Campagne pour rallier la dissidence, et arrestations (1)
Une série de faits déconcertants a marqué ces derniers mois. Chacun, pris individuellement, n’est pas significatif, mais l’ensemble donne une image impressionnante qui suggère un plan précis qui dépasse le niveau local.
Aux premiers jours de novembre 1990, on apprend que Mgr Joseph Fan Xueyan, âgé de 83 ans, a disparu de son domicile de Baoding depuis le lendemain de la Toussaint. On dit qu’il a été à nouveau « invité » à participer à une « visite touristique du pays ». Mgr Fan est sans aucun doute la figure la plus respectée de l’Eglise catholique en Chine. Ordonné évêque de Baoding, dans le Hebei, en juin 1951, tout son ministère épiscopal a été placé sous le signe de la persécution. Il a passé les quarante dernières années de sa vie en prison ou en résidence surveillée. L’attention particulière que le régime lui a manifestée, la profondeur de sa foi, et sa grande sérénité dans l’épreuve, ainsi que la fidélité au devoir ont fait de lui l’autorité indiscutée de la communauté catholique dans tout le pays. A 83 ans, affaibli et de santé très précaire, sous surveillance policière quotidienne, vivant dans la pauvreté la plus complète, Mgr Fan continue à faire peur au gouvernement, en témoignant de son amour pour le Christ et pour l’Eglise. En 1990, Mgr Fan a remis le gouvernement effectif du diocèse de Baoding à un autre évêque clandestin, Mgr Chen Jianzhang.
Les 13 et 14 décembre 1990, la police est intervenue en force dans les cantons de Baoding et de Yixian. Elle a arrêté toutes les personnes trouvées à des adresses précises, même les anciens et les enfants. La plupart ont été relâchées par la suite, mais 23 dirigeants catholiques sont retenus. A ce jour, aucune nouvelle n’est parvenue sur leur sort. Parmi eux, il convient de signaler: Mgr Paul Shi Chunjie, évêque auxiliaire de Baoding, aveugle; Mgr Chen Jianzhang, successeur de Mgr Fan à la tête du diocèse de Baoding depuis septembre 1990; partiellement paralysé, cet évêque ne se déplace plus qu’en chaise roulante. Une semaine plus tard, la police arrête Mgr Cosmas Shi Enxiang, évêque auxiliaire de Yixian.
Par ailleurs, le P. Yuan Wenzai, de Haimen (Jiangsu), aurait été arrêté en juillet 1990, mis en prison, puis ensuite en résidence surveillée. Cette nouvelle n’est pas en relation directe avec les événements plus récents.
A la fin de janvier 1991, on apprend que, dans le Hebei, les autorités lancent une « campagne contre la pornographie, contre tout ce qui est nocif, et contre les activités clandestines ». Dans le cadre de cette campagne, 25 catholiques sont envoyés dans un « camp d’étude », et parmi eux, les PP. Jean Han Dingxian et Simon An Shi’En. Ce dernier, interpellé le 26 décembre 1990, est soupçonné d’être en fait un évêque clandestin. Cette campagne toucherait aussi un certain nombre de catholiques du diocèse de Xingtai. A la même époque, on apprend aussi que Mgr Paul Jiang Taoran, se trouverait depuis un certain temps à Baoding dans un « camp d’étude », ce qui impliquerait que la campagne touche aussi le clergé patriotique.
A la fin de janvier, une source rapporte qu’aurait aussi été arrêté un certain Mgr Chen, de Tianjin, dont on ne connaissait pas l’existence jusqu’ici.
Le 30 janvier 1991, M. Liu Bainian, vice-président national de la Commission administrative de l’Eglise catholique « officielle », interrogé par téléphone sur les arrestations et les « camps d’étuderépond que « ceci n’est pas de notre compétence », une phrase qui ne nie ni ne confirme ces informations. Une telle réponse évite surtout de compromettre les dirigeants catholiques patriotiques de Beijing. Le 2 février 1991, Mgr Zong Huaide, vice-président de l’Association patriotique, que l’on voulait interroger à ce propos, fait répondre « qu’il n’est pas là
Au cours de la première semaine de février, on apprend encore que Mgr Song Weili, évêque de Langfang (Hebei) a été, lui aussi, récemment arrêté. 26 autres prêtres et de nombreux laïcs du Hebei sont eux aussi détenus. De plus, 30 séminaristes et 50 religieuses et novices ont été envoyés à un « camp d’étude politique », sans précision de localité.
