Eglises d'Asie

Les chrétiens mobilisés pour bloquer la légalisation du mariage homosexuel

Publié le 23/11/2016




 Après avoir mobilisé quelque 20 000 manifestants, les opposants à la légalisation du mariage entre personnes de même sexe ont obtenu que l’étude du projet de loi allant en ce sens soit temporairement suspendue. Les Eglises chrétiennes ont engagé leurs forces derrière l’association qui fédère les opposants …

 … à la légalisation du mariage homosexuel, une association qui a pris pour nom l’Alliance des groupes religieux de Taiwan pour la protection de la famille.

Le 17 novembre, c’était la deuxième fois en l’espace de quatre jours, que les opposants à la légalisation du mariage homosexuel descendaient dans la rue. Une première manifestation avait eu lieu le dimanche 13 novembre, avant qu’une nouvelle action ne réunisse 20 000 personnes, en grande majorité des chrétiens, devant le Yuan législatif, le Parlement taïwanais. Face à l’ampleur de cette mobilisation et après une session houleuse au Parlement, le porteur du projet de loi, la députée Yu Mei-nu, membre du Parti démocrate progressiste (DPP) (au pouvoir), a annoncé que la deuxième lecture du projet de loi était ajournée, le temps d’organiser dans les prochains quinze jours des auditions parlementaires afin d’entendre les arguments des pro- et des anti-légalisation du mariage homosexuel. Introduit le 25 octobre au Yuan législatif, le projet de loi était passé en première lecture ce 8 novembre.

Vers « une pluralité des formes de famille » ?

Dans un pays qui vit sous un régime démocratique depuis bientôt trente ans, le droit a connu de fortes évolutions et Taiwan est aujourd’hui un des pays d’Asie où l’égalité entre les sexes est la mieux défendue par la loi. S’agissant du mariage homosexuel, la première tentative sérieuse de légalisation remonte à 2003, sous la présidence de Ma Ying-jeou, tentative transformée en projet de loi en 2005, lorsque Hsiao Bi-khim, députée du DPP, déposa un texte en ce sens, lequel fut rejeté par les parlementaires en 2006. En 2013, une proposition de loi fut présentée au Yuan législatif mais la démarche n’aboutit pas après que, le 30 novembre de cette année, quelque 250 000 personnes descendirent dans la rue pour s’y opposer – une foule très conséquente pour un pays de 23,5 millions d’habitants.

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Manifestation du 13 novembre 2016 contre la légalisation du mariage homosexuel, à Taipei.

Cette fois-ci, les partisans de la légalisation du mariage homosexuel peuvent compter sur le fait que les actuels détenteurs du pouvoir sont favorables au projet. En poste depuis mai dernier, la présidente de la République, Mme Tsai Ing-wen, ne cache pas qu’elle est favorable à « une pluralité des formes de famille ». Au Parlement, son parti, le DPP, détient une confortable majorité, avec 68 députés sur un total de 113 sièges. Mais, sur une question aussi sensible, il est intéressant de noter que les partis politiques représentés au Yuan législatif sont chacun divisés de l’intérieur. Les trois principales formations ont chacune déposé un projet de loi visant non seulement à légaliser le mariage homosexuel mais aussi à autoriser l’adoption par les couples homosexuels.

C’est le cas du DPP, qui est au pouvoir, du Kuomintang, dans l’opposition avec 35 députés, ainsi que du NPP (New Power Party), troisième formation avec cinq députés. Selon les décomptes de la députée Yu Mei-nu, 56 députés seraient aujourd’hui prêts à voter le projet de loi en l’état – un chiffre très proche de la majorité nécessaire de 57 députés (sur les 113 élus que compte le Yuan législatif). Selon Mme Yu, l’opinion publique taïwanaise est « prête » à la légalisation du mariage homosexuel. Elle en veut pour preuve que la 14ème LGBT Pride Parade, qui a eu lieu dans les rues de Taipei le 29 octobre dernier, a rassemblé « 80 000 personnes » et elle estime que le texte pourrait être voté lors de la prochaine session parlementaire, celle qui court de février à mai prochain. Après cette date, la perspective des élections locales de novembre 2018 diminue les chances de voir la loi votée. « L’opportunité est là, elle est en or, mais l’opposition est forte », a-t-elle résumé.

