Eglises d'Asie

L’OPPRESSION “LEGALE” DES MINORITES

Publié le 18/03/2010




Les minorités du Pakistan, les chrétiens tout particulièrement, n’oublieront jamais ce jour de 1942 où le célèbre leader chrétien, Dewan Bahadur S.P. Singha, président de l’assemblée du Pendjab uni (1), promettait à Mohammed Ali Jinnah (2) que les chrétiens du Pendjab donneraient leur appui total aux musulmans pour la création d’un Etat souverain, le Pakistan.

Singha pensait que les musulmans, si longtemps privés de leurs droits par la majorité hindoue, comprendraient qu’une telle privation donne naissance à la révolte : ils traiteraient mieux les minorités, croyait-il. C’est avec cette idée dans l’esprit que Singha, au mois d’août 1947, se présentait devant la Commission des frontières et votait en faveur de la création du Pakistan.

Dans son discours du 11 août 1947 à la première assemblée constituante, Jinnah déclara: “Le jour est enfin venu où il n’y aura plus de discrimination ni de distinction entre communautés, plus de discrimination entre castes ou entre religions. Notre principe fondamental, c’est que nous sommes tous citoyens et citoyens égaux d’un seul pays

Singha s’attendait donc à ce que la minorité chrétienne soit mieux traitée par les musulmans. Son optimisme se refroidit très vite lorsque les mullahs de la Ligue musulmane décidèrent de priver un chrétien, Singha lui-même, de la présidence de l’assemblée provinciale du Pendjab pakistanais. Jinnah fut déçu par cette décision. Mais le père fondateur du Pakistan se trouvait lui-même de plus en plus impuissant devant les extrémistes religieux musulmans. Il mourut vite après la naissance de l’Etat du Pakistan.

La constitution que Jinnah avait contribué à formuler ne lui survécut pas bien longtemps non plus. En 1958, pour la première fois, la loi martiale était imposée à tout le pays. Entre autres choses, elle abolissait la représentation des minorités au sein des diverses assemblées. Celle-ci fut rétablie par la constitution de 1973, en même temps que l’islam devenait la religion officielle du pays. Selon l’article 25 de cette constitution, les minorités devaient jouir de droits égaux : cet article fut largement ignoré par la suite.

La loi martiale fut à nouveau proclamée en 1977, lorsque le général Mohammed Zia ul-Haq renversa le gouvernement du Parti populaire pakistanais (3). Sous prétexte d’islamisation, Zia attisa les haines sectaires qui divisaient le pays en divers groupes afin de les empêcher de s’unir dans l’opposition contre sa personne.

Le décret n°14 de la loi martiale privait encore une fois les minorités de leur nationalité pakistanaise : on établit pour elles un système électoral séparé qui les met à part et leur interdit de participer au courant général de la nation. Sous le régime de Zia, on essaya aussi d’appliquer la shariah, la loi musulmane, et une cour fédérale islamique fut établie. Les avocats appartenant aux minorités n’avaient pas le droit d’y apparaître, en violation des articles 18 et 20 de la constitution.

Allant encore plus loin, la cour fédérale adopta la “loi des témoins”, selon laquelle le témoignage d’un homme musulman vaut celui de quatre femmes musulmanes ou de quatre hommes non musulmans. Ceci devait ouvrir la porte au harcèlement sexuel des femmes chrétiennes : un abus virtuellement légalisé par une décision judiciaire datant de 1988 aux termes de laquelle, si un homme ou une femme non musulman°e) se convertit à l’islam, son mariage devient automatiquement nul et non avenu. En raison de ce jugement, des centaines et peut-être des milliers de femmes chrétiennes ont été kidnappées (4) et sont tombées victimes de sévices sexuels : il suffit qu’un mullah venu de n’importe où témoigne qu’elles se sont converties à l’islam.

