Eglises d'Asie

Croyances et superstition en question en Thaïlande

Publié le 01/12/2018




Alors que de nombreuses croyances et superstitions persistent à travers le pays et imprègnent toutes les couches de la société, Jessada Denduangboripant, un chercheur en biologie de l’université Chulalongkorn de Bangkok, sillonne le pays en tant que vulgarisateur scientifique afin de combattre les faux mystiques qui profitent de la crédulité des gens pour s’enrichir.

Wat Cha-ang, dans le nord du pays, peut se vanter d’une ancienne statue de Bouddha qui date de l’époque de la fondation de la capitale thaïlandaise, vers la fin du XVIIIe siècle. Pourtant, ce n’est pas la raison pour laquelle tant de gens viennent de tout le pays pour s’amasser au monastère bouddhiste de cette communauté qui vit sur les bords de la rivière Chao Phraya. Les visiteurs s’intéressent plutôt à un vieux tronc d’arbre considéré comme sacré, protégé au sein du temple bouddhiste. Ce tronc a été repêché dans la rivière il y a deux ans après qu’un vieux moine, décédé depuis, avait affirmé avoir rêvé d’un esprit qui lui aurait parlé d’un arbre mort reposant sous l’eau non loin de là, en lui demandant d’aller le repêcher. C’est ce que racontent les habitants. « Nous avons trouvé le tronc submergé », explique Chalerm Tongmorn, qui garde le tronc qui, selon les croyances de beaucoup d’habitants, aurait appartenu à un arbre sacré poussant au bord de la rivière. « Il était là, de l’autre côté de la rivière », montre Chalerm d’un geste de la main. « Le tronc pointait vers la direction du temple, contre le courant. Il nous montrait où il voulait être emmené. » Le tronc y est exposé depuis, et repose dans un pavillon en teck construit pour l’occasion.

Cette histoire de tronc sacré et de ses prétendus pouvoirs magiques attire un grand nombre de visiteurs, qui viennent avec des cadeaux et des dons dans l’espoir que cela leur porte chance. La plupart d’entre eux espèrent découvrir des numéros gagnants à la loterie, en frottant du talc sur le tronc blanchâtre pour y chercher des formes de chiffres. Quelques visiteurs affirment avoir gagné à la loterie par la suite. Toutefois, ceux qui ont le plus bénéficié de la présence du tronc sont clairement les moines bouddhistes. Wa Cha-ang a reçu plusieurs millions de bahts, affirme l’un d’entre eux (un million de bahts équivaut à 27 765 euros). « Les croyances dans les arbres sacrés restent fortes », explique Wipat Pathumkij, abbé du monastère bouddhiste. « Quand ils entendent parler de cet arbre, ils viennent sans cesse. Ils veulent voir. Ils pensent que cela leur portera chance. » Les moines ne cherchent pas à décourager ces croyances. « Dans le bouddhisme, nous ne croyons qu’en des choses que nous pouvons prouver », reconnaît-il. « Mais cela fait partie de la culture thaïlandaise de croire aux esprits. Je ne veux pas réprimander les gens parce qu’ils croient en ces phénomènes surnaturels. »

« Ouvrez les yeux »

Pourtant, certains Thaïlandais plus cartésiens considèrent presque l’emprise des superstitions sur les Thaïlandais comme un genre de malédiction. « Comment pouvons-nous devenir une société moderne si les gens continuent de croire en ces aberrations ? » demande Jessada Denduangboripant, un biologiste qui enseigne à l’université Chulalongkorn de Bangkok. Jessada, un vulgarisateur scientifique d’une quarantaine d’années, se bat sans cesse contre les faux prophètes qui s’enrichissent en profitant de la crédulité des gens. Il en veut particulièrement aux moines bouddhistes qui affirment posséder des pouvoirs miraculeux ou qui colportent ce qu’ils font passer pour un phénomène surnaturel. Sur sa chaîne Youtube appelée « Wittaya Tasawang » (« Ouvrez les yeux avec la science »), très populaire, Jessada s’est attaqué aux impostures de plusieurs moines faiseurs de miracles, déjouant leurs tours. Parmi ses cibles se trouvent les moines d’un monastère du nord de la province de Nong Bua Lamphu, devenu célèbre il y a deux ans quand plusieurs d’entre eux auraient commencé à accomplir plusieurs actes miraculeux. Les moines restaient assis dans des poses méditatives dans de grands bacs remplis d’huile, sous lesquel des assistants allumaient un feu de bois. Malgré la chaleur intense, les moines apparaissaient imperturbables et indemnes. Les dons des fidèles – pour la plupart des gens pauvres de communautés rurales – ont commencé à affluer.

Superstitions persistantes

Le temple bouddhiste a également commencé à faire des affaires en vendant à la chaîne des talismans et de petites bouteilles « d’huile sacrée », vendues comme des potions aux propriétés magiques. Jessada était sceptique. Les bacs qu’utilisaient les moines, a-t-il remarqué en regardant leur vidéo, avaient une forme inhabituelle : un fond plat reposant sur une cuvette ronde contenant, suspecte-t-il, une couche interne servant d’isolant aux moines. Il a démontré comment cela fonctionnait en faisant une simple expérience dans son laboratoire, avant d’aller démonter le prétendu miracle devant les caméras de la télévision thaïlandaise. « Je suis bouddhiste pratiquant, mais je pense que c’est mon devoir de dénoncer ces moines », souligne-t-il. « Ils nuisent à notre réputation en trompant les gens. » Le travail ne manque pas. De nombreux moines, dans un pays où les superstitions ancestrales continuent de proliférer, affirment avoir des pouvoirs magiques. Dans la province de Nakhon Si Thammarat, dans le sud du pays, un moine bouddhiste du nom de Phra Ajarn Cha (« vénérable professeur Cha ») est devenu célèbre il y a peu. À cause de sa haute distinction spirituelle et morale, affirmait-on, des perles de sueur mêlées de gouttes de sang se changeaient en cristaux rouges. Ces « reliques sacrées » ont fini par être convoitées comme des talismans protecteurs par ses disciples, dont beaucoup payaient de grandes sommes d’argent pour les acquérir.

Weerachai Phutdhawong, un professeur agrégé de chimie organique à l’université Kasetsart de Bangkok, a mis la main sur plusieurs de ces « cristaux magiques » et les a testés dans son laboratoire. Il s’agissait de simples billes de plastique. Cela n’a pas impressionné le moine. « Il a commencé à me menacer », raconte Weerachai, également bouddhiste pratiquant. « Les moines comme lui n’hésitent pas à utiliser ce genre de trucages et les vendre comme des signes de pouvoirs spirituels. » Ainsi, Jessada veut contribuer à changer cette situation. L’universitaire a voyagé à travers le pays en rendant visite aux écoles et aux lycées, afin d’expliquer aux élèves les bénéfices de l’esprit critique et des méthodes scientifiques.

(Avec Ucanews, Bangkok)


CRÉDITS

Tibor Krausz / Ucanews