Eglises d'Asie

L’EGLISE DE CHINE EST-ELLE DANS L’IMPASSE ?

Publié le 18/03/2010




Vers une solution par une approche trinitaire et christologique

L’accent premier de cette réflexion sur l’Eglise de Chine sera mis sur l’Eglise catholique, bien que ce que j’ai à dire puisse aussi être vrai, mutatis mutandis, pour d’autres Eglises chrétiennes. Il ne me semble pas nécessaire d’ajouter une somme de détails descriptifs, qui sont disponibles ailleurs, concernant la condition présente de ces Eglises : je présuppose que mes lecteurs sont déjà bien informés de la situation générale en Chine. Par ailleurs, mon objectif, en écrivant cet article, est théologique et non pas phénoménologique. Il peut se résumer en une question : est-ce que l’Eglise catholique en Chine, en centrant son attention sur des affaires strictement intra-ecclésiales, ne s’est pas enfermée dans une impasse? L’état présent des affaires indique qu’on est certainement arrivé à une barrière apparemment infranchissable. Il n’y a pas de solution simple et on peut se poser la question suivante: que faire à ce sujet? La plupart des observateurs sont d’accord pour dire qu’il faudra aborder la question sous plusieurs angles pour sortir de l’impasse. Cette approche incluera nécessairement la construction de communautés chrétiennes où pardon et réconciliation devront être activement vécus. Elle incluera aussi un esprit d’ouverture et de libéralisme dans la formation des futurs prêtres. Elle nécessitera encore la revitalisation d’un art oublié, la diplomatie ecclésiastique. Il faudra promouvoir le dialogue oecuménique et interreligieux. Finalement, il faudra surtout s’engager dans la réflexion théologique.

Le but de cet article est donc de proposer quelques réflexions théologiques qui pourraient contribuer un peu à dégager l’Eglise en Chine de son actuelle impasse. Je procéderai de la manière suivante : je vais d’abord délimiter le problème; ensuite, je proposerai quelques approches christologiques et trinitaires qui pourraient être utiles dans la recherche d’une solution; je suggérerai enfin des mesures concrètes immédiatement applicables pour, sinon résoudre, du moins atténuer le présent dilemme.

I – UNE IMPASSE ECCLESIOLOGIQUE

La description suivante n’a pas la prétention d’offrir une vue complète ou même simplement équilibrée des conditions présentes de l’Eglise de Chine. Si le lecteur estime que je simplifie abusivement en donnant une image en noir et blanc, sans les nuances et les ambiguïtés qui existent dans toute situation complexe, c’est simplement pour attirer l’attention sur le problème théologique qui se trouve à la racine, car c’est celui-ci qui est l’objet réel de mon article. Je m’empresse aussi d’ajouter qu’aucune de mes observations n’a valeur de jugement concernant des personnes ou des situations.

Une Eglise centrée sur elle-même

Les catholiques qui visitent leurs coreligionnaires sur le continent – beaucoup y ont fait de très nombreuses visites ces dernières années – remarquent que les affaires internes de l’Eglise semblent dominer les conversations, ce qui donne souvent l’impression que les affaires intra-ecclésiales sont devenues le sujet principal d’intérêt quand les catholiques se réunissent. Quelquefois les échanges peuvent devenir très vifs si la conversation s’engage sur des questions du genre : qui appartient à l’Association patriotique? ou quels sont les prêtres à qui on peut ou ne peut pas faire confiance ? Celui-ci est-il marié ? Celui-là n’est-il pas trop proche du Parti et du gouvernement’. Une simple discussion sur la formation des futurs prêtres – préoccupation valable et même urgente – amène rapidement la conversation sur les disputes et tensions qui existent entre les grands séminaires et qui sont aujourd’hui de notoriété publique dans les milieux catholiques ordinaires. La tendance centripète de l’Eglise se reflète aussi dans ses activités quotidiennes: la plupart des efforts sont consacrés à restaurer les vieilles églises et à en construire de nouvelles pour pouvoir recevoir un nombre toujours plus grand de convertis. La même tendance se retrouve – avec beaucoup de conviction – dans l’accent mis sur la spiritualité ecclésiale chez les laïcs, ce qui donne beaucoup d’importance à l’observance des lois de l’Eglise et à certaines formes de prière individuelle, familiale et communautaire. Tout ceci indique qu’une sorte de représentation mentale d’une Eglise centrée sur elle-même prévaut chez les catholiques du continent. Il ne fait aucun doute que l’Eglise s’est intégrée avec succès dans le tissu social chinois, mais il ne s’ensuit pas qu’elle ait un impact sur l’environnement culturel chinois. De ce point de vue, il ne semble pas probable que, dans sa mentalité présente, des changements puissent intervenir dans un futur proche.

