Eglises d'Asie

ETAPES VERS UNE RECONCILIATION DANS L’EGLISE

Publié le 18/03/2010




D’après une brève relation de la visite “ad limina” des évêques de Taiwan à Rome, le pape Jean-Paul II fit en cette circonstance un appel, pressant et appuyé, en faveur de l’unité et de la réconciliation de tous les catholiques de Chine (1). Les mots employé par le Saint-Père font écho au désir du Christ, le Bon Pasteur, qu’il y ait “seulement un seul troupeau et un seul pasteur” (Jn 10,16) et à sa prière avant la Passion: “Que tous soient un… afin que le monde voie que tu m’as envoyé” (Jn 17,21).

Dans son allocution, le Saint-Père souligna que l’unité de l’Eglise n’est pas seulement un don de Dieu, pour l’obtention duquel les chrétiens doivent prier, mais aussi une tâche qui requiert “la coopération humble, cachée et généreuse de toutes les parties intéresséesIl détailla aussi les voies et moyens les plus aptes par lesquels toutes les personnes concernées peuvent contribuer à cette unité désirée: “Compréhension, bonne volonté, pardon, engagement de tous pour l’extension du Royaume de Dieu

A. Valable pour tous ceux que l’affaire concerne

1) Toutes les personnes que concerne l’affaire de l’Eglise de Chine doivent être convaincues de l’importance que revêt l’effort de réconciliation. Le désir de l’unité que Jésus a manifesté pour ses disciples a toujours été, et reste, vivant dans son coeur, et la réconciliation de tous les catholiques de Chine est un des grands soucis de notre Saint-Père. Et encore, toutes les personnes concernées doivent être convaincues que la division des catholiques est un grave scandale qui est sérieusement dommageable pour l’Eglise. A ces déplorables dissensions entre catholiques, il est bon d’appliquer le proverbe chinois, et dire que seuls les ennemis de l’Eglise ont quelque chose à gagner dans cette pénible déchirure et ces accusations mutuelles, qui doivent même paraître sordides aux yeux des non-chrétiens bien disposés. C’est pourquoi il convient de se remémorer, et de suivre dans la pratique, le dicton – aussi bien chinois qu’occidental – selon lequel on lave son linge sale en famille: d’où la nécessité de s’abstenir de soulever ce problème en présence de non-chrétiens.

2) Toutes les personnes concernées devraient constamment avoir en tête les paroles de notre Seigneur: “Ne jugez pas, afin de n’être pas jugés” (Mt 7,1). Même si leur conscience à eux leur interdit de faire la même chose que les “chrétiens à ciel ouvert”, les “catholiques souterrains” (2) n’ont aucun droit de condamner leurs frères et soeurs qui vont à la messe et reçoivent les sacrements dans l’Eglise approuvée par le gouvernement. Encore moins peuvent-ils les appeler – laïcs, prêtres, évêques – des traîtres, ou des Judas. De même, les chrétiens à ciel ouvert ne devraient jamais condamner les catholiques souterrains en les accusant de se montrer impitoyables, butés, étroits d’esprit, mauvais citoyens, fanatiques irréalistes.

3) Toutes les personnes concernées devraient regarder d’un oeil critique les sentiments qui les motivent, écarter tout amour propre et réfléchir aux questions suivantes: “Est-ce que notre différend ne porte que sur le pape, sur l’acceptation réaliste de la situation politique et sociale, et sur la possibilité de mener à bien, dans les circonstances actuelles, un travail pastoral et missionnaire? N’y a-t-il pas des problèmes de pouvoir, de prestige ou de convenances qui joueraient là un rôle aussi sournois que déplorable? Notre querelle n’est-elle pas conditionnée par des rivalités entre des personnes, des groupes, des régions?”

4) Toutes les personnes concernées devraient être convaincues que des facteurs d’ordre personnel peuvent aussi jouer un rôle constructif. L’appartenance à une même communauté ecclésiale, la fréquentation de la même école ou du même séminaire, aussi bien que les amitiés, peuvent aider à comprendre le point de vue de “l’autre camp”, et donc à calmer une regrettable animosité. Cela peut aussi permettre l’ouverture de voies de communication, par lesquelles pourront devenir possibles des échanges d’expérience et de documents utiles, surtout dans le contexte particulier de l’Eglise de Chine. Aussi bien, là où existent des liens d’amitié, de confiance, de réalisations communes, faut-il les renforcer, de manière à promouvoir de part et d’autre la tolérance, la compréhension et la réconciliation.

