Eglises d'Asie

RESPONSABLE DE COMMUNAUTE “CLANDESTINE”

Publié le 18/03/2010




Jean X, pouvez-vous, tout d’abord, me parler de vous ?

Bien sûr. Je suis issu d’une famille chrétienne, j’ai grandi dans un village où tout le monde était baptisé. Cependant, comme c’était après l’arrivée des communistes, il n’était pas facile de pratiquer car la foi chrétienne avait été mise hors la loi par les autorités. Le prêtre avait été arrêté, l’église fermée.Plus tard, elle a même été démolie. Les adultes subissaient des contrôles nombreux et des vexations. Mais ils ne cédaient pas. Les enfants, eux, recevaient une éducation hautement idéologique: certains se sont laissé séduire et ont adhéré au Parti, mais moi, je ne me suis jamais fourvoyé là-dedans. Aujourd’hui, je suis marié et j’ai un enfant: A neuf ans, mon fils est capable de réciter par coeur, d’un bout à l’autre, la messe en latin ! Le village a toujours des allures campagnardes, mais maintenant il fait partie de l’énorme agglomération voisine qui a grandi si vite qu’elle a fini par l’absorber. Je suis devenu responsable laïc de cette paroisse de 800 baptisés. Chez nous, la pratique religieuse est très élevée; elle approche les 100%.

Mais comment faites-vous pour vous réunir? Une telle assemblée ne peut pas passer inaperçue ! Et puis, comment avez-vous fait pour trouver un local si vaste ?

Nous avons aménagé le rez-de-chaussée d’une maison particulière en abattant quelques cloisons et nous avons installé un autel où nous gardons le Saint-Sacrement. Un prêtre de passage vient le renouveler de temps en temps. Pour ce qui est des autorités, elles sont bien obligées de nous tolérer parce que, selon les nouvelles directives du Parti, elles auraient dû nous reconstruire l’église, mais ne l’ont pas fait par manque d’argent. Et puis, parmi ces notables, il y a un certain nombre de gens qui sont issus de familles chrétiennes – ceux dont je parlais tout à l’heure. Il est bien difficile de dénoncer ses parents et amis. Enfin, parmi eux, il y en a qui ont adhéré au Parti non par conviction mais simplement dans l’espoir d’une promotion rapide. Ces cadres nous sont très utiles car ils nous aident en mettant parfois à notre disposition certaines facilités qui, normalement, leur sont réservées. Ils nous facilitent aussi l’obtention de certaines permissions. Nous ne sommes pas pressés de récupérer notre église, car cela signifierait pour nous l’établissement de l’Association patriotique, et donc le contrôle du gouvernement. En fait la situation nous arrange autant qu’elle arrange les autorités locales.

Comment faites-vous pour les célébrations du dimanche ?

Notre prière du dimanche matin dure deux heures. C’est moi qui la dirige car, depuis l’arrestation de notre prêtre, nous n’avons plus de messes. Alors on se débrouille tout seuls. Nous récitons les prières traditionnelles que nous avons apprises dès notre enfance: chemin de croix, litanies, commandements de Dieu, chapelet, tout y passe. Nous n’oublions pas, bien sûr, les prières pour le pape. Il y a entre 700 et 800 participants chaque dimanche. En semaine, il y a moins de monde parce que les gens partent tôt au travail. Mais nous nous réunissons quand même le matin et le soir, et nous avons entre 70 et 80 personnes qui viennent. Quand je dois m’absenter, un père de famille me remplace.

Vous avez dit que votre pasteur a été arrêté. Avez-vous de ses nouvelles ?

Notre pasteur, tout le monde le considère comme un saint. Durant toute sa vie, il n’a connu que cinq ans de ministère à peu près normal – c’est-à-dire hors de prison et avec une certaine liberté de maneuvre. On ne sait pas où il est enfermé ni ce qu’on lui reproche. Sera-t-il jugé ou finira-t-il sa vie en captivité, personne ne peut le dire. Ce qu’on peut dire c’est que sa fidélité est pour nous une source d’inspiration.

