Eglises d'Asie – Inde
Témoignage du père Christopher Jeyakumar, prêtre au bidonville de Dharavi contre la pandémie
Publié le 11/07/2020
C’est vraiment une grâce et une bénédiction d’être ici à Dharavi.
Durant les premiers temps de la pandémie, il y avait de nombreuses craintes à propos des risques de propagation du virus. La situation s’est emballée au niveau des deux extrémités du grand bidonville : à Shahunagar, près du quartier de Mahim, et au camp d’hébergement pour les travailleurs, près du quartier de Sion. Pour la plupart, les gens qui cherchent du travail à l’étranger vivent dans ces deux zones. Ils viennent d’ailleurs en Inde et sont de passage à Mumbai ; ils ne restent là que le temps de trouver un emploi, souvent dans un pays du Golfe. Après plusieurs cas de contagion dans ces deux zones, les autorités ont imposé une interdiction de déplacements et de rassemblements de plus de cinq personnes dans tout le bidonville. Mais le virus s’est seulement répandu dans les deux zones périphériques. Le bidonville de Dharavi est à l’écart des préoccupations des autorités locales et des systèmes de gouvernance. Je pense qu’avec les années, les habitants de Dharavi se sont lassés des autorités administratives et du gouvernement, faute d’un minimum de services publics et d’aménagements comme des sanitaires. Il n’y a pas de réseau d’eau potable ni de ramassage des déchets, et la saleté est partout. Il y a tellement de rats et d’insectes que scientifiquement parlant, ils ont développé une haute immunité à toutes sortes d’infections.
« Ils méritent d’être traités avec dignité »
C’est un fait que le coronavirus n’a pas affecté les zones centrales de Dharavi. Il y a eu plusieurs cas, mais peu de médecins infectés. En fait, au début, les médias ont exagéré le risque de propagation dans les bidonvilles. Et maintenant, ils présentent Dharavi comme un modèle de prévention contre le virus. Même si le gouvernement ou les organisations internationales ont appelé à respecter les mesures sanitaires comme les distanciations sociales, le lavage des mains ou le confinement chez soi, ce n’est absolument pas applicable ici, à Dharavi. C’est faisable dans d’autres régions de Mumbai, où le Covid-19 s’est effectivement répandu plus largement. Mais dans le bidonville, le mode de vie et la situation socio-économique pousse les gens à se rassembler. Le cardinal Oswald Gracias, archevêque de Mumbai et président de la Conférence épiscopale indienne, m’a fait part de son inquiétude et m’a encouragé à « toucher les blessures de Jésus ». Parmi les aides proposées, au tout début du confinement, les religieuses canossiennes ont offert des rations alimentaires aux habitants de Dharavi. Il y a près de 5 000 fidèles dans notre paroisse. Nous avons commencé à distribuer des aides auprès de la communauté catholique. Puis la nouvelle s’est répandue, et nous avons étendu la distribution à tous les habitants : face à cette crise, nous devons aider tout le monde.
Même après le déconfinement, aucun habitant de Dharavi n’a pu reprendre le travail. Les gens souffrent économiquement. Ils sont stigmatisés : dès qu’ils vont travailler quelque part, ont leur demande de ne pas rester parce qu’ils sont de Dharavi. Pourquoi cela ? Les médias ont surmédiatisé les risques de contagion dans le bidonville, alors que le virus a pu être contenu ici. Durant les trois derniers mois, les gens se sont tournés vers l’Église. Les habitants sont vraiment reconnaissants de l’aide qu’ils ont reçue. Ce sont des gens travailleurs et qui méritent d’être respectés et traités avec dignité, mais en fin de compte, face à cette pandémie et durant le confinement, ils ont été méprisés et ignorés. Personne ne peut comprendre la gravité de cette situation. Aujourd’hui, pourtant, face à la crise sanitaire, Dharavi est l’un des lieux les plus sûrs.
(Avec Asianews, Mumbai)
Crédit : Thomas Galvez (CC BY 2.0)