5) Toutes les personnes concernées devraient être extrêmement prudentes concernant les expressions qu’elles utilisent pour désigner les défenseurs de la position opposée, et pour se désigner elles-mêmes. En vue de rétablir l’unité, elles devraient abandonner des façons de parler qui, pour habituelles et faciles qu’elles soient, n’en sont

pas moins pénibles, injustes et inconvenantes. Ils s’agit pour elles de revoir complètement leur vocabulaire: voici plus de 2000 ans que le grand sage chinois, Confucius, a insisté sur l’importance d’un langage correct: son enseignement reste valable au coeur de cette sombre dispute qui désunit l’Eglise catholique chinoise. En effet, il suffit de certains mots pour embrouiller les affaires, créer et maintenir des préjugés, empêcher un dialogue sensé, et élargir encore le fossé existant. Revoir sa manière de parler est donc un de ces pas, humbles et cachés, vers une réconciliation; un pas qui néanmoins reste d’importance, et par conséquent appelle l’attention ainsi que des efforts généreux. Pour ce motif, nous allons ici même étudier quelques-unes des expressions qui sont souvent utilisées, et en suggérer d’autres qui peuvent paraître moins dommageables et plus constructives pour la recherche de l’unité.

a) Dans les langues tant chinoises qu’occidentales, ou entend et on lit fréquemment l’expression “Eglise patriotique”. Expression inopportune si on la tire de “Ai Gwo Hui”, qui se traduit plus correctement par “Association patriotique des catholiques chinois”. Expression aussi qui induit en erreur si on l’utilise pour désigner ces

évêques, prêtres et fidèles qui soit président, soit participent aux offices célébrés dans les églises rouvertes par le gouvernement avec la collaboration de cette APCC, car elle laisse facilement entendre que tous en sont membres, ou tout ou moins soutiennent sa politique. Tout comme, en d’autres parties du monde, les fidèles qui assistent régulièrement à la messe dans un lieu de culte desservi par des franciscains ne forment pas pour autant une Eglise franciscaine, et ne font pas partie du tiers ordre franciscain, de même, les catholiques qui vont à la messe aux églises placées sous l’administration de l’APCC ne sont pas à classer comme membres de cette association, et ne forment pas une “Eglise patriotique”. Si l’on prend l’adjectif “patriotique” dans son sens littéral pour qualifier des personnes qui aiment leur pays et lui sont loyales, et qu’on le réserve pour l’appliquer aux seuls membres de l’Eglise reconnue par le gouvernement, il devient insultant pour les “catholiques souterrains”, car il les désigne comme inciviques et traîtres à la nation. Il s’ensuit donc que tous ceux qui désirent favoriser la réconciliation et l’unité dans l’Eglise de Chine doivent bannir pour toujours de leurs lèvres les termes “Eglise patriotique”.

De quelle façon donc convient-il de désigner ces évêques, ces prêtres et ces fidèles qui se conforment aux directives du gouvernement et de l’Association patriotique? Certains parlent de “l’Eglise officielle”, et conséquemment attribuent aux catholiques souterrains le titre d'”Eglise non officielle”. Cependant, comme le mot “officiel” a souvent le sens d'”approuvé, reconnu par les autorités compétentes”, ce couple d’expressions pourrait offenser les catholiques souterrains, qui repoussent fermement l’idée d’un gouvernement communiste et athée comme ayant compétence d’arbitre pour déterminer quelles sont les personnes qui représentent la véritable Eglise catholique. Tandis que, comme les formules “Eglise approuvée par le gouvernement”, ou “Eglise reconnue par le gouvernement”, laissent ouverte cette question de compétence, et se limitent à reconnaître le fait que tel groupe de catholiques a l’approbation gouvernementale, elles paraissent plus objectives, et moins blessantes pour les catholiques souterrains. C’est pourquoi, pour désigner les communautés qui vont à la messe dans les églises rouvertes par les pouvoirs publics, on devrait employer des locutions telles que “Eglise publique”, “Eglise à ciel ouvert”, “Eglise approuvée par le gouvernement”, ou d’autres semblables, en se rappelant toujours que ces appellations ne sont pas attribuées à une entité séparée, mais à une partie seulement de l’Eglise catholique, à savoir celle qui agit au grand jour et s’accommode de l’interdiction gouvernementale actuelle de tout contact administratif avec le Saint-Siège.

