Eglises d'Asie

1997 – L’EGLISE EN DANGER ?

Publié le 18/03/2010




Au loin, la vieille horloge du “Star Ferry” sonne les douze coups de minuit. C’est le début d’un jour nouveau: c’est aussi la fin d’une époque. Les visages se lèvent, solennels, vers le ciel noir, tandis que le soldat de la garde royale amène, pour la dernière fois à Hongkong, le drapeau britannique. Il le replie avec soin, avant de le remettre à l’ancien gouverneur du Territoire. Il salue.

La foule reste debout, silencieuse, alors qu’un autre drapeau, à son tour, est hissé. Rouge sang, il ondule dans la chaude brise nocturne. Le grand jour est arrivé. La Chine va recevoir sa récompense.

Cette nuit est encore loin: six ans. Mais les habitants de Hongkong sont déjà aux prises avec les complications de la passation des pouvoirs. Le “grand frère” a bien promis que, pendant les cinquante ans qui suivront, après le 1er juillet 1997, son retour sous l’autorité de Pékin, la ville pourra continuer de vivre au rythme tumultueux qu’elle connaît actuellement. Beaucoup, cependant, sur la péninsule rocheuse, ne peuvent s’empêcher de ressentir comme indiscrète l’influence de Pékin: influence qui prend d’ores et déjà des allures de domination.

Mais c’est l’Eglise qui apparaît la plus nerveuse à la pensée qu’un jour le drapeau chinois doit flotter sur ce territoire britannique. Les récits déchirants des événements qui ont accompagné la révolution culturelle chinoise (1966-1976) sont encore dans toutes les mémoires. A l’époque, les Gardes rouges, fanatiques de Mao Zedong, avaient envoyé à la mort des millions de chrétiens et d’autres citoyens chinois. L’avenir des 510 000 chrétiens de Hongkong reste bien inquiétant.

Selon des leaders comme le Rév. Kwok Nai Wang, directeur de l’Institut chrétien de Hongkong et ancien secrétaire général du Conseil chrétien de Hongkong, la perspective de 1997 provoque une espèce de dépression en de nombreux milieux d’Eglise. “Voici 26 ans que je travaille au service de l’Eglise à Hongkong: le moral a été rarement aussi bas”, dit Kwok.

Hémorragie nationale: les chrétiens montrent la voie

La suppression brutale, en juin 1989, du mouvement démocratique de la place Tiananmen a sérieusement entamé la foi que les habitants de Hongkong pouvaient prêter à la promesse faite par les Chinois, qu’ils respecteraient les libertés fondamentales et les droits de l’homme dans la future “Région administrative spéciale” (RAS). De source gouvernementale, on estime que d’ici à 1997, 10% des 5,7 millions d’habitants du territoire auront quitté celui-ci ou se seront procuré un passeport étranger.

De nombreux membres du clergé et des leaders chrétiens se sont joints à l’exode et ont déjà commencé une vie nouvelle à San Francisco, Vancouver ou Sydney (1). D’après des statistiques inédites compilées il y a peu de temps par les principales Eglises, parmi les 65 000 émigrants qui, en 1990, ont quitté Hongkong ou obtenu un passeport étranger, environ 30% étaient des chrétiens. Un chiffre inquiétant si l’on considère que catholiques et protestants réunis ne forment que 8% de la population du territoire.

L’Eglise catholique de Hongkong a récemment fait une enquête sur deux paroisses où la population est de classe moyenne. 40% des personnes interrogées avaient déjà obtenu une nationalité étrangère ou comptaient bien le faire avant 1997. “Même dans une paroisse en milieu ouvrier, dit M. Peter Cheung Ka-hing, directeur de l’Institut catholique pour la religion et la société, 25% des paroissiens avouent leur désir de partir. La peur est grande, la confiance manque et il reste beaucoup de travail à faire si l’on veut parvenir à une entente (entre la Chine et les chrétiens de Hongkong)”.