« Nous sommes différents des pays occidentaux »

Face aux partisans de la légalisation du mariage homosexuel, ses opposants se sont mobilisés. L’Alliance des groupes religieux de Taiwan pour la protection de la famille a été formée en 2013 (1) et elle a repris du service ces jours-ci. David Tseng, un des porte-parole de l’alliance, dénonce les changements lexicaux introduits par les partisans du projet de loi, le fait notamment que le texte de loi envisagé substitue les mots « mari et femme » (夫妻) par « les époux » (双亲) ou « compagnons » (配偶), ou bien encore « homme et femme » (男女) par « les deux parties » (双方). « Nous sommes différents des pays occidentaux. Dans les cultures orientales, nous accordons une grande importance et place à la piété filiale due par chacun à son père et à sa mère. C’est là une vertu que nous devons préserver », affirme encore le porte-parole.

L’Alliance a reçu un soutien fort de la part des Eglises chrétiennes de Taiwan. Dans ce pays où les protestants et les catholiques représentent respectivement 4,1 % et 1,4 % de la population, les Eglises se sont mobilisées. A Taipei, l’archidiocèse catholique a adressé deux lettres aux fidèles pour leur demander de « saturer la boîte mail » de la présidente Tsai Ing-wen après que celle-ci a déclaré à quelques parlementaires « n’avoir jamais entendu de la part de l’Eglise une quelconque opposition au mariage entre personnes du même sexe ». Selon le secrétaire général de la Conférence épiscopale de Taiwan, 10 000 catholiques ont répondu à l’appel et envoyé un mail de protestation à la présidente.

Un vice-président, catholique et silencieux

Se pose désormais la question de la position qu’adoptera sur le sujet le vice-président de la République, le très catholique Chen Chien-jen. Il y a un an, lors de la campagne électorale pour les présidentielles, celui qui n’était encore que candidat à la vice-présidence avait été interrogé par la presse au sujet du mariage homosexuel, les journalistes cherchant à savoir s’il y avait là une source de conflit potentiel entre Tsai Ing-wen et lui. Chen Chien-jen avait répondu en ces termes : « Dieu aime tous les hommes et c’est pourquoi il aime aussi les homosexuels. Par conséquent, je crois également que les gays ont droit de chercher le bonheur et que nous devons respecter ce droit, mais, dans la mesure où le mariage entre personnes de même sexe implique un changement de société, il nécessite des discussions approfondies avant toute prise de décision à son sujet. »

Pour Joseph Li, président du Conseil national pour l’apostolat des laïcs à Taiwan, le vice-président « partage les vues qui sont les nôtres » et il devrait donc logiquement se joindre aux opposants de la légalisation du mariage homosexuel. Mais, pour l’heure, Chen Chien-jen observe un silence prudent.

L’opposition des milieux religieux au projet de loi n’est par ailleurs pas unanime. Six responsables religieux, dont des bouddhistes et des protestants, ont lancé une campagne en faveur du projet de loi, citant à l’appui de leur décision la séparation des Eglises et de l’Etat. Leur appel a été signé par 1 300 personnes et une trentaine d’organisations de la société civile.

Au cas où le projet de loi soit voté au Parlement, Taiwan deviendrait le deuxième pays d’Asie à légaliser le mariage homosexuel. En 2014, la République socialiste du Vietnam s’est dotée d’une Loi sur la famille et le mariage dépénalisant le mariage entre personnes du même sexe. Aux Philippines, un projet de loi est actuellement à l’étude au Congrès ; il est porté par un proche du président Rodrigo Duterte, récemment élu à la tête du pays.

(eda/ra)

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