Eglises d'Asie

ATTITUDE FONDAMENTALE DE L'”EGLISE-PONT”

Publié le 18/03/2010




Situation actuelle de l’Eglise en Chine

Des gens qui ont la foi observent, analysent et jugent des situations par rapport à leur foi même. Je ne prétends pas que l’exposé que voici soit d’une absolue objectivité. Cela ne se peut pas. La Chine est tellement vaste! Son Eglise, tout naturellement, se déploie sur une immense étendue, et sa situation diffère d’une région à l’autre. Il est important de garder à l’esprit ce fait fondamental. Il serait bien téméraire, tout particulièrement si l’on n’y a fait qu’une seule visite, de faire des déclarations définitives, qui se voudraient vraies pour l’ensemble de l’Eglise de Chine. Des opinions émises dans ces conditions ne pourraient qu’être superficielles et erronées. Ce qui suit n’est autre qu’une évaluation fondée sur ce que j’ai vu par moi-même, ou sur ce que j’ai entendu venant d’autres personnes, ou sur ce que j’ai glané d’études que j’ai lues. Libre à chacun d’ajouter à ce que j’ai écrit ce qu’il pourrait savoir par ailleurs .

1- L’environnement

a) Liberté religieuse dans une société communiste

L’Eglise des années 90 en Chine vit en un régime communiste bien différent de ce qu’il était voici 40 ans. On y parle de “liberté de religion”, mais cette liberté, au mieux, n’est que tolérée par un gouvernement socialo-communiste. Sa compréhension de la religion est limitée par sa propre idéologie. Il permet à la religion d’avoir une organisation communautaire, une expression liturgique et un règlement religieux. C’est là, actuellement, la seule forme de liberté dont peuvent jouir les organismes religieux.

b) Restrictions apportées à la liberté religieuse

La Constitution chinoise donne une interprétation très étroite de la liberté religieuse. Elle interdit strictement toute interprétation étrangère de la part de religions qui, comme le bouddhisme, l’islam, le protestantisme et le catholicisme, ont des relations dans le monde entier. La religion est une matière relevant uniquement de l’administration intérieure chinoise, et aucune autorité extérieure n’est autorisée à s’en mêler, à aucun titre. En raison de son caractère universel et international, tout autant que de son organisation et de ses structures administratives, l’Eglise catholique se trouve dans une situation pire que celle d’autres groupements religieux dont la direction n’est pas aussi centralisée. La primauté du pape, ainsi que ce qui apparaît comme l’organisation politique du Vatican, rendent le gouvernement communiste extrêmement soupçonneux.

c) Le régime communiste et la religion

En régime comuniste, la religion existe pour le bien du pays et de la société. Organe du Parti, le département du “Front uni” dispose de plusieurs bureaux, l’un d’eux ayant pour mission d’établir la politique religieuse, de l’appliquer et de régenter les associations religieuses. Dépendant du département du Front uni et du Bureau des Affaires religieuses se trouve l’Association patriotique des catholiques. L’Eglise protestante a, de son côté, le Mouvement patriotique des Trois autonomies, dont le rôle est semblable à celui qui est dévolu à l’Association patriotique des catholiques. Les bouddhistes, les taoïstes et les musulmans ont, eux aussi, des associations parallèles. Le schéma ci-dessous montre comment Eglise et Etat s’articulent en Chine.

Le Front uni et le Bureau des Affaires religieuses se servent de l’Association patriotique comme élement-charnière entre le parti et le gouvernement d’une part, et l’Eglise d’autre part. L’Association a pour mission de transmettre à l’Eglise les directives et les orientations du gouvernement et du parti. En sens inverse, elle tient les fonctionnaires gouvernementaux informés des besoins de l’Eglise.

d) L’Association patriotique des catholiques chinois: ses structures et ses membres

L’Association patriotique des catholiques chinois est placée sous la direction d’un président et d’un vice-président; on compte parmi ses membres des évêques, des prêtres, des religieuses et des laïcs. Elle se subdivise en associations aux niveaux national, provincial, municipal et local, et elle détermine une politique et son application en fonction des exigences du département du Front uni. Au cours des premières années de son existence, les méthodes de travail de l’Association étaient bien différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui. Elle a, de toute façon, apporté à l’Eglise un certain nombre d’avantages. C’est grâce à l’intervention de l’Association auprès du gouvernement que de nombreuses églises ont pu être reconstruites. Au demeurant, il s’agit d’une institution malléable, capable d’adapter ses activités et ses orientations à la politique du parti. Mais en soi ce n’est ni un organe ni une communauté d’Eglise.