[ Mais voilà les plats qui arrivent, nous pouvons commencer à manger. Je demande à Jean X de réciter une prière. Il opte pour le ‘Notre Père’, mais pas pour la formule ancienne qui est utilisée partout dans les églises “officielles” sur le continent. Il prend la nouvelle traduction de Hongkong et de Taiwan. Le fait qu’il soit si bien informé des derniers développements de la vie de l’Eglise hors du continent me réjouit: les liens avec leurs frères et soeurs sont

difficiles mais toujours vivants. De plus il est au courant d’un certain nombre de changements dans le monde et dans l’Eglise. Ce n’est donc pas un ghetto qu’il anime. C’est grâce à Radio-Vatican et à Radio-Veritas des Philippines qu’il suit la vie de l’Eglise. Mais depuis quelques mois, il n’arrive plus à les capter. La conversation continue.]

Et les relations avec l’Association Patriotique ? Je sais que la question est très délicate, mais pouvez-vous m’en dire quelque chose ?

Elles ont beaucoup varié au cours de ces dix dernières années. Disons pour résumer que nos rapports sont devenus plus difficiles depuis trois ans, depuis qu’ils essaient de supprimer toute vie chrétienne qui échappe à leur contrôle. Ils ont contribué à faire arrêter des évêques et des prêtres – dont notre pasteur – qui refusaient de se soumettre à leur autorité. Nous avons, à cette époque, rompu toute relation avec eux. Depuis, la situation s’est un peu détendue: certains d’entre nous vont parfois à la messe dans les églises “officielles”, et nous faisons appel à un prêtre “officiel” – le meilleur que nous ayons pu trouver – en cas d’urgence; par exemple pour le sacrement des malades. En effet, le “prêtre noir” (c’est-à-dire appartenant à l’Eglise “clandestine”) qui passait de temps en temps ne vient plus que rarement car il se fait vieux. On est bien obligé d’en passer par le clergé “officiel”.

Avez-vous des liens avec d’autres communautés “clandestines” comme la vôtre ?

Notre communauté est en lien avec d’autres groupes du même genre. Il y a de l’entraide entre nous, mais on respecte la vie et les particularités de chaque unité. Ces liens sont nécessaires pour les mariages car on tient à ce que les jeunes se marient entre chrétiens. Ce sont les familles chrétiennes qui maintiennent la foi. Mais les mariages entre enfants de familles de baptisés ne sont pas toujours possibles.

Avez-vous des vocations ?

Il y a des vocations aussi bien du côté des garçons que des filles, mais il n’y a pas d’autres formateurs que ceux des établissements officiels (c’est-à-dire contrôlés par le gouvernement). On n’en veut pas. Alors, les garçons prennent leur mal en patience et attendent des jours meilleurs. Plusieurs filles vivent déjà ensemble, essayant de trouver un style de vie religieuse.

Quels sont les autres problèmes auxquels vous devez faire face ?

Des problèmes ? Il y en a beaucoup. Voici les deux plus sérieux à mon avis: nous n’avons pas de bibles, et les réunions de prière du dimanche ne comportent pas de lecture d’Evangile. C’est un gros handicap de ne pas pouvoir se nourrir de la Parole de Dieu. Bien sûr, je ne m’en fais pas. Je suis certain que le Seigneur a d’autres moyens de nous donner sa grâce, mais il faudrait remédier au plus tôt à ce manque, non seulement dans notre communauté, mais dans toute l’Eglise de Chine.

J’ai justement avec moi un exemplaire de la Bible en caractères simplifiés, que les jeunes peuvent déchiffrer sans problème, puis-je vous l’offrir ?

Je l’accepte avec joie. Nous avons aussi un autre problème au moins aussi grave: il n’y a pas de catéchisme pour les enfants. Certains parents sont tout à fait capables d’instruire leurs enfants, mais beaucoup, surtout ceux qui ont grandi pendant la Révolution culturelle, n’ont eux-mêmes rien appris. La communauté souffre d’une inculture chrétienne terrible. Rien n’est organisé, car personne n’est vraiment capable d’enseigner et puis, nous n’avons même pas un livre pour aider un éventuel catéchiste qui voudrait se lancer. Moi-même, je n’ai reçu aucune formation, je ne me sens pas capable de faire le catéchisme. Mais pour la ferveur, je peux vous assurer qu’il y en a.