b) Quelquefois on parle des catholiques souterrains comme formant “l’Eglise loyale” ou “l’Eglise fidèle” – comme une vierge pure… Peu importe qui se sert de ces mots-là: en tout état de cause, ils semblent mal choisis. Si ce sont les catholiques souterrains eux-mêmes qui les utilisent, ils ont un relent de suffisance pharisaïque. Et aussi ils semblent réduire les critères de vie chrétienne, catholique, à la seule fidélité au pape. Il s’ensuit qu’ils stigmatisent les chrétiens de l’Eglise publique comme infidèles, ce qui revient à oublier l’enseignement des Pères et du concile Vatican II, selon lequel l’Eglise tout entière se trouve en un constant besoin de conversion, car elle est toujours flétrie par le péché.

Il arrive aussi que l’expression “Eglise souffrante” soit employée en référence aux catholiques souterrains. Il est bien certain que ces derniers endurent des souffrances, qu’ils soient évêques, prêtres, ou simples fidèles. Certains de leurs évêques ont été arrêtés, et leurs prêtres, dans l’exercice de leur ministère, risquent également la prison.

Pourtant, cette expression-là, elle aussi, apparaît comme inopportune, et en voici les raisons. Quand les catholiques souterrains en font usage pour se qualifier eux-mêmes, ils prennent un peu la pose du martyr, du juste persécuté, ce qui n’est pas tout à fait en accord avec l’esprit du Christ. Plus encore, cette image d’une “Eglise souffrante” fait trop facilement penser que les catholiques de l’Eglise à ciel ouvert ont choisi l’Eglise publique pour échapper à la souffrance, et peut accréditer l’idée qu’ils en sont effectivement exempts. Bien sûr, un certain nombre d’ennuis leur sont épargnés, alors qu’ils affectent ou menacent les catholiques souterrains; cependant, les membres de l’Eglise publique eux aussi souffrent de pénibles restrictions, tout comme du rejet, de la méfiance et des accusations dont ils sont l’objet de la part des catholiques souterrains.

C’est pouquoi, dans l’intérêt de l’unité et de la réconciliation, les termes “Eglise loyale”, “Eglise fidèle”, “Eglise souffrante” doivent être évacués du vocabulaire courant et, en raison de l’inexistence d’expressions mieux adaptées, celles d'”Eglise souterraine”, “Eglise clandestine”, “Eglise secrète” peuvent être conservées, pourvu que l’on garde à l’esprit le fait que ces appellations ne sont pas attribuées à une entité séparée, mais à une partie seulement de l’Eglise catholique, à savoir celle qui n’accepte pas d’être confondue avec l’Eglise approuvée par le gouvernement et dominée par l’Association patriotique.

B. Valable pour l’Eglise publique

Les membres de l’Eglise publique peuvent contribuer à la réconciliation en s’astreignant aux attitudes, aux actions, et aux omissions ci-dessous énumérées.

1) Ils doivent respecter le choix des catholiques souterrains. Car c’est pour la sauvegarde d’une vérité catholique, et pour la défense du droit à une libre pratique religieuse, qu’ils renoncent à utiliser les églises et s’exposent à l’emprisonnement.

2) Pour ce motif, ils doivent veiller à ne jamais ni se lancer, ni se compromettre dans une quelconque tentative visant à résoudre par la force le problème de la réconciliation, et donc de ne jamais ni se livrer à des dénonciations, ni se mêler d’occupation ou de fermeture de lieux de culte, pas plus que d’arrestation de catholiques souterrains.

3) Ils devraient – dans la mesure de leurs possibilités – conférer une sorte de légitimité aux catholiques souterrains, d’une manière analogue à celle dont parfois, en pays musulman, des édifices catholiques reconnus sont prêtés aux protestants. Ils devraient également mettre en oeuvre leurs relations avec les autorités pour fournir une aide juridique aux prêtres et aux évêques détenus parce qu’appartenant à l’Eglise souterraine.

