Eglises d'Asie

LA RELIGION POPULAIRE EN CHINE

Publié le 18/03/2010




Quand ils parlent des religions non chrétiennes en Chine, beaucoup de sinologues ou de spécialistes de la culture chinoise ne citent que les trois grandes religions traditionnelles, le confucianisme, le bouddhisme et le taoïsme. Leur jugement est influencé par la façon de l’Occident d’aborder les choses et par ses catégories mentales qui privilégient le concept de religion institutionnelle et taxent de “superstitions” toutes les autres pratiques religieuses des masses peu instruites.

Cette manière de sous-estimer les formes de la religiosité populaire rejoint d’ailleurs le jugement que le confucianisme a toujours donné d’elles, par la bouche des lettrés-mandarins qui tenaient pour bien supérieure leur tendance à rationaliser et séculariser toute chose. Dans cette ligne confucéenne, sous l’influence aussi de la critique radicale qu’ont menée en Occident le rationalisme, l’agnosticisme et l’athéisme, les études chinoises du début de ce siècle en vinrent à nier l’importance du phénomène religieux en Chine ou à en être gênées. “La Chine, va jusqu’à affirmer Hu Shi (1), est un pays sans religion et le peuple chinois n’est pas attaché aux superstitions religieuses

tandis que Liang Qichao (2) estime “humiliant à l’extrême” d’inclure le taoïsme dans l’histoire de la religion en Chine “parce que ses activités n’ont fait aucun bien au paysDe telles attitudes ont incité à prêter attention aux religions institutionnelles et à mépriser la religiosité populaire, selon une distinction qui sera adoptée par le gouvernement nationaliste et surtout par le pouvoir communiste.

C’est seulement à une époque récente, grâce à une approche sociologique fonctionnelle dans les analyses du phénomène religieux, que s’est révélé le rôle premier de la religion populaire chinoise. Celle-ci a exprimé les exigences les plus immédiates de la psychologie des gens et elle a synthétisé en un éclectisme pratique les valeurs et les traditions des systèmes de religion plus institutionnels. A ce titre elle mérite de retenir l’attention en priorité.

Un mode particulier de concevoir et de vivre la religion

Avant d’aborder le problème de la religion populaire en Chine, nous ne devons pas perdre de vue que, pour nous, la religion signifie une relation entre l’homme et la Réalité ultime, relation concrétisée par des rapports de culte dans un contexte de communion avec la divinité et avec les autres hommes. La religion est vécue dans un groupe spécifique (Eglise) qu’unit un ensemble complexe d’articles de foi, de rites et de préceptes moraux communément acceptés en une structure hiérarchique bien déterminée. Il en découle un concept très clair de religion et d’Eglise, avec des distinctions nettes de doctrine, de culte et d’appartenance. En outre, la structure institutionnelle de la religion la situe sans équivoque dans un contexte social, avec ses rôles et ses rapports bien définis avec les autres institutions, surtout vis-à-vis de l’autorité civile.

Pour un Oriental au contraire, et spécialement pour un Chinois, la religion est entendue premièrement comme “doctrine qui guide” (le même idéogramme étant utilisé pour l’éducation, l’enseignement) et comme “voie” qui incite et conduit au bien moral. Les principes éthiques de la vie sont prioritaires et par conséquent l’est aussi la fonction utilitaire de la religion : faire le bien pour mériter la récompense, recourir à la divinité en cas de besoin. Tout ce qui incite au bien est bon et acceptable d’où qu’il vienne. La religion agrège à elle un groupe d’adeptes, mais sans les lier de manière contraignante puisque, ne donnant pas grande importance à une institution structurée ni à un corps défini de doctrines et de commandements, faisant montre au contraire de sens pratique et d’un remarquable éclectisme, elle les laisse libres d’assimiler ce qui est bon dans d’autres traditions.