Le contexte politique
Une série de réunions organisées par divers organes ou agences de l’Etat accompagne ce regain « d’intérêt » du régime pour la religion et l’Eglise catholique en particulier, et pourrait expliquer la coordination des mesures prises à son encontre.
Du 15 au 30 novembre 1990, un « Séminaire d’étude pour le personnel religieux catholique » a eu lieu a Shunly, au nord de la Chine. 61 personnes y ont participé, parmi lesquelles 26 évêques (2).
L’intervention la plus significative a été celle de M. Zhang Shengzuo, responsable de la deuxième section du Département du « Front uni », chargé des « cinq religions ». Il s’agit d’une intervention dure: Zhang dit que « les autorités de l’Etat se chargeront de mettre au pas (rectifier) l’Eglise catholique », précisant de plus que « les catholiques devront recevoir une éducation politique plus intensive, et que l’Eglise catholique devra être réorganisée ». Il a enfin affirmé que le pouvoir ferait tout son possible pour éduquer les catholiques clandestins, et les persuader de rejoindre l’Eglise officielle, approuvée par le
gouvernement. Au cours de son intervention, M. Zhang a aussi fait part aux participants du mécontentement du gouvernement en ce qui concerne les efforts faits par quelques évêques officiels en vue d’être reconnus par le Saint Père.
Quelques évêques, présents à cette rencontre, ont fait savoir à des amis hors de Chine, et avec une certaine fierté, que la plus grande partie des ecclésiastiques présents ont déclaré ouvertement leur attachement et leur fidélité à l’intégralité de leur foi. Leur geste est positif sans aucun doute, mais ils n’étaient peut être pas encore en mesure de comprendre les objectifs que le pouvoir s’était fixé par cette rencontre, et qui se concrétiseront ensuite dans les mesures prises au cours des derniers mois de 1990 et au début de 1991.
Le 30 novembre à Beijing, dans le Hall du Grand palais du peuple, le régime a organisé une cérémonie commémorative du 40ème anniversaire du Mouvement patriotique (anti-impérialiste) catholique (3), formé en 1950 après la « Proclamation de Guangyuan » (du nom d’une petite localité au nord-ouest du Sichuan). 200 invités ont participé à la célébration, et parmi eux quelques uns de ceux qui avaient été présents à Shunyi. Le discours le plus attendu était celui du vice-premier ministre, Wu Xueqian. Le « Quotidien du peuple » du 1er décembre 1990 a souligné son intervention : « La Chine s’oppose fermement à toute intervention extérieure dans les affaires religieuses du pays, de la part d’individus ou d’organismes étrangers ». Le quotidien du Parti continue en citant toujours les paroles de Wu: « Le gouvernement continuera à mettre en oeuvre sa politique en matière religieuse, et à protéger la liberté de la foi religieuse et les activités religieuses normales ».
Il s’agit là d’une référence évidente aux activités religieuses qui s’exercent en dehors du strict contrôle exercé à travers l’Association patriotique. Les « activités religieuses normales » sont celles qui sont officiellement sanctionnées par le pouvoir, tout le reste étant automatiquement qualifié d’illégal. Illégales sont donc toutes les activités de la majorité catholique qui refuse non pas l’autorité de l’Etat, mais la prétention du Parti à être le « guide » des expressions de la foi du croyant.
L’évêque « officiel » Mgr Zong Huaide, président de l’Association patriotique, vice-président de la Commission administrative catholique et vice-président du « Collège des évêques » a lui aussi pris la parole. « Le patriotisme et l’amour de la religion dans le contexte actuel signifient concrétement l’amour pour la Chine socialiste sous la direction du Parti communiste. Et la tâche des catholiques est la construction d’une Eglise catholique indépendante, capable d’autogestion et d’autofinancement », et capable de « travailler aux quatre modernisations ».
