Eglises d'Asie

LA RELIGION EN CHINE AUJOURD’HUI

Publié le 18/03/2010




Phénomène social qui affecte quelque cent millions de personnes, la religion, en Chine, a de multiples facettes. L’étude qui en est faite ici n’a pas pour but de fournir des informations nouvelles, mais bien de rassembler commentaires et événements relatifs aux grandes religions de Chine. Notre intention est de mettre en relief quelques traits communs qui pourront servir de contexte à des informations plus détaillées publiées par ailleurs.

PREMIERE PARTIE: RELIGION, PHENOMENE SOCIAL

1. L’essence de la religion

Dans un article, publié dans « Reading », de novembre 1988, le jeune sociologue Liu Xiaofeng, de l’université Shenzhen, présentait la théologie de Karl Barth sous le titre « Dieu est Dieu ». L’article s’en prenait à toutes les tentatives de sacralisation du pouvoir politique. Prenant l’exemple des groupes « patriotiques » chrétiens qui avaient soutenu le mouvement nazi, le professeur Liu faisait valoir qu’en donnant leur caution à une organisation à ce point « temporelle », ils avaient, en fait, oublié d’affirmer que Dieu, et Dieu seul, est saint (1).

Cela ne signifie pas que Barth, ou Liu, fassent montre d’un total désintérêt pour la politique. Liu fait remarquer que le couplet antinazi de Barth pourrait aussi bien convenir à la Chine, et il est

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difficile de ne pas interpréter la reprise de l’article en question dans le numéro de juin 1989 du journal protestant chinois « Tian Feng » comme un soutien au mouvement étudiant de l’époque (2). Cependant l’intérêt de l’article ne se trouve pas tellement dans son aspect polémique, même caché, mais bien plutôt dans l’étude des divers aspects sous lesquels la religion est, aujourd’hui, considérée en Chine.

La question politico-religieuse fait partie d’un débat sur la nature de la religion comme phénomène social. La religion est-elle une affaire privée sans conséquences sociales? La religion devrait-elle apporter quelque chose à la société? D’un côté, la loi interdit aux organismes religieux de gérer des écoles, par crainte qu’on y corrompe la jeunesse; de l’autre, la presse tresse des lauriers aux riches associations religieuses dont les dons sont un apport pour la société. La question de l’essence de la religion se pose dans le contexte de la philosophie marxiste selon laquelle la religion est appelée à disparaître. Le fait que, manifestement, cela ne se soit pas passé ainsi en Chine donne aux théoriciens l’occasion de réfléchir à la question. En suivant leurs débats, on arrive à comprendre quelque peu ce que la religion comme telle est censée représenter dans le monde universitaire chinois.

Tout naturellement, c’est Feuerbach qui est à la source de nombreuses considérations relatives à la religion, même si ses arguments sont illustrés par des exemples aussi bien bouddhistes que chrétiens. He Qimei donne un bel exemple de cette façon de faire. Tout en reconnaissant que la religion est un phénomène complexe, il explique qu’elle est fondamentalement une « vision intérieure », et que, par conséquent, elle ne s’engage pas dans la société. La religion se désintéresse complètement de ce monde-ci. Elle construit une société du « Soi-sans-toi », ou, mieux encore, une « asociété ». On dit que la religion est plus libre en Chine qu’elle ne l’est dans les pays capitalistes, ou dans certaines parties du monde arabe, parce qu’on la tient à l’écart de la politique et de l’éducation (3).

Quatre arguments viennent soutenir cette vision de la religion. La religion se plaît à montrer la nature illusoire de ce monde-ci; on en trouve un bon exemple dans la doctrine bouddhiste de l' »anatmavada ». Le célibat, observé par le personnel religieux, chez les catholiques comme chez les bouddhistes, démontre l’opposition de la religion aux relations sexuelles. En troisième lieu, le caractère introverti de la religion éloigne l’homme des réalités du monde. Et finalement, la religion conduit à la suppression du moi, comme cela ressort de l’enseignement bouddhiste sur les effets du « karma », ou de la doctrine chrétienne du péché et du repentir.

Il serait sans intérêt ici de montrer que tout cela dénote une connaissance très superficielle de la nature de la religion.

Ayant ainsi opté pour un type de religion essentiellement subjectif et tourné vers un autre monde, les sociologues sont naturellement portés à la considérer comme fondamentalement opposée au matérialisme socialiste. L’éminent spécialiste de l’orthodoxie russe, Yue Feng, assure que la religion comprend quatre composantes: la pensée religieuse, le sentiment ou l’expérience, le comportement ou l’activité, et l’organisation religieuse. Les deux premières d’entre elles sont considérées comme essentielles, les deux dernières ne sont qu’une façade extérieure sans importance particulière. Néanmoins, il faut reconnaître que, si le personnel religieux prêche sa doctrine relative à un autre monde, celle-ci aura un effet néfaste sur l’engagement social.

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Les aspects subjectifs et objectifs ne sont donc pas complètement sans relations entre eux. D’où la nécessité de groupes religieux « patriotiques », dont la raison d’être sera de s’occuper des aspects de la religion supposés être essentiels, tout en s’assurant que, au niveau des activités et des organisations religieuses, personne ne met en cause la somme des acquis socialistes (4).

Yue Feng s’est surtout efforcé de trouver les facteurs qui expliquent la survivance de la religion en Chine socialiste. Il en voit six. D’abord, le développement de la connaissance humaine qui est toujours en retard sur les progrès réels de la société; puis, le progrès matériel insuffisant de la Chine: ce qui confirme le jugement de Lénine, selon lequel « la racine la plus profonde de la religion plonge dans la pauvreté et l’ignorance ». Les autres raisons sont moins théoriques. La Chine n’aurait pas encore atteint un haut degré de socialisme. Il y aurait de la corruption dans le Parti, et l’enseignement de l’athéisme serait encore inadéquat. Les problèmes de la vie, de la mort, du chômage, du mariage et du logement pousseraient les gens à se tourner vers la religion. Les désastres naturels ou provoqués par l’homme servent aussi de levain au sentiment religieux. Enfin, la lutte des classes ne serait pas arrivée à son terme, et des organismes religieux étrangers continueraient à intervenir dans les affaires intérieures de la Chine.

Le but de cette analyse est clair: en cernant de plus près le phénomène religieux, on sera mieux équipé pour le supprimer. Cette suppression ne doit pas nécessairement passer par la violence, car, comme l’a souligné Ren Wuzhi dans « Qiu Shi », « le développement de la culture socialiste matérialiste aboutira inévitablement à faire disparaître les causes profondes qui ont donné naissance aux religions. Donc, la religion disparaîtra naturellement » (5).

La tendance actuelle, qui insiste sur la tolérance à observer vis-à-vis de la religion et des croyances religieuses, s’inscrit donc dans le cadre de cette politique générale. La Constitution garantit la liberté de croyance et s’engage à protéger l’activité religieuse. C’est ainsi que la dichotomie entre la prétendue « essence » de la religion, et sa coquille extérieure, se trouve inscrite dans la législation. Il y a liberté pour un rêve subjectif, mais contrôle de son expression externe. De cette façon, il devient possible, contre la religion, de gagner la bataille de la modernisation et de lutter contre les aspects rétrogrades de la société (6).

Dès lors, tolérer l’existence de la religion fait partie d’une politique pragmatique qui a pour but la modernisation. Dans ce contexte, Han Feizi, juriste et philosophe du 3ème siècle avant Jésus-Christ, connaît depuis quelque temps une nouvelle vogue. Il est particulièrement apprécié pour son approche pragmatique quand il critique l’homme qui, au moment d’acheter des chaussures, ayant oublié sa pointure, ne pense pas à faire un essai sur place, mais retourne chez lui pour chercher la mesure. L’exemple de Han Feizi est donné pour critiquer la répétition sans discernement du dogme marxiste en ce qui concerne la religion. Ce qu’il faut, c’est une évaluation exacte de l’état de la religion en Chine aujourd’hui, plutôt qu’une condamnation aveugle (7).