2 – La situation

Il faut bien se mettre en tête que le contexte dans lequel se trouve aujourd’hui l’Eglise en Chine continentale n’est pas favorable à la liberté religieuse. C’est là un aspect des choses dont chacun doit bien être conscient pour ne jamais l’oublier. L’Eglise est divisée en deux sections: l’Eglise officielle et l’Eglise non officielle. Nous préférons ces expressions à celles, plus communément employées, mais sujettes à confusion, d'”Eglise à ciel ouvert” et d'”Eglise souterraine”. L’Eglise officielle est celle qui est reconnue par le gouvernement; l’Eglise non officielle ne l’est pas. Entre ces deux entités existe un véritable antagonisme.

a) L’Eglise officielle

Cette Eglise suit exclusivement les réglementations du parti et du gouvernement, et ne souffre aucune intervention étrangère. Elle applique la politique d’indépendance et d’autonomie dans l’administration ecclésiale. Elle est tout particulièrement connue pour choisir et consacrer elle-même ses évêques. La conséquence en est une communion incomplète entre l’Eglise locale et le Saint-Siège, spécialement sur le plan juridique. Dans le passé, et sous la pression du gouvernement, l’Eglise officielle ne manquait pas de manifester une certaine hostilité à l’égard de Rome. Plus récemment cependant, cette attitude s’est progressivement assouplie. Aujourd’hui, l’Eglise officielle reconnaît publiquement que la primauté pastorale du pape fait partie du donné de la foi. Et même, elle prie pour lui.

Au vu de ce relâchement de tension, certains, qui ne vivent pas en Chine, ont été trop optimistes dans leurs analyses des positions de l’Eglise officielle, négligeant le fait que beaucoup de problèmes subsistent encore. On ne peut nier que la communion de l’Eglise officielle avec Rome est tronquée. Cela est vrai au moins au plan juridique, bien qu’il existe toujours sur de nombreux points une communion dans la foi. Par exemple, il y a communion dans une même foi partagée au Père, dans une même foi partagée au Fils et au Saint-Esprit, de même qu’au corps des Ecritures.

D’aucuns demanderont: “Pourquoi parler d’un défaut de communion sur le plan juridique? La réalité n’est-elle pas plus importante que la loi?” Questions qui peuvent,

à première vue, paraître raisonnables, mais puisque la loi est indispensable pour que règnent l’ordre et l’unité dans la société, nous avons à adopter à son égard une attitude plus positive. Dans le monde actuel, beaucoup de voix se font entendre, prétendant à l’envi indiquer des solutions aux multiples problèmes qui se posent dans notre univers: elles manquent de logique et de cohésion. Le pape, réprésentant de l’Eglise toute entière, écrit ses lettres encycliques pour s’adresser au monde entier. Il veut que l’Eglise n’ait qu’une seule voix. Telle est la fonction unificatrice de la papauté; elle n’existe pas dans les Eglises protestantes.

La communion incomplète de l’Eglise officielle avec le pape est, à mon sens, et au minimum, un problème juridique qui, on peut l’espérer, sera résolu un jour ou l’autre. On peut voir un indice de cette possibilité dans le fait que, déjà, la situation de quelques évêques de Chine a été régularisée.

b) L’Eglise non officielle

Nous avons choisi ce terme d'”Eglise non officielle” plutôt que ceux d'”Eglise loyale” ou d'”Eglise souterraine” – cette dernière appellation étant très ambiguë puisqu’elle évoque l’Eglise des catacombes de la Rome ancienne – tout simplement parce que le gouvernement communiste ne reconnaît pas cette Eglise. Celle-ci, de son côté, n’accepte pas les exigences du parti concernant son indépendance et son autogestion. L’Eglise non officielle maintient fermement sa totale union avec le pape pour sauvegarder la nature hiérarchique de l’Eglise, et rester fidèle à la primauté de l’évêque de Rome. Il y a antagonisme, et même conflit, entre ces deux Eglises, l’officielle et la non officielle. Toutes deux néanmoins, quelles que soient leurs différences, ne peuvent pas ne pas être influencées par les circonstances particulières de la vie de l’Eglise en Chine.