“Un point important est la nature hautement éclectique de la religion chinoise. Dans la vie religieuse populaire, il y a les fonctions rituelles et magiques des cultes, il n’y a pas de limites tracées entre les croyances qui ont dominé la conscience religieuse des gens. Même les desservants du culte, dans un temple de la campagne, sont incapables de dire à quelle religion ils appartiennent. Pendant des siècles les divinités de diverses croyances se sont mélangées en un panthéon commun, jusqu’à produire une vision religieuse orientée vers le fonctionnel, qui relègue au second rang la question de l’identité de la religion” (3).

“Pour les gens du commun, la religion est un mélange des pratiques de toutes ces religions et du culte familial des ancêtres… Ils sont animistes et rendent un culte aux divinités de la nature. Ils croient en Bouddha, observent les coutumes bouddhistes et donnent des offrandes pour la construction des pagodes. En même temps, ils suivent le taoïsme, puisqu’ils réclament le prêtre taoïste de la région pour célébrer les cérémonies funèbres, portent des talismans taoïstes pour se protéger contre les méchants démons et font abstinence certains jours. Enfin, fiers de rappeler les enseignements de Confucius qui sont la norme de leur vie familiale, ils concluent discussions et discours par des citations appropriées de ses livres classiques” (4). Dès lors que les traditions religieuses ne se sont jamais institutionnalisées de manière rigide, qu’on n’a jamais imposé en leur nom de strictes règlementations, le lien le plus contraignant, même dans le domaine religieux, a été celui de la famille et du clan à l’intérieur desquels chacun doit vivre.

Une conception autoritaire

Une autre observation préalable s’impose. A la différence de l’Occident, la conception unitaire de l’autorité tant civile que religieuse n’a jamais été mise en question ni sérieusement défiée au cours de l’histoire chinoise. Cette conception a concentré dans l’autorité civile (sous l’empire et aujourd’hui sous le gouvernement communiste) le pouvoir totalitaire qui contrôle tous les aspects de la vie des sujets, y compris la religion, et qui contraint tout organisme religieux à se soumettre et à servir d’instrument politique.

Cette conception, née d’une vision unitaire du monde qui a favorisé l’exercice totalitaire de l’autorité, a entraîné deux phénomènes récurrents dans l’histoire chinoise : d’une part la coopération étroite et l’art de se servir l’un de l’autre entre le gouvernement et les grandes traditions religieuses (la tradition confucéenne surtout, mais aussi le taoïsme et le bouddhisme, quelquefois joués l’un contre l’autre), d’autre part une défiance foncière à l’égard des manifestations de la religiosité populaire, allant jusqu’aux persécutions. Face aux difficultés et à l’oppression, force était de recourir souvent, grâce aux liens du clan, à la clandestinité et aux activités souterraines des associations et des sectes religieuses populaires qui parvinrent fréquemment à canaliser et à organiser le mécontentement des masses. “Sous le contrôle traditionnel de l’autorité puis les persécutions répétées, les mouvements religieux hétérodoxes qui ne s’étaient pas alignés sur une position officiellement reconnue comme celle du bouddhisme et du taoïsme furent contraints à la clandestinité et souvent aussi à la résistance armée devant la menace constante d’être supprimés. Le secret, une prompte résistance à l’oppression étaient particulièrement nécessaires aux sectes religieuses qui visaient un salut universel, puisque d’habitude leur doctrine revendiquait pour leur divinité le pouvoir suprême sur l’ordre du monde, dogme évidemment offensant pour le pouvoir temporel absolu qui ne tolérait d’autre doctrine supérieure que celle de l’orthodoxie acceptée” (5).

La majorité des spécialistes pensent avoir épuisé le problème religieux chinois quand ils ont présenté le confucianisme, le taoïsme et le bouddhisme selon la façon de parler des Chinois eux-mêmes (les trois religions ou doctrines directrices, sanjiao) et ajouté, après une mention de l’islam et du christianisme, un bref aperçu sur la religion populaire chinoise. Cette approche courante n’est pas correcte. Elle considère ces traditions religieuses avec les catégories mentales d’Occident, en négligeant complètement la réalité éclectique première, typiquement orientale, qu’exprime l’expression usuelle des “trois religions en une” (sanjiao kuiyi), qui les unifie comme trois courants d’un même fleuve, non seulement dans la société mais dans un même individu. En outre l’approche habituelle met l’accent sur les traditions religieuses de classes ou de groupes particuliers officiellement reconnus, au détriment de la religion des masses. Ce point de vue élitiste apparaît quand on pose la question de savoir si le confucianisme ou le bouddisme sont des religions ou seulement des systèmes ethiques et ascétiques, ou quand on affirme que le peuple chinois est au fond a-religieux, alors que le nombre des temples et des lieux de culte dans tout le pays est suffisamment frappant et dépourvu d’équivoque… L’éclectisme pratique qui a formé la religion populaire des masses chinoises mérite indubitablement la priorité.

