En septembre 1984, après deux ans de négociations difficiles, les gouvernements chinois et britannique sont parvenus à un accord sur l’avenir de Hongkong. Cet accord sino-britannique, publié sous la forme d’une déclaration dûment entérinée par les Nations Unies, comporte les points suivants:
a) Hongkong, colonie britannique depuis 1842, retournera à la Chine le 1er juillet 1997 et deviendra une « Région administrative spéciale » de la Chine.
b) La Chine, selon le principe « Un pays, deux systèmesdonnera à Hongkong un large degré d’autonomie, sauf en ce qui concerne la Défense et les Affaires étrangères.
c) Le système socialiste ne sera pas imposé à Hongkong, et le système capitaliste ainsi que le mode de vie actuel des habitants demeureront inchangés pendant cinquante ans après la réunification.
d) Le chef de l’exécutif sera choisi parmi les citoyens de Hongkong, soit par élection, soit après consultation, et sera responsable devant le Conseil législatif.
e) Celui-ci sera formé après des élections (là aussi, on ne choisira que des citoyens de Hongkong, afin d’observer le principe « Les gens de Hongkong gouvernent Hongkong »).
f) Le système judiciaire actuellement en vigueur à Hongkong restera inchangé. On lui ajoutera le pouvoir de « dernier recours ».
Immédiatement après la signature de cette déclaration commune, le gouvernement de Hongkong établit un bureau chargé d’évaluer dans quelle mesure les habitants de Hongkong acceptaient les termes de cette déclaration. A l’époque, 81% d’entre eux les jugeaient acceptables. En général, on croyait que cet accord garantirait la permanence, après 1997, de tout ce qui avait fait le succès de Hongkong. De plus, le territoire aurait son propre gouvernement.
Mais le tableau changea rapidement et de façon dramatique. En juillet 1987, un sondage d’opinion montrait que 28% seulement des habitants de Hongkong croyaient pouvoir accepter la déclaration commune. Un mois plus tard, ils n’étaient plus que 21%. Les événements de Chine et de Hongkong ont convaincu de plus en plus de citoyens que la Chine n’a pas la moindre intention de remplir ses engagements et de tenir ses promesses.
La Chine ne tient pas ses promesses à l’égard de Hongkong
La déclaration commune avait été ratifiée par les deux gouvernements concernés au début de mai 1985. Peu de temps après, la Chine se mettait au travail pour préparer une « Loi fondamentale » pour la future Région administrative spéciale de Hongkong. Cette Loi fondamentale devrait servir de mini-constitution pour le territoire après 1997. Ses éléments essentiels viennent de la déclaration commune.
Quatre ans et demi plus tard, le 17 février 1990, la rédaction en était terminée. Le résultat est tellement mauvais, et le travail de rédaction a été réalisé dans des conditions tellement scandaleuses, que bien des journalistes, locaux et étrangers, l’ont appelée une « farce ». Malgré tous les défauts de cette Loi fondamentale, l’Assemblée nationale du peuple chinois devait l’entériner lors de sa réunion de mars 1990 (l’approbation officielle est datée du 4 avril).
Prenons par exemple le futur système politique de Hongkong. La Loi fondamentale prévoit que, pour le Conseil législatif de 1997, 20 membres sur 60 seront élus sur la base: une personne, une voix. Ce chiffre doit passer à 30 (50%) en 2003. Mais il n’est pas dit quand Hongkong aura un parlement entièrement élu au suffrage universel. Ce qui va directement contre les désirs de la population du Territoire. C’est une violation de la lettre et de l’esprit de la déclaration commune.
En 1987, alors que la discussion sur l’avenir politique de Hongkong battait son plein, les dirigeants chinois insistèrent pour que les citoyens de Hongkong parviennent à un consensus. Ils promirent qu’ils accepteraient les termes de ce consensus pour déterminer l’avenir. Avec beaucoup de mal, les représentants des mouvements démocratiques, ainsi que ceux des professions libérales et des hommes d’affaires, parvinrent à se mettre d’accord. Ils demandaient que 40% des représentants soient élus directement dès 1997. De leur côté, les membres – non officiels – de la législature actuelle, du Conseil législatif aussi bien que du Conseil exécutif (ils représentent « l’establishment » de Hongkong) désiraient que, dès 1991, un tiers des représentants soient directement élus, puis que, par étapes successives, on arrive à ce que l’ensemble des députés le soit en 2003. On était encore loin d’exiger un gouvernement entièrement démocratique et représentatif de la population dès 1997. Néanmoins, selon les sondages effectués à l’époque, la plupart des citoyens de Hongkong acceptaient l’un ou l’autre modèle, ou les deux.
