Eglises d'Asie – Philippines
Une église récupère ses cloches un siècle plus tard, sous l’égide de Duterte
Publié le 18/12/2018
Nous sommes en 1901, durant la guerre américano-philippine (1899-1902), alors que les États-Unis viennent de racheter les Philippines aux Espagnols. Pour se venger d’une attaque surprise philippine qui a tué presque cinquante des leurs, les Américains dérobent trois cloches utilisées pour sonner le tocsin de l’église de Balangiga (Samar oriental), dédiée au martyr espagnol saint Laurent de Rome. Et il faut imaginer les soldats des neuvième et onzième régiments d’infanterie transporter leur imposant butin de guerre par-delà les mers, jusqu’à leurs bases situées respectives en Corée du Sud et dans l’État du Wyoming. Narré dans tous les livres d’histoire d’école de l’archipel, au fil des ans, ce fait d’armes rocambolesque a pu cristalliser un certain ressentiment côté philippin, malgré les liens notamment militaires conservés avec le grand frère américain, devenu principal allié régional lors de la Seconde Guerre mondiale. Car depuis plus d’un siècle, l’affaire des cloches de Balangiga, surnommées « les cloches de la discorde », pesait sur les relations diplomatiques entre les États-Unis et les Philippines.
Rapatriées dans un avion spécialement affrété par l’US Air Force, les cloches ont été restituées à leur église d’origine le 15 décembre, juste à temps pour « Simbang gabi », tradition annuelle pendant laquelle les Philippins se rendent à la messe entre 3 et 5 heures du matin durant la neuvaine précédant Noël. « Cela faisait 117 ans que l’on attendait le retour de ces cloches. Aujourd’hui est un jour historique pour nous », s’est réjoui Mgr Crispin Varquez, évêque de Borongan. « C’est un moment de grande fraternité, a salué pour sa part Mgr Gabriele Giordano Caccia, nonce apostolique aux Philippines. Les cloches avaient été volées à un moment de violence et de souffrance. Désormais, elles célèbrent la paix, la réconciliation et la louange de Dieu. »
« Rendez-nous nos cloches ! »
En 1957, le Franciscain Horacio de la Costa fut le premier à écrire aux Américains pour demander officiellement la restitution des cloches acquises grâce aux dons des habitants de Balangiga. Une demande renouvelée l’année suivante, avec l’appui de missionnaires américains. Après d’autres pétitions infructueuses, l’affaire remonte jusqu’au sommet de l’État philippin : tandis que le président Fidel Ramos propose de ne récupérer qu’une seule cloche en guise de concession, son homologue Bill Clinton refuse en bloc. Entre-temps, le Congrès philippin vote plusieurs résolutions pour exiger la restitution des cloches. Jusqu’à leur retour fracassant dans ce discours de Rodrigo Duterte, l’an dernier, sur l’état de la nation, devant des diplomates américains visiblement pris au dépourvu. « Les cloches de Balangiga sont à nous. Rendez-nous nos cloches ! » avait alors tonné dans un élan nationaliste le président philippin, également connu pour avoir insulté Barack Obama.
Finalement, en août Jim Mattis, l’actuel secrétaire à la Défense américaine, signe des documents en faveur retour des fameuses cloches. Jusqu’ici, malgré les protestations de la conférence des évêques philippins, selon les États-Unis, seul leur Congrès pouvait trancher. Outre l’injonction présidentielle Rodrigo Duterte, d’après le diocèse, c’est surtout le déplacement de l’ancien évêque de Borongan jusque dans les montagnes du Wyoming qui aura permis de débloquer la situation en coulisses. « Nous reconnaissons l’importante nationale de ces cloches », écrit Mgr. Crispin Varquez, actuel évêque de Borongan. « Les cloches de Balangiga ont une valeur sacramentelle, autrement dit, il s’agit d’un objet sacré utilisé pour appeler les fidèles à la prière et à la messe. Surtout, les cloches invitent au sacrement de la Sainte Eucharistie, considérée comme la forme de prière la plus importante et la plus élevée chez les catholiques. Par conséquent, ces cloches appartiennent à l’Église. »
Devant une foule enthousiaste, Rodrigo Duterte, invité d’honneur de la cérémonie de remise officielle, est venu sonner le carillon. « Nous avons pu récupérer les cloches grâce aux prières et à la ferveur de notre nation tout entière », a sobrement déclaré le président, avant de rendre hommage à « la générosité américaine ». Réputé proche de Rodrigo Duterte, Mgr Romulo Valles, l’archevêque de Davao et président de la Conférence épiscopale des évêques philippins, a souligné « un effort collectif ». Et d’ajouter : « Nous partageons la joie des habitants de Balangiga ». L’ambiance était donc à la fête, si ce n’est qu’on a appris après coup que le personnel de la présidence aurait demandé aux membres du clergé de sortir avant l’arrivée de Rodrigo Duterte, lequel avait, il y a quelques jours, appelé dans une énième provocation anticléricale à « tuer les évêques ». Contacté par Églises d’Asie, au moment où nous écrivions ces lignes, l’évêque de Borongan n’était pas disponible pour commenter.
(EDA / Marianne Dardard – Balangiga, Samar Oriental)
CRÉDITS
Roy Lagarde / Ucanews