Eglises d'Asie

CHRETIENS ET MUSULMANS AU PAKISTAN

Publié le 18/03/2010




L’islam au Pakistan

L’histoire du Pakistan a commencé il y a seulement quarante-quatre ans. Le pays faisait auparavant partie de l’Inde, c’est-à-dire d’un pays qui a toujours au cours des siècles accueilli de nouveaux peuples, depuis les Aryens jusqu’aux Anglais. La culture indienne est donc mélangée et les Indiens ont une mentalité ouverte, disponible. Cela est resté vrai dans cette partie de l’Inde qui est devenue le Pakistan.

L’islam pakistanais est relativement récent: il date d’environ deux cents ans. La population était hindoue avant de se convertir. Du point de vue historique et culturel, l’islam y est donc jeune, même s’il est jadis arrivé pour la première fois dans le territoire qui est actuellement le Pakistan quelques décennies à peine après sa naissance dans la péninsule arabique, au VIIème siècle après Jésus-Christ, lorsque le général musulman Mohammed ibn Qasim dirigea l’invasion arabe de la partie méridionale du pays.

A cause de son origine historique, je puis dire que l’islam du Pakistan est d’une façon générale tolérant. Mais, depuis vingt-cinq ans, les mouvements fondamentalistes y sont devenus de plus en plus forts, tout en restant minoritaires. Leur diffusion a été largement influencée par les échos de la révolution islamique de 1979 en Iran. Je fais surtout allusion au parti politico-religieux du Jamiat-i-islami, d’un fondamentalisme rigide. Mais si l’on parle des individus, la majorité des musulmans font preuve de largeur d’esprit.

– Les nouvelles qui nous parviennent en Europe du Pakistan au sujet de l’islam sont d’ordinaire négatives: application de la sharia, procès, violation des droits de l’homme, etc. Pour quelle raison?

Ces nouvelles sont exactes, mais concernent de petits groupes fondamentalistes vigoureux, qui font tout pour introduire et faire appliquer la sharia au Pakistan. Ce qui en soi ne serait pas un mal si ces fondamentalistes prenaient soin, en l’appliquant, de faire référence aux quatre écoles de droit admises dans l’islam. Mais ils n’utilisent sur chaque point particulier de droit que la thèse la plus rigoureuse, en la modifiant à leur convenance, et en écartant les autres. Il n’y a plus application du droit musulman, mais choix exclusif de ce qui plaît en lui et ignorance du reste.

J’illustrerai ce que j’affirme ici en évoquant une affaire dont j’ai personnellement suivi le déroulement. Une chrétienne, mariée et mère de six garçons, s’est convertie à l’islam. Du jour au lendemain, son mariage cessa d’être valide et elle devint libre d’épouser un autre homme sans avoir besoin de divorcer en se présentant devant une cour ou un magistrat. Son mariage n’existait tout simplement plus, parce que le mariage chrétien ne compte pour rien pour une musulmane. Or cela n’est aucunement prévu ainsi par le droit musulman, qui impose un divorce selon les règles et un délai d’au moins trois mois avant de pouvoir se remarier. J’ai moi-même engagé une action légale sur ce point. Mais ce que je veux souligner, c’est que les prescriptions de la loi islamique ont été en l’espèce biaisées, en forçant l’interprétation de l’une des quatre écoles de droit.

– Le parlement pakistanais a récemment approuvé le projet de loi pour l’application de la sharia. Pourtant, le Pakistan n’est pas né comme Etat islamique…

La sharia a été approuvée, c’est vrai, mais un grand débat a agité le pays (1) sur les questions suivantes: quelles lois et quels règlements doivent se baser sur la sharia et de quelle manière? En quel sens la sharia doit-elle être le principe inspirateur de la législation? Celle-ci doit-elle ou non valoir pour tous, musulmans et non-musulmans? Créé tout exprès par les musulmans, le Pakistan doit-il pour autant être un Etat islamique?

Notre père fondateur, Mohammed Ali Jinnah (mort en 1948) l’a très souvent dit: « Au Pakistan, le musulman ne sera plus musulman, l’hindou ne sera plus hindou, le chrétien ne sera plus chrétien, mais ils seront tous Pakistanais », convaincu qu’il était de fonder un état « laïque ». Or, on tente aujourd’hui d’amputer sa pensée en ignorant de telles déclarations.

Ce débat enflammé est engagé, je le précise, entre musulmans. Tous ne sont pas d’accord sur la transformation du pays en un Etat islamique. Le Parti du Jamiat-i-islami, par exemple, a été franchement hostile à la naissance du Pakistan en 1947. Mais, aujourd’hui, le pays est effectivement en passe de devenir un Etat islamique.

Lors des élections politiques, en régime d’électorats distincts, les musulmans votent pour les musulmans, les chrétiens pour les chrétiens, etc. Une autre question brûlante est la mention de la religion sur les cartes d’identité. Certains vont jusqu’à dire que la couleur de la carte doit être différente selon l’appartenance religieuse. Le projet a suscité une vive réaction des musulmans plus « libéraux », parce qu’il reviendrait à introduire l’apartheid au Pakistan (2), et les catholiques sont aussi parmi les opposants les plus actifs. J’ai moi-même beaucoup écrit et tenu des conférences de presse sur ce projet.