De plus, comme Han Feizi, les intellectuels contemporains répugnent profondément à faire appel à la religion pour résoudre les problèmes auxquels l’homme est capable de se mesurer. Lin Zhaorong déclare que la religion essaie de trouver la solution à une brochette de questions, telles que:

1() Est-ce que le monde existe naturellement, ou bien a-t-il été créé par Dieu?

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2() Ce monde existe-t-il vraiment, ou bien n’est-il qu’une illusion?

3() L’homme est-il le résultat d’une évolution naturelle, ou bien a-t-il été façonné par Dieu dans un bloc d’argile?

4() Est-ce que l’esprit humain – l’âme – naît et meurt avec le corps, ou bien lui survit-il comme une entité indépendante?

5() La vie de l’homme sur terre a-t-elle un sens et, dans l’affirmative, quel est-il?

6() Quelle sorte de vie peut-être qualifiée d’heureuse? Vers quoi faut-il tendre pour atteindre le bonheur?

Les quatre premières questions datent du XIXème siècle et font état d’un désaccord artificiel entre religion et science naturelle. N’importe quel théologien sensé montrerait l’absurdité de questions de ce genre qui masquent le fait que l’enseignement religieux concernant la création et les fins dernières a pour but de répondre à des questions différentes de celles que posent les sciences naturelles. Mais, pour Lin, la meilleure façon d’éliminer la religion, c’est de prôner sans cesse le matérialisme scientifique (8).

En dépit de toutes leurs déclarations affirmant que la vérité doit se dégager des faits, on ne peut pas ne pas remarquer que les théoriciens, dont la mission consiste à réfléchir au sujet de la religion, ont une appréhension regrettablement inadéquate de la notion théorique que la religion a d’elle-même. Tel est le résultat d’une politique qui ne favorise pas la libre circulation des publications religieuses.

2. La religion selon la loi

L’article 36 de la Constitution de 1982 affirme que « les citoyens de la République populaire de Chine jouissent de la liberté de croyance religieuse », et que « l’Etat protège l’activité religieuse normale ». Il faut noter ici que la terminologie utilisée fait une distinction entre croyance religieuse et activité religieuse, entre liberté et protection, entre activités religieuses normales et anormales. Il n’est pas affirmé que les citoyens chinois jouissent de la liberté d’activité religieuse. Les documents législatifs promulgués par la suite, ou les circulaires du Parti, plutôt que de s’étendre sur la nature de la liberté de croyance, se préoccupent surtout de préciser quelles sont les activités religieuses qui reçoivent la protection de l’Etat, et quelles sont celles qui ne la reçoivent pas. De plus, mise à part la Constitution, la Chine ne dispose toujours pas de lois ou d’ordonnances réglant les relations entre la religion et la société. Ce type de relation, à l’heure actuelle, est pratiquement réglé par les seuls décrets administratifs (9).

Le « document 19 », intitulé « Point de vue de base et méthode à suivre sur la question religieuse durant la période socialiste dans notre pays », rendu public en 1982, est célébré par l’évêque protestant Ding Guangxun, président du Mouvement des Trois autonomies, comme étant dans la ligne de la pensée de Zhou Enlai. Il autorise et garantit le culte public, la publication des Ecritures, de livres religieux et de manuels d’enseignement, la formation du clergé dans les séminaires, la visite des malades dans les hôpitaux, des journées d’études et les répétitions de chorale. Pourtant, nous nous tromperions si nous considérions tout cela comme signe d’une tolérance éclairée. Le document lui-même se présente comme une mesure provisoire jusqu’à l’éclosion de « l’âge nouveau », au cours duquel « tout ce qui présentement, dans la réalité de notre monde, est reflété dans une image religieuse finira par disparaître » (10).

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Le « document 3 », de février 1989, visait spécifiquement la communauté catholique. Il admettait l’existence d’une relation d’ordre purement « religieux » entre l’Eglise et le pape, déclarait que le Collège épiscopal, et non plus l’Association patriotique, était effectivement la plus haute autorité dans l’Eglise, et prenait des mesures pour lui rendre ses biens immobiliers. Le terme même de « propriété » était nouveau. Un peu plus tard, dans un autre document, daté du 9 mai de la même année, et publié conjointement par le Parti et le Bureau national des Affaires religieuses, il fut spécifié que les propriétés seraient remises à l’Eglise, ou qu’une compensation lui serait octroyée, de telle sorte qu’elle puisse s’autofinancer, et ne soit plus obligée de recourir à des aides extérieures (11).

Vers le milieu de l’année 1990, un document interne, intitulé « Vigilance contre l’infiltration de forces religieuses étrangères », fut adressé à tous les organismes religieux officiellement reconnus et aux hauts fonctionnaires des administrations concernées. Le document les mettait en garde contre diverses méthodes d’infiltration. Il existe 26 stations de radio protestantes, utilisant souvent des dialectes locaux et disposant de puissants émetteurs. Pendant les deux premiers mois de cette année 1990, les douanes ont intercepté 38 000 pièces de littérature religieuse et 1 069 pièces de matériel audiovisuel religieux. Sont nommément répertoriés des groupes, protestants et catholiques, qui envoient des enseignants en Chine. Des touristes ont été surpris en train de prêcher. Des étrangers sont accusés d’avoir fourni des fonds pour se gagner l’amitié de membres du clergé chinois. Une personnalité, le Dalaï-lama, et trois pays – le Vatican, l’Iran et la Corée du Sud – sont directement incriminés. Les attaques contre le Vatican et le Dalaï-lama ne sont pas une nouveauté. L’Iran est coupable de vouloir propager la « révolution islamique » chiite chez les musulmans chinois sunnites. Quant à la Corée du Sud, elle est suspecte d’abriter des groupuscules chrétiens qui encouragent les Coréens de Chine à faire acte d’allégeance à la République de Corée (12).

On pourrait être tenté de dire que « chien qui aboie ne mord pas ». Les Chinois savent qu’ils ont besoin d’enseignants étrangers, et ils désirent garder de bonnes relations avec la Corée du Sud autant qu’avec l’Iran: ainsi donc, ils ne peuvent pas appliquer complètement les directives contenues dans ce document. Malgré tout, la surveillance exercée peut parfois déboucher sur des actions concrètes qui bloquent toute activité religieuse.

Sur les plans tant local que provincial, nombre de documents ont vu le jour. Le 1er mai 1988, c’est le Guangdong qui publiait un règlement concernant les lieux de culte (document 44). Le 13 mai 1989, le Hebei publiait des normes pour la protection des activités normales des catholiques (document 26). Le Bureau des Affaires religieuses de Kunming, en date du 16 mars 1990, émettait des « Règles provisoires au sujet des lieux destinés aux activités religieuses à Kunming ». Plus récemment ont été publiés un règlement provisoire sur le contrôle des activités religieuses au Xinjiang, et un texte similaire sur le contrôle du personnel religieux, tous deux reproduits dans le « Xinjiang Daily » le 16 septembre 1990 (13).

Les règles contenues dans le document de Kunming sont plus spécifiques en ce qui concerne l’ingérence de la religion dans d’autres domaines. L’article 3 stipule que « la religion n’a pas à intervenir dans les affaires du gouvernement, des tribunaux, de l’enseignement, de mariage, du contrôle des naissances ou d’autres affaires sociales ». Des

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instructions sont données également au sujet de l’acceptation de dons en provenance d’organisations religieuses étrangères. Le « document 19 », de 1982, avait indiqué que de tels dons devaient être libres de toute contrepartie. Alors que les petites sommes peuvent être acceptées sans difficulté, les montants plus importants (probablement supérieurs à 10 000 yuan, mais ce n’est pas précisé), doivent être approuvés par le gouvernement. A Kunming, on peut recevoir des dons qu’envoient des Chinois de l’extérieur ou d’autres personnes étrangères, mais il faut obtenir l’accord du Bureau des Affaires religieuses quand les donateurs sont des organismes religieux étrangers.