Peu d’initiatives oecuméniques

En ce qui concerne les rassemblements oecuméniques, il y a peu de chances qu’un visiteur ait l’occasion de participer à de telles activités inter-Eglises. Il est vrai aussi que si le mouvement oecuménique ne se trouve pas placé très haut sur la liste des priorités de l’Eglise catholique, elle ne l’est pas non plus sur celle de la plupart des autres Eglises qui sont tout aussi préoccupées de lutter pour leur survie, ce qui laisse peu de place et d’énergie de part et d’autre pour s’engager dans des initiatives oecuméniques créatrices. Il serait donc malhonnête de dire que le courant centripète est le fait de la seule Eglise catholique. Il faut cependant noter que, ces dernières années, il y a eu davantage de coopération interecclésiale qu’auparavant entre les principales Eglises protestantes du continent à l’intérieur du Mouvement des trois autonomies.

Quand il parle de dialogue avec les non-croyants, on cite au visiteur quelques intellectuels chinois dont l’intérêt pour le christianisme s’est ravivé ces dernières années. Mais dans la plupart des cas, ces derniers ne s’affilient pas formellement à une confession chrétienne et préfèrent rester au-dessus des structures ecclésiales. En ce qui concerne le dialogue interreligieux avec les bouddhistes et les taoïstes, les contacts organisés sont rares et il n’est donc pas surprenant qu’à leurs yeux le christianisme apparaisse comme une religion minoritaire plutôt introvertie et fermée sur elle-même, même si elle est dynamique.

Les facteurs qui absorbent l’énergie de l’Eglise

Dans le domaine socio-politique, deux facteurs absorbent une grande partie de l’énergie de l’Eglise : sa relation au Pape et au Vatican d’une part, d’autre part le danger que le pouvoir politique fait courir à son autorité en essayant de la domestiquer.

Les relations entre la Chine et le Vatican ont une double dimension, politique et religieuse. L’impasse diplomatique actuelle a nécessairement des répercussions religieuses. Quand le premier ministre Li Peng s’est rendu en Italie en janvier 1992 sans demander audience au pape contrairement à la courtoisie diplomatique habituelle, l’événement a ravivé l’inquiétude de beaucoup de catholiques du continent déjà préoccupés par l’impasse diplomatique. Le pape est à la tête de l’Etat du Vatican, mais il est aussi le primat de l’Eglise catholique universelle. Il est de notoriété publique que des tensions existent entre les membres de l’Eglise catholique officiellement reconnue opérant sous les auspices de l’Association patriotique des catholiques, et les catholiques qui ne sont pas reconnus par l’Etat parce qu’ils continuent à être loyaux au pape. Ceci illustre comment le repli de l’Eglise sur elle-même fait diversion et l’éloigne de sa mission fondamentale à l’égard du monde extérieur en lui faisant concentrer ses énergies et ses ressources sur des problèmes d’unité structurelle interne.

Le deuxième facteur socio-politique qui domine la vie de l’Eglise catholique en Chine est le danger très réel de voir son autorité domestiquée par l’Etat séculier. Depuis plus de 40 ans, l’Eglise a été la cible d’une persécution active et systématique de la part du gouvernement, ce qui l’a exclue de toutes formes d’éducation publique et de participation politique. Les catholiques “patriotes” et leurs théologiens se soumettent formellement à l’Etat et acceptent la direction du Parti communiste dans toutes les affaires sociales et politiques, du moins extérieurement… Car qui peut connaître les choix secrets du coeur humain? Les dirigeants de l’Eglise officielle vont même plus loin quand ils fondent leur soumission sur l’obligation morale des catholiques d’obéir aux commandements de Dieu. Une telle option amène l’Eglise officielle très près de la capitulation et de l’abandon de son rôle prophétique dans la société, qui est enraciné dans la tradition biblique. En même temps, la majorité des catholiques du continent estiment que l’interférence de l’Etat séculier dans leur vie religieuse est inacceptable.

L’antagonisme nourri par ces deux facteurs socio-politiques ne peut que donner davantage de force au mouvement de repli sur soi dans l’Eglise.

II – UNE APPROCHE CHRISTOLOGIQUE ET TRINITAIRE

L’un des chemins possibles pour que l’Eglise catholique commence à se dégager de son impasse ecclésiologique actuelle serait une approche christologique et trinitaire. Cette approche comporte quatre concepts théologiques interdépendants et fondamentaux: l’ecclésiologie de Vatican II, le Christ cosmique, la dimension “pneumatique” du réel, le mystère de la Trinité dans l’histoire du Salut.