ASPECTS FONDAMENTAUX

DE LA RELIGION POPULAIRE TRADITIONNELLE

Un ensemble éclectique de croyances et de pratiques

Qu’entend-on par religion populaire chinoise ? L’expression désigne un ensemble complexe et éclectique de croyances et de pratiques religieuses qui, dérivées de traditions diverses tant animistes ou vitalistes que confucéennes, taoïstes ou bouddhistes ou, plus récemment, islamiques et chrétiennes, ont pénétré dans la mentalité commune et caractérisent les principaux moments de la vie quotidienne de l’individu ou de la masse chinoise. Ce tout complexe s’est formé et amalgamé au fil des siècles de l’histoire chinoise, avec des différences selon les lieux et les époques, à partir des attitudes prises dans la plus haute antiquité à l’égard du monde spirituel, c’est-à-dire à partir de la “religion primitive” aux deux sens du terme : première dans l’histoire et première dans la psychologie humaine.

Le point de départ fut donc une perception animiste et vitaliste de l’univers dans son unité et sa complexité. Toutes les choses, composés variables des cinq éléments (wuxing): le feu, l’eau, le bois, le métal et la terre, se partagent la force cosmique, l’énergie vitale (qi) qui, par son ambivalence négative et positive (yin yang), les maintient en continuelle évolution cyclique. Cette perception vitaliste porta à une foi profonde dans la survivance après la mort et dans le monde de l’au-delà. Elle inspira aussi une conception unitaire du monde visible et invisible, individuel et social, qui faisait regarder toutes choses (lieux, temps, phénomènes naturels, choses, personnes…) comme “animées”, c’est-à-dire douées de vie, d’un esprit, avec la possibilité d’être positives ou négatives, bienfaisantes ou malfaisantes, selon que dominait en elles le principe positif ou le principe négatif, et avec la possibilité de s’influencer mutuellement.

Cette influence, positive ou négative, qu’il fallait attirer, conjurer ou neutraliser, fit naître dans l’individu une attention soutenue, la préoccupation et la peur d’offenser la foule des esprits, des forces surnaturelles et des divinités qui le cernaient, puis donna forme à tout un complexe de rites culturels, centrés sur les prières et les sacrifices, accomplis directement ou par des “intermédiaires religieux”.

Ceux-ci, plus ou moins bien acceptés socialement, se multiplièrent en se différenciant par spécialités : astrologues, chamanes, devins, chiromanciens, physiognomistes, mediums, sorciers, mages, médecins et guérisseurs traditionnels, experts en géomancie (fengshui xiansheng) et en transmission de l’énergie vitale (qigong), etc. C’était souvent des moines bouddhistes ou des prêtres taoïstes. Chaque individu doit dépenser beaucoup de temps et d’argent et fournir un effort soutenu pour se maintenir en bons rapports et en harmonie avec plusieurs “communautés” : les vivants, les esprits des morts, les forces naturelles et les esprits qui manifestent leur volonté au moyen des phénomènes naturels.