– Qui sont les fondamentalistes au Pakistan?

Aucun d’entre eux ne se dit fondamentaliste. C’est un mot qui ne leur plaît pas, qu’ils se refusent à employer. Notre premier ministre a dit et écrit: « Je ne suis pas fondamentaliste ». Ils se bornent à s’affirmer musulmans et, en effet, tout l’islam peut être considéré comme fondamentaliste, en ce qu’il ne connaît pas la distinction entre le sacré et le profane. Mais comme la majorité, au Pakistan, est modérée, équilibrée, nous ne devons pas nous laisser influencer par une poignée d’extrémistes radicaux. Notre devoir de chrétiens est de maintenir de bonnes relations avec les musulmans, en nous gardant de devenir durs, négatifs, à cause de quelques radicaux. Ainsi que je l’ai écrit dans mon dernier appel adressé à tous les Pakistanais, « ceux-ci doivent encourager tous ceux qui agissent positivement et faire front, au contraire, contre ceux dont l’action est négative ».

Catholiques pakistanais, nous croyons au dialogue islamo-chrétien, et nous avons entrepris d’agir en commun, surtout dans le domaine de l’assistance humanitaire. Par exemple, mon diocèse de Faisalabad et le Croissant Rouge (l’organisation des pays islamiques équivalente à la Croix-Rouge: ndlr) administrent directement ensemble une activité de ce genre. Ce qui signifie non seulement que les musulmans sont eux aussi assistés par les structures de santé du diocèse ((ce qui va sans dire: dans le monde entier, les hôpitaux catholiques donnent soin et assistance à quiconque), mais aussi que nous administrons les dispensaires avec eux, en versant les fonds nécessaires à une caisse commune.

J’ai voulu citer cette expérience pour souligner le fait que je suis Pakistanais avant tout. Quand le président ou le premier ministre viennent en visite dans ma ville, je ne m’adresse pas à eux en tant que dirigeant religieux, mais comme Pakistanais, citoyen de Faisalabad, et fier de l’être.

La communauté catholique du Pakistan

Il y a environ 1,8% de catholiques (les musulmans sont environ 95%, les hindous autour de 1,3%). Les hommes politiques catholiques soutiennent que les catholiques sont plus nombreux, mais je dois m’en tenir aux données qui résultent de nos registres. Dans mon diocèse, dont la population totale est voisine de 14 millions de personnes, il y a 125 000 catholiques. Ceux-ci ont une foi solide et défendent avec énergie leur identité, même les garçons qui vont à l’école, même dans les zones les plus reculées. Cela n’est pas un effet de notre enseignement ou du catéchisme, cela vient directement de Dieu.

Moi-même j’étais prêtre diocésain quand j’ai été nommé en 1981 évêque auxiliaire. Je suis devenu évêque du diocèse de Faisalabad en 1984.

– Quelles sont les priorités dans la vie de votre Eglise?

Chaque année, au mois de janvier, nous nous réunissons pendant une semaine: prêtres, religieuses, représentants des organisations de la jeunesse, maîtres d’école, membres de Caritas, etc. Nous menons une vie communautaire, nous prions, nous discutons, en cherchant à fixer nos priorités pour une période de trois ans, avec un contrôle annuel des résultats. Depuis neuf ans, notre objectif premier n’a pas varié: créer une communauté vivante, qui puisse être au service de l’homme. Trois moyens principaux permettent de la réaliser: l’enseignement (institutionnel ou informel), l’aide aux jeunes pour trouver du travail, l’aide aux parents pour trouver à se loger. Grâce à Dieu, les gens sont déjà très motivés et n’ont pas besoin d’être stimulés. Il suffit de leur procurer un lieu de réunion et de créer une atmosphère favorable pour que jouent la solidarité et l’aide mutuelle.

– L’action a donc un caractère surtout social?

Pas exactement. Je veux souligner aussi l’importance du travail pastoral. Mais il est certain qu’une grande part de nos énergies se déploie en faveur de l’enseignement et de la construction d’écoles, que nous ouvrons en nombre toujours plus grand. Bien que les écoles aient été nationalisées en 1972, il est permis d’en construire et d’en maintenir de nouvelles et il est d’ailleurs probable que celles que nous avions autrefois nous seront rendues, car le gouvernement actuel penche fortement pour une politique de dénationalisation (3).

-Existe-t-il un séminaire diocésain et y a-t-il des vocations?

Oui, et je dois dire que j’ai de la chance, il y a beaucoup de vocations. C’est un séminaire « préparatoire », comme nous l’appelons, ouvert à des jeunes gens de dix-huit ans et plus qui ont achevé leurs études secondaires. Nous les formons pendant quatre ans avant de les envoyer au séminaire de théologie de Karachi. Deux des années qu’ils passent au séminaire diocésain sont consacrées à compléter leur instruction secondaire, les deux autres, à une formation de base en matière religieuse, philosophique et théologique. Ceux qui vont à Karachi sont déjà en possession d’un diplôme universitaire qui de toute façon leur restera.