L’ecclésiologie de Vatican II

L’ecclésiologie de Vatican II est contenue principalement dans sa “Constitution dogmatique de l’Eglise”. Elle propose une théologie dynamique dont le point de départ est l’attitude d’émerveillement devant le mystère de l’Eglise comme sacrement du salut pour le monde (sacramentum mundi). La Constitution parle d’une communauté visible rassemblée par le Dieu trinitaire et chargée de la mission d’annoncer la Bonne Nouvelle du salut à toute la création. A partir de là on élabore l’idée de l’Eglise comme peuple de Dieu – un concept important – , l’idée du pèlerinage en compagnie de toute la race humaine “afin que le monde tout entier devienne peuple de Dieu, Corps du Christ, temple du Saint-Esprit, et que en Christ, tête du corps, tout honneur et toute gloire soient rendus au créateur et père de l’univers” (Constitution dogmatique sur l’Eglise, conclusion du chap. 2).

En comparaison avec cette vision théologique de l’Eglise, l’ecclésiologie dominante en Chine continentale semble terriblement manquer de souffle et de profondeur de vision. On peut comprendre que, durant toutes les années où elle a lutté pour sa survie au milieu des persécutions, l’Eglise se soit accrochée presque par nécessité à une ecclésiologie centrée sur les questions de structure hiérarchique et sur le rôle de l’épiscopat. Ces questions aussi sont attentivement étudiées dans la Constitution, mais en même temps Vatican II reconnaît que des solutions aux problèmes structurels et sacramentels ne peuvent surgir que par un retour à une compréhension plus profonde du mystère de l’identité de l’Eglise. Ceci pourrait renouveler et enrichir la vision de l’Eglise du continent au moment où elle a besoin de chercher une issue à l’impasse ecclésiologique où elle se trouve.

Le Christ cosmique

Le mystère de l’Eglise nous mène au mystère du Christ. La belle image du Christ cosmique est enracinée dans le Nouveau Testament et a été une source d’inspiration pour les penseurs chrétiens des siècles passés. L’image est sans limite et libératrice parce qu’elle nous emmène bien au-delà du champ étroit de problèmes structurels tels que, pour n’en citer que quelques-uns, le leadership dans l’Eglise, la validité de ses sacrements, ou la nature de l’Eglise locale par rapport à l’Eglise universelle. Cette image met plutôt l’accent sur le pouvoir cosmique de Jésus Christ qui embrasse toute l’humanité et “toutes choses créées sous les cieuxTeilhard de Chardin (1881-1955), le paléoanthropologue jésuite bien connu, qui a passé un certain nombre d’années à faire de la recherche en Chine, a imaginé le cosmos tout entier en évolution vers le haut avec Christ comme point omega. Quelques théologiens du tiers monde préfèrent décrire le Christ comme “le grand libérateur” qui mène toute l’humanité vers le Royaume de Dieu où une liberté radicale (dans le sens biblique) sera pleinement réalisée. Il y a aussi des théologiens asiatiques qui sont attirés par le Christ, homme-Dieu, c’est-à-dire centre de l’unité et de l’harmonie de toutes choses.

Un aggiornamento christologique, à partir de ces diverses christologies qui ont déjà enrichi d’autres Eglises locales, ne pourrait-il pas inspirer aussi les catholiques du continent et leur faire porter le regard avec audace, par delà les paramètres limités de leur situation présente, vers cette source nouvelle de vitalité spirituelle? Pour paraphraser l’axiome bien connu, “penser globalement, agir localement”, nous devrions “penser dans le Christ et agir dans la communauté ecclésiale”. Les perspectives du Christ cosmique offrent des horizons sans limites, à un niveau où il est possible d’exprimer les concepts théologiques nouveaux nécessaires au renouveau de la vie de l’Eglise locale. La dévotion au Christ doit s’appuyer sur une christologie solide, et la vie sacramentelle du chrétien doit être nourrie par une théologie substantielle, si l’on veut éviter que dévotion et vie sacramentelle ne dérivent vers une sorte de formalisme. Il n’y a pas à construire une relation entre l’image du Christ cosmique et le mystère de l’Incarnation, puisque l’histoire de la théologie depuis les Pères de l’Eglise atteste leur identité indéfectible.

