Eglises d'Asie

Un franciscain de Java s’engage dans l’agriculture biologique

Publié le 09/03/2019




En 2016, l’organisation internationale Oxfam consacrait neuf Food Heroes en Indonésie, engagés dans la protection de l’environnement ou contre la malnutrition dans le pays. À leur image, le frère Kristoforus Pudiharjo, un franciscain basé à Ciloto, dans la province de Java occidental, s’est consacré à l’agriculture biologique depuis plus d’une dizaine d’années. Pour le religieux, qui explique réaliser sa vocation franciscaine à travers ce travail agricole, c’est aussi une façon de maintenir une présence positive dans une société majoritairement musulmane.

Par un crachin matinal, vêtu de sa veste et ses bottes aux pieds, le frère Kristoforus Pudiharjo, franciscain, explique la fabrication de son engrais naturel, la germination de ses graines et la façon dont il s’est lancé dans la culture hydroponique. Le franciscain fait pousser des légumes et du café afin d’aider les fermiers de la région à devenir des producteurs indépendants. En fait, le religieux de 61 ans consacre l’essentiel de ses journées à mettre en place une « technologie agricole » sur le jardin de trois hectares que possède sa congrégation, à Ciloto dans la province de Java occidental, à moins de cent kilomètres au sud de Jakarta. « Cela fait partie de la façon dont je réalise ma vocation de franciscain », confie-t-il en parcourant le jardin, situé à proximité du couvent. Ces travaux agricoles font partie de son quotidien depuis près de douze ans. Frère Pudiharjo s’intéresse à l’agriculture biologique depuis 1997, alors qu’il était directeur d’école dans l’île de Flores. Il se souvient d’une religieuse qui l’a appelé en pleine nuit depuis un hôpital local, à propos d’une femme qui souffrait d’hémorragie. Les résultats du laboratoire ont montré que son sang contenait un taux anormal d’urée, un déchet azoté excrété par les reins, sans que personne ne sache pourquoi. Le franciscain a alors appris que la femme vivait près d’un marché et qu’elle consommait tous les jours des légumes contaminés par des engrais chimiques. Le religieux a conclu que le problème venait de là. « Je cherche à trouver des méthodes agricoles qui ne causent pas de danger pour l’environnement ou pour la santé des gens », explique-t-il, ajoutant que sa passion s’est vraiment enracinée quand il a été envoyé dans l’île de Java.

Conversion biologique

Afin de se former davantage, le frère Pudiharjo a rejoint le réseau d’experts agricoles de l’Institut agronomique de Bogor, à Java occidental. « Nous nous rencontrons régulièrement afin d’échanger sur les meilleures méthodes de développement d’engrais biologiques », poursuit le religieux, ajoutant que dernièrement, il s’est concentré sur la culture d’ail local, afin de tenter de concurrencer le monopole de l’ail importé. « Nos gousses d’ail sont de meilleure qualité que l’ail importé de Chine », assure-t-il, ajoutant qu’il incite les fermiers javanais à exploiter cette niche afin d’améliorer leurs revenus. La méthode naturelle qu’il emploie consiste notamment à utiliser des bactéries permettant d’améliorer la qualité des graines. Par exemple, il utilise des pousses de bambou qui stimulent la croissance des bactéries et la pousse des semences, en les laissant tremper dans un bac humide, avant de planter les graines. Frère Pudiharjo veut encourager les fermiers à « apprivoiser » les insectes et les bêtes nuisibles plutôt que de chercher à les exterminer, assurant que leur présence sur les terres est un signe positif. « Si vous voyez beaucoup de sauterelles dans votre potager, cela veut dire que le sol est très acide », explique-t-il. « Vous n’avez pas besoin de les tuer, épandez plutôt de la chaux sur les sols afin de neutraliser l’acidité. » Le religieux soutient que tous agriculteurs devraient voir toutes les créatures vivantes comme des « frères » quand ils cultivent le sol. « Si un fermier adopte cette manière de voir les choses, il en retirera beaucoup d’énergie positive, ou plutôt ce que j’appelle l’énergie spirituelle », poursuit-il. Frère Pudiharjo incite aussi les fermiers à éviter les engrais et les pesticides toxiques qui sont dangereux pour les micro-organismes.

Neuf « Food Heroes » consacrés par Oxfam

Presque toutes les semaines, des dizaines de personnes de toutes origines et régions du pays viennent visiter le jardin et écouter l’enseignement du frère Pudiharjo. Il est également invité à prendre la parole dans les paroisses, les mosquées, les écoles coraniques et les bases militaires de la région, afin de les initier à l’agriculture biologique. Les militaires peuvent alors assimiler ce qu’ils ont reçu et le transmettre aux fermiers locaux à travers le pays, provoquant un effet domino. Depuis 2015, le religieux forme aussi les citadins, dont des paroissiens de Jakarta, en défendant les avantages de l’agriculture urbaine, comme la méthode de la culture hydroponique des légumes – une technique qu’ont adoptée les neuf « Food Heroes » qui ont été nommés par Oxfam Indonésie en 2016, consacrant ainsi leurs efforts pour sauvegarder l’équilibre alimentaire du pays.

« Ces personnes sont directement engagées dans la conservation des terres agricoles, en utilisant des variétés locales qui sont plus adaptées au climat et en adoptant les techniques hydroponiques afin de compenser l’exiguïté des champs », expliquait Dini Widiastuti, directrice du programme de justice économique d’Oxfam, en octobre 2016. Le dernier projet en date du frère Pudiharjo l’amène à travailler avec des étudiants d’une école catholique de Jakarta, afin de cultiver un terrain d’une centaine d’hectares situé dans la province de Java occidental. Ils y plantent des graines telles que le sorgho, un aliment de base qui peut remplacer le riz. Fransiskus Xaverius Djati, qui travaille avec le religieux, affirme que la demande de récoltes biologiques augmente. « Et nous pouvons les vendre plus cher que les produits non biologiques », explique-t-il. En plus des ventes en direct, les produits sont également vendus sur les marchés bios de deux paroisses de Jakarta.

Le père Alsis Goa Wonga, directeur de la Commission franciscaine Justice, Paix et Intégrité de la Création pour l’Indonésie, confie que l’agriculture biologique fait partie d’un programme franciscain depuis plusieurs années. « Sur l’île de Flores, nous avons lancé un centre éco-pastoral sur l’agriculture biologique, et le frère Pudiharjo est l’une des principaux acteurs investis dans ce travail pastoral », explique le prêtre. « Dans le contexte de la situation à Java, c’est notre façon de maintenir une présence positive dans une société majoritairement musulmane. » Malgré les avantages que représente l’agriculture biologique, frère Pudiharjo assure qu’il n’est pas facile de convaincre les gens de passer à l’acte. « Beaucoup de gens viennent étudier dans mon jardin, mais très peu d’entre eux mettent en pratique ce qu’ils ont appris », regrette le religieux. « Ceci dit, le plus important, c’est qu’il y a une transmission de savoir, et une meilleure prise de conscience de l’importance de la protection de l’environnement. »

(Avec Ucanews, Ciloto)


CRÉDITS

Siktus Harson / Ucanews