Ces règles en vigueur à Kunming témoignent de la position ambiguë de la religion dans la société chinoise. En effet, alors que, d’une part, on interdit toute « ingérence » des organisations religieuses dans la société, on les encourage d’autre part à fonctionner sur leurs ressources propres, tout en mettant en oeuvre « des projets sociaux, qui seront profitables à la société ».

Les deux volets du règlement du Xinjiang dévoilent de façon assez détaillée la nature du contrôle exercé. En particulier, ils interdisent la réception de « programmes religieux réactionnaires diffusés de l’étranger », ainsi que la prédication du « jihad » musulman. Les écoles religieuses sont interdites, et il est catégoriquement affirmé que les jeunes en-dessous de 18 ans doivent être soustraits à toute influence religieuse. Bien que relatives surtout à l’islam et à la préservation de l’unité des minorités ethniques, les règles énoncées valent aussi pour les autres religions, comme cela ressort clairement de l’énumération du personnel permanent. Sont cités les imams ou mollahs de l’islam, les moines bouddhistes, les lamas et bouddhas vivants, les dirigeants protestants, anciens et pasteurs, les dirigeants catholiques et les prêtres, les prêtres orthodoxes d’Orient, les prêtres taoïstes et d’autres membres du personnel religieux.

Toutes ces différentes directives et instructions ne sont pas à de nature à satisfaire tous les croyants. Les journaux religieux font état de plusieurs demandes pour la mise au point d’une loi globale sur la religion. Actuellement, les règlements en cours cherchent à contrôler les activités religieuses, et n’affectent que des personnes précises et des régions données. De plus, ils sont suffisamment élastiques pour pouvoir servir à réprimer tout ce qui est considéré comme potentiellement incontrôlable. Cette même élasticité permet aussi aux autorités de fermer les yeux sur ce qu’elles jugent sans importance. Si la religion devait jamais être l’objet d’une législation plus générale, il est à craindre que pareilles échappatoires et une telle souplesse ne seraient plus possibles. C’est pourquoi, même si des lois plus strictes étaient plus avantageuses pour régler les litiges à propos des propriétés au bénéfice des organismes religieux, dans l’ensemble, elles pourraient avoir des conséquences moins bénéfiques (14).

3. L’athéisme

On peut définir l’athéisme comme la propagation consciente de la négation de l’existence de Dieu.

Beaucoup de cadres avaient remarqué qu’au cours de la décennie qui précède les événements de mai 1989 l’enseignement de l’athéisme s’était détérioré; en conséquence un renouveau fut jugé indispensable à partir de juin de cette année-là. Les dix années précédentes n’avaient pourtant pas été entièrement stériles du point de vue de

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l’athéisme, comme l’indique Wang Binglun dans une évaluation de cette période. Il estime même que l’athéisme a fait des progrès depuis l’époque de Mao. Les tendances « gauchistes » de la Révolution culturelle conduisirent à l’adoration quasi-religieuse d’un homme, et à l’extirpation grossière de toutes les religions, que l’on décrivait alors comme « les fantômes du Boeuf et les spectres du Serpent ». L’orientation moderne va dans le sens de l’établissement de centres de recherche où sont passées au peigne fin les cultures chinoise et occidentale, pour en retirer une philosophie athée cohérente et bien en harmonie avec les idéaux de la science. On peut dès lors espérer que, journaux et livres aidant, la science prendra le dessus, et que l’athéisme sera finalement accepté comme modèle normal d’une conscientisation réussie (15).

Ce type d’athéisme scientifique, en fait, n’est pas l’apanage des communistes chinois. En novembre 1928, le gouvernement nationaliste (du Kouomintang) avait édicté ses « Mesures pour la protection et l’abandon des dieux et des sanctuaires », dans lesquelles il était souligné que « la superstition était un obstacle au progrès », et que la Chine était en train de devenir « la risée du monde de la science », en raison de ses superstitions. Naturellement, les communistes d’aujourd’hui, pas plus que les nationalistes d’alors, ne désirent classer toutes les religions dans la catégorie des superstitions illégales, mais la détermination des différences n’est pas une entreprise aisée. Sur le plan théorique, la difficulté consiste à déterminer le fondement de la tolérance pour quelque religion que ce soit. Pour l’athée, la réponse doit être qu’il n’existe pas de fondement. Néanmoins, dans la pratique, les religions disposant d’Ecritures sacrées et d’un corps de doctrine de la foi sont perçues comme acceptables (16).

La distinction entre religion et superstition a été inscrite dans la loi. La Constitution autorise la première et interdit la seconde. Malgré tout, étant donné qu’il n’y a là qu’une distinction pragmatique, l’interprétation qu’on peut en faire est sujette à des considérations d’ordre pratique. On dira que la superstition consiste avant tout à prier pour obtenir des grâces, à dire la bonne aventure, chasser les démons et guérir des maladies; la religion, au contraire est « un système de pensée très éloigné de l’univers des affaires humaines », et qui possède une organisation, des rites déterminés, des croyances et des principes moraux. Cette définition, qui avantage les grandes religions mondiales, porte tort aux religions populaires et aux religions « primitives » chinoises. Que ce soit là un arrangement fort pragmatique est parfaitement illustré par le cas de l' »Offrande » taoïste. Classée parmi les activités superstitieuses, l’Offrande est un élément clé dans la liturgie taoïste, et n’est célébrée qu’en des occasions très spéciales. Elle entraîne la coopération de toute la communauté locale, se poursuit durant plusieurs jours, et est voulue comme une célébration communautaire. Elle comprend des rites très anciens, et répond à tous les critères qui en font un acte de « religion », mais son ampleur même joue en sa défaveur, car elle n’est pas aisément contrôlable. Elle est donc étiquetée « superstition » (17).

Par superstition, on entend toutes les pratiques religieuses non orthodoxes, telles que des séances de guérison, la conduite de services religieux sans formation appropriée, etc. Dans le numéro de mai 1989 de « Tian Feng », un article de Guang Wen pose ironiquement la question de savoir s’il revient au gouvernement de décider s’il est ou non orthodoxe de pleurer ou de rire quand on prie. Quelques milieux protestants assurent que c’est en effet le cas; d’autres ne sont pas d’accord. N’est-il pas vain de vouloir faire d’une définition de l’orthodoxie une question juridique? La loi devrait s’occuper des interférences avec l’ordre public, non pas d’orthodoxie (18)!

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A en juger par les cas dont la presse s’est emparée, deux raisons imposent la lutte contre la superstition. La première est financière, la seconde est théorique. Les diseurs de bonne aventure et les charlatans sont considérés comme des escrocs qui extorquent de l’argent auprès d’un public crédule; aussi les arrête-t-on non pour des motifs religieux, mais sous l’accusation d’escroquerie. Dans une cité rurale du Hunan, on rapportait, en mars 1991, qu’au cours des trois dernières années, 56 familles avaient été perturbées après avoir été trompées par des devins ou des voyants. En se fondant sur des données superstitieuses, 21 couples avaient rompu avant le mariage; 9 personnes étaient de plus tombées sérieusement malades, et 4 étaient mortes après avoir recouru aux esprits pour obtenir guérison; parmi les familles où des vieillards étaient morts, 90% avaient suivi des rites taoïstes suspects pendant le deuil. Quant à l’opposition théorique à la superstition, elle se manifeste par exemple quand des écoliers font une offrande d’encens lors de la visite « culturelle » d’un temple, quand ils viennent prier pour réussir leurs examens, ou quand ils utilisent leurs calculateurs de poche pour se prédire leur propre avenir. Sans doute faudrait-il ici verser une larme sur les lacunes du système socialiste d’éducation qui, à notre époque scientifique, n’a pas encore réussi à évacuer toutes les « superstitions féodales » (19)!

