Eglises d'Asie

LA BOMBE A RETARDEMENT DU XINJIANG

Publié le 18/03/2010




Il devient rapidement évident que, dans la région autonome ouïgour du Xinjiang, tout est différent. Le long des rues d’Urumqi, beaucoup d’enseignes sont en écriture arabe plutôt qu’en caractères chinois. Les appels à la prière provenant des mosquées qui parsèment les villes de la région ont tendance à couvrir les mélopées des prières bouddhistes. La tension entre les Chinois “han” qui détiennent le pouvoir politique et les Ouïgours musulmans, plus nombreux, est perceptible au plus ordinaire des voyageurs.

Ces déchirures du tissu social datent de plus d’un millénaire. La loi de Pékin n’a que peu de pouvoir dans ce territoire montagneux, isolé depuis longtemps, et ces déserts où les anciennes caravanes de la Route de la soie avaient l’habitude de passer. Alors que réformistes et conservateurs sont engagés à Pékin dans une lutte dont l’enjeu est l’avenir de la Chine, d’autres forces puissantes sont à l’oeuvre dans cette région du nord-ouest.

Depuis longtemps, la région pose problème au gouvernement central. Mais aujourd’hui, des circonstances nouvelles s’ajoutent au mélange explosif de la culture et de la religion. Il ne fait plus aucun doute que les habitants du Xinjiang regardent avec envie l’indépendance nouvellement acquise par leurs frères de race de l’autre côté de la frontière dans les Etats de l’ex-Union soviétique.

Ce facteur est devenu évident, le 5 février 1992, avec l’explosion d’une bombe à retardement dans un parking d’Urumqi (1), faisant 6 morts et 20 blessés. Ce n’était pas la première fois que les tensions interethniques provoquaient la violence, mais cette fois l’incident a fait prendre un tournant important à la politique des autorités régionales. Le chef du gouvernement du Xinjiang, Tomur Dawamat, a en effet accusé “les séparatistes musulmans” d’être responsables de l’attentat. C’était la première fois qu’une autorité chinoise admettait publiquement qu’un tel sentiment puisse même exister dans la région.

La réalité de la menace séparatiste est devenue encore plus claire au début du mois de mars 1992: des Ouïgours vivant en exil à Alma Ata, capitale de la république voisine du Kazakhstan, ont en effet décidé de lancer un mouvement de guérilla et de rechercher une reconnaissance internationale de leur lutte. Cependant le porte-parole du mouvement connu sous le nom de “Front de libération des Ouïgours” a rejeté toute responsabilité pour l’attentat du 5 février. Il a déclaré qu’il s’agissait d’une provocation chinoise.

Les événements qui se déroulent de l’autre côté de la frontière ne sont pas les seuls à influencer la situation présente. Le Xinjiang a derrière lui une longue histoire de tensions interethniques. La région était un centre de rébellion contre le régime chinois déjà au milieu du siècle dernier. Jusqu’à ce que les communistes prennent le pouvoir en 1949 la région était connue comme l’Etat semi-autonome du Turkménistan oriental, et on estime que le nationalisme grand-turc gagne aujourd’hui du terrain et des sympathisants dans la région.

Il est clair pourtant que c’est le militantisme islamique qui inquiète le plus les autorités. Tout comme dans le reste de l’Asie centrale, les habitants du Xinjiang ont passé les 13 dernières années à écouter les radios fondamentalistes iraniennes. L’inquiétude de Pékin se nourrit aussi du fait que le Xinjiang couvre 1/6ème de la surface totale de la Chine. En plus des Ouïgours, une douzaine d’autres groupes ethniques habitent cette région et tous ces peuples sont à cheval sur les frontières du Kazakhstan, du Kirghizistan et du Tadjikistan. Plus grave encore, le sous-sol du Xinjiang contient les plus grandes réserves de pétrole et de minerais stratégiques que la Chine possède. Le point de vue de Pékin est donc que le territoire vaut la peine qu’on se batte pour lui. Tout indique d’ailleurs qu’on s’y prépare et on estime à 100 000 soldats, les troupes stationnées dans la région.

L’agitation a constamment monté depuis les émeutes du début de 1989 qui avaient fait plusieurs dizaines de morts. Une autre émeute a eu lieu depuis lors dans la ville de Baren en avril 1990 et a causé une soixantaine de morts (2). Après ces troubles, les autorités du Xinjiang ont renforcé la législation répressive contre les séparatistes musulmans. Le journal officiel de la police a rapporté récemment que “de nombreux cas ont été découverts dans lesquels des personnes s’adonnaient à des activités illégales sous couvert de religionLes nouvelles lois sont destinées aux musulmans qui “sous le manteau de la religioncollaborent avec “des forces hostiles étrangères” dans le but de séparer le Xinjiang de la Chine. Par ailleurs, les autorités ont envoyé des imams dans plusieurs districts de la région pour expliquer les lois chinoises.

A la fin de l’année 1991, les autorités du Xinjiang ont passé au crible 25 000 professionnels de la religion. 10% d’entre eux ont été “purgés” (3). On rapporte aussi de manière régulière des mouvements de troupes dans la région. Des peines de prison sévères ont frappé les leaders d’une grève apparemment causée par l’augmentation du prix des taxis, mais qui n’était qu’une “excuse” selon le quotidien du Xinjiang. Des documents internes du Parti décrivent des émeutes qui auraient frappé plusieurs villes du Xinjiang durant l’année dernière et au cours desquelles les nationalistes ouïgours auraient tenté d’intimider des Chinois “han”.

Quel que soit le destin de cette quête d’identité de la région – qu’elle finisse par être dominée par le fondamentalisme islamique, par le nationalisme grand-turc, ou qu’elle reste sous domination chinoise – il est clair que de nouvelles pièces ont fait leur apparition sur l’échiquier de l’Asie centrale. Pékin n’a rien à y gagner.