4) Ils devraient fournir aux catholiques souterrains des livres liturgiques, bibles et toutes informations relatives à l’Eglise universelle: paradoxalement, cette documentation peut être acquise parfois plus facilement par l’Eglise publique utilisant les moyens réguliers, ou bien même imprimée à Shanghai.

5) Ils devraient aussi communiquer aux catholiques souterrains des renseignements concernant l’Eglise publique elle-même; à propos par exemple de sa pastorale, de la formation de son clergé selon les directives de l’Eglise universelle, de sa prière fréquente et publique pour le pape, de son usage de la liturgie rénovée…

6) Ils devraient placer leurs jeunes prêtres aux endroits où ils seront acceptés par la majorité des deux ailes, et pourront être au service de la quasi-totalité des catholiques, de façon à ce que leur soit épargné le désarroi de se sentir rejetés par d’autres catholiques, déchirés et découragés par cette lamentable querelle intestine.

7) Les catholiques de l’Eglise publique auront à coeur de considérer l’attitude des catholiques souterrains comme un défi, et de se demander à eux-mêmes: “Est-ce que nous vivons bien dans la ligne du commandement du Christ qui nous veut sel – et non pas sucre ou miel – de la terre? Est-ce que nous faisons attention à l’avertissement de saint Paul: “Ne modelez pas votre comportement sur celui du monde présent” (Rom 12,2)? Ne sommes-nous pas seulement des conformistes, plutôt que des témoins selon la réplique de Pierre devant le sanhédrin, que nous devons obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes (cfr Ac 4,19)?

8) Enfin, il leur faut se montrer disposés à apprendre des catholiques souterrains que les grandes communautés, des églises spacieuses, l’administration régulière des sacrements, un clergé parfaitement stylé ne sont pas absolument indispensables, puisque le Christ a promis d’être au milieu des deux ou trois qui seront réunis en son nom (Mt 18,19), et que, d’après la théologie classique catholique, Dieu n’a pas lié sa grâce aux sacrements.

C. Valable pour les catholiques souterrains

Les catholiques souterrains devraient contribuer à l’oeuvre de réconciliation en s’efforçant d’adopter des attitudes et de poser des actions ainsi qu’il est ci-dessous décrit.

1) Il ne faut pas qu’ils fixent leur attention sur le passé. La politique tant du gouvernement que de l’Association patriotique a subi d’importantes modifications dans le sens d’une plus grande tolérance en matière religieuse en général, et par rapport à l’Eglise catholique en particulier. S’ils ne peuvent ni négliger, ni oublier de vraies injustices dont ils furent victimes autrefois, ils doivent quand même, en tant que chrétiens, se rappeler que, dans l’Evangile, le commandement du pardon qu’y donne le Christ est beaucoup plus clairement exprimé que la vérité concernant la primauté de saint Pierre et de ses successeurs. Et en tant que catholiques qui se veulent soumis au pape, ils ne peuvent pas lui désobéir, en faisant la sourde oreille à ses propos, répercutés par les évêques de Taiwan, assurant que c’est le pardon qui est le fondement de l’unité et de la réconciliation.

2) Il ne faut pas qu’ils fixent leur attention sur les statuts de l’Association patriotique, ni non plus sur les déclarations publiques de quelques membres de l’Eglise à ciel ouvert, mais plutôt qu’ils voient ce que font ses évêques, ses prêtres et ses fidèles: ils enseignent le catéchisme, entendent les confessions, visitent les malades, ouvrent des séminaires, forment des prêtres et des religieuses. Même si, dans leurs séminaires, il y a des cours sur les questions politiques, la plus grande partie de l’enseignement y est consacrée aux thèmes classiques de la théologie catholique: Dieu, le Christ, la création, les sacrements, Marie. La plupart de leurs professeurs utilisent leurs vieux manuels, et essaient d’obtenir et d’employer livres et revues postconciliaires. Au coeur de leurs liturgies, et même en présence de représentants du gouvernement, ils prient souvent pour l’Eglise universelle et pour le pape. En plusieurs endroits ils célèbrent l’eucharistie selon

le rite rénové et en chinois. Si les catholiques souterrains observent ce qui se passe dans l’Eglise publique, peut-être pourront-ils être amenés à croire que la majorité de ses fidèles, et beaucoup de leurs prêtres et de leurs évêques souhaitent être membres de l’Eglise catholique universelle, encore que, pour l’instant, ils n’aient aucun contact officiel avec le pape.