4. L’attrait de la religion

Dans une étude sociologique concernant les conversions au christianisme protestant, le docteur Alan Hunter relève que la cause la plus importante de conversion est la guérison miraculeuse. Ce sont les miracles et les exorcismes qui prennent la première place, et la doctrine est réléguée au second plan. D’autant plus que, d’après les observations faites dans la ville de Shanghai et la campagne environnante, une communauté protestante compte en moyenne 75% de femmes, et 75% d’entre elles ont plus de 60 ans. Beaucoup parmi elles sont analphabètes ou à moitié illettrées, d’autant que, voici 40 ans, rares étaient les facilités d’éducation, surtout pour les filles (20).

Il est aussi remarquable de voir l’emprise de la religion sur la jeunesse sortant de l’université. Une enquête menée dans la ville de Jixi, dans la province de Heilongjiang, montre qu’entre 1986 et 1989, de plus en plus de jeunes gens, diplômés d’universités ou d’écoles techniques, venaient à la religion. Ils appartenaient à des groupes d’âge relativement peu élevés. Ce phénomène ne se manifestait pas seulement en ville: dans les zones rurales également, des jeunes bien éduqués se tournaient vers la religion. Même chose à Tianjin, où un catéchuménat catholique, ouvert en juin 1988, comptait 300 inscrits, dont 90% étaient des étudiants venant d’instituts techniques (21).

L’influence familiale et l’identité nationale restent les facteurs qui contribuent le plus au maintien des communautés religieuses. S’il est sans doute vrai que celles-ci sont composées majoritairement de personnes âgées, on ne peut nier que la religion exerce une attirance qui s’exerce bien au-delà du noyau des adhérents reconnus. Le professeur Yu Ke, dans une causerie faite à l’université Nankai de Tianjin, soulignait qu’il n’est pas possible que la science détermine l’attitude de l’homme devant le péché ou l’erreur, et c’est pourquoi la religion sera toujours nécessaire. Bien plus, la religion doit être appréciée aussi pour l’encouragement qu’elle prodigue à ses membres pour qu’ils se comportent en bons citoyens. De là vient que la religion – et en particulier le christianisme – a des admirateurs parmi de jeunes intellectuels tels que Liu Xiaofeng, qui ne cherchent pas nécessairement à se faire baptiser (22).

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DEUXIEME PARTIE: TOUR D’HORIZON DES RELIGIONS

Les seules religions chinoises indigènes sont les religions « primitives » de type chamaniste, pratiquées par quelques tribus minoritaires, et le taoïsme chinois du peuple han. Bien que le bouddhisme ne soit pas originaire de Chine, il fait maintenant partie du substrat sur lequel se fonde l’identité chinoise. Contrastant avec ces religions assez peu structurées, il y a les deux grandes religions monothéistes du monde sémitique: l’islam et le christianisme. Le judaïsme a existé autrefois en Chine, mais il a maintenant disparu en tant que religion.

1. Le taoïsme

L’état amorphe du taoïsme, et le peu d’estime dans lequel on l’a tenu tout au long d’une bonne partie de l’histoire chinoise, sont restés de mise au cours des 50 dernières années. La plupart des temples taoïstes de Beijing sont toujours occupés par des unités de travail, des hôpitaux, des écoles ou des particuliers, et on ne fait guère d’effort pour les récupérer. Beaucoup d’entre eux sont actuellement en mauvais état, et rares sont ceux qui sont ouverts au tourisme: seul, l’historien zélé pourra les découvrir. A l’inverse du bouddhisme, le taoïsme ne fait pas appel à ses adhérents de l’étranger, car il se veut tout à fait chinois. A cela s’ajoute le fait que, dans le monde chinois lui-même, on est loin d’être d’accord sur ce que l’on entend par taoïsme: le terme doit-il s’appliquer à toutes les religions populaires autochtones de Chine, ou seulement aux mouvements organisés qui ont une doctrine claire et des textes scripturaires?

A la fin de 1989 il y avait, au niveau régional ou national, plus de 250 temples rendus au culte, et 21 autres appartenant à des sites célèbres. En y ajoutant les petits temples non autorisés, on atteint sans doute le chiffre de 1 000. Le clergé des deux sexes comprend environ 10 000 personnes qui vivent dans des monastères, et auxquelles viennent s’adjoindre environ 2 000 prêtres desservant les petits temples. Le nombre des croyants, estimé en gros à 100 000, pourrait atteindre le million si l’on y incluait tous ceux qui, à un moment ou à l’autre, font brûler un bâton d’encens ou partent en pèlerinage (23).

Pratiquement, le taoïsme aujourd’hui reçoit la bénédiction des milieux officiels en trois domaines: philosophique, spectaculaire et culturel. On admire la philosophie taoïste pour sa « sinéité » et pour sa relation avec la science chinoise à ses débuts, tout spécialement dans les domaines de la chimie et de la médecine. Le souci des taoïstes d’une saine relation entre l’homme et son environnement est aussi fort apprécié comme modèle pour la « révolution verte ». Cependant, malgré cela, deux érudits marxistes de l’Académie chinoise des Sciences sociales attirent l’attention sur d’autres traits du taoïsme qu’ils dénoncent comme périmés. Ils en critiquent sa vision politique démodée, trop hiérarchique et centrée sur l’empereur qui offrait le sacrifice au ciel. Ses idées sur les esprits et les fantômes sont considérées comme trop primitives pour l’homme moderne, et on qualifie de superstitieuses et même dangereuses pour la société certaines de ses pratiques comme les malédictions et les guérisons. Une faiblesse du taoïsme est de n’avoir pas réussi à engendrer un véritable réformateur, qui aurait pu adapter la religion à notre époque (24).

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Ayant choisi pour s’y établir des lieux remarquables par leur beauté naturelle, le taoïsme dispose de temples qui sont bien connus des touristes, le plus fameux étant celui de Qingchengshan, au Szechuan. On compte 118 sites réputés. Il est fort difficile de déterminer si les visiteurs s’y rendent en touristes ou en fidèles. Beaucoup de ceux qui se présentent pour un essai de vie monastique sont rejetés parce qu’ils ne recherchent en fait que la paix et la beauté du paysage. Depuis 1979, époque où les monastères furent rouverts, les temples taoïstes ne montrent pas beaucoup de rigueur dans l’accueil des aspirants, ce qui, semble-t-il, devrait être corrigé (25).

Enfin, il reste la religion comme telle, avec ses rituels complexes et son importante somme de textes. Un problème plus général est ici particulièrement sensible: celui d’un clergé vieillissant. Un taoïste doit faire ses études directement sous la conduite d’un maître, et il s’agit bien là de formation individuelle. Une grande partie de l’enseignement traditionnel n’est transmis qu’oralement, et avec la disparition des religieux et religieuses les plus âgés, le nombre diminue de ceux et celles qui peuvent encore transmettre les traditions.

Comme pour les autres religions, les différences entre sectes furent oblitérées avec la création, en 1957, de l’Association taoïste chinoise. Aujourd’hui, il y a au moins 60 regroupements taoïstes dans le pays, la plupart – quelque 90% – affiliés à la secte Quan Zhen, ou secte de la totale Pureté, qui a son quartier général à Beijing, au temple du Nuage blanc. Elle n’est pas tellement nombreuse en adhérents individuels, mais l’importance en nombre de ses associations tient au fait qu’en certains cas tel ou tel adhérent peut ériger une association dont il est éventuellement l’unique membre. Le groupe de la totale Pureté est ainsi représenté par 512 branches à travers tout le pays (26).