Analyse de la situation actuelle

Il convient maintenant d’analyser la situation décrite ci-dessus. Il va de soi qu’au cours de cette recherche, nous serons amenés à émettre des jugements. Ces jugements, nous avons la volonté de ne les porter que dans l’esprit des Evangiles, des valeurs de notre foi et de la tradition de l’Eglise.

1 – La relation évêque-Eglise

Selon la théologie traditionnelle – toujours valable à ce jour – l’Eglise locale est une communauté de foi du Peuple de Dieu. Elle comprend l’évêque, le clergé et le laïcat. L’évêque remplit la charge de premier pasteur de son diocèse, et il lui revient de sauvegarder l’unité et la catholicité de l’Eglise. En d’autres mots, placé à la tête de la communauté de l’Eglise locale, l’évêque en est le représentant, et il la guide dans sa vie et ses activités, en union étroite avec les autres pasteurs. Il doit être aussi en communion avec le pape et s’acquitter, sous sa direction, du rôle de berger de son troupeau, sans quoi cette Eglise ne pourrait conserver intactes les valeurs d’unité et de catholicité. Il doit avoir reçu l’autorisation du pape pour être ordonné évêque et nommé à la tête de son diocèse. C’est le droit canon qui le veut. Etre élu, ordonné et installé comme évêque en dehors de l’accord de l’autorité romaine est non seulement illégal, mais c’est une rupture de communion avec le pape.

2 – Illégalité de l’Eglise officielle

Tant l’ecclésiologie présente que le droit canon déclarent illégales l’élection, l’ordination et la nomination d’un évêque sans approbation du pape. Est également illégale la communauté ecclésiale qui accepterait un tel pastorat. Cette illégalité rompt la communion du diocèse en question avec les autres évêques, avec le pape, et aussi avec toute l’Eglise. Disons ici très clairement qu’il n’y a pas lieu d’identifier inconsidérément ces notions d’illégalité et de communion juridiquement établie avec le plan fondamental du salut.

Toute action illégale implique le problème de la liberté de choix, liée à la “responsabilité de la loi” et à la “responsabilité de la conscience”. Analysons donc ces deux expressions. Il est évident qu’un très grand nombre d’éléments, dans la situation particulière de l’Eglise en Chine, portent sur la question de la responsabilité. Il n’est possible de faire qu’une analyse générale de la situation, sans tenir compte des particularités qu’il faudrait retenir dans le cas de plusieurs évêques. Au négatif, il y a un environnement extérieur qui produit craintes, intimidations et la tentation d’obtenir des avantages personnels. Sur un plan plus positif, il y a l’éventualité du choix d’une décision illégale qui se fonderait sur une nécessité pastorale. A moins d’être personnellement engagé dans un tel dilemme, il n’est pas possible de comprendre la situation de celui qui, laissé sans ressources, n’a pas d’alternative viable, et ne voit pas comment il pourrait agir autrement.

Il faut bien admettre que, même en pareilles circonstances, quiconque fait le choix de l’illégalité ne peut échapper entièrement à toute responsabilité. Néanmoins, un évêque qui accepte l’ordination dans l’Eglise officielle, avec l’intention de subvenir à la vie sacramentelle et liturgique des fidèles et de leur assurer une assistance morale, apporte une contribution positive à l’Eglise locale en ce moment précis, même si son action est illégale. En un mot, encore qu’il faille bien reconnaître l’existence d’un acte illégal et la responsabilité juridique de l’évêque dont il s’agit, il n’en reste pas moins que cette responsabilité diffère dans chaque cas particulier. On a alors le devoir incontournable d’essayer de comprendre la situation.

Il a été dit que les individus portent la responsabilité de leurs actes illégaux, mais nul n’a le moyen de juger de leur conscience, et donc de leur responsabilité morale. Seule, la personne impliquée peut en répondre devant Dieu. Mieux vaut donc prendre le parti de ne pas juger qui que ce soit, et de s’abstenir de décider si tel ou tel est coupable ou non coupable.