En 1985 fut passée la “loi sur le manque de respect envers le Prophète” (5). A cause d’elle, non seulement les membres des minorités mais aussi les musulmans libéraux et humanistes, qui élevaient la voix contre l’injustice, ont dû se taire. Le meurtre lui-même a été légalisé : il suffit de dire que la victime avait parlé contre le prophète Mahomet. On connaît le cas de Bantu Massih, un chrétien habitant le quartier du “Cantonment” à Lahore : il fut poignardé à l’intérieur même d’un poste de police et en présence de policiers. Alors que Bantu luttait pour sa survie sur un lit d’hôpital, la police enregistrait un cas de “manque de respect envers le Prophète” afin de protéger le coupable.

Sous le gouvernement de Mme Benazir Bhutto, le sort des minorités s’est amélioré. Elle a essayé de gouverner en observant des principes humanistes. Elle a essayé d’apporter des amendements au projet d’introduction de la Shariah. Mais elle fut accusée d’anti-islamisme. Le président Ghulam Ishak Khan en a profité pour renverser son gouvernement.

Malgré les protestations de plusieurs organisations de progrès et de défense des droits de l’homme (6), l’actuel gouvernement de M. Nawaz Sharif a finalement fait voter l’introduction de la Shariah, faisant de ce pays un Etat entièrement islamique. Les miunorités sont maintenant persécutées avec le consentement des autorités pakistanaises. De nombreux incidents le prouvent et il suffit d’en citer quelques uns.

A Sukkur, une jeune fille mineure hindoue fut violée. Les hindous organisèrent une manifestation contre ce viol et les tentatives subséquentes de convertir la jeune fille à l’islam : la police ouvrit le feu et plusieurs personnes furent tuées : le tribunal jugea malgré tout en faveur des extrémistes religieux musulmans.

Même s’ils ne sont pas seuls dans ce cas, les chrétiens souffrent pendant que le gouvernement se vante de pratiquer l’égalité alors qu’il applique la shariah. Le Parti national chrétien pakistanais s’occupe en ce moment des problèmes suivants :

– Razia Bibi, qui travaille dans un collège de Lahore, a été violée en présence de son mari par quatre gardiens. Plainte a été déposée et la police a accepté de s’en occuper. Mais le Parti musulman fondamentaliste, “Jamait-i-Islami” a négocié avec la police pour qu’une contre-plainte soit déposée, pour adultère, contre Razia Bibi et son mari.

– Les jours sacrés des chrétiens ne sont pas respectés. Ces dernières années, on a pris l’habitude de mettre des examens scolaires officiels le jour de Pâques.

– Le gouvernement a montré son mépris des chrétiens en imposant des élections au moment de Noël. Le jour même du 25 décembre (1991), alors qu’il protestait à Lahore contre cette décision, un membre chrétien de l’assemblée nationale a été battu, avec plusieurs autres chrétiens, par la police. Celle-ci a utilisé des gaz lacrymogènes. Elle a pénétré à l’intérieur de la cathédrale de Lahore et y a molesté des enfants, des femmes et des vieillards. 20 femmes et 35 enfants ont été blessés ce jour-là. On a donné des coups de pied à la croix.

– Le jour du nouvel an (1992), M. Maimet Ahmer, enseignant et écrivain chrétien (7), a été assassiné par le parent d’un autre enseignant qui l’avait faussement accusé d’avoir blasphémé contre le prophète. L’accusateur voulait simplement continuer d’enseigner dans l’école de son propre village. Le meurtrier s’est vu féliciter par les autorités civiles du district et par la police locale. Un ancien président du barreau de Faisalabad l’a encouragé en lui disant qu’aucun avocat n’oserait représenter la partie adverse. Pendant ce temps, les mullahs ont rassemblé des milliers de roupies pour la défense de l’assassin : tout cela, parce que celui-ci est un musulman libre, vivant dans un pays musulman libre, le Pakistan. La victime était elle aussi un citoyen libre d’un pays libre. Son seul crime était d’être chrétien.