La préférence dont la secte jouit est bien en ligne avec l’attitude gouvernementale face à l’ensemble des religions. Cette secte en effet encourage une vie monastique studieuse et stricte. La deuxième en importance est la secte Zheng Yi, ou secte de la parfaite Unité, qui s’adonne davantage aux rites magiques. Ses prêtres ont des professions diverses et ne portent l’habit religieux que lorsque l’occasion l’exige. Son actuel Enseignant céleste, ou maître, le 64ème, Zhang Yuanxian, vit à Taipei. Il est le neveu du 63ème maître qui, fuyant les communistes en 1949, abandonna son centre de Jiangxi, sur la montagne du Dragon et du Tigre. Il serait donc facile de lancer des accusations d’anticommunisme, de superstition et d’illégalité contre cette secte de la parfaite Unité, ce que l’on ne peut faire contre la secte de la totale Pureté.

Ne doivent pas être confondues avec le taoïsme proprement dit les religions secrètes connues sous le nom de « Hui Dao Men ». Elles ont été bannies il y a une quarantaine d’années, mais on dit qu’elles refont surface ces temps-ci. Elles combinent souvent bouddhisme, taoïsme et confucianisme en une croyance promettant le salut par l’observance de règles morales sévères. Une de ces sectes, appelée Yi Guan Dao, ou « Chemin de la pénétrante Unité », jouit d’une certaine notoriété à Taiwan, où ses adeptes, entre autres choses, exploitent des restaurants végétariens « bouddhistes » ainsi que la « Evergreen Container Line ». Etant donné la nature confidentielle de l’organisation, il n’est pas possible de mesurer avec précision l’étendue de son influence en Chine continentale, mais on sait qu’elle y était active au nord, dans les années 30 et 40, dans les zones occupées par le Japon. Dans une perspective officielle, cette secte reste éminemment suspecte et illégale (27).

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2. Le bouddhisme

Le bouddhisme chinois se présente sous trois formes distinctes que l’on ne peut pas normalement traiter de façon uniforme. Dans le lointain sud-ouest, au fond de la province du Yunnan, l’école « theravada » est florissante comme religion de la minorité dai, forte d’un million de personnes. A travers la plus grande partie du pays, les bouddhistes relèvent de l’école « mahayana », tandis qu’au Tibet et en Mongolie Intérieure, la religion majoritaire est de type « vajrayana ». D’une façon générale, les bouddhistes han appartiennent à la branche « mahayana de la Terre pure », qui met l’accent sur la dévotion envers le bouddha Amitabha et le bodhisattva Avaloketisvera (Guan Yin). Les Tibétains adhèrent très largement à la secte des Bonnets jaunes, les gélougpas, formée par Tsongkapa (1357-1419). Néanmoins, les nyingmapas de la secte des Bonnets rouges, fondée aux XIème – XIIème siècles, existent toujours, mais leurs lamas se livrent à des pratiques qui, autant que du bouddhisme, relèvent de l’ancienne religion populaire autochtone ou Bompa. Comme tels, ils sont spécialement susceptibles d’être accusés de cultiver la « superstition » (28).

Chez les bouddhistes chinois han, adeptes du mahayana, il existe deux types de problèmes: les uns concernent la liberté religieuse, les autres les droits de propriété des temples. Si l’on considère la restauration, parfois luxueuse, de beaucoup de temples, on pourrait s’étonner qu’il y ait matière à se plaindre. Dans un article publié dans la revue bouddhiste « Dharmagghosa » en mai 1989, Han Peiji écrivait: « Ce n’est que pendant la période allant du « Grand bond en avant » jusqu’à la « Révolution culturelle » que quelques groupes de moines bouddhistes et taoïstes, et même quelques musulmans, élargirent progressivement le cadre de leurs activités, en permettant à leurs fidèles de mettre en place des entreprises séculières, et pas nécessairement légales, répondant à l’esprit du temps. Il y eut ainsi des « temples-écoles », des « temples-ateliers », et même des « temples-théâtres » et des « temples culturels ». Pour le moment, la forme la plus à la mode est celle du « temple touristique ». Tout ceci est contraire aux souhaits des croyants, aussi bien chez nous qu’à l’extérieur » (29).

La justesse de cette déclaration se vérifie dans la pratique en usage dans tous les grands temples: on est obligé d’acheter un ticket d’entrée, comme si l’on était un touriste. Ainsi donc, la restauration d’un temple ne signifie pas nécessairement promotion de la liberté de culte. D’ailleurs, en tant que monument historique, un temple peut voir ses activités religieuses amputées ou contrôlées. Des comptes rendus de presse parlent du scandale causé par des parents ou des écoliers qui profitent d’une excursion à des « temples culturels » pour offrir de l’encens et prier pour de bons résultats aux examens. Vraiment un cas de superstition qui souille la pureté du tourisme! Plus encore, il y a lieu de noter que le bouddhisme japonais a généreusement participé à ces restaurations, après avoir signé un « traité de paix » avec l’Association bouddhique chinoise en 1979. Sans aucun doute, des intérêts commerciaux jouent un rôle aussi important que tous les sentiments religieux dans l’approbation chinoise officielle de pareils efforts (30).

La vitalité des temples bouddhistes est souvent mesurée à l’ampleur de leur apport à la société. Dans le Zhejiang, des chiffres incomplets attestent qu’entre 1988 et 1990, les temples bouddhistes ont donné plus de 2 millions de yuan, plus de 10 000 jin de nourriture, et plus de 1 000 vêtements aux nécessiteux. Au monastère de Sorul-sku au Tibet, qui abritait quelque 3 600 moines avant 1951, ils sont encore un millier à vivre en

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toute autonomie financière, avec une imprimerie, une fabrique de produits pharmaceutiques, un hôtel, une compagnie d’autobus et d’autres entreprises… Ces orientations sont encouragées, encore que l’on se demande si cette indépendance économique et les succès remportés peuvent être séparés d’un type de liberté politique et religieuse non autorisé actuellement (31).

La démolition de l’ensemble – mis à part quelques uns – des 6 254 monastères et temples du Tibet a été l’objet de nombreuses relations. On a moins parlé de la destruction systématique des lamaseries dans la province de Mongolie. Le Tibet est encore zone d’occupation militaire, bien qu’il ne soit plus sous la loi martiale. L’identité religieuse de la Mongolie a été détruite par l’invasion de la région, et surtout des villes, par une foule d’immigrants han. Dans les deux cas, c’est tout un style de vie qui a été complètement balayé (32). Selon la version officielle, le Tibet a été libéré pacifiquement, et tout y est bien. Derrière cette rhétorique, il y a des histoires telles que celle de Gyulo Zlabastertshering, un Bouddha vivant, sexagénaire, du monastère de Gandan. Condamné à la détention à perpétuité en 1959, il fut relâché par grâce spéciale en 1979, mais réarrêté et condamné à nouveau, pour 10 ans cette fois, en janvier 1989, prétendument pour des « activités contre-révolutionnaires » (33).

Jusqu’en 1989, le gouvernement jouissait d’un solide atout avec le soutien que lui donnait le 10ème Panchen-lama; celui-ci se comportait comme le catalyseur d’un lamaïsme « patriotique », et s’opposait aux « infiltrations » du Dalai-lama et de ses alliés occidentaux. Le décès du 10ème Panchen-lama a laissé un vide qui n’a pas encore été comblé. Il semble que les autorités de Beijing ne parviennent pas à découvrir sa réincarnation. Le 10ème Panchen-lama avait reçu du Parti de grands honneurs, qui s’étaient traduits en de généreuses récompenses matérielles, comme la reconstruction de temples tibétains aux frais du Parti. Il était considéré comme un grand patriote. Pourtant, on ne peut pas ne pas avoir l’impression que ces égards s’adressaient moins à l’incarnation du Bouddha Amitabha – tel était son statut religieux -, qu’à l’homme qui avait refusé de suivre le Dalaï-lama. La considération est allée au politicien plus qu’au saint (34).

3. L’islam

Les estimations concernant le nombre des musulmans en Chine varient à l’extrême. La raison de cette imprécision réside dans les diverses méthodes de calcul que l’on emploie.