La Chine n’en accepta aucun. A la place, elle proposa de permettre aux habitants de Hongkong d’élire un tiers de leurs représentants avant 1997. Certains prétendent que la Chine est extrêmement généreuse. En fait, elle n’a pas l’expérience de la démocratie. Les leaders chinois regardent celle-ci avec beaucoup de méfiance et d’appréhension. De plus ils ont peur que, s’ils accordent à Hongkong un trop haut degré de démocratie, le territoire n’échappe à leur contrôle. Les leaders chinois ne se sentent pas du tout en sécurité (surtout après le massacre du 4 juin 1989 à Beijing).
Le 4 juin, et au cours de la vague d’arrestations qui a suivi, le gouvernement chinois a sévi contre le mouvement démocratique, non seulement en Chine continentale, mais aussi à Hongkong. C’est la raison pour laquelle elle a demandé au gouvernement de Hongkong de promettre par écrit que le Territoire ne deviendrait pas une base de départ pour activités subversives. Ce faisant, le gouvernement chinois rompt ses engagements, non seulement avec le gouvernement britannique, mais aussi avec les citoyens de Hongkong. On peut dire que la Chine a réussi à s’immiscer (dans les affaires de Hongkong). Mais en même temps, elle a aussi perdu le respect de ses habitants. Ceux-ci n’ont plus du tout confiance dans le gouvernement chinois. L’ironie de l’affaire est donc que la Chine en sorte perdante.
La Grande-Bretagne abdique
Au moment où fut signé l’accord sino-britannique sur l’avenir de Hongkong, le gouvernement de Grande-Bretagne le porta aux nues devant les habitants de Hongkong. Un livre blanc, publié en 1984, disait: « Le gouvernement de Sa Majesté est bien certain que l’accord fournit toutes les assurances nécessaires pour l’avenir de Hongkong. Celui-ci continuera de prospérer et conservera dans le monde son rôle unique de centre commercial et financier important ».
Le premier ministre et le secrétaire aux Affaires étrangères de Grande-Bretagne ont profité de toutes les occasions pour affirmer l’engagement ferme et continu de leur pays à assurer l’avenir de Hongkong. Après la signature des accords, le secrétaire aux Affaires étrangères est venu quatre fois. Mais les citoyens de Hongkong ont compris que les promesses de la Grande-Bretagne n’étaient que vaines paroles. D’abord, Londres promit pour 1988 des élections directes, puis revint sur sa décision. En novembre 1984, une déclaration d’intention publiée par le gouvernement promettait « une approche prudente et progressive, avec un petit nombre de membres élus directement dès 1988, pour aboutir, en 1997, à un nombre plus élevé ». En fait, il n’y eut aucune élection directe en 1988, à cause des protestations véhémentes de la Chine. Ce fut un véritable revers pour la démocratie à Hongkong. Et c’est un secret de polichinelle que le gouvernement britannique laisse à la Loi fondamentale le soin de régler l’allure pour l’établissement de la démocratie à Hongkong avant 1997.
Le gouvernement britannique s’est incliné devant la Chine en d’autres domaines encore.
Le gouvernement chinois a insisté pour que la Grande-Bretagne résolve avant 1997 le problème des réfugiés vietnamiens. (Ils sont encore plus de 50 000 dans ce « port de premier asile »). Le gouvernement britannique a donc autorisé celui de Hongkong à introduire en hâte sa politique de rapatriement forcé (2). Ce qui a causé des rafales de condamnations de la part de la communauté internationale.
