Eglises d'Asie

La scolarisation des enfants toujours problématique au Bangladesh

Publié le 10/11/2018




Bien que le taux de pauvreté ait baissé de manière spectaculaire au Bangladesh, en passant de 31 % en 2010 à 21,8 % en 2018, des millions de Bangladais vivent encore en dessous du seuil de pauvreté. La pauvreté reste la barrière principale à l’éducation dans ce pays où le taux officiel d’alphabétisation est d’environ 60 %. En 2014, près de 5,6 millions d’enfants n’étaient pas scolarisés, en particulier parmi les communautés marginalisées et les minorités ethniques. Depuis 2012, le projet Lighthouse, un programme européen, a permis d’accompagner plus de 12 000 enfants.

Sanjit Pahan, 11 ans, un hindou de la minorité Pahan, a toujours été fasciné par les avions survolant son village reculé au-dessus des forêts bangladaises. Sanjit est l’aîné des deux fils d’un pauvre fermier de la région de Birampur, dans le district de Dinajpur. La famille, qui vit au village de Koromtali dans une maison au toit de chaume, lutte tous les jours contre la misère. Pourtant, Sanjit a de grandes ambitieux : il voudrait devenir pilote de ligne. En 2012, il s’est un peu rapproché de son rêve quand la Caritas de Dinajpur a fondé la première école primaire de Prayagpur, à environ cinq kilomètres de Koromtali. « Cela prend environ trente minutes à pieds de rejoindre l’école à travers la forêt. Je veux devenir pilote une fois que j’aurai fini mes études », affirme Sanjit, en CM1. Son frère est en CP au Centre éducatif pour enfants de Prayagpur, qui compte une centaine d’enfants en deux classes. Ceux-ci y reçoivent une éducation primaire de base, jusqu’au CM2. Tous les enfants viennent de minorités défavorisées. Beaucoup d’entre eux n’avaient jamais été à l’école ou avaient interrompu leur éducation. Malheureusement, Sanjit risque de voir son rêve s’éloigner bientôt, l’école devant fermer ses portes en décembre par manque de moyens.

« Je vois que beaucoup d’enfants ne vont pas à l’école. À la place, ils aident leurs parents aux champs ou à la chasse. Je veux continuer d’aller à l’école à tout prix, et je veux atteindre mon rêve », soutient Sanjit. En 2012, Caritas a reçu un financement de 10 millions d’euros de la part de l’Union européenne et de Caritas France, afin de fournir une éducation primaire à des milliers d’enfants démunis à travers le pays. Un projet appelé « Aloghor » (Phare), qui fait partie du programme européen Share. Dans le cadre du projet Lighthouse, sur six ans, Caritas s’est vu confier la création de 1 005 écoles dans 27 districts du pays afin d’offrir une éducation à plus de 158 000 enfants non scolarisés. À ce jour, 911 écoles ont été créées. Un total de 94 écoles ont dû fermer avec les années, parce qu’elles se trouvaient dans des régions comptant déjà au moins une école publique. Une école Lighthouse compte entre 30 et 120 enfants selon sa capacité, tandis que le projet implique 1 339 enseignants ainsi qu’un effectif de 172 personnes engagées, selon Shishir Angelo Rozario, chef du projet Lighthouse.

5,6 millions d’enfants non scolarisés

Au-delà de l’éducation gratuite, les enfants reçoivent également des fournitures essentielles dont des livres, des cahiers et des crayons. Les enfants des minorités ethniques reçoivent une éducation dans leur langue maternelle, par des enseignants originaires de leurs communautés. Le projet Lighthouse est arrivé à son terme en novembre 2017. Cependant, Caritas a appelé l’Union européenne à prolonger le projet jusqu’en décembre 2018 afin de permettre aux élèves de réintégrer le système scolaire principal. « Les financements ont été prolongés d’un an, mais le projet prendra fin en décembre. Avec les années, nous avons pu permettre à près de 12 000 élèves de réintégrer le système scolaire. Mais nous sommes toujours inquiets pour les autres », confie Shishir Angelo Rozario. Caritas continue de faire pression sur les donateurs pour qu’ils ne retirent pas leur soutien au projet. « Les organismes donateurs hésitent à financer les projets éducatifs, parce qu’ils estiment que l’éducation est la responsabilité du gouvernement. Cependant, la réalité est différente au Bangladesh, où beaucoup d’enfants ont encore besoin de soutiens pour pouvoir recevoir une éducation », ajoute Shishir.