Une première estimation est obtenue en additionnant les effectifs des populations des minorités nationales qui sont musulmanes dans leur ensemble ou dans leur grande majorité. D’après les chiffres officiels des recensements, il y avait 8 millions de musulmans en 1953, soit 1,37% de la population chinoise. En 1964, il y en avait 9 millions, soit 1,34% et en 1982, quelque 14,6 millions ou 1,45%. L’augmentation constatée provient, en grande partie, du taux de naissances plus élevé chez eux que chez les Han. Cette augmentation s’est maintenue dans les chiffres de 1990, ainsi que le montre la liste qui suit. Les minorités musulmanes comprennent 8 602 978 Hui sinisés, 7 214 431 Ouïgours d’origine turque, 1 111 718 Kazakhs, 373 872 Dongxiangs, 141 549 Kirghiz, 87 697 Salars, 12 212 Bao’an, 14 502 Ouzbeks, 4 873 Tatars et 33 538 Tadjiks d’origine iranienne. Ce qui donne au total 17 597 370: le taux de croissance se trouve à peu près chez eux à mi-chemin entre les 10,8% des Han et les 35,5% des minorités dans leur ensemble (35).

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On peut aussi calculer le nombre des musulmans sur la base de leur présence aux offices religieux: on aboutit alors à des chiffres beaucoup plus réduits.

La situation générale d’un clergé vieillissant, et, chez les jeunes, la forte baisse de connaissance du Coran sont illustrées par le cas de Chifeng, une ville de Mongolie Intérieure. Chifeng a plus de 20 000 habitants relevant de l’ethnie hui. Sur l’ensemble des 12 subdivisions de la cité, on compte 25 mosquées, mais seulement 18 imams, dont l’âge moyen est au-dessus de 65 ans. Le 1er mars 1990, l’Association islamique de la ville mit en place des sessions d’étude destinées à former de nouveaux imams. En tout, 34 étudiants s’inscrivirent pour les 3 années de cours. Bien que cette formation soit gratuite, le nombre d’étudiants fut fort peu élevé, et l’on peut en déduire que la jeunesse est en train de perdre – ou a déjà perdu – le contact avec sa foi. Pourtant, même quand les croyances s’estompent, les habitudes alimentaires restent inchangées, et sont maintenues par un vaste réseau de restaurants musulmans d’un bout à l’autre de la Chine (36).

Les relations avec des pays musulmans étrangers expliquent en partie certains encouragements officiels donnés à l’islam. En juillet 1990 s’est ouvert, dans la rue la plus commerçante de Beijing, un grand magasin islamique, dont le personnel a été formé pour accueillir les clients par le salut musulman. L’antique mosquée de la rue du Boeuf, au centre de Beijing, a été restaurée en 1988-89, tandis qu’on était en plein travail aussi à la mosquée principale de Xi’an. De même, l’interdiction d’un livre, considéré comme sacrilège par les musulmans, eut lieu au moment où Beijing était soucieux de sauvegarder de bonnes relations avec l’Iran. Quelle influence pourra avoir cet habillage de façade sur la pratique de l’islam reste encore à voir (37).

Sans entrer dans une étude exhaustive de l’islam en Chine, il peut être intéressant d’attirer l’attention sur certaines particularités qui posent problème à la politique religieuse du régime. Les musulmans chinois sont sunnites à une écrasante majorité, mais l’interprétation de leur croyance fondamentale peut revêtir des formes multiples (38).

Les Tadjiks ont une organisation très peu structurée, avec un petit nombre de mosquées et peu d’activités religieuses. Ils ne pratiquent pas le jeûne et ne se tournent pas vers La Mecque: ils se trouvent ainsi fort près de représenter l’idéal constitutionnel d’une foi purement subjective dégagée de toute pratique. Les Kazakhs vont aussi dans le même sens, la religion se trouvant chez eux confinée à la famille. Ce type de foi s’explique, au moins partiellement, par le style de vie nomade de ces populations.

L’ancien islam avait une structure probablement proche du modèle proposé par l’Association des musulmans chinois. Par exemple, c’est la mosquée qui est au centre de la vie religieuse. Elle a ses enseignants et ses dirigeants et n’a que des liens assez lâches avec les autres mosquées. Ici, la religion peut être standardisée, et sa pratique réglée selon les normes reçues du pouvoir central. On peut remarquer en ce cas un parallèle avec la préférence accordée à la secte de la totale Pureté du taoïsme. Cela se présente donc dans la ligne d’un Etat qui souhaite, par exemple, renforcer de manière uniforme les coutumes traditionnelles liées au mariage et à la naissance. Ainsi, les livres islamiques sont utilisés pour justifier le contrôle des naissances et l’avortement. Option qui a eu un succès spécial chez les femmes hui, où le nombre d’enfants par mère est tombé d’une moyenne de 7,33 en 1964 à celle de 2,40 en 1983 (39).

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Cependant, beaucoup de populations minoritaires se sont ralliées au soufisme mystique,

où le chef religieux, ou mystique, est supposé être un saint sur la terre. Pour faire un pèlerinage, il n’est nul besoin d’aller à La Mecque: il suffit de se rendre auprès du chef spirituel. Cela pourrait impliquer fanatisme et obéissance aveugle. Les Salars se sont inféodés à une secte de ce genre, appelée « Jahriyya » ou « rappel vocal » du nom de Dieu. Ils considèrent le martyre comme une valeur en soi, et leur secte s’est développée au point de devenir la plus importante de la Chine du nord-ouest. Les Bao’an, eux, se répartissent surtout entre deux sectes, une qui s’appuie sur la force militaire, et l’autre sur des activités secrètes. La méfiance de Beijing vis-à-vis de ces mouvements n’est pas du tout une nouveauté. Zou Zongdang, qui prit la tête de l’armée impériale contre les rebelles musulmans en 1876-77, comparait ces nouvelles écoles du soufisme au réseau des société secrètes en Chine, et préconisait leur suppression (40).

La secte soufi des Ouïgours, qui rayonne autour de Kashgar, est un exemple de cette sorte d’organisation religieuse qui inquiète les dirigeants chinois. Leur saint homme résidait à Kashgar, et avait quelque 200 000 partisans en 1949. Ils étaient secrets et stricts. De toutes les sectes islamiques, elle était la seule à organiser des séances de guérison. Les Ouïgours étaient aussi les seuls en Chine à avoir des tribunaux islamiques, ce qui conférait à la religion un pouvoir politique important. Qu’en reste-t-il aujourd’hui? On n’en sait trop rien. Mais le fait est qu’il y a eu un incident à Baren, dans la région de Kashgar, les 5 et 6 avril 1990. L’information à ce sujet a été rapidement étouffée. Ont suivi de longues diatribes contre l’utilisation de la religion comme paravent par des mouvements antichinois favorables à l’indépendance. Ce qui laisse supposer que, s’il avait toute liberté d’action, l’islam pourrait représenter un important foyer de mécontentement. « Amnesty International » a parlé de 6 000 arrestations, en relation avec ledit incident, au cours du premier semestre de 1990 (41).

Cet incident survint à l’occasion de la construction d’une mosquée à Kizlesu, dans la région autonome de Kirghizie. Il y eut des émeutes à propos du projet à Kashgar, à Khotan et en d’autres villes. Certains parmi les manifestants auraient réclamé l’indépendance du « Turkestan Oriental », une appellation qui fait écho à plusieurs tentatives de former des royaumes indépendants dans cette région de Kashgar au XIXème siècle et dans les premières années du XXème. Les Kirghiz étaient très nombreux dans ces mouvements. La seule référence spécifique officielle à l’incident est la mention que la police a fait usage de l’ouïgour autant que du chinois pour s’entretenir avec les manifestants. Cela ne signifie pas nécessairement que le peuple ouïgour comme tel était impliqué dans l’affaire, l’ouïgour étant utilisé comme « lingua franca » par toutes les populations minoritaires de la région.