Du 5 au 10 décembre 1990, une « Conférence nationale sur l’activité religieuse » a lieu à Beijing (4). L’importance d’une telle réunion est soulignée par le fait que le secrétaire général du Parti, Jiang Zemin, et le premier ministre, Li Peng, vont eux-mêmes s’adresser aux participants, ainsi que le directeur du Bureau des Affaires religieuses, Ren Wuzhi.
La télévision chinoise rapportera l’événement le 5 décembre 1990, en soulignant qu’il s’agit là de la première conférence sur ce thème spécifique. Ceci souligne l’importance que le Parti y accorde.
C’est probablement à ce moment-là qu’a été décidée l’intervention gouvernementale actuelle dans la vie religieuse du pays. Les résultats de la rencontre seront peu à peu distillés dans les médias. Outre la « question du Vatican », le régime s’est intéressé surtout au problème musulman en général, aux réactions des fortes minorités musulmanes du pays à la crise du Golfe, et au fondamentalisme islamique. Ceci a transpiré dans les journaux du 31 janvier 1991. A la suite de cette rencontre, les dirigeants catholiques et protestants ont été verbalement « invités » par les fonctionnaires locaux du Parti et de l’Etat, à résister « aux tentatives d’infiltration de la part de puissances étrangères hostiles à la Chine ».
En effet, au cours de son discours, le premier ministre, Li Peng, avait mis l’accent sur la vigilance contre « les forces étrangères hostiles » qui cherchent à intervenir en Chine sous couvert de la religion. Le devoir des autorités, toujours selon le premier ministre, sera de « protéger les droits des croyants » (menacés par les interventions étrangères). Il a conclu: « Nous devons corriger avec détermination ces phénomènes qui violent les droits religieux des citoyens et les droits légaux des organismes religieux ».
Le 30 janvier à Beijing, le secrétaire général du Parti rencontre (5) les dirigeants nationaux des cinq grandes religions reconnues, Zhao Puchu (bouddhiste), Ding Guangxun (protestant), Zong Huaide (catholique), Lai Yuehong (taoïste) et Shen Xiaxi (musulman). Avec eux encore, le secrétaire général du Parti revient sur le thèmes des forces étangères à l’oeuvre dans le pays. Il affirme aussi que l’Etat renforcera les lois et règlements sur la pratique et le personnel religieux.
Brèves observations
1. Une intense campagne visant à mettre un terme à la « dissension religieuse » est actuellement en cours. Elle vise à faire entrer dans le cadre imposé par le Parti tous ceux qui échappent encore à son contrôle. Cette campagne est mise en oeuvre par l’organisation de longues « sessions d’étude » obligatoires, au moins pour les « activistes » religieux qui opèrent en dehors de l’Association patriotique.
2. Plusieurs sources de l’intérieur évitent pour le moment de parler « d’arrestations ». Cependant, les participants aux « sessions d’étude » n’y prennent pas part volontairement; ils ne peuvent pas communiquer avec l’extérieur; et, au moins dans un cas, ils ont été « rassemblés » par la police.
3. La série de rencontres et réunions qui a eu lieu à Bejing au cours des mois de novembre et décembre 1990 semble avoir donné le signal des interventions contre les catholiques. Le langage utilisé rappelle étrangement celui des années 50 (Mouvement de la réforme) qui avait, à ce moment-là, provoqué la confusion et une persécution à la fois subtile et implacable contre les catholiques. Les méthodes d’alors semblent devoir être à nouveau appliquées aujourd’hui.
4. La crise du Golfe a fourni l’occasion de contrôles stricts aux frontières, sur les minorités ethniques traditionnellement suspectes aux yeux de Beijing, et sur les étrangers. Au cours du 2ème semestre 1990, Jiang Zemin, Li Peng, et Qiao Shi (membre du Comité permanent du Politburo chargé de la sécurité) ont visité le Tibet, le Xinjiang et la Mongolie, accompagnés chaque fois de responsables militaires. Le thème de toutes ces visites a été: « Front uni sous la direction du Parti communiste ».