La dimension “pneumatique” du réel

Parler de la dimension “pneumatique” du réel, c’est parler du Saint-Esprit et du mystère de la présence de Dieu en toutes choses vivantes. La Constitution de l’Eglise affirme de façon répétée que la grâce de Dieu travaille tous les hommes dans les profondeurs de leur conscience. Vatican II nous ouvre à une vision qui embrasse toute l’humanité avec son infinie variété de cultures et de traditions. La Constitution pastorale de l’Eglise dans le monde moderne réaffirme cette présence active du Saint-Esprit et l’universalité de ce travail de la grâce divine dans le monde. En expliquant la relation du chrétien au mystère pascal, la Constitution pastorale affirme: “Tout ceci est vrai non seulement pour les chrétiens mais pour toute personne de bonne volonté dans le coeur de qui la grâce travaille de manière invisible. Car, dès lors que le Christ est mort pour tous et que la vocation ultime de tous les êtres humains est en réalité unique et divine, nous devons croire que le Saint-Esprit propose à chacun, d’une manière connue de Dieu seul, la possibilité d’être associé à ce mystère pascal

Le pape Jean-Paul II dans sa première encyclique “Redemptor hominis” (1979) affirme que la foi vigoureuse de personnes de religions non chrétiennes est “un effet de l’Esprit de vérité opérant en dehors des limites visibles du Corps mystique” (n° 2). Et dans son encyclique sur le Saint-Esprit “Dominum et Vivificantem” (1986), il suggère aussi une vision plus large de l’activité du Saint-Esprit dans le monde: “Nous n’avons pas besoin de remonter plus loin – plus loin même que la naissance du Christ – à l’origine même du monde, pour saisir la plénitude de l’action de l’Esprit-Saint… et son lien étroit avec le mystère de l’Incarnation et de la Rédemption” (n° 53).

Est-ce que cette approche ne serait pas utile aux chrétiens de Chine continentale (comme d’ailleurs à ceux de Taiwan) en leur permettant de grandir dans la conscience de la force de vie de Dieu travaillant à différents niveaux et de différentes manières dans le vaste domaine de la création? Est-ce qu’une conscience plus approfondie de cette présence dynamique du Saint-Esprit n’aiderait pas à relativiser les problèmes internes à l’Eglise en fournissant un arrière-plan théologique plus large à l’intérieur duquel ces problèmes peuvent être mis en perspective? Est-ce qu’il n’est pas également raisonnable de supposer qu’une attention plus vive portée à l’oeuvre de l’Esprit-Saint dans le cosmos tout entier nous aiderait à apprécier davantage les choses vraiment merveilleuses qui se passent dans le monde en dehors des limites étroites de notre famille catholique?

Le mystère de la Trinité dans l’histoire du Salut

La réflexion théologique sur le Christ cosmique et le Saint-Esprit nous mène finalement au mystère de la Trinité dans l’histoire du Salut. Le Saint-Esprit prépare et accomplit le mystère de l’Incarnation et le mystère pascal comme le résultat définitif de son oeuvre dans l’histoire. Ce qui reste maintenant à l’Esprit à accomplir est de guider le monde entier vers le mystère du Christ, et par lui vers le Père. Si l’on regarde à nouveau l’Eglise catholique en Chine, le principe fondamental de la communion dynamique de la Trinité à l’oeuvre dans l’histoire du Salut ne pourrait-il pas aider les catholiques de Chine à dépasser le statu quo actuel, et les pousser à se préoccuper des autres au-delà du périmètre restreint de la vie ecclésiale catholique? Prenons la traditionnelle et classique idée de “jen”, dans sa double dimension, humaniste d’une part (être-avec les autres, idéal moral sublime des relations interpersonnelles dans la tradition confucéenne) et d’autre part de communion cosmique de toutes choses en un seul corps. Imaginons ce que cette idée pourrait devenir à la lumière du mystère d’amour de la Trinité! Ne pourrait-elle pas revitaliser la manière d’appréhender les autres religions en Chine tout comme le regard sur ceux que l’on appelle non-croyants, en les incluant dans le même Corps unique et universel? Le courant récent vers “le village global”, avec la terre comme maison commune de toute l’humanité, ne correspond-il pas exactement à cette perception chinoise classique?

Il ne semble pas déraisonnable de penser que la réflexion théologique sur l’ecclésiologie de Vatican II, sur le Christ cosmique, sur la dimension “pneumatique” du réel, et finalement sur le mystère de la Trinité dans l’histoire du Salut, pourrait encourager l’Eglise catholique en Chine à dépasser sa tendance centripète et à se préoccuper des autres, chrétiens et non-chrétiens.