4. Le protestantisme

Les trois principes de l’autodétermination, de l’autofinancement et de l’autodiffusion paraissent devoir pleinement s’accorder avec l’idéologie protestante. Le président du Mouvement protestant des Trois autonomies, l’évêque Ding, a été, de façon éminente, un élément de propagande en faveur du régime de Beijing. Et pourtant, après des décennies d’unité sous la férule de Ding, il apparaît que l’on a temporisé avec beaucoup de problèmes au lieu de les résoudre comme il aurait fallu.

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Ding lui-même n’est pas un inconditionnel du gouvernement central. Dans une allocution prononcée lors d’une réunion avec Jiang Zemin le 30 janvier 1991, il marqua la différence entre la politique religieuse, supposée « bonne », du premier ministre Zhou Enlai et la « mauvaise », copiée sur le modèle russe. « En ce qui concerne le système religieux en Chine aujourd’hui, je crois qu’il lui faut encore prendre ses distances avec celui de la Russie de Staline, Khrouchtchev et Brejnev, pour que soient mises bien en relief ses caractéristiques chinoises ». Aussi longtemps que les organisations religieuses soutiennent le programme commun, et se comportent de façon patriotique et démocratique, on devrait les laisser tranquilles. Néanmoins, Ding prétend qu’il y a des gens qui font usage de mesures administratives pour restreindre la religion, et qui mettent en oeuvre la supervision ordinaire, non pas pour enrayer les « infiltration ennemies » et les « activités illégales », mais pour réprimer des groupes respectueux de la loi. La conséquence en est que ces groupes deviennent clandestins et que le Parti perd de sa crédibilité (42).

Ce type de comportement se manifeste le plus souvent dans les affaires relatives à la récupération des propriétés d’Eglise. Un seul exemple suffira: dans la ville de Changshu, dans la province du Jiangsu, l’armée avait occupé des biens d’Eglise. Bien que les troupes les aient maintenant quittés, ils sont toujours occupés par trois unités de travail et 20 personnes privées, et sont utilisés comme ateliers, boutiques et appartements. Les requêtes adressées à l’armée pour qu’elle évacue l’endroit et en fasse partir les occupants actuels sont tout simplement restées sans suite. Souvent, ces affaires-là n’en finissent pas parce que personne ne tient à assumer la responsabilité de la décision à prendre (43).

Si les renseignements sur l’état actuel des sectes islamiques en Chine sont difficiles à obtenir, ceux qui se rapportent à la situation des sectes protestantes deviennent de plus en plus faciles à connaître. L’Eglise du « Vrai Jésus » dit adhérer à la politique des « Quatre autonomies »; elle avait été fondée à Beijing en 1917. Elle ne se gêne pas le moins du monde pour poursuivre ses objectifs propres, même aux dépens d’autres groupes qui font partie du Mouvement des Trois autonomies. Par exemple, à Liling, dans le Hunan, il y avait deux églises. Celle du sud de la ville appartenait au « Vrai Jésus » et comptait environ un milllier d’adeptes en 1949; l’autre, au nord de la ville, propriété autrefois d’une Eglise méthodiste américaine, en avait quelque 300 à la même époque. Aujourd’hui, cette dernière ne compte plus qu’une quarantaine de personnes. Par contre, le « Vrai Jésus » dispose maintenant de quatre églises, de sept lieux de réunion officiels et de trois autres occasionnels. La communauté compte plus de 2 000 membres (44).

Plus inquiétant pour le gouvernement est le cas des sectes charismatiques extrémistes telles que « Reconnaissance par le repentir », appelée aussi « Eglise totale », ou « Justification par la foi » connue aussi sous le nom de secte des « Hurleurs ». La première insiste sur le repentir jusqu’aux pleurs, et ceux de ses membres qui sont arrêtés se refusent à décliner leur identité mais disent seulement: « Dieu! Seigneur! » La seconde a cessé maintenant de hurler, semble-t-il, et bien que déclarée illégale en 1982, est jugée comme se trouvant à nouveau dans la légalité. Elle est donc tolérée (45). C’est précisement en raison de ce découpage en sectes que le gouvernement est porté à cataloguer les pratiques religieuses en orthodoxes et non orthodoxes. Les « Hurleurs », notamment, refusent de bâtir des églises, et célèbrent tous leurs offices dans des maisons particulières. Cela rend la surveillance difficile, d’où une certaine méfiance de la part des autorités. Celles-ci, en condamnant des sectes pour non-orthodoxie, se rangent, aux yeux de certains croyants, au niveau de simples exécutants policiers.

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Une des raisons de la prolifération de tels groupes est la carence de certaines formations théologiques. Bien plus, l’intérêt n’y est pas axé sur l’étude de la théologie, mais sur la guérison, l’exorcisme, et une interprétation littérale de la Bible. Même dans une grande ville comme Shanghai, certaines familles assurent avoir été délivrées des démons et des esprits en invoquant le nom de Jésus. L’enquête du Dr Hunter signale cinq caractéristiques de la chrétienté protestante chinoise: 1() plus de femmes que d’hommes; 2() plus de gens âgés de plus de 60 ans que de jeunes; 3() plus de croyants d’éducation médiocre que de haut niveau; 4() plus de convertis par guérisons que par d’autres voies; 5() désintérêt à l’égard de la politique.

Le Dr Hunter commente ces traits en disant que cette sorte de christianisme s’est substituée, en certains cas, à une religiosité latente dans la population chinoise. Jésus a donc là remplacé Guanyin, mais l’articulation de la foi n’en a pas été fondamentalement modifiée. Il note également sa déception d’avoir découvert dogmatisme et intolérance. Le sentiment existe en effet dans certains milieux (chrétiens) qu’il faut éliminer le bouddhisme. Cependant, on ne rencontre pas généralement d’opposition au Parti communiste (46).

Le résultat de ce type de christianisme est que, tandis que le Parti annonce son soutien à toute « religion » ayant des Ecritures, une doctrine et une organisation, et par là favorise le christianisme, un certain nombre de pratiques mises en avant par des chrétiens se trouvent proches de celles qui sont condamnées comme « superstitieuses ». Quand celles-ci semblent attirer trop l’attention, les autorités sont susceptibles d’intervenir. Liu Qinglin, de Zaantum, en Mongolie Intérieure, faiseur de miracles « inculte », et évangéliste autoproclamé, fut emprisonné à sept reprises, puis condamné aux travaux forcés le 14 juillet 1989, pour avoir, sans autorisation, opéré des guérisons par des pratiques superstitieuses. Commentant ce cas quelque temps auparavant, l’évêque Ding avait affirmé qu’un autodidacte devait, lui aussi, pouvoir être admis à prêcher (47).

5. Le catholicisme

Contrairement aux quatre autres religions reconnues en Chine par l’Etat, l’Eglise catholique n’est pas divisée en sectes, si l’on met à part le petit nombre de croyants orthodoxes russes. Cela ne veut pas dire que l’Eglise catholique présente une façade uniforme. Les observateurs considèrent souvent l’Eglise catholique d’après les relations que ses fidèles entretiennent avec l’autorité tant religieuse que civile. Il n’est pas douteux que l’acceptation, par des catholiques, de la primauté de Pierre, les place dans un rapport particulier avec une structure d’autorité qui dépasse les frontières chinoises, et cela a occasionné non seulement des tensions, mais aussi des persécutions. D’ailleurs, la situation à cet égard n’est pas encore résolue.