Une règle très importante: ne pas chercher à déterminer la culpabilité des membres de l’Eglise officielle; au contraire, essayer de comprendre les circonstances qui expliquent leurs actes illégaux. Par exemple, les prêtres travaillant dans le diocèse d’un évêque illégalement établi se mettent forcément en dehors de la légalité, mais c’est à des degrés variables qu’ils partagent cette illégalité. Certains d’entre eux, qui n’ont jamais adhéré à l’Association patriotique, ont manifestement souffert pour la foi. Il en est qui, maintenant, se sont mis au service d’un évêque illégal uniquement pour nourrir la vie sacramentelle et spirituelle des fidèles. D’autres prêtres, qui eux ont rejoint l’Association patriotique, peuvent fort bien coopérer avec l’évêque illégal en vue d’un intérêt personnel. Il n’empêche qu’eux aussi rendent aux fidèles un service appréciable.

Quelques uns se sont mariés. Il saute aux yeux que leur responsabilité dans la collaboration avec un évêque illégal est fort différente de celle imputable aux deux autres catégories de prêtres.

La plupart des laïcs qui prennent part aux cérémonies de l’Eglise officielle ignorent absolument tout ce qui concerne la légalité ou l’illégalité en ces matières ecclésiastiques. Ils vivent leur vie de foi et reçoivent des sacrements valides. Parler à leur sujet de responsabilité n’est d’aucune utilité. Pour résumer: 1() les prêtres, les religieuses et les laïcs qui relèvent de l’Eglise officielle ont part à la situation d’illégalité qui est celle de leur évêque illégalement ordonné, et juridiquement ils en portent la responsabilité à des degrés variables; 2() pour autant qu’il s’agisse de responsabilité morale, seules les personnes qui se trouvent impliquées directement et personnellement peuvent donner réponse à leur propre cas; 3() les gens de l’extérieur, et surtout ceux qui ne vivent pas en Chine continentale, feront bien d’éviter, en public, de discuter, d’analyser et de juger ces affaires de conscience.

3 – Légalité de l’Eglise non officielle

L’Eglise non officielle est celle qui n’est pas reconnue par le parti communiste et le gouvernement. Comme les évêques de cette Eglise restent en pleine communion avec le pape, ils sont légalement établis selon le droit canon. Payant un prix personnel élevé et au milieu de dangers permanents, ils restent fidèles à leur foi et maintiennent l’orthodoxie de l’Eglise. Loyaux à l’égard de la primauté du pape, ils poursuivent cette longue tradition de l’Eglise qu’est le martyre au cours des persécutions. Tout au long de son histoire, l’Eglise n’a jamais encouragé ses membres à se compromettre ou à renier leur foi pendant la persécution. Il nous faut reconnaître que, depuis 40 ans, l’Eglise non officielle est restée effectivement fidèle à l’Eglise universelle et a préservé l’unité catholique.

Naturellement, les prêtres, religieuses et laïcs placés sous l’autorité de ces évêques se trouvent, eux aussi, dans la légalité. En considérant les circonstances de leur vie et les difficultés auxquelles ils ont à faire face, on peut comprendre pourquoi l’Eglise non officielle n’accepte pas facilement l’Eglise officielle, et même pourquoi elle prend à son égard une attitude hostile. Certes, tous les membres de l’Eglise non officielle ne sont pas des saints. D’autre part il existe dans l’Eglise officielle des évêques dont la situation a été régularisée, et qui maintenant sont eux aussi en totale communion avec le pape et l’Eglise universelle. Ajoutons aussi que la communion avec Rome n’est pas exclusivement déterminée par des arguments de droit. Il est d’autres liens encore, tels que la prière, les Ecritures, les sacrements, etc. Ceci ne signifie pas qu’il faille minimiser l’importance qu’il y a à sauvegarder les relations légitimes avec Rome. Les responsables d’Eglise, parce que la messe est le centre de la vie liturgique et le symbole de l’unité de l’Eglise, ont interdit au clergé légitime de concélébrer l’Eucharistie avec le clergé illégitime. L’Eglise officielle, de son côté, n’ignore pas que de telles concélébrations iraient à l’encontre des directives gouvernementales.

En conclusion, il ne nous appartient pas de formuler un jugement moral sur telle ou telle action des membres de l’Eglise non officielle qui, comme chacun le sait, est en butte à tant de difficultés.

