Eglises d'Asie – Malaisie
Race, religion, politique: un cocktail explosif à Sabah
Publié le 18/03/2010
Les rapports de Sabah avec le pouvoir fédéral ont toujours été tendus même quand un musulman en était le ministre-président. Ces tensions ont aujourd’hui tendance à se multiplier. La tentation séparatiste y est, en effet, toujours présente et, de son côté, le pouvoir central, malais et musulman, de Kuala Lumpur supporte mal la présence des chrétiens kadazans aux commandes d’un Etat riche en pétrole et en bois. Les tentatives de déstabilisation du gouvernement de Sabah, plus ou moins téléguidées par Kuala Lumpur, n’ont donc pas manqué ces dernières années. La campagne pour les élections régionales de Sabah, prévues pour les 16 et 17 juillet 1990, risque à nouveau d’être chaude si les parties en présence utilisent, comme elles en ont l’habitude, les loyautés ethniques et religieuses comme arguments politiques.
Quelques événements récents peuvent nourrir l’inquiétude. Le 25 mai 1990, le pouvoir central a, une fois encore, utilisé la loi de sécurité interne (12) pour placer en détention sans jugement trois citoyens de Sabah, Albinus Yudah, Damit Undikai et Benedict Topin. Le Conseil consultatif interreligieux qui regroupe toutes les religions du pays à l’exception de l’islam, a immédiatement protesté par un communiqué daté du 29 mai 1990. Le gouvernement central accuse ces trois personnes d’oeuvrer à la séparation de Sabah d’avec la fédération de Malaisie. Il est sans doute significatif que M. Benedict Topin soit un responsable important de la communauté kadazan et très proche du ministre-président Joseph Pairin Kitingan. Celui-ci a d’ailleurs protesté contre les arrestations et demandé un procès public.
Quelques mois plus tôt, en janvier 1990, Jeffrey Kitingan, frère cadet du ministre-président avait déjà été arrêté et inculpé de “corruption”; il venait, lui aussi, de demander publiquement une autonomie plus grande pour Sabah. Il se pourrait que l’accusation soit justifiée – le tribunal en décidera -, mais les citoyens de Sabah se demandent pourquoi le gouvernement central s’en prend à lui plutôt qu’à un autre: la corruption et l’affairisme de nombreux politiciens malaisiens sont en effet de notoriété publique.
Enfin, le “Parti Bersatu Sabah” du ministre-président, qui regroupe la majorité des Kadazans de l’Etat, s’est récemment inquiété de la politique d’immigration appliquée à Sabah par les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur: 500 000 musulmans indonésiens ou philippins sont en effet installés illégalement dans cet Etat depuis de longues années. Entre 1985 et 1989, 72 000 d’entre eux ont acquis la citoyenneté malaisienne et le droit de vote; depuis le début de l’année 1990, le pouvoir central a subitement accéléré la cadence et donné la citoyenneté à quelque 50 000 de ces immigrés. Comme ces nouveaux citoyens sont musulmans, on pense généralement qu’ils voteront pour le parti malais musulman “United Sabah National Organisation”, minoritaire jusqu’à présent. Les Kadazans de Pairin Kitingan y ont vu en tout cas une manoeuvre du pouvoir central pour réduire leur rôle dans la vie politique et économique de Sabah en donnant la majorité numérique aux musulmans. C’est la raison pour laquelle M. Pairin Kitingan a décidé d’avancer les élections, déjouant ainsi les manoeuvres du pouvoir fédéral.
Les Chinois non musulmans semblent, pour l’instant, décidés à soutenir le ministre-président. Très minoritaires dans l’ensemble de l’Etat et concentrés dans les villes, ils feront pourtant la différence dans 9 circonscriptions sur les 48 que compte Sabah. Joseph Pairin Kitingan devrait ainsi pouvoir retrouver une majorité, à moins de surprise majeure. D’autant plus que l’administration de M.Kitingan peut se prévaloir d’un succès certain dans la gestion de l’Etat: le taux de chômage est tombé de 11,9% en 1985 à 7% aujourd’hui et la croissance a atteint une moyenne annuelle de 5,2% entre 1985 et 1989.