Deux incidents peuvent illustrer la tension latente dans les relations Eglise-Etat. Celui de Youtong est survenu à propos d’un problème très courant de restitution à l’Eglise de ses propriétés. Youtong est un village situé à une trentaine de kilomètres de Shijiazhuang, le chef-lieu de la province du Hebei. Il y a 1 700 catholiques, soit à peu près la moitié de la population. Depuis plusieurs années, ils avaient demandé de pouvoir récupérer les biens qui avaient autrefois appartenu à l’Eglise, et demandé un permis de reconstruire, sans jamais recevoir de réponse. Le 17 mars 1989, pour célébrer les offices

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de Pâques, ils érigèrent, en dépit de l’opposition de l’administration locale, une structure provisoire. Le 18 avril suivant, vers huit heures du matin, le village fut encerclé par 5 000 soldats équipés de 270 véhicules de l’armée. Les officiers qui les commandaient ordonnèrent la destruction de l’édifice temporaire et la reddition du prêtre et des dirigeants laïcs. Les catholiques refusèrent et formèrent une chaîne humaine pour empêcher que leur « église » soit détruite. Vers quatre heures de l’après-midi, la police chargea les rangs des catholiques non armés, frappant tous ceux qui se trouvaient sur leur chemin, jeunes et vieux, valides ou handicapés. Deux heures plus tard, elle se retira, laissant sur le terrain deux morts, 88 personnes grièvement blessées, et 236 autres portant des blessures ou des lésions moins sérieuses. Il y eut 32 arrestations. Les hôpitaux de la région avaient reçu défense de soigner les blessés. Le 21 octobre, le prêtre, le P. Pei Zhenping fut arrêté, et deux jours plus tard, deux de ses assistants laïcs subirent le même sort (48).

Au début de l’année 1991, on annonça que les autorités de Youtong avaient promis de rendre aux catholiques cinq des treize acres que leur Eglise possédait autrefois, et aussi de leur donner 150 000 yuan pour leur permettre de construire une église pouvant accueillir 1 600 personnes (49).

Le second événement notable est la fondation, le 21 novembre 1989, de la Conférence épiscopale chinoise, au village de Zhangyi, dans la province du Shaanxi. Cet organe non officiel marquait sa volonté de reconnaître la primauté de Pierre et sa communion avec l’Eglise universelle. Mgr Fan Xueyan, de Baoding, en fut élu président, avec, comme présidents honoraires NN. SS. Tang Yeeming, s.j., de Canton, et le cardinal Gong Pinmei, de Shanghai; aucune de ces deux personnalités ne réside actuellement en Chine. Mgr Liu Guandong de Yixian fut nommé président du Conseil permanent: ce fut lui qui fut le premier à être arrêté, le 26 novembre, et condamné à trois ans de réforme par le travail le 21 mai 1990. Huit autres évêques, plusieurs prêtres, des diacres et des laïcs furent aussi appréhendés (50).

Les observateurs de l’Eglise de Chine essayent de se faire une idée du climat actuel en se fondant sur la plus ou moins grande tolérance laissée aux catholiques ouvertement loyaux envers Rome. L’entreprise est assez compréhensible, mais plutôt malaisée. Il existe beaucoup de variantes régionales dans l’application et l’interprétation de la loi. D’autre part, des déclarations que l’on met dans la bouche de certains peuvent leur être attribuées pour des motifs de propagande, ou peuvent effectivement avoir été faites en des circonstances telles que l’orateur n’était pas en mesure de s’exprimer librement.

Ce qui est clair, c’est que les catholiques n’ont, en tant que tels, aucun conflit avec le régime de Beijing. Leur problème comporte deux volets; d’un côté, s’assurer une liberté suffisante pour pratiquer et propager leur foi, et de l’autre, obtenir la reconnaissance de la doctrine de la primauté papale comme élément essentiel de cette foi. Précisément parce que celle-ci ne se présente pas sous la forme d’une dichotomie entre croyance subjective et pratique objective, mais comme une incarnation de la foi dans le monde matériel, elle est fatalement vouée à entrer en conflit avec la loi telle qu’elle existe actuellement.

Le nombre des catholiques a pour le moins doublé depuis l’instauration de la République populaire, et cela malgré une intense persécution. De nombreux non

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chrétiens montrent de l’intérêt à leur égard. La messe de minuit de Noël, tout particulièrement, est très populaire, et beaucoup sont attirés par l’atmosphère mystique de la liturgie tridentine. Malgré tout, il n’est pas tellement facile d’entrer de plain-pied dans une communauté d’Eglise comme telle. La messe est en latin, bien qu’en certaines zones rurales on utilise des missels chinois venus de Taiwan en contrebande, et que l’Eglise envisage officiellement de traduire les textes de la messe. Les cérémonies restent incompréhensibles pour la majorité des jeunes qui n’ont pas été élevés dans un environnement religieux. Souvent l’Association patriotique se méfie et interroge les participants qui ne semblent pas être très au courant de la façon dont se passent les célébrations. Certes, des cours sont donnés, mais il n’est pas tellement facile d’y aller et de les suivre jusqu’au bout. Manque de livres, vieillissement du clergé, petit nombre d’églises ouvertes, contrôle des sermons: autant d’éléments qui font obstacle à la diffusion de la foi.

Que l’Eglise non seulement survive, mais grandisse, est un signe de sa vitalité. En des circonstances normales, pareille vitalité devrait s’exprimer sous forme de créations théologiques, pastorales, liturgiques et sociales. C’est tout cela qui est empêché de croître pour le moment en Chine; aussi longtemps qu’il en sera ainsi, même s’il ne se produit pas de nouvelles arrestations et détentions, l’Eglise catholique ne pourra pas être considérée comme totalement libre. Finalement, cette absence de véritable liberté crée un environnement qui favorise les conflits internes. Ceux-ci aboutissent, au pire, au durcissement des positions, à l’intransigeance, à l’extrémisme et, au mieux, à une certaine confusion parmi les simples fidèles concernant leur participation aux offices religieux.

CONCLUSION

La conception de la religion comme une vision essentiellement intérieure, et seulement en second lieu une pratique, est à la racine de la politique religieuse actuelle. Il y a tolérance, et même encouragement, pour celles des organisations religieuses qui acceptent volontiers de telles contraintes, c’est-à-dire, qui acceptent volontiers de limiter leurs activités à des champs d’action bien définis. Sur le front domestique, des efforts sont faits pour éliminer les groupes qui ont tendance à suivre des chemins non autorisés ou non permissibles. Sur le front international, un oeil inquiet est gardé sur les « infiltrations » qu’il s’agisse du Dalaï-lama, du pape, de l’Enseignant céleste du taoïsme à Taipei, des fondamentalistes chiites ou des protestants sud-coréens. La religion doit rester une affaire privée, et ne peut être autorisée à exercer une influence sur la société, ni à l’intérieur, ni à l’extérieur.

Malgré tout cela, la religion n’est pas morte. Peut-être maintenant, plus que jamais dans le passé récent de la Chine, elle pose une question d’importance au peuple chinois. Et qui plus est, il n’est pas exagéré de prétendre que le défi vient en fait du seul christianisme. Pour le Chinois han moyen, l’islam n’est que la religion d’une minorité de la population. Le bouddhisme est la religion à la fois des minorités et des analphabètes. Le taoïsme est, lui aussi, discrédité car, si ses prêtres peuvent être appelés pour des

Dossiers et documents N°10/91 – Eglises d’Asie N°121 – 16 novembre 1991

funérailles, ils le sont surtout pour que l’on soit sûr que les cérémonies sont correctement effectuées. Il n’est guère probable qu’un jeune Chinois élevé dans un environnement athée puisse se tourner vers aucune de ces croyances-là pour tenter d’y trouver une vision nouvelle de la vie. Il est plus probable qu’il tombe dans l’obsession de faire de l’argent.

Le christianisme, quant à lui, ne peut pas être relégué au rang de religion minoritaire ou simplement d’opium du pauvre. Il est vivant, grandit au coeur des villes chinoises et attire l’attention, sinon la conversion, d’une génération en recherche de quelque chose en quoi elle puisse croire. C’est en ce sens-là que le christianisme pose une question d’importance au peuple han. Les sociologues qui s’intéressent aux religions prennent le christianisme comme religion-type. Les intellectuels se sentent obligés de le reconnaître, même s’ils lui sont opposés, ou si, sans être hostiles, ils sont peu enclins à l’adopter comme foi. Ainsi donc, sous le couvert des p