4 – Opinions théologiques

L’Eglise en Chine, est aujourd’hui sous la conduite du Saint-Esprit qui permet qu’existe un certain pluralisme à l’intérieur même de l’Eglise. Nous l’avons vu dans les différents éléments cités plus haut et aussi dans notre analyse. L’Esprit permet que des évêques, agissant selon le principe du “moindre mal”, exercent leur ministère dans un climat tout à fait hostile à la vie de foi. L’Eglise non officielle, elle aussi sous la conduite de l’Esprit, a maintenu l’orthodoxie ecclésiale et l’unité catholique. De part et d’autre on a le souci de la vie dans la foi et la morale de la communauté chrétienne; de part et d’autre également, à des degrés variables, on doit supporter les pressions du régime communiste.

A la lumière de cette situation extrêmement complexe, l’interaction des Eglises officielle et non officielle apparait comme absolument indispensable. Je voudrais brièvement proposer trois conditions dans lesquelles cette interaction pourrait prendre place: 1() communion; 2() coexistence pacifique, et 3() antagonisme réciproque.

a) Communion

Dans le numéro d’octobre 1990 de la “Clergy Review” (N°229), un article de Jean Baptiste Jiang signale que, dans une région de Chine, deux évêques, l’un officiel, l’autre non officiel, vivent ensemble dans la même maison. Bien qu’il ne ressorte pas clairement de cet article jusqu’à quel point est allée cette “communion” de fait, on peut en retenir qu’une telle situation existe. Et l’on doit se demander aussi ce que peut réellement signifier pareille “communion”. Est-ce qu’elle se limite à l’amour que des chrétiens se doivent les uns aux autres? Dans une perspective négative, cela pourrait vouloir dire seulement que l’on veut à tout prix éviter les conflits. L’aspect positif serait dans le fait que l’on engage les premières démarches pour une collaboration sur des points précis. En fait, il y a plusieurs lieux possibles de communion qui existent déjà entre les communautés chrétiennes. Les deux Eglises, l’officielle et la non officielle, appartiennent à la même Eglise de Jésus-Christ; elles ont part toutes deux à la même vie de grâce trinitaire ; toutes deux ont reçu le même baptême et lisent les mêmes Ecritures.

Il y a pourtant entre elles une différence au point de vue de la communion hiérarchique. En ce qui concerne la hiérarchie de l’Eglise, en effet, la “communion” signifie plus que la simple reconnaissance de Jésus-Christ comme tête de l’Eglise. Elle exige aussi l’acceptation de la primauté du pape. Dans le cas des deux évêques habitant la même maison, dont parlait l’article cité plus haut, d’aucuns pourraient dire qu’une “communion” existe déjà entre eux. Mais nous devons, de notre côté, nous demander si la communion hiérarchique ne suppose pas que l’évêque de l’Eglise officielle renonce aux principes d’indépendance et d’autonomie, et laisse l’évêque de l’Eglise non officielle prendre la direction de l’Eglise officielle.

b) Coexistence pacifique

Une deuxième possibilité d’interaction n’est autre que la coexistence pacifique: chaque Eglise s’occupe de ses propres affaires, sans interférence ni conflit, tout en oeuvrant sur le même territoire. Etant donné d’un côté la situation de l’Eglise en Chine continentale, et de l’autre la difficulté d’y réaliser pour le moment une communion hiérarchique, cette

méthode peut être considérée comme étant la seule actuellement viable, et celle même qu’il convient de recommander parce qu’en définitive elle paraît être provisoirement la meilleure.

c) Antagonisme réciproque

D’un point de vue ecclésial, un antagonisme réciproque ne constitue certainement pas la solution idéale. Récriminations et discorde ne vont pas du tout de pair avec la charité chrétienne. Le fait que chacune des parties ait choisi de suivre un chemin particulier ne justifie pas l’antagonisme. Les écrits partisans relatant ces conflits, ne sont pas faits pour apaiser les esprits; au contraire, ils font du tort. Il n’est pas impossible d’informer sur la situation, mais l'”Eglise-pont” ne doit incriminer personne. Si un blâme doit être prononcé, il ne peut porter que sur un environnement hostile à la liberté religieuse.