Les responsables de l’Eglise s’empressent de faire remarquer que les chrétiens de Hongkong appartiennent, pour la plupart, aux classes moyenne et supérieure. Ils ont donc davantage de possibilités d’émigration, par rapport aux couches économiquement inférieures. Les statistiques n’en montrent pas moins la peur réelle des chrétiens de Hongkong.

Qu’entend-on par “liberté religieuse” ?

Parmi les sources d’inquiétude des chrétiens de Hongkong, l’une des plus importantes est la différence existant entre Pékin et Hongkong sur la manière de comprendre la notion de “liberté religieuse”.

Selon le Dr Philémon Choi, directeur d’une organisation proche de l’Eglise, par “liberté religieuse”, “la Chine entend la liberté de pratiquer sa religion à l’intérieur de l’église et de participer aux activités du Bureau des Affaires religieuse. A Hongkong, notre définition de la liberté religieuse est bien différente et celle-ci ne s’arrête pas aux quatre murs de l’église”.

Cette diffférence dans la manière de fixer les limites de la liberté religieuse risque d’être une source de graves ennuis pour l’Eglise après 1997. Les articles 32 et 33 de la Loi fondamentale (2) garantissent la liberté de croire, la liberté de prêcher et de se livrer à des activités religieuses publiques, ainsi que la liberté de conscience. Mais certains responsables, comme le pasteur Kwok, de l’Institut chrétien de Hongkong, sont d’avis que ces lois sont formulées de manière trop vague et générale.

“Qu’en sera-t-il de l’Eglise dans son rôle de conscience de la société?”, demande le Rév. Kwok. “C’est là où les ennuis vont commencer. Je pense que ni Pékin, ni le gouvernement de la future Région administrative spéciale, ne seront prêts à accepter cette fonction de l’Eglise”.

En 1984, un séminaire sur la préparation de 1997 avait réuni à Pékin des officiels du Bureau des Affaires religieuses et des leaders chrétiens de Hongkong. Les autorités chinoises assurèrent qu’on n’établirait, à Hongkong, ni une Eglise protestante ou catholique d’Etat, ni un Bureau des Affaires religieuses.

“Ils ont affirmé qu’il n’était pas question d’imposer (à Hongkong) une Eglise de style patriotique. Et je les crois”, dit M. Choi. “En même temps, il est évident que depuis plusieurs années, (les Chinois) font sentir leur présence à Hongkong: par des visites fréquentes et par des enquêtes détaillées sur ce qui se passe à l’intérieur de l’Eglise de Hongkong”, dit-il.

Le gouvernement chinois lui a promis que l’Eglise n’aurait rien à craindre après 1997, pourvu qu’elle se soumette aux lois du territoire. Cependant, les différences augmentent entre ce que les uns et les autres considèrent comme activités religieuses “légitimes”: la zone dangereuse n’en fait que s’accroître.

Les responsables chrétiens de Hongkong sont pratiquement tous d’accord pour dire que, sous le régime “Un pays deux systèmes”, il y a peu de chances pour que le gouvernement de la RAS exerce des pressions directes sur l’Eglise. “Je ne mets pas en doute l’intention de la Chine de maintenir à Hongkong sa prospérité actuelle, dit M. Choi… Et cela inclut le respect de son mode de vie actuel, y compris la vie religieuse”.

Des pressions subtiles

Choi et Kwok n’en expriment pas moins tous les deux leur inquiétude au sujet des subtiles pressions et des contrôles qui pourront être appliqués dans le but de mettre en oeuvre la politique de la RAS.

“Je vois d’ici les diverses manières, discrètes, de mettre l’Eglise en garde”, dit Choi “… ou bien (le gouvernement de la future RAS) utilisera des moyens pour faire en sorte qu’on n’aille pas plus loin que prévu”.

Il existe un certain nombre de domaines où l’Eglise pourrait faire l’objet de pressions de la part du gouvernement de la RAS. La plupart des Eglises ont beaucoup de mal, par exemple, à acquérir du terrain pour bâtir des lieux de culte. Un bon nombre utilisent des salles de réunion publiques, des locaux scolaires ou des maisons privées.

