Eglises d'Asie – Philippines
Un rapport pointe l’échec d’un programme d’aide sociale lancé sous Duterte
Publié le 18/10/2022
Selon un rapport de la commission d’audit philippine COA (Commission on Audit), publié le 13 octobre, le Programme transitoire pour la famille philippine (Pantawid Pamilya Pilipino Program) un régime d’aide social financé par l’État philippin et qui verse des indemnités en espèces à plusieurs millions de familles pauvres dans le pays, n’a pas suffi à les faire sortir de la pauvreté. Selon le rapport, 90 % des familles les plus démunies de l’archipel philippin et qui reçoivent ces aides mensuelles (également appelées « 4P ») sont toujours en difficulté.
Le programme 4P est un programme de transfert de fonds financé par le ministère du Bien-être social et du Développement. Les familles vivant sous le seuil national de pauvreté (moins de 12 030 pesos philippins par mois, soit 209 euros) ont droit à une aide de 5 000 à 6 000 pesos (entre 87 et 104 euros) par mois dans le cadre de ce programme. En 2019, l’ancien président Rodrigo Duterte a lancé le programme 4P afin d’éradiquer l’extrême pauvreté aux Philippines, en soutenant l’accès à la santé et à l’éducation pour les familles les plus pauvres des 79 provinces du pays.
Selon le rapport de COA, la situation de ces familles est pourtant restée inchangée malgré plusieurs années d’aides reçues. « Cela montre que la transmission intergénérationnelle de la pauvreté n’est que peu atténuée malgré les allocations versées à des millions de familles », a déclaré Miguel Datian, représentant de la commission, qui estime que les programme d’aides du gouvernement ne permettent pas de réduire la pauvreté. « Nous devrions de préférence apprendre aux pauvres à pêcher plutôt que de leur donner du poisson. L’importante quantité d’argent dépensée dans ce projet aurait pu servir à soutenir les opportunités d’emplois dans le pays ou le système de santé », ajoute-t-il.
« Nous ne pouvons pas survivre avec cela »
Une bénéficiaire du programme 4P, Librado Grajo, âgée de 32 ans, une mère de deux enfants vivant à Tandang Sora à Quezon City (Manille) explique que sa famille a du mal à survivre avec leurs faibles revenus et une aide financière insuffisante. Librado Grajo, catholique, travaille comme blanchisseuse, et son mari, Jose, âgé de 37 ans, est chauffeur de taxi. Tous deux gagnent un total de 12 000 pesos par mois (208 euros) environ. Ils reçoivent 5 900 pesos par mois de la part du gouvernement. « Nous ne pouvons pas survivre avec cela. Nous dépensons presque tout pour nous nourrir », confie Librado Grajo. Mais malgré tout, elle se dit heureuse de recevoir cet argent. « Au moins nous recevons quelque chose du gouvernement ; plutôt que de se remplir les poches, au moins ils font quelque chose pour les pauvres. »
L’État a alloué un total de 780,71 milliards de pesos (13,6 milliards d’euros) dans le programme anti-pauvreté entre 2019 et 2022 selon le rapport de COA. Selon le ministère des Finances du pays, le programme d’aide a contribué à faire gonfler la dette externe des Philippines, qui a atteint 98,5 milliards de dollars US en 2021 soit une hausse de 17,77 % par rapport à 2020.
23,7 % sous le seuil de pauvreté en 2021
« Le programme nécessitait un niveau de financement que nous ne pouvions pas assumer. Ce n’est pas tenable sur la durée et cela aggrave l’endettement du pays. Où sont passés tous ces milliards si plus de 90 % des bénéficiaires sont toujours pauvres ? » demande J. C. Punungbayan, professeur d’économie à l’Université des Philippines, en soulignant que vers la fin du mois d’août 2020, la Banque asiatique de développement (ADB) avait approuvé un emprunt de 400 millions de dollars US.
De son côté, la Commission population et développement des évêques catholiques philippins a cité les chiffres publiés par la banque ADB, selon laquelle 23,7 % de la population du pays, sur 110 millions d’habitants, vivaient sous le seuil de pauvreté en 2021. « Le programme est en place depuis plusieurs années, plusieurs milliards ont été dépensés. Clairement, ce genre de système d’aide n’est pas la solution », estime le père Carlos de Castro, secrétaire de la commission.
Le prêtre affirme également que ces fonds ont été utilisés à des fins politiques auprès des communautés défavorisées, où les élus « investissent » de l’argent pour obtenir des votes durant les élections. « Beaucoup d’hommes politiques veulent ce programme car cela leur permet de se construire une image ‘généreuse’ auprès des gens, même si c’est l’argent du gouvernement. »
(Avec Ucanews)