Se sont donc développées l’astrologie (la croyance dans l’influence des corps célestes sur les vicissitudes humaines), la géomancie (l’influence des éléments géophysiques), la croyance dans le mauvais oeil et la malchance, avec toutes les méthodes pour la prévenir ou l’annuler, la divination, les horoscopes, la science de l’occulte et de la transmission des pouvoirs, la magie dans tous ses aspects et pratiques, etc. L’ensemble complexe des rites et des cultes prirent ensuite des formes variables selon les époques et les régions. On peut les regrouper dans les catégories suivantes :

a) le culte des esprits des temps, des lieux et des choses particulièrement significatives comme : mois, jour, cycle, directions, astres, étoiles, constellations, vents, tonnerre, éclair, fleuves, montagnes, vallées, arbres, pierres, rochers, villes, villages, la porte et le foyer de la maison, etc.

b) le culte des défunts, en particulier de ses propres ancêtres, et des grands personnages “divinisés” pour leur bonté ou leurs mérites et considérés comme des protecteurs à l’égard de nécessités particulières ou pour certaines catégories de personnes ; enfin le culte des victimes d’injustices ou de mort violente, regardés comme des esprits “vagabonds” et “affamés de vengeance” ;

c) au sommet de cette vision animiste et de ces classes d’esprits il y a la foi en Tian ou Laotianye ou Shangdi (le Ciel, le Seigneur du Ciel, l’Empereur suprême) comme divinité supérieure à tous les esprits et à tous les êtres, seigneur de la vie de toutes les espèces, surveillant et coodinateur des affaires humaines et des phénomènes naturels…, présent dans la conscience populaire à travers les actes de culte et d’innombrables expressions proverbiales qui le décrivent comme infini, omniscient, omnipotent, rémunérateur, juste… Cependant le culte rituel extérieur à Laotianye fut vite négligé et quelque peu oublié par les gens ordinaires parce qu’il devint un monopole de l’empereur, le fils du Ciel (Tianzi), considéré comme l’intermédiaire direct entre le Ciel et le peuple dans le système confucéen que les empereurs et leurs fonctionnaires confucéens ont constitué en faisant de cette prérogative un instrument politique (idée du mandat du Ciel, tianming, utilisée pour légitimer leur pouvoir, même usurpé).

Les attitudes psychologiques fondamentales

Au sujet des attitudes psychologiques fondamentales, l’observation méticuleuse des pratiques et des rites religieux ne donne pas seulement à chacun un sentiment puissant de sécurité, elle crée aussi un lien étroit de solidarité avec la nature, avec les membres de sa famille vivants et défunts, avec la communauté du village, avec la société du présent et du passé. Rompre ces rapports ou refuser de se conformer aux exigences de la coutume et de la tradition devient quelque chose d’inouï, un délit impardonnable qui rejette hors du clan et du corps social. L’individu n’est considéré que dans la mesure où il soutient et défend ces valeurs.

De ce fait, la religion n’était pas une affaire individuelle ou personnelle, c’était une réalité sociale, du groupe, du clan. On obtenait la considération publique selon qu’on observait ou non les traditions communes, qui à leur tour garantissaient le respect de la divinité et la glorification des ancêtres. Elles devenaient donc normes et modèles du comportement et de l’action, donc du destin (ming), tout en laissant une certaine marge de libre initiative, parce qu’il restait la conviction que l’action collective dans le culte et les cérémonies ou bien réussissait à contrôler les forces surnaturelles et donc son propre avenir, ou bien amélioraient les circonstances en changeant les dispositions de la divinité.

Il s’ensuivait, dans la psychologie des gens, une perpétuelle alternance entre la passivité fataliste et la pratique magique motivée par la peur. Ils jetaient des charmes, récitaient des formules magiques, faisaient faire des exorcismes, portaient des amulettes et des talismans de tout genre sur toutes les parties du corps, lançaient des injures et faisaient des prières, en somme cherchaient tous les moyens de s’emparer des forces positives et d’apaiser les forces négatives de leur milieu vital, de façon à favoriser de leur mieux leurs propres attentes. Cependant, quand tous les efforts individuels et collectifs échouaient malgré les prières publiques, comme en cas d’inondation ou de désastres naturels, tous se résignaient alors au destin (ming). Si un individu réussissait à plier ces forces et ces divinités à sa volonté ou à s’emparer de l’aide des êtres spirituels, il pouvait acquérir richesse, succès et longévité. S’il ne traitait pas ces forces de la manière appropriée, en se les aliénant ou en les perturbant, il attirait sur lui une série ininterrompue de désastres et de malheurs. En conséquence, le succès ou l’insuccès, la vie ou la mort n’étaient que le résultat d’un bon ou d’un mauvais sort. On tenait pour certain que tout le monde devait faire de son mieux pour gagner, mais le succès de chacun en ce monde n’était pas garanti par ses seuls efforts et son seul engagement, parce qu’il dépendait d’un sort heureux, de la fortune ou du destin. Celui-là seul qui était privilégié par ce dernier pouvait utiliser les forces naturelles et surnaturelles pour résoudre les problèmes et les affaires de la vie quotidienne. C’est pourquoi la plus grande partie de l’activité religieuse adoptait une attitude magique, visant à éviter les influences des éléments négatifs de l’univers et à gagner l’aide des forces positives pour s’assurer ainsi un sort heureux.

