Eglises d'Asie

LE GOUVERNEUR PATTEN DEFEND LES REFORMES DEMOCRATIQUES mais ne dit mot de la liberté religieuse

Publié le 18/03/2010




Quand Christopher Patten est arrivé à Hongkong au début de juillet 1992 comme vingt-huitième et dernier gouverneur de Hongkong (qui retournera à la Chine en 1997), beaucoup avaient l’espoir de le voir instaurer une politique plus ferme envers Pékin. Mais bien rares sont ceux qui avaient prévu le tourbillon d’activités et d’initiatives politiques dont a fait preuve celui qui est désormais connu ici comme “le typhon Chris”.

Il fut clair dès l’arrivée de Patten qu’il n’était pas fait pour le rôle de fonctionnaire passif qui a caractérisé les derniers gouverneurs britanniques, y compris son prédécesseur, Lord Wilson. Contrairement à eux, il n’a pas eu une formation de sinologue. Il a fait des études d’histoire à Oxford avant de se faire élire au parlement britannique en 1979. Etoile montante du parti conservateur, il perdit son siège à la Chambre des communes, en avril 1992, au moment où il venait d’organiser magistralement la victoire-surprise de son parti aux élections générales. On lui offrit le poste de gouverneur de Hongkong comme lot de consolation. Il accepta avec plaisir, en dépit de son manque quasi total d’expérience diplomatique.

La très grande habileté politique de Patten lui a été des plus utiles dans ses nouvelles fonctions. N’ont pas joué un moindre rôle ses convictions démocratiques profondes. “Plus de démocratie fait des communautés plus prospères, et aussi un meilleur gouvernement” dit-il, faisant écho au credo de son modèle politique, Edmund Burke, le conservateur britannique du 18e siècle. Ce talent et ces convictions sont à la base des propositions audacieuses et populaires pour une plus grande démocratie, qu’il a élaborées en étroite consultation avec la communauté de Hongkong et dévoilées le 7 octobre dans son discours inaugural à la chambre législative de la colonie. Son projet de réformes va de l’enseignement et du logement à la santé et à l’environnement, mais les chapitres de loin les plus significatifs sont ceux qui détaillent les changements souhaitables dans la constitution de la colonie et dans son système électoral. Tout en formulant ses propositions avec franchise, Patten a veillé à ne pas sortir des bornes de la loi fondamentale promulguée l’année dernière par la Chine et qui sera la constitution officielle de Hongkong après 1997. Mais il a tiré parti des zones d’ombre de cette loi pour augmenter sensiblement le nombre des citoyens admis à voter.

En effet, abolissant la pratique de désigner les membres des conseils locaux et régionaux, le gouverneur a déclaré qu’ils devaient tous être élus. Allant plus loin, il a donné à ces groupes locaux une plus grande responsabilité. Autre mesure liée à la précédente, il a demandé que les 800 membres du comité électoral qui élira le chef de l’exécutif (c’est-à-dire le gouverneur) de la Région administrative spéciale après 1997, soient tous membres de comités de district, où les membres désignés seraient également supprimés. Le chef de l’exécutif qui sera élu sera à l’évidence plus digne de la confiance de la population locale.

Patten a fait des changements non moins importants pour le pouvoir législatif, en étendant largement les neuf nouvelles circonscriptions qui éliront chacune un membre de l’assemblée législative pour la première législature de la Région administrative spéciale en 1995. Actuellement, peuvent seuls voter un petit nombre de personnalités de haut rang de chacun des groupements qui représentent les intérêts bancaires, touristiques, etc., ce qui facilite les manipulations. Patten a au contraire donné le droit de vote à toute personne qui travaille dans l’une des neuf circonscriptions. De ce fait, les neuf nouveaux sièges seront pourvus par un total de 2,7 millions de personnes admises à voter, soit par près de la moitié de la population de Hongkong (5,8 millions). Enfin,le tenace gouverneur a abaissé de 21 à 18 ans l’âge minimum du vote.

Par ces propositions, Patten a repris l’initiative que ses prédécesseurs avaient laissée à la Chine en abandonnant les plans de réforme démocratique devant l’insistance de Pékin à répéter que tout changement devrait respecter son plan futur pour la colonie. Car, à la consternation des dirigeants communistes chinois, Patten a fait suivre son discours d’une rafale d’interviews à l’enthousiasme contagieux, de réponses aux auditeurs sur les radios et de forums publics qui lui ont valu le surnom de “grand communicateur”. Cette première en fait de grand spectacle populaire de rue à Hongkong a visé à convaincre la population locale que le programme de réformes du gouverneur était vraiment la meilleure façon d’aller de l’avant pour la colonie, qui a depuis si longtemps peur d’offenser son grand et autoritaire voisin. Quand la poussière du spectacle retomba, il n’était pas douteux que l’ouverture de la partie avait réussi. Les taux d’approbation du gouverneur grimpèrent à des hauteurs jamais vues dans le territoire : 77% en faveur du nouveau dirigeant. Ses propositions avaient le ferme soutien d’une majorité consistante. Il a su capter dans la population le désir d’une plus grande démocratie, et lui a montré qu’il est décidé à combattre pour l’autonomie du territoire, quelle que soit l’opposition à affronter. Surtout, il a créé un précédent clair de responsabilité démocratique, avec lequel les futurs dirigeants devront compter.

