Eglises d'Asie

Fête nationale: les chrétiens ont-ils de quoi se réjouir ?

Publié le 18/03/2010




Le Pakistan a célébré sa fête nationale le 23 mars. Cette date commémore le jour de 1940 où la Ligue musulmane lança officiellement son appel en faveur d’une patrie séparée pour les musulmans de l’empire britannique des Indes. Le rêve devint réalité le 14 août 1947, lorsque fut proclamée l’indépendance du Pakistan. 44 ans plus tard, quel est le sort des chrétiens dans ce pays musulman? Ils n’ont pas la vie facile. Lors de l’indépendance, en 1947, ils se sont réjouis. Depuis, l’enthousiasme s’est quelque peu refroidi.

L’Eglise du Pakistan est jeune, comparée à celle de l’Inde. Mais elle est vibrante d’enthousiasme, dans son désir de vivre avec son temps. Elle est pleine de l’énergie de la jeunesse.

C’est au XVIème siècle que les missionnaires apportèrent le christianisme à cette région du monde. Aujourd’hui, les chrétiens pakistanais sont prêts à prendre en main leur propre destinée.

“Les chrétiens n’ont jamais été un problème. Ils sont dociles. La seule chose dont ils se soient jamais plaint, c’est qu’on ne leur accorde pas assez de temps à la télévision. De toute façon, ils sont ‘Ahi-i-Kitab’, ‘peuple du Livre’. Le christianisme est une religion divine et nous respectons ses fidèles”. Ces paroles prononcées par un musulman montrent bien l’attitude condescendante, dédaigneuse, des “croyants” vis-à-vis des chrétiens. Ceux-ci sont à peine tolérés au Pakistan. Les musulmans ont aussi du mal à oublier que le christianisme s’est développé en partie grâce à la bienveillance du conquérant colonial britannique. Celui-ci devait gouverner de 1849 à 1947. La hiérarchie catholique a été établie en 1886.

Lorsque le Pakistan se sépara de l’Inde, peu de chrétiens étaient capables d’être des leaders. Il existait un petit nombre de chrétiens appartenant aux classes favorisées de la société, mais la plupart venaient des couches les plus humbles et les plus pauvres. Beaucoup étaient soumis au servage dans les fermes ou balayaient les rues dans les villes. Des siècles d’oppression en avaient fait des esclaves. Ils ont vu dans l’Eglise un moyen de briser les chaînes du système des castes. Progressivement, catholiques et protestants ont ouvert des séminaires et des maisons d’éducation.

Aujourd’hui, sur une population de 100 millions d’habitants, on compte moins de 900 000 catholiques. 80% d’entre eux sont analphabètes. La plupart travaillent comme employés de maison. Quelques-uns, pourtant, sont enseignants, docteurs, avocats, hommes d’affaires. Mais, alors qu’une classe moyenne est en train de se former, les préjugés, la discrimination, font que les chrétiens ne peuvent accéder de manière générale aux postes supérieurs. Pour y arriver, il faut des relations. Celles-ci manquent aux chrétiens pauvres.

Les droits des chrétiens sont très limités par une législation injuste.Il y a vingt ans, on a nationalisé les écoles et collèges privés: cette décision a porté un véritable coup aux chrétiens. Dans la province de Sind, quelques institutions ont été rendues à leurs propriétaires légitimes. Mais 63 écoles et 4 collèges catholiques restent toujours nationalisés (1).

Un autre “coup” a été la décision de former des “électorats séparés”: le Pakistan est le seul pays au monde où les minorités doivent élire des candidats appartenant à leur propre communauté pour les assemblées nationales. Un tel système a pour effet d’élargir le fossé qui sépare les communautés, de séparer les minorités du courant général de la vie politique pour faire de leurs membres des citoyens de seconde classe.

Le projet de loi, visant à introduire la Charia dans la Constitution, est arrivé devant le Parlement. C’est une source de grave inquiétude pour les chrétiens. Ce projet préconise en effet une discrimination évidente à l’encontre des minorités et des femmes. Par exemple, en cas de meurtre, un chrétien sera puni deux fois plus qu’un musulman. Dans tout procès, il faudra le témoignage de deux chrétiens pour contrebalancer celui d’un seul musulman. Une autre forme d’injustice affecte les jeunes filles chrétiennes enlevées et converties de force à l’islam: elles n’auront aucun moyen juridique de se défendre.

De nos jours, avec un régime de droite au pouvoir, on observe une tendance grandissante à l’autoritarisme. Des étudiants traditionalistes mettent à sac les bureaux de certains journaux, s’attaquent aux penseurs progressistes, interrompent les concerts pop. L’année dernière, ils ont incendié des temples hindous, profané une église à Peshawar, brûlé la Bible à Karachi (2). Plusieurs chrétiens ont été tués au cours de conflits entre communautés. Il y a eu plusieurs attaques contre les églises. Chaque fois, les chrétiens ont protesté. Mais ils sont pauvres et ne peuvent atteindre les coulisses du pouvoir où se prennent les décisions. Ils ne manquent pas de courage cependant. Ils savent que, minoritaires dans un pays musulman, ils doivent en payer le prix. Ils y sont prêts.

Au cours des années, des milliers de chrétiens aisés ont émigré vers les Etats-Unis, l’Angleterre, le Canada. Ils veulent assurer à leurs enfants un avenir meilleur et pratiquer leur foi en paix. Le plus grave, c’est que 20 prêtres sont aussi partis. Cet exode prive l’Eglise de gens capables, qui auraient pu grandement contribuer à son épanouissement.

Mais les pauvres n’ont nulle part où aller. Leurs enfants rêvent de partir un jour pour l’Amérique. Beaucoup cherchent à oublier leurs frustrations en se livrant à l’usage de la drogue. Ce phénomène est en train de devenir un véritable problème de société.

Le jour de la fête nationale, il y a eu des défilés, des meetings et beaucoup de discours. Mais ces rites sont accomplis sans beaucoup d’enthousiasme, non seulement par les chrétiens, mais même par les musulmans qui n’ont jamais été aussi divisés pour des raisons de sectarisme ethnique et religieux (3).

Les célébrations de la fête nationale se sont déroulées au milieu d’un manque de confiance général; l’appât du gain sévit à travers le pays; le patriotisme a disparu. Les chrétiens ne se sont pas livrés à des réjouissances particulières; ils n’ont même pas essayé de réunir les laissés-pour-compte, les marginalisés, les sans-pouvoir, ceux qui vivent dans l’insécurité… Ils n’ont rien à célébrer.