III – UN REGARD SUR LE FUTUR

Il n’y a pas de chemin facile pour se dégager de l’impasse ecclésiologique présente, et il serait présomptueux de ma part de proposer des solutions rapides à des problèmes si complexes. Mais, en même temps, je ne parle pas du problème à partir de l’extérieur, car je suis moi aussi catholique et membre de l’Eglise locale de Chine, et c’est en tant que tel que je voudrais faire quelques suggestions, qui se limiteront au domaine de la théologie systématique, dans l’espoir qu’elles se révèleront constructives, pratiques et utiles pour le chemin à faire.

Le besoin urgent d’une édition chinoise des documents de Vatican II

Il apparaît d’une importance extrême de continuer à propager l’ecclésiologie de Vatican II. L’assimilation en profondeur des idées principales du concile Vatican II a pris deux décennies dans les Eglises occidentales, pourtant pleinement libres. Il n’est donc pas étonnant que l’Eglise catholique en Chine, persécutée et isolée pendant près de 40 ans, ait besoin de temps pour comprendre, apprécier et accepter la riche ecclésiologie de Vatican II. Pour hâter le processus, une nouvelle édition des documents de Vatican II prolongés d’un commentaire solide et actualisé en bon chinois moderne est une urgence et une nécessité fondamentale.

La construction de “ponts” et la réconciliation sont des besoins urgents

Le “Décret sur l’oecuménisme” de Vatican II propose quelques conseils qui, me semble-t-il, s’adressent directement à l’Eglise de Chine dans ses complexités politico-religieuses et son besoin urgent de construire des “ponts” et de réconcilier les fidèles. Le décret conseille aux théologiens: “En comparant des doctrines, ils doivent se souvenir que dans l’enseignement catholique il existe un ordre hiérarchique des vérités, dans la mesure où celles-ci diffèrent dans leurs relations aux fondements de la foi chrétienne” (n°11). Une conscience plus grande de cette hiérarchie des vérités de la part des catholiques de Chine pourrait les aider grandement à discerner leurs degrés respectifs d’importance par rapport à l’ensemble de l’enseignement catholique: par exemple, la doctrine de la Trinité par rapport aux aspects juridiques de l’unité avec le pape; ou encore, le rôle indispensable des sacrements par rapport à la place faite aux exercices traditionnels de piété pour développer la vie spirituelle des chrétiens; ou bien le jugement porté sur la valeur relative d’une activité d’amour, dirigée vers la communion parmi les hommes, par rapport à la stricte observance des règles, règlements et habitudes de la communauté. Une mise en ordre hiérarchique du riche trésor des vérités et des enseignements catholiques peut servir de guide à la communauté et de moyen d’alléger les tensions et les conflits, de surmonter l’hostilité et même la haine qui causent aujourd’hui tant de détresses. Cela pourrait aussi aider à résoudre certains des problèmes fondamentaux de la communauté.

En fin de compte, le temps est venu de “penser globalement et d’agir localement”, avec le soutien de la foi au Christ cosmique, au Saint-Esprit, et au mystère de la Trinité qui se dévoile peu à peu dans l’histoire du Salut. Nous pouvons seulement espérer et prier pour que davantage de catholiques essaient de dépasser leurs préoccupations locales et s’intéressent aux autres qui sont à côté d’eux. En dernière analyse, l’issue de l’impasse ecclésiologique se trouve dans l’effort qui sera consenti par les catholiques du continent pour avancer à petits pas concrets et pratiques, dans une foi vivante et avec l’assurance qu’il existe un chemin.

CONCLUSION

Face à l’impasse qui existe aujourd’hui dans l’Eglise en Chine, je propose une approche christologique et trinitaire. Evidemment, dans les circonstances présentes, une telle approche ne résoudra pas les divisions qui existent dans l’Eglise. Encore moins cette approche pourrait-elle changer la politique du Parti à l’égard de la religion et plus spécialement de l’Eglise catholique. Cette approche ne va pas non plus régler les relations entre la Chine et le Vatican. Ce que je propose est avant tout une approche missiologique et pastorale. Elle ne va pas faire disparaître les questions juridiques qui restent à résoudre. Ce qu’elle peut faire, c’est donner à l’Eglise de Chine la capacité d’étendre ses horizons et d’expérimenter l’immense don d’amour que le Père a fait au monde par le Fils dans le Saint-Esprit. C’est au travers d’une telle expérience que l’Eglise peut s’arracher aux limites étroites imposées par ses problèmes internes et qu’elle peut arriver à des préoccupations qui intéressent toute l’humanité. A ce moment-là, les catholiques chinois pourront dialoguer avec les autres chrétiens et nos amis des autres religions ainsi qu’avec tous les hommes et les femmes de bonne volonté. Unis dans l’effort ils peuvent faire naître un avenir glorieux pour leur société et pour leur nation.