Si les règles pour la prévention des incendies étaient strictement appliquées, la plupart de ces groupes pourraient, en principe, être expulsés de leurs lieux de réunion et obligés de se mettre à la recherche d’autres endroits plus acceptables: ce qui ne ferait que multiplier leurs difficultés. Pour cela le gouvernement de la RAS n’aurait pas besoin d’introduire une législation nouvelle.

Les écoles chrétiennes de Hongkong, qui sont actuellement subventionnées par le gouvernement colonial, pourraient, elles aussi, être menacées par le passage de 1997. L’article 141 de la Loi fondamentale garantit le droit pour ces écoles de continuer à travailler et les autorités ont affirmé leur volonté de ne pas intervenir dans les programmes de formation chrétienne…

Les écoles chrétiennes subventionnées par l’Etat comptent pour environ 50% des institutions primaires et secondaires du territoire. Elles sont bien gérées financièrement et leurs résultats scolaires sont la plupart du temps supérieurs à ceux des écoles publiques.

Pékin n’a pas promis de continuer à subventionner ces écoles après 1997. “Je ne vois rien, en Chine continentale, qui ressemble à un système de subvention… et (si les aides financières sont supprimées) l’Eglise ne pourra pas faire marcher les écoles actuellement existantes”, dit le pasteur Kwok. Il précise: “Je ne dis pas que cela se produira – en fait le gouvernement de la RAS fera bien attention à ne déranger les choses que le moins possible -mais il y aura certainement un contrôle. Le document relatif à l’attitude du gouvernement de la RAS vis-à-vis des écoles chrétiennes est formulé de manière fort imprécise. Il peut être interprété de différentes façons, selon qui le lit”.

Beaucoup de leaders chrétiens de Hongkong sont inquiets aussi devant le raidissement de la politique religieuse chinoise et la persécution contre les Eglises non enregistrées, à la suite du coup d’Etat manqué en Russie au mois d’août 1991.

“Des documents (officiels chinois) montrent clairement à quel point la Chine est persuadée que l’Occident essaie, par le truchement de la religion et de l’éducation, de provoquer des changements pacifiques dans le pays”, dit le Rév. Kwok, qui ajoute: “De toute évidence, les autorités chinoises considèrent l’Eglise comme agent de changement”. Il faudra voir si, après 1997, Pékin s’attaque aux mêmes secteurs de la société de Hongkong.

Protéger les droits de l’homme

Des groupes de recherche religieuse comme l’Institut chrétien de Hongkong maintiennent que le plus grand besoin auquel l’Eglise et la population de Hongkong doivent faire face, dans leur marche vers 1997, est l’établissement de la démocratie. “On ne peut lutter uniquement pour la liberté religieuse”, dit le Rév. Kwok. “Si l’on désire protéger de manière efficace les droits de l’homme, il faut élargir notre secteur d’intérêt”.

Là aussi, Pékin fait sentir sa présence. A la mi-septembre 1991, lors des premières élections directes pour le Conseil législatif de Hongkong, les candidats libéraux ont obtenu tous les sièges brigués. Dès la publication des résultats, le gouvernement de Pékin accusait de “subversion” M. Martin Lee, le leader de l’opposition libérale et faisait savoir sans ambiguïté son opposition à ce que de tels politiciens soient inclus dans le Conseil exécutif (Exco). En dépit de leur victoire retentissante, le gouverneur, Sir David Wilson, n’a appelé aucun des libéraux nouvellement élus à sièger au Conseil exécutif.

Dans ces décisions, certains croient voir à quel point la Chine s’est déjà incrustée à l’intérieur du système: les six années à venir seront cruciales pour l’Eglise de Hongkong.

“Nous devons être conscients du contrôle de plus en plus strict, mais toujours subtil, du gouvernement qui veut nous empêcher de dépasser certaines limites”, dit M. Choi. Quelles sont ces limites? “Nous cherchons encore à les connaître”, conclut-il.