3) Les catholiques souterrains devraient, sans arrière-pensée, accueillir les jeunes prêtres formés dans les séminaires de l’Eglise publique. La plupart d’entre eux proviennent de bonnes familles catholiques. Ils sont entrés dans les séminaires de l’Eglise à ciel ouvert dans l’espoir d’y trouver la meilleure formation spirituelle, intellectuelle, théologique et pastorale. Leur vie au séminaire a suivi les règles traditionnelles des séminaires catholiques d’avant le Concile. Leurs enseignants s’y servent principalement de leurs propres manuels, ou de livres écrits par des auteurs catholiques du dehors. Certains étudiants du séminaire de Sheshan ont eu comme professeurs des jésuites, des salésiens, des dominicains, des prêtres et des religieuses – de Hongkong, de Taiwan et d’outre-mer – qui sont fidèles à l’Eglise universelle et à son chef, le pape. Avant d’être ordonnés, ils ne sont pas requis d’adhérer à l’Association patriotique (3), et s’ils l’ont fait, leur motivation fut sans doute qu’ils seraient ainsi plus aptes à s’occuper des chrétiens dans un contexte d’ouverture et de liberté. Le respect catholique du sacerdoce, la compréhension chrétienne et la simple équité exigent qu’ils soient reçus sans préjugés ni équivoque par les chrétiens véritablement catholiques.

4) Les catholiques souterrains devraient considérer leur divergence de vues d’avec l’Eglise publique sur son acceptation des directives gouvernementales comme un défi, et remettre en question leur attitude à l’égard de la société dans laquelle ils vivent. Au moins admettront-ils que les chrétiens ont l’obligation de se soumettre à toutes les lois justes, et de se dédier eux-mêmes à la construction d’une société équitable; sans doute admettront-ils aussi que l’Eglise, comme communauté, doit normalement se situer dans le cadre d’une société donnée. Quand le concile Vatican II précise que, “de par sa mission et sa nature, l’Eglise n’est liée à aucune forme particulière de culture, ni à aucun système politique, économique ou social” (4), il ne veut pas signifier qu’elle vit en dehors des sociétés concrètes, mais reconnaît indirectement que l’Eglise peut vivre et remplir sa mission d’être sel de la terre et lumière du monde, non seulement dans les anciens modèles de société, mais aussi en toutes circonstances.

D. Valable pour les gens du dehors

1) Les amis et visiteurs venant de Hongkong, Macau, Taiwan, ou de l’étranger doivent en tout premier lieu se persuader qu’il ne leur est pas possible de comprendre totalement la complexité de la situation dans laquelle vivent les catholiques chinois. Dès lors, il convient pour eux de s’abstenir de porter un jugement sur l’un ou l’autre des deux groupes en conflit, et de résister à toute tentative d’embrigadement comme partisans de l’un des deux. Naturellement, leurs contacts se feront souvent plus avec un camp qu’avec l’autre, et l’aide qu’ils apportent avantagera surtout un seul des deux côtés. Mais ces visiteurs devraient clairement indiquer qu’ils désirent avant tout étendre à l’ensemble des chrétiens leur assistance, sans favoriser une communauté plus qu’une autre, moins encore une clique. En tout cas, quelle que soit leur contribution remise à n’importe lequel des candidats récipiendaires, ils devraient lui manifester très nettement leur souhait de le voir oeuvrer pour la réconciliation et le retour à l’unité.

2) Les visiteurs venus de l’extérieur ne doivent pas se leurrer en imaginant qu’ils ne sont pas minutieusement observés de toutes parts. Ni non plus s’amuser à jouer les héros en ne respectant pas les règlements et les confidences faites à demi-mot. Au contraire, en agissant avec discrétion, on évite de faire resurgir la confrontation, et on incite le gouvernement à se montrer plus tolérant vis-à-vis de l’Eglise secrète. Vraiment, ces visiteurs peuvent repartir bien fiers de leur “courageuse” intervention, mais leur conduite les empêchera d’elle-même de revenir par la suite fournir des secours moins voyants – mais plus efficaces à longue échéance – à tous les intéressés. Bien plus, ils peuvent, involontairement, avoir créé de nouvelles difficultés entre le gouvernement et l’ensemble des catholiques, et donc aussi aggravé la tension entre l’Eglise publique et l’Eglise secrète.