Rites, gestes, célébrations liturgiques

Au niveau plus pratique, cette religiosité primitive mêlée à l’influence de diverses traditions religieuses a enrichi de rites, de gestes et de célébrations liturgiques la vie du peuple chinois.

D’abord, elle a transformé la maison en un temple familial, avec le petit autel des “tablettes” (ou du rouleau) portant les noms des ancêtres et les statues ou les images en papier (mazhang) des divinités tutélaires qui s’ajoutent au culte du dieu du foyer (Jizao). Dans la tradition chinoise, la vie familiale est marquée par l’offrande quotidienne d’encens à l’autel des ancêtres. Ceux-ci reçoivent aussi des offrandes d’aliments en des occasions spéciales et sont même l’objet de rites et de prières en présence de prêtres. La visite fréquente au temple des ancêtres (citang) s’accompagne d’actes semblables de culte accomplis par tout le clan. Deux fois par an au moins, à l’occasion des fêtes Qingming et Chongyang, on va sur les tombes des ancêtres pour les nettoyer et offrir aux défunts encens, nourriture et objets de papier doré en forme de lingots (yuanbao) qui sont brûlés sur place en signe de respect et d’hommage. On visite indistinctement les temples de traditions religieuses différentes dédiés à des divinités locales, à l’occasion de fêtes spéciales comme le jour de l’an, l’anniversaire de la divinité du temple ou en d’autres anniversaires, que ce soit pour demander grâces et faveurs particulières ou pour consulter les chiromanciens, devins, physiognomistes, astrologues,etc. qui se pressent alentour.

Les principales étapes de la vie sont marquées par des rites et des usages particuliers accomplis en privé ou avec le concours de ministres religieux. La naissance d’un fils mâle, surtout, est pour les Chinois le plus heureux des évènements, à cause de l’importance qu’ils attachent à la continuation de la descendance et du culte familial. Ils l’entourent donc d’innombrables coutumes et rites, utilisent amulettes (colliers d’argent en forme de cadenas, colliers de monnaie, pendants d’oreilles,etc.), talismans et incantations pour protéger à tout prix la vie du nouveau-né des esprits mauvais qui le menaçent. Et ils répètent ces pratiques à la fin du premier mois, au centième jour, après une année, etc. de façon à “traverser les trente barrières” et parvenir à l’âge de 16 ans, réputé hors de danger. Pour les femmes qui paraissent stériles, pour celles qui sont enceintes, des prières et des rites particuliers s’imposent, comme les visites aux temples de Guanyin, Mazu, Niang Niang ou des autres déesses de la fécondité.