Vint ensuite l’affaire du projet de loi sur les droits de l’homme (3). Et c’est à la demande des hommes de loi eux-mêmes que le gouvernement se lança dans cette affaire. Les militants locaux demandèrent que cette loi non seulement couvre un large
éventail de droits, comme c’est le cas pour les deux conventions internationales, mais aussi qu’elle ait préséance sur toutes les autres lois, existantes ou à venir. Ce projet de loi devait être publié à la fin de 1989: c’est du moins ce que le gouverneur promit dans son discours politique annuel d’octobre 1989. L’ordonnance de 1990 sur les droits de l’homme à Hongkong n’a pris force de loi que le 25 juillet 1990. Beaucoup pensent qu’elle ne suffira pas, loin de là, à garantir aux citoyens leurs droits élémentaires après 1997.
Le gouvernement britannique a également abdiqué sa responsabilité constitutionnelle et morale à l’égard de ses citoyens de Hongkong. Environ 3,25 millions de résidents de Hongkong sont nés dans cette colonie britannique. Mais, contrairement à ce qui s’est passé ailleurs, les citoyens de Hongkong ne jouissent pas des droits attachés à une pleine et entière citoyenneté britannique (comme, par exemple, le droit d’entrer, d’habiter en Angleterre). Autrement dit, sur les 8,5 millions d’hommes vivant dans les colonies de la Couronne encore existantes, les 3,25 millions qui se trouvent à Hongkong sont traités de manière injuste.
Depuis le massacre de Beijing, l’opinion publique de Hongkong réclame du gouvernement britannique qu’il rende à ses habitants tous leurs droits de citoyens britanniques. Ce n’est pas que les gens de Hongkong aient l’intention d’émigrer vers les îles britanniques. Ils pensent que s’ils doivent continuer à vivre et à travailler à Hongkong après 1997, ils ont besoin d’une « police d’assurance », ou d’une « sortie de secours en cas d’incendie ». Beaucoup ont immédiatement compris ce besoin. Certains l’ont exprimé clairement. Et en raison des pressions exercées en Grande-Bretagne même, le gouvernement britannique a finalement annoncé l’octroi de passeports britanniques à 50 000 familles (ce qui, au total, fait à peine 225 000 personnes). Il est probable qu’en tête de liste on trouvera ceux que Hongkong peut le moins se permettre de perdre. Mais beaucoup pensent que ce chiffre n’est pas assez élevé. Cela n’aidera pas beaucoup Hongkong. Au contraire, cela va certainement créer une division dans la population.
La confiance en l’avenir de Hongkong continue de s’effriter
Si l’on excepte quelques jeunes intellectuels et les ouvriers pro-Beijing, il faut dire que les citoyens de Hongkong n’ont jamais eu confiance dans le régime communiste chinois. Plus de 45% d’entre eux ont fui la Chine. Ils savent par expérience ce que signifie la vie sous le régime communiste.
En dépit des assurances données par les responsables chinois et britanniques, la communauté financière montre, elle aussi, son manque de confiance dans l’avenir de Hongkong. Ainsi « Jardines », la firme commerciale britannique la plus importante de Hongkong, a transféré son centre administratif de Hongkong aux Bermudes. Depuis lors, beaucoup d’autres compagnies ont suivi cet exemple.
Au cours des cinq années qui ont suivi la signature de l’accord sino-britannique, quelque 150 000 citoyens britanniques de Hongkong ont émigré vers le Canada, les Etats-Unis, l’Australie. Depuis le massacre de Beijing, de plus en plus de gens veulent s’en aller. Quand, au début de juillet 1989, le gouvernement de Singapour annonca son intention d’accepter 25 000 familles de Hongkong appartenant à la classe moyenne, en quelques jours, plus de 350 000 demandes ont été déposées!
A la mi-février, au moment où la rédaction de la Loi fondamentale se terminait, une enquête a montré que la confiance des citoyens de Hongkong s’était effondrée,
descendant même 3% plus bas qu’après le 4 juin. Un autre sondage d’opinion rapporte que les deux tiers des habitants de Hongkong n’ont aucune confiance dans l’avenir du territoire sous le régime communiste.
En surface, on pourrait croire que les habitants de Hongkong ont peur de perdre le niveau de vie apporté par le système capitaliste. Et après tout, n’est-ce pas le fruit de leur travail ? Mais plus profondément, ils ont peur de perdre la liberté dont ils jouissent actuellement.