Des initiatives sont en cours afin de tenter de maintenir les écoles grâce aux soutiens financiers de huit diocèses catholiques, indique une source ecclésiale. Malgré une chute spectaculaire du taux de pauvreté, de 31 % en 2010 à 21,8 % en 2018, des millions de Bangladais vivent encore en dessous du seuil de pauvreté dans le pays, selon la Banque mondiale. La pauvreté reste la barrière principale à l’éducation dans ce pays où le taux officiel d’alphabétisation est d’environ 60 %. Les autorités affirment que les inscriptions annuelles en écoles primaires sont complètes, mais selon les éducateurs, des millions d’élèves quittent l’école après le CM2 parce que leurs parents ne peuvent pas payer les frais de scolarité à partir de la sixième. En 2016, près de 38 % de collégiens bangladais ont arrêté l’école, selon le Bureau officiel de l’information et des statistiques de l’éducation du Bangladesh. En 2014, un rapport de l’Unicef affirmait que 27 millions d’enfants âgés entre 5 et 13 ans n’étaient pas scolarisés au Bangladesh, en Inde, au Pakistan et au Sri Lanka. Au Bangladesh, 5,6 millions d’enfants n’étaient pas scolarisés. Les parents, les chefs de communautés et les éducateurs catholiques ont partagé leur inquiétude à propos du sort de beaucoup d’enfants qui risquent de devoir quitter l’école à l’issue du projet Lighthouse.

Irrégularités et corruption

Sabitri Rani, 31 ans, une hindoue et mère de deux filles dans la région Pirganj du district de Thakurgaon, s’inquiète de la fermeture prochaine du Centre éducatif de Deshiapara, financé par Lighthouse. Elle et son mari travaillent dans l’agriculture. « L’école Lighthouse nous a apporté de l’espoir, pour des gens pauvres comme nous. Nous sommes tristes de voir le projet prendre fin », regrette-t-elle. « L’école offre une éducation complète – culture générale, activités extrascolaires, bonne manières – aux enfants afin de les aider à devenir des hommes accomplis. Sans l’école Lighthouse, beaucoup d’enfants seront privés d’une éducation de qualité. » Samuel Mardy, chef de la communauté Santal de Birampur, craint qu’au moins 70 % des enfants des minorités ethniques quittent l’école après la fin du projet. « Ces écoles se concentrent sur les besoins des enfants des minorités, parce que ces communautés sont en retard en matière d’éducation et qu’elles sont très pauvres. Sans cet avantage, la plupart des élèves de ces communautés quitteront l’école », souligne Samuel.

Jyoti F. Gomes, secrétaire de l’Enseignement catholique bangladais, explique que la décision de l’Union européenne d’interrompre le programme est due à la politique du gouvernement bangladais. « Les groupes de développement font un excellent travail dans le secteur de l’éducation, mais le gouvernement a fait pression sur les donateurs internationaux en leur demandant d’envoyer leurs aides directement à l’État, en affirmant que l’éducation est leur responsabilité », souligne Jyoti. Mais ce dernier dénonce le fait que les projets du gouvernement sont souvent plein d’irrégularités et qu’ils sont entachés par les affaires de corruption. Les dons risqueraient de ne jamais atteindre leur objectif. « Le gouvernement alloue souvent les dons des ONG à l’éducation, mais afin de les obtenir, une organisation doit avoir de bonnes relations ou utiliser des moyens détournés. L’Union européenne se préoccupe des minorités et des communautés marginalisées, mais elle ne peut s’opposer au gouvernement bangladais », poursuit Jyoti.

Un porte-parole de l’Union européenne a déclaré qu’il n’y avait rien d’inhabituel puisque le projet était parvenu à son terme. « Venir en aide aux élèves, particulièrement à ceux qui sont en difficultés comme les minorités, les handicapés ou les enfants qui vivent dans les régions reculées, reste une priorité pour l’Union européenne. Cela correspond à l’Objectif de développement durable numéro quatre de l’UE, et cela fait partie de l’approche globale de l’Union européenne afin de soutenir l’éducation », affirme-t-elle. « L’Union européenne est un partenaire important du quatrième programme de développement bangladais de l’école primaire. Ce programme prévoit la poursuite de ce type d’initiatives, notamment en s’occupant des enfants déscolarisés de manière systématique. Le budget de l’Union européenne destiné au soutien de l’école primaire dans le pays prend cela en compte. »

(Avec Ucanews, Dhaka)


CRÉDITS

Photos Stephan Uttom / Ucanews