On a vu que l’Association patriotique avait des structures nationales, provinciales et locales. Son influence et ses interventions diffèrent selon les lieux. En certains endroits, elle n’a guère d’influence, et en d’autres elle n’existe même pas, selon certaines sources. Là où l’Association n’a que peu ou pas du tout d’influence, et là où elle n’existe pas, il n’y a pas de différence entre les Eglises officielle et non officielle. Il n’y en a plus qu’une seule: l’Eglise légitime. Cela ne veut pas dire pour autant qu’en ces régions la vie de foi soit libérée de toute intimidation et de toute peur.

Principes et actions de l'”Eglise-pont”

L’analyse de la situation en Chine continentale peut nous aider à esquisser une ligne de conduite pour ceux qui, vivant hors de ce territoire, sont appelés à devenir l’Eglise-pont.

1 – L’appel du pape

Connaissant la situation présente en Chine occidentale, le pape a fait appel à nous, qui vivons au dehors, pour que nous assumions la responsabilité de former une “Eglise-pont”. Il nous a demandé d’agir. Nous ne pouvons pas rester immobiles et nous désintéresser de ce qui se passe en Chine, comme si nous étions impuissants, blasés ou insensibles. Dieu nous parle à travers cette situation même et par la voie du souverain pasteur de l’Eglise qui nous conjure d’être l'”Eglise-pont”. C’est par l’action qu’il nous faut répondre à cet appel.

2 – Suggestions personnelles

a) Cinq principes d’action

Que nous priions pour l’Eglise de Chine continentale ou que nous lui offrions une aide quelconque, nos attitudes devraient se conformer aux cinq principes suivants:

– La compréhension à l’égard des deux côtés doit être notre signe distinctif. Bien que certaines parties de l’Eglise jouissent d’une modeste liberté, ses deux branches vivent dans des conditions qui ne sont favorables ni à la vie religieuse, ni au progrès de la foi.

– Nous regrettons l’attitude indépendante de l’Eglise officielle – au moins sur le plan juridique – et sa rupture de l’unité hiérarchique avec le successeur de Pierre. Nous sommes également conscients que, dans une certaine mesure, cet état de choses a été provoqué par l’Eglise officielle, et nous reconnaissons donc que, dans cette mesure, elle ne peut échapper à ses responsabilités. Nous nous empressons d’ajouter que l’indépendance, l’autogouvernement et l’autofinancement de l’Eglise peuvent fort bien s’acquérir en restant dans les limites de la loi ecclésiastique. Ces trois objectifs sont un idéal pour l’Eglise et ne peuvent en aucun cas constituer un motif de rupture de la communion hiérarchique.

– L’orthodoxie et la loyauté de l’Eglise non officielle doivent être pour nous un encouragement.

– Nous exprimons l’espoir que les deux côtés préservent le lien d’amour qui maintient l’unité des chrétiens. Si nous nous rendons en visite en Chine, il convient que, tout en manifestant clairement notre point de vue, nous évitions de prendre part à des querelles personnelles, et d’entreprendre quoi que ce soit qui pourrait exacerber les conflits latents entre les parties. Si, en tant qu’Eglise-pont, nous agissons de cette façon-là, non seulement nous serons à même d’aider nos frères et soeurs de Chine, mais encore nous leur donnerons la possibilité de nous inviter à partager leur souffrance.

– Nous croyons que l’Esprit-Saint est à l’oeuvre dans l’Eglise de Chine continentale. C’est l’Esprit qui conserve et développe la foi de la communauté chrétienne. Cette affirmation est vraie tant pour l’Eglise officielle que pour l’Eglise non officielle. Quelques catholiques de l’Eglise non officielle, à cause des humiliations et souffrances qu’ils ont subies, ne comprennent pas que nous ayions des relations avec l’Eglise officielle. Mais nous avons ainsi l’occasion de nous acquitter de notre fonction d’Eglise-pont en leur présentant notre analyse de la situation. Le laïcat catholique peut fort bien ne pas ressentir les problèmes dont nous traitons dans cet exposé, mais tel n’est pas le cas des prêtres et des religieuses. Nous avons le devoir de les familiariser avec la position que nous défendons.

b) Directives pour l’action

Au cours des années de la Révolution culturelle, toutes les religions ont subi des pertes épouvantables. Temples, églises, livres sacrés doivent être remplacés. L’Eglise de Chine continentale a un urgent besoin d’assistance. Nous, qui faisons partie de l’Eglise-pont, ne pouvons pas lui refuser notre soutien. L’attitude à adopter en lui fournissant cette aide nécessite à la fois sagesse et prudence.