Hongkong doit aller de l’avant
Le gouvernement de Hongkong est dans une position peu enviable. Il doit constamment subir les pressions du gouvernement britannique et celles du gouvernement chinois. En ce moment, il projette de construire, en 15 ans, une infrastructure devant assurer l’avenir de Hongkong, et cela au prix de 83 milliards de francs. Un nouvel aéroport, une amélioration des facilités portuaires, et une expansion de l’éducation supérieure sont les éléments principaux de ce projet.
Mais quand il s’agit d’assurer l’avenir de Hongkong, il ne suffit pas d’améliorer l’infrastructure. Il faut aussi obtenir la pleine participation des citoyens. Le gouvernement ainsi que des agences privées doivent intensifier leurs efforts pour développer l’éducation civique et démocratique. Il faudrait, par exemple, abolir immédiatement les lois draconiennes qui affectent l’ordre public et la censure des films.
Afin de maintenir la stabilité, le gouvernement britannique doit immédiatement cesser de s’incliner devant la Chine. A long terme, la stabilité de Hongkong ne peut qu’être avantageuse à la fois pour la Chine et pour la Grande-Bretagne, comme pour le reste du monde. La Chine devrait réaliser qu’elle a tout à gagner en permettant à Hongkong de se développer en toute liberté. Hongkong est trop important comme « pont » entre la Chine et les principaux pays commerçants du monde. Hongkong est trop important pour le développement de la Chine.
La communauté internationale a, elle aussi, son rôle à jouer. En ce moment décisif, Hongkong a besoin de l’appui de tous ses amis. Les droits de l’homme et les libertés sont un souci universel. Un écho venu de l’extérieur peut faire beaucoup pour ceux qui, sur place, luttent pour la démocratie.
Mais ce sont les citoyens de Hongkong qui comptent le plus. Au cours des quarante dernières années, Hongkong a connu beaucoup de difficultés: la destruction totale par les Japonais lors de la seconde guerre mondiale; l’arrivée de multitudes de réfugiés venus du continent en 1949-50, puis en 1952, et de nouveau pendant la révolution culturelle; l’embargo commercial pendant la guerre de Corée (qui a fait cesser toutes les activités portuaires de Hongkong et privé le territoire de toutes ses ressources); la situation précaire créée chaque fois à Hongkong par les mouvements politiques presque incessants en Chine; la crise du pétrole en 1973; l’effondrement du marché en 1981 et celui de la Bourse en 1987… A travers toutes ces crises, les citoyens de Hongkong sont restés solides et ils ont gardé leur mordant. Ils ont été capables d’essuyer toutes les tempêtes, et ils ont saisi toutes les occasions de faire progresser Hongkong. Celui-ci est actuellement l’un des centres financiers les plus importants du monde. Pour le commerce, il arrive à la 11ème place – à la 6ème, si on considère la Communauté européenne dans son ensemble. Pour les Chinois, le mot « crise » est fait de deux caractères: danger + perspective d’avenir. Le travail, et une immense capacité de s’adapter aux nouvelles situations et à un environnement nouveau, sont deux éléments-
clés dans le succès de Hongkong. Devant l’incertitude de l’avenir, les habitants doivent travailler encore plus dur, ensemble. Ils devraient même être prêts à payer le prix, à faire des sacrifices pour les générations à venir. Les citoyens de Hongkong doivent s’unir et marcher ensemble, afin de montrer leur vrai visage aux autorités chinoises, et faire entendre leur voix sur les besoins réels de Hongkong: la continuation du système actuel, la primauté du droit, l’indépendance du système judiciaire, le respect des droits de l’homme et des libertés individuelles. Pour sauvegarder tout cela, il faut que la démocratie soit solidement implantée bien avant 1997.
Hongkong est la victime à la fois des gouvernements britannique et chinois. Mais ses habitants doivent résister à la tentation de développer une mentalité de victimes. Quelles que soient les difficultés, ils doivent essayer d’être les maîtres de leur propre destinée. C’est là que se trouve l’avenir de Hongkong.