Eglises d'Asie

Un rapport alerte sur les attaques des minorités au nom de la protection de la vache

Publié le 15/02/2019




Dans un rapport publié le 19 janvier à New-York, l’organisation Human Rights Watch alerte sur les violences perpétrées en Inde à l’encontre des minorités par des groupes qui prétendent agir au nom de la protection de la vache. Human Rights Watch appelle le gouvernement indien à prévenir ces incidents et à poursuivre les agresseurs en justice.

Publié par l’organisation Human Rights Watch (HRW), un rapport de 104 pages intitulé « Violent cow protection in India : vigilante groups attack minorities » alerte sur la rhétorique communautaire utilisée par des responsables du parti au pouvoir du BJP (Parti du peuple indien), qui incitent à une campagne violente contre la consommation du bœuf et contre les acteurs de cette filière bovine. Entre mai 2015 et décembre 2018, au moins 44 personnes, dont 36 musulmans, ont été tuées dans des attaques. HRW met notamment en lumière le fait que la police freine généralement les poursuites contre les attaquants, alors que plusieurs politiciens du BJP justifient ce type d’attaques. Depuis que le Premier ministre Narendra Modi a pris le pouvoir en Inde en 2014, son parti nationaliste hindou du BJP a en effet porté au cœur du débat politique l’enjeu de la protection de la vache, animal sacré pour la majorité hindoue. En février 2019, son gouvernement a annoncé une commission nationale pour la protection de la vache. Cette croisade est devenue un point de fixation pour les extrémistes hindous, qui sont influents au sein du BJP et qui sont présents dans les campagnes à travers un réseau de milices. Ainsi, les législations qui interdisent l’abattage de vaches se sont durcies dans de nombreux États. Elles menacent notamment des millions d’emplois dans la filière économique de la viande, qui est principalement aux mains des minorités et en particulier des musulmans. Ces minorités, qui consomment du bœuf, se sentent également discriminées par cette campagne de protection de la vache.

« Les appels à la protection de la vache ont pu être lancés à l’origine pour séduire le vote hindou, mais cela s’est transformé en une carte blanche pour attaquer violemment et tuer des membres des minorités », a commenté Meenakshi Ganguly, directrice en Asie du Sud de Human Rights Watch. « Les autorités indiennes doivent arrêter d’encourager ou de justifier ces attaques en blâmant les victimes et en protégeant les coupables. » Le rapport de l’organisation s’appuie en particulier sur l’étude de 11 incidents qui ont provoqué la mort de 14 personnes, et sur les réponses inadéquates des autorités dans les États d’Haryana, d’Uttar Pradesh, du Rajasthan et du Jharkhand. Par exemple, le rapport détaille un incident survenu en 2016 : une milice a alors battu à mort un vendeur de bétail musulman et un garçon âgé de 12 ans, alors qu’ils se rendaient à une foire bovine dans l’État du Jharkhand. Leurs corps ont été retrouvés pendus à un arbre avec les mains attachées dans le dos. Caché dans des buissons, le père du garçon assassiné a été témoin de la scène. « Si j’étais intervenu, ils m’auraient tué moi aussi, a-t-il raconté. Mon fils criait à l’aide mais j’ai eu si peur que je suis resté caché. »

Lutte contre le phénomène alarmant des « lynchages »

Pour les musulmans et les chrétiens, le bœuf est une source abordable de protéines, ainsi que pour les aborigènes (Adivasis) et les Dalits, les hors-castes de l’hindouisme autrefois appelés « Intouchables ». Ces minorités sont régulièrement accusées d’enfreindre les interdictions et sont poursuivies par des milices hindoues qui sèment la terreur. Ces brigades s’en prennent aux éleveurs, aux transporteurs ou aux vendeurs de bétail. Il a parfois suffi d’une fausse rumeur colportant la mort d’une vache pour mettre le feu aux poudres, dans une Inde où la profanation présumée des symboles est sensible. Alimentée par la complexité des lois, la confusion entre buffles, bœufs et vaches prête plus encore à la confusion pour alimenter ces tensions intercommunautaires. Dans la plupart des cas documentés par HRW, les autorités n’apportent pas de réponses satisfaisantes. « La police fait face à une pression politique pour sympathiser avec les protecteurs de la vache, pour affaiblir les enquêtes et pour laisser les coupables en liberté », a ainsi témoigné, dans le Rajasthan, un responsable de la police à la retraite. « Ces groupes reçoivent un abri et un soutien politique» En juillet 2018, la Cour Suprême de l’Inde a néanmoins voté une série de directives pour que des « mesures préventives, réparatrices et punitives » soient prises contre ce phénomène alarmant des « lynchages ». La police de chaque État de l’Inde doit désormais mettre en place une cellule spéciale à cet effet ; un système de compensation pour les victimes doit également être facilité, ainsi que des actions punitives contre les membres des forces de l’ordre qui ne respecteraient pas leurs engagements. D’après HRW, l’ensemble de ces dispositifs n’est toujours pas opérationnel. « Les autorités nationales et régionales doivent respecter les directives de la Cour Suprême pour empêcher les lynchages, au lieu d’ignorer leurs obligations envers les droits de l’homme », estime Meenakshi Ganguly.

(EDA / Vanessa Dougnac)

Crédit : McKay Savage / CC BY 2.0