La situation a dû amener le Département du Front uni (chargé de suivre aussi les minorités ethniques) à prendre l’initiative d’une évaluation globale de la situation aux frontières (où ethnie et religion se confondent) et dans les « circonstances nouvelles » (terme employé fréquemment après l’effondrement des régimes communistes de l’Est): dès la fin de 1989, l’Eglise catholique est considérée comme un facteur déstabilisant en puissance, après les changements intervenus en Pologne et dans d’autres pays.
5. Un autre facteur est le renouveau religieux en général, plus marqué encore après les événements de mai et juin 1989. Au cours de la conférence de décembre 1990, le premier ministre a rappelé que le nombre des croyants en général est « à peu près 10%, une proportion non excessive en soi, mais trop élevée quand on la considère en chiffres absolus » (plus de 100 millions).
6. Toutes ces considérations mises ensemble, avec bien sûr le retour à la ligne dure dans tous les domaines, et les « nouvelles circonstances », exigent un contrôle accentué pour empêcher que ne se manifeste tout ce qui pourrait se révéler déstabilisant. Pour cette raison, Zhang Shengzuo a réclamé une adhésion plus stricte aux directives contenues dans le document 19, qui définit la politique religieuse du Parti depuis 1982.
7. La fondation de la Conférence épiscopale de Chine (clandestine), le 21 novembre 1989 (6), a notablement irrité les autorités communistes. La preuve en est les lourdes peines prononcées contre les évêques et les prêtres qui y ont participé. Le Bureau des Affaires religieuses a pris la chose très au sérieux, la considérant immédiatemment comme une question de sécurité nationale. Plus d’une année après, toutes les personnes qui ont participé à cette conférence (avec peut-être l’exception d’une seule) sont encore sous les verrous. Un évêque, Mgr Bartolomeo Yu Chengdi, de Hanzhong, a été mis en résidence surveillée en juillet 1990. Un autre évêque, Mgr Jiang Liren, semble être retourné dans son village.
8. L’arrestation systématique des évêques « clandestins », spécialement dans le Hebei, signifie probablement que les autorités possédent une liste de ces évêques, élaborée par la Conférence épiscopale. Certains ont sans doute été « observés » pendant un certain temps, et ils ont été arrêtés avec les personnes qu’ils avaient l’habitude de fréquenter.
9. Il faut donc s’attendre à ce que d’autres communautés chrétiennes soient d’ici peu « invitées » elles aussi à quelques « sessions d’étude ». Il est bien probable que le régime ait maintenant identifié la plus grande partie des dirigeants catholiques « clandestins », et la décision de mettre un terme à cet « abus de la liberté religieuse » a été prise en haut lieu. L’expérience présente du Hebei devrait donc s’étendre ailleurs.
10. Dans la mesure où 50 années de régime communiste en Chine peuvent fournir une indication, l’effort du gouvernement consistera tout d’abord à « diviser et convaincre »; ceux qui résistent (en ne confessant pas leurs erreurs et en n’exprimant pas leur repentir) seront condamnés à de longues périodes de détention.
11. Cependant, nous ne sommes plus dans les années 50. La Chine d’aujourd’hui est beaucoup plus ouverte, et l’information y circule (même clandestinement), et filtre facilement à l’extérieur et de l’extérieur. Or l’information – nationale et internationale –
est le principal ennemi du régime actuel. La réponse habituellement offerte par le régime, que sa manière de traiter les questions relatives aux droits de l’homme est une affaire purement intérieure, ne fait certes pas honneur à un pays qui désire, et avec raison, faire partie intégrante du concert des nations. Les mesures qui ont été prises au cours des mois derniers à l’encontre des catholiques (et autres dissidents) offensent le sens de la solidarité et de la communion de nombreux chrétiens dans le monde. Des amis sincères de la Chine ne peuvent pas ne pas se sentir interpellés par ces choix répressifs du régime.
12. Le renforcement de l’Eglise « officielle » est bien évidemment l’objectif spécifique des autorités chinoises et de quelques catholiques, peu nombreux mais influents, qui se plient avec docilité aux désirs de qui commande. Ceci impose une nouvelle évaluation de notre responsabilité « de l’extérieur » et demande, peut-être, que nous disions un « non » plus clair et décidé à des formes de collaboration un peu précipitées et qui ne respectent pas totalement la conscience de tous.