de son centre en ont besoin : « C’est vrai que le gouvernement ne nous soutient pas directement. Mais les personnes handicapées que nous accueillions ont besoin de nous, elles n’ont pas le luxe d’attendre que tous les signaux soient au vert. Les subventions prévues dans le système de prise en charge du handicap à Taïwan ne sont accordées que lorsque vous avez une structure complète et qui fonctionne. À partir de là, vous pouvez déposer une demande de subvention et c’est toute une procédure qui se met en place pour vérifier que votre établissement respecte bien toutes les normes de sécurité et d’accessibilité, mais aussi les réglementations qui régissent la prise en charge des personnes handicapées en fonction de leur handicap, de leur dépendance et de leur âge. Ensuite, tous les trois ans, les autorités procèdent à une inspection afin de vérifier le travail réalisé et le fonctionnement de l’établissement, avant de prolonger les subventions pour trois années supplémentaires. » Pour les 40 % restants, le fonctionnement du centre se basera en partie sur ce que les pensionnaires peuvent verser, sachant qu’il leur est souvent impossible de contribuer réellement aux besoins financiers. D’ailleurs, le père Moal se refuse à fixer un loyer qui serait une contrainte majeure pour la plupart des personnes handicapées ou de leurs familles. Ainsi, le centre I-Fong Yuan continuera de compter sur la générosité des Taïwanais, qu’il s’agisse des fidèles ou de non-croyants.
Une prise en charge du handicap lente et difficile à Taïwan
Cette dernière décennie, les gouvernements successifs ont toutefois œuvré pour pallier ces manques. Ainsi, la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CRPD) a été ratifiée en mai 2008, puis les dispositions de cette convention ont été intégrées dans la législation nationale six ans plus tard. Cette décision a marqué un grand pas en avant dans la prise en charge du handicap à Taïwan, suite à une première loi pour le bien-être des personnes handicapées qui datait de 1980 et qui se cantonnait à lister les différents types de handicaps sans proposer de réelle assistance. Le vice-président taïwanais Philip Chen Chien-jen a présidé les travaux du premier bilan national sur la mise en œuvre de la CRPD en novembre 2017, en soulignant la nécessité d’agir davantage pour que « les personnes handicapées puissent jouir des mêmes droits que tous les Taïwanais et que les mêmes libertés humaines fondamentales leur soient garanties ». Ce bilan national a notamment permis de dresser un état des lieux sur l’accessibilité des personnes à mobilité réduite aux transports et aux services publics, ainsi que sur les soins médicaux et l’éducation. Des experts internationaux invités à Taïwan ont encouragé le pays à développer une société plus inclusive et à renforcer la protection des personnes handicapées et leur prise en charge, tant le chantier reste vaste.
(EDA / François-Xavier Boulay)
CRÉDITS
MEP