Le mariage est toujours compris par rapport au culte des ancêtres et au devoir de leur donner une descendance. Il est donc l’affaire du clan. Les parents de l’époux le préparent dans tous ses détails, par le truchement d’un ou d’une intermédiaire, parfois quand les intéressés ne sont pas encore nés ou sont encore des bébés. En plus des rites requis pour des fiançailles, comme l’échange des huit caractères d’horoscope (bazi) des deux futurs époux, la cérémonie comprend la remise de la dot et la procession de l’épouse à la maison de l’époux, les rites de vénération envers les parents, les ancêtres et les dieux tutélaires, avec l’exposition de l’image des divinités qui protègent le mariage et la famille (comme le vieillard de la lune, Yuelao, dieu du mariage qui décide l’union des mortels et en tient le registre, les jumeaux immortels (Shuangxian), divinités de la bonne entente,etc.), avec les miroirs autour du lit pour tenir éloignés les esprits mauvais, et l’idéogramme de la double félicité (xi)…

Pour un Chinois, mourir, c’est devenir un ancêtre. La place centrale attribuée au culte des ancêtres confère donc une solennité toute spéciale aux rites mortuaires et fait d’eux des pratiques religieuses sérieuses et exigeantes. Parce que la vie de l’au-delà est conçue comme un décalque de la vie terrestre, avec les mêmes impératifs et les mêmes besoins, il faut procurer au défunt, au moyen des rites et des sacrifices prescrits, tous les services et tous les objets nécessaires : aliments, monnaie, moyens de transport, serviteurs, membres de sa famille et même une épouse s’il n’était pas encore marié. Dans l’antiquité on alla jusqu’aux sacrifices humains, pour que les membres de sa famille et ses serviteurs suivent le défunt, continuent à l’assister et à le servir outre-tombe. Ensuite, on y substitua la sépulture de figurines de terre cuite, d’ustensiles et d’instruments divers placés autour du défunt. Enfin tout cela fut mis à sa disposition en brûlant sur sa tombe de petits modèles en papier.

Le deuil est soumis à des règles rigides : le vêtement de chanvre blanc à porter pendant les funérailles, l’interdiction de participer à la vie publique pendant une période de temps fixée. Le défunt dépend donc, pour la satisfaction de tous ses besoins, de ses descendants. Que ceux-ci ne fassent pas de la manière et dans le temps prescrit les sacrifices qu’ils lui doivent, le défunt en souffre, devient enragé et cherche à se venger sur les vivants. De là, dans l’accomplissement des rites funéraires, un mélange de respect et de peur, joint à un sens aigu du devoir de s’assurer une descendance mâle pour en garantir la continuation. C’est le fils aîné qui préside les rites : ceux qu’on fait à la maison aussitôt après la mort, la procession funèbre, la sépulture, les sacrifices et les prières requises pendant et après les funérailles, sur la tombe lors de la visite annuelle de tout le clan, devant les tablettes des ancêtres à la maison ou au temple.

D’autres évènements majeurs de la vie, comme le départ pour de longs voyages, l’inauguration d’un commerce ou d’une affaire, l’ouverture d’une boutique,etc. donnent également lieu à des cérémonies particulières de demande et à une recherche des dates et des modalités favorables.

“Les Chinois adorent les processions, et si l’on compte les mariages et les funérailles, ils en ont font beaucoup plus que tout autre peuple. Dans chaque ville et bourg prospèrent des entreprises spécialisées dans l’organisation des processions qui fournissent tout le nécessaire tant pour les funérailles et les mariages que pour les fêtes religieuses. Elles peuvent fournir: chaises à porteurs, palanquins, fanfares, catafalques et cercueils, baldaquins dorés pour le transport des images ou des statues de la divinité, petits temples, objets pour les sacrifices, coffres et boîtes rouges pour la dot de l’épouse, étendards, tables, pupitres, trépieds, tous les modèles de costumes…On peut aussi louer des garçons ou des hommes pour faire les porteurs ou accomplir tel ou tel rôle dans la cérémonie sous un uniforme qui cache leurs haillons” (6).

Religion et vie sociale

La vie sociale de la Chine traditionnelle est influencée par la religion populaire qui a multiplié dans tout le pays temples, chapelles, tombes, lieux sacrés pour le culte aux esprits et aux divinités, construits selon les règles de la géomancie, fengshui, en harmonie avec les forces et les influences ambiantes. L’idée essentielle ici est que la configuration géologique et les cours d’eau canalisent à la surface de la terre le flux de l’énergie vitale (qi), qu’il faut respecter parce qu’il est intimement lié au déroulement des évènements humains. Par conséquent, l’