Eglises d'Asie

Vers de nouvelles perspectives dans les relations entre l’Église catholique et l’État au Vietnam

Publié le 28/10/2023




Les relations entre l’Église catholique et l’État marquent un nouveau tournant. Pour Claire Tran, spécialiste de l’histoire de l’Asie du Sud-Est, alors que le Vietnam cherche à équilibrer ses relations avec le monde face à la puissance chinoise, la politique de l’État communiste vis-à-vis de l’Église fait partie de cet équilibrage : « La légitimité du Parti, c’est le développement économique ; et le développement, c’est l’intégration avec le monde. L’ouverture sur les religions fait partie de cette intégration. »

Des catholiques célèbrent la messe dans une chapelle de Lang Lao, le 7 août 2023 dans la province de Yen Bai.

« Si un mot devait caractériser les religions au Vietnam, ce serait celui de diversité », souligne Claire Tran Thi Lien, spécialiste de l’histoire de l’Asie du Sud-Est, dont les travaux portent particulièrement sur l’histoire du catholicisme au Vietnam et les rapports entre politique et religions depuis la fin du XIXe siècle. « On compte des religions de toutes sortes en Asie du Sud-Est, dans toute la région. Il y a d’ailleurs même des musulmans, des protestants, des bouddhistes… »

C’est une réalité à prendre en compte pour le pouvoir communiste, qui s’est inspiré du système confucéen vietnamien, inspiré lui-même du système confucéen chinois au sein duquel il y avait un « Bureau des rites » : le roi contrôlait les religions et validait quelles religions pouvaient être acceptables. « Il y a cette tradition de la gestion du religieux qui est très divers. Les communistes ont récupéré cela, il y a donc toujours un Bureau des religions comme il y avait un Bureau des rites, il y a une continuité de l’époque impériale avec les communistes », explique Claire Tran.

Une continuité qu’elle inscrit dans la durée : les religions pouvaient être une contestation pour le pouvoir impérial, et c’est pour cela que le Bureau des rites contrôlait et donnait son accord. « Aujourd’hui, le Parti communiste fait de même et tolère à condition de pouvoir contrôler. À ce niveau-là, je dirais que le niveau de dialogue avec les catholiques est parmi les meilleurs. Car il y a une autorité, le Vatican ; il y a deux structures très hiérarchiques, et finalement, c’est plus facile », estime-t-elle, en invitant à resituer la politique religieuse du gouvernement actuel dans l’histoire de la gestion d’une diversité religieuse qui existe depuis longtemps.

Une liberté religieuse toujours sous contrôle

La liberté religieuse n’est donc pas sans conditions au Vietnam, même si l’enseignante et maîtresse de conférences se réjouit de voir la situation s’améliorer depuis ces 25 dernières années. « Au départ, les activités se concentraient uniquement sur la pratique religieuse, puis l’action sociale s’est développée. Quand j’ai rencontré Mgr Zalewski [nonce apostolique à Singapour et alors représentant papal non-résident du Vietnam], il m’a parlé du rôle de l’Église durant le Covid-19 qui a été très important, et le gouvernement accepte ce rôle social, mais il n’accepte aucune critique », assure-t-elle.

Elle rappelle donc que « du point de vue politique, on est dans un régime communiste à parti unique, et il n’y a pas de place pour une opposition politique ». « Et cela, c’est pour les catholiques et pour toutes les autres religions, pour tous les Vietnamiens », souligne-t-elle. Il y a donc eu un certain nombre de condamnations, ajoute Claire Tran, non seulement des catholiques mais aussi des militants écologistes qui ont protesté contre la politique du gouvernement. Notamment dans le cadre de l’affaire Formosa, une aciérie taïwanaise responsable de graves pollutions qui ont atteint toutes les communautés de pêcheurs dans le centre du Vietnam en 2016. « L’Église a été très critique face à cette catastrophe », explique-t-elle.

« Le Vietnam cherche à équilibrer ses relations face à la Chine »

Aujourd’hui, selon elle, la légitimité du régime communiste est surtout économique. Le Parti ne se maintient plus que parce qu’il a ouvert le pays et garantit une croissance : « Le pays est arrivé au communisme par nationalisme, pour être indépendant. Beaucoup de gens sont membres du Parti parce qu’il faut l’être dans toute administration, sinon c’est compliqué. »

Face à la question de la politique religieuse du gouvernement vietnamien, elle suggère une approche plus large, en rapport avec l’évolution des relations du pays avec le monde : « La question, c’est que le Vietnam a toujours eu des relations très compliquées avec la Chine, à la fois alliée et impérialiste. Le Vietnam cherche donc à équilibrer ses relations face à la Chine, notamment avec le problème du contrôle territorial en mer de Chine du Sud, appelée mer de l’Est par le Vietnam ».

Ce rééquilibrage s’effectue avec d’autres pays comme les États-Unis, l’Inde et aussi avec l’Europe, afin de contrebalancer la puissance de la Chine. « La politique vis-à-vis de l’Église catholique fait partie de cet équilibrage », précise-t-elle. « Il y a la Chine, le bloc communiste, et le reste du monde qui permet au Vietnam de se développer économiquement. Le Vietnam cherche à développer cela, parce que la légitimité du Parti, c’est le développement économique ; et le développement économique, c’est l’intégration avec le monde. »

Pour Claire Tran, l’ouverture sur les religions fait partie de cette intégration : « Pour cela, pour le Vietnam, le fait d’avoir le bureau d’un représentant du Vatican avant la Chine, c’est extrêmement important, car cela montre qu’il y a une politique indépendante et qu’il est parvenu à ce dialogue. Les Vietnamiens se distinguent dans leur politique. »

(Propos recueillis par Églises d’Asie)