Notre souhait est d’aider les deux Eglises, l’officielle et la non officielle. Lorsque nous accordons une aide à l’Eglise officielle, nous ne lui disons pas que nous approuvons ou soutenons ses positions. Notre intervention a pour but de préserver et d’approfondir sa foi. L’illégalité est affaire de droit et n’empêche pas nécessairement la présence de Jésus dans l’Eglise. Au vu de ses besoins réels, nous ne pouvons pas déclarer simplement: “Vous êtes une Eglise illégale; nous n’avons absolument rien à voir avec vous”.En quoi cette attitude manifesterait-elle l’amour du Christ? Quant à l’Eglise non officielle, les difficultés qu’elle éprouve, réclament, bien sûr, des secours encore plus importants, principalement dans les campagnes lointaines.

Nous avons l’espoir que, des deux côtés, notre volonté de venir en aide sera bien comprise. Nous espérons aussi que les évêques et les prêtres de Chine ne manqueront pas d’expliquer à leurs fidèles les motifs qui nous poussent à les soutenir ainsi. Fournir les livres et combler d’autres besoins quotidiens est, bien sûr, une bonne chose. Mais ce qui importe davantage, c’est de saisir ces occasions pour expliquer à l’Eglise continentale notre principe selon lequel l’aide, distribuée des deux côtés, fait partie de la vocation unitaire d’une Eglise-pont. On peut penser que, d’un côté comme de l’autre, on s’apercevra que ces divisions sont pour nous source de difficultés. Nous savons bien qu’il ne nous est pas possible de résoudre le problème de fond, mais nous pouvons au moins contribuer à la création d’un climat psychologique nouveau. C’est là, aujourd’hui, une tâche essentielle. Les questions juridiques seront résolues un jour ou l’autre. Il restera cependant une barrière psychologique à franchir. En nous préparant à l’oeuvre future, il faut que nous nous armions de prévoyance et de patience.

c) Formation: une tâche prioritaire

Une des nécessités les plus urgentes pour l’Eglise continentale est la formation des leaders. Ceci vaut aussi bien pour l’Eglise officielle que pour l’Eglise non officielle. L’Eglise officielle dispose déjà de 20 séminaires abritant à peu près 700 séminaristes. A notre époque où l’accent est mis surtout sur le rôle du laïcat, on ne peut nier qu’au stade actuel la Chine a un besoin crucial de leaders sortis des rangs des prêtres et des religieuses. Et la meilleure formation possible doit être disponible pour les séminaristes.

d) Traitement de l’information

L’Eglise-pont doit se montrer très circonspecte dans la manière dont elle traite l’information relative à l’Eglise de Chine. Il arrive que des informations, publiées à Taiwan, soient tout à fait inexactes. C’est aussi néfaste pour l’Eglise de Taiwan que pour l’Eglise du continent. Et c’est répréhensible. Ceux qui écrivent des rapports sur ce qui se passe dans l’Eglise continentale devraient avoir à coeur de présenter à leurs lecteurs un point de vue solide, vraiment catholique, constructif, et qui soit un message de réconciliation. Puisque les hebdomadaires “Christian Life Weekly” et “The Catholic Weekly” sont diffusés en Chine continentale, il convient que les reportages qui traitent d’elle soient sérieux, précis, et empreints de charité. Mieux vaut en écarter les problèmes délicats. l’Eglise-pont a le devoir de veiller au bien-fondé des informations qu’elle répercute.

e) Partager les souffrances de l’Eglise de Chine continentale

Le rôle de l’Eglise-pont à l’égard de l’Eglise du continent ne peut pas se borner à lui apporter seulement un soutien matériel. L’oeuvre du Christ ne s’accomplit jamais sans la croix. C’est pourquoi l’Eglise-pont doit aussi avoir le souci de prendre part à l’expérience souffrante de l’Eglise continentale. Les membres de l’Eglise-pont ne manqueront pas d’être mal compris et accablés de reproches. Ces souffrances-là sont partie intégrante de la nature même d’une Eglise-pont.