Comme on pouvait s’y attendre, la réponse de Pékin fut acerbe. Les dirigeants communistes craignent que le projet de Patten ne dilue le système actuel de direction, en donnant plus de pouvoirs aux instances législatives et davantage de voix aux masses. Leurs craintes ne sont pas sans fondement. Après le discours de Patten, la presse procommuniste de Hongkong fit entendre des grognements de colère, mais la grosse artillerie resta muette jusqu’au premier voyage du gouverneur à Pékin pour discuter de ses propositions. Une heure après son retour à Hongkong, Lu Ping, représentant de la Chine à Hongkong et Macau, tomba à bras raccourcis sur son interlocuteur britannique, coupable de ne pas s’être concerté avec les Chinois avant de présenter unilatéralement ses propositions. Il clama que les changements dont le gouverneur se faisait l’avocat étaient des violations criantes de la loi fondamentale et de la déclaration conjointe de 1984 (premier document signé par la Grande-Bretagne et la Chine concernant le retour de la colonie en 1997). Il alla juqu’à dire que, si nécessaire, la Chine remplacerait ce système par le sien en 1997. Il fit en outre allusion à des accords sino-britanniques secrets qui, disait-il, invalidaient ces propositions. Quand le secret de cette correspondance diplomatique fut levé, on s’aperçut qu’aucun engagement ferme n’avait été pris à l’époque.

Patten n’a d’ailleurs pas été arrêté par le barrage de violentes critiques et de menaces élevé contre lui. Il comprend bien combien sa position est forte. Même s’il doit réaliser ses réformes, qui avancent bien, sans la bénédiction de la Chine, – et Pékin ne peut rien faire pour l’en empêcher tant qu’il bénéficie de son soutien local – il sera très difficile à la Chine de les défaire en 1997. Le gouverneur aime aussi rappeler ces chiffres stupéfiants : Hongkong représente aujourd’hui 60% des investissements étrangers en Chine et 36% de son commerce international. Pékin peut donc difficilement se permettre de faire quoi que ce soit qui menacerait la stabilité de la “Perle de l’Orient”. Ainsi apparaît-il maintenant que les deux parties ont fini leurs démonstrations publiques et se préparent à négocier âprement à huis clos. Il est difficile de dire ce qui en sortira, mais il est peu probable que la Chine soit pleinement satisfaite du résultat.

Où que les “discussions” conduisent, la liberté religieuse ne figure probablement pas à l’ordre du jour. On sait bien que l’économie est le premier souci des habitants de Hongkong, suivie de près par la question des relations avec la Chine continentale. En bas de liste viennent les inquiétudes sur la liberté religieuse et les droits de l’homme. Selon le Révérend Kwok Nai Wong, directeur de l’Institut chrétien de Hongkong, pareil manque d’intérêt tient aussi au fait que, Pékin réagissant à la moindre critique en matière de droits de l’homme, le gouvernement britannique hésite à mettre de telles questions sur le tapis. Jusqu’à présent le plus loin qu’il soit allé en ce sens est sa déclaration des droits de juin 1991, mais elle est restée inopérante, faute d’une commission de contrôle. De l’avis de Kwok, il est peu probable que le gouverneur Patten songe à mettre sur pied une telle commission, vu le manque persistant d’intérêt des gens pour la question. La même impression s’est dégagée d’une rencontre entre Patten et les représentants des communautés catholiques et protestantes de Hongkong le 29 septembre, au cours de laquelle le gouverneur a insisté sur la prospérité future de Hongkong en évitant toute allusion au problème des droits de l’homme.

En s’interrogeant sur l’avenir de la liberté religieuse à Hongkong, le Révérend Kwok note que la loi fondamentale n’en traite que d’une manière très générale. Elle établit que les Eglises garderont la liberté de culte et celle de diriger leurs écoles, mais garde le silence sur d’autres questions comme la liberté d’annoncer l’Evangile en public ou celle de critiquer le gouvernement. Le Révérend Kwok en déduit qu’après 1997, la liberté religieuse dans la colonie dépendra surtout de la composition du futur gouvernement de la Région administrative spéciale. Si les réformes de Patten sont réalisées avec succès et restent en place après le transfert, elles auront sans nul doute un effet salutaire sur la liberté religieuse, puisqu’elles donneront au peuple davantage qu’une voix. Sinon, Pékin donnera probablement cours à une politique répressive dans le territoire, encore que d’une manière peut-être moins étendue que sur le continent, parce que le gouvernement chinois a accepté de ne pas établir de Bureau des affaires religieuses à Hongkong après 1997. Kwok rappelle toutefois que le pouvoir d’interpréter la loi fondamentale appartient uniquement au comité permanent du Congrès national du peuple, qui ne sait que réciter mot-à-mot la ligne du parti. Que surviennent des persécutions religieuses, des atteintes à d’autres droits de l’homme, il n’y aura donc aucun contrôle. C’est pourquoi Kwok voudrait que la Cour d’appel de Hongkong fût investie d’un pouvoir interprétatif, ce qui est virtuellement impossible. Il espère néanmoins que si les voix qui clament la nécessité de sauvegarder les droits de l’homme à Hongkong sont assez nombreuses, le présent gouvernement voudra bien y prêter attention et agir avant qu’il soit trop tard.