Ce séminaire diocésain est résidentiel, les étudiants y demeurent pendant toute la durée de leurs études. Le bâtiment a été construit il y a huit ans quand nous pensions avoir dix étudiants par année, soit un total de 40. Or, il y en a aujourd’hui 61 et, pour la prochaine année scolaire qui s’ouvrira en septembre 1992, j’ai déjà reçu 30 demandes d’admission en première année. J’en accepterai 20, je pense, mais il faudra agrandir le bâtiment, qui abritera plus de 80 étudiants. J’ai déjà écrit à Rome pour solliciter une aide financière. Si je ne la reçois pas, j’installerai les élèves sous des tentes. Je n’ai jamais eu peur de tenter des voies nouvelles. Je ne veux pas avoir à dire à un jeune: « Je ne puis pas t’accepter parce que je n’ai pas de place ». Comme évêque, mon devoir est de l’accueillir.

Nous sommes en mesure d’envoyer chaque année un nouveau prêtre dans un autre diocèse du Pakistan, parce que mon diocèse a plus de vocations que les cinq autres. Je pourrai en envoyer deux l’année prochaine, et l’année suivante, six. Quand je rapporte ce fait, d’ordinaire on ne me croit pas, mais nous sommes une seule et même Eglise et nous devons donc croire dans le partage.

– En dehors du clergé diocésain, des missionnaires sont-ils admis au Pakistan?

Oui et non. De nouveaux missionnaires venus de l’étranger ne sont pas admis, mais ceux qui partent parce qu’ils sont âgés ou malades peuvent être remplacés par d’autres, appelés eux aussi officiellement missionnaires. La chose est d’importance par rapport à d’autres pays d’Asie, comme l’Indonésie, qui ne permettent pas le remplacement des missionnaires étrangers. Ajoutons que d’autres prêtres peuvent obtenir le visa d’entrée en qualité d’enseignants, d’assistants sociaux, etc. Sous cet aspect, la situation au Pakistan n’est pas trop mauvaise.

Catholiques et protestants

Il y a eu dans le passé beaucoup de protestants, surtout des anglicans, apparus dans le sillage des Anglais quand le Pakistan faisait encore partie de l’Inde. Les églises protestantes se trouvaient au centre des villes, construites dans les meilleurs emplacements, tandis que les églises catholiques étaient dans la périphérie. Les rapports ressemblaient à ceux des Anglais et des Irlandais, considérés comme chrétiens « de seconde zone »… Mais, depuis la fin de la période coloniale, les villes se sont étendues et les églises catholiques aussi se trouvent aujourd’hui bien situées. Comme les protestants ont tendance à émigrer, surtout vers le Canada et l’Australie, leur nombre diminue, tandis que celui des catholiques augmente.

Nous avons les uns et les autres d’excellentes relations. Nous sommes en contact avec leurs évêques pour les questions sociales. Il ne pourrait guère en être autrement, vu le nombre minuscule des chrétiens.

Relations extérieures

– Le Pakistan a accueilli des millions de réfugiés afghans pendant les années d’occupation soviétique et de guerre civile. Comment la situation a-t-elle évolué depuis que le régime de Kaboul est tombé?

Le gouvernement pakistanais et l’Eglise catholique aident les réfugiés à rentrer dans leur pays. Le nouveau régime afghan a aussi demandé l’aide de Caritas et beaucoup de choses de première nécessité: vêtements, vivres, médicaments… ont été collectées. Malheureusement, les combats n’ont pas cessé et les gens ont peur de rentrer. Par chance, les convois de réfugiés qui rentrent n’ont pas jusqu’ici été attaqués.

– La Turquie et l’Iran sont très actifs dans leur politique extérieure et tentent de nouer d’étroites relations et des liens d’amitié avec les nouvelles républiques islamiques indépendantes de l’Asie centrale, naguère membres de l’ex-URSS. Quelle est à cet égard la politique du Pakistan?

Le Pakistan a été parmi les premiers à reconnaître leur indépendance et à établir avec elles des relations diplomatiques. Il a en outre engagé des projets d’aide économique et de traités d’amitié, sans toutefois, à cause de sa position géographique éloignée, parvenir au niveau de la Turquie et de l’Iran.

-Comment définiriez-vous la situation au Pakistan après l’expulsion de Benazir Bhutto?

La donnée principale, je l’ai signalée tout-à-l’heure, c’est la dénationalisation et la privatisation de l’économie, qui apparaît comme une orientation ferme du gouvernement. Celui-ci s’appuie sur une majorité solide au parlement, mais, à l’intérieur de cette majorité, qui est une coalition, une fracture s’est produite quand le Jamiat-i-islami s’en est détaché, non pas pour aller à l’opposition, mais pour suivre sa ligne politique propre. Des formations moins importantes ont imité ce mouvement pour la même raison: le parti au gouvernement a trop de pouvoir, il fait ce qu’il veut.

Recueilli par

Federico Tagliaferri

Stephano Vecchia