F. Valable pour les milieux romains

L’apport de Rome n’est ici mentionné qu’en dernière place parce que, tant qu’il n’y aura pas de progrès au niveau local en vue d’une réconciliation des deux communautés, des prêtres et des évêques en Chine même, les dispositions romaines ne pourront pas vraiment, d’une manière significative, contribuer – si même elles parviennent jamais à le faire – au rapprochement souhaité. Néanmoins, elles peuvent être utiles aux catholiques chinois dans les formes qui suivent.

1) Chaque fois qu’une aide est octroyée, il faudrait qu’il soit clairement explicité que le Saint-Père désire par-dessus tout l’union de tous les catholiques et leur engagement commun pour l’évangélisation de la Chine, et qu’il considère leurs efforts dans ces deux directions comme la preuve de leur loyauté envers l’Eglise universelle et envers le pape.

2) Rome devrait encourager les jeunes prêtres formés dans les séminaires établis et dirigés par l’Eglise publique à se consacrer de tout coeur à leur ministère. Le fait qu’un évêque soit secrètement marié, ou même vive en notoire concubinage, ou encore qu’il défende certaines positions politiques, n’a jamais été, quelque part dans le monde, un motif pour lequel il aurait fallu pousser son clergé à délaisser les fidèles. De la même façon, Rome devrait faire en sorte que ces jeunes prêtres sachent que les sacrements qu’ils distribuent sont non seulement valides, mais efficaces, et que leur travail pastoral est pour eux un devoir sacré, quelles que puissent être l’attitude politique et la situation -marié ou célibataire – de leur évêque.

3) Rome devrait encourager les jeunes prêtres souterrains à se montrer attentifs aux développements postconciliaires en matière de théologie, de ministère pastoral et de spiritualité, et donc disposés à pallier, si nécessaire, les déficiences de leur formation théologique, afin d’éviter l’émergence d’une mentalité de ghetto, entachée d’anachronisme, dans les communautés qu’ils desservent en qualité de pasteurs.

Conclusion

Ce qui a été dit dans les pages précédentes concernant les différentes démarches vers une plus grande unité correspond aux paroles déjà rapportées du Saint-Père aux évêques

de Taiwan: la recherche d’une réconciliation entre les groupes catholiques requiert des contributions “humbles” et “cachées” de tous les intéressés. Il n’a été fait mention d’aucune mesure extraordinaire, d’aucune action qui pourrait valoir à son auteur la croix “Pro Ecclesia et Pontifice”. Ces contributions humbles et cachées, le pape Jean-Paul II, de façon assez révélatrice, les a encore appelées de “généreuses” contributions. En effet, ce n’est pas sans une forte dose de générosité que l’on peut pratiquer le pardon mutuel, tolérer des attitudes que l’on n’admet pas pour soi-même, ou porter secours à ceux qui nous critiquent. Ainsi donc, la poursuite de l’unité entre catholiques de Chine peut être comparée à une avancée vers l’oecuménisme, qui nécessite constamment une “conversion intérieure. En effet c’est du renouveau de l’âme (cfr Ep 4,23), du renoncement à soi-même, et d’une libre effusion de charité que partent et mûrissent les désirs de l’unité” (5). Oeuvrer activement pour une réconciliation et un retour à l’unité n’est pas s’adonner à un certain nombre d’actes bien déterminés; cela ne consiste pas non plus à se répandre en prières pour obtenir le don de l’unité. Mais bien souvent ce n’est rien d’autre – mais dans les circonstances concrètes qui sont celles de l’Eglise catholique en Chine – que suivre ce que le Christ nous a appris, par ses paroles et ses actions: “Ne jugez pas” (Mt 7,1); pardonnez-vous les uns les autres, non seulement “jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix-sept fois” (Mt 18,22); soyez semblables à “votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes” (Mt 5,45). La tâche de promouvoir l’unité et la réconciliation ne réclame donc rien de plus que suivre le Christ, et rien de moins que répondre pleinement à sa grâce spéciale, son appel à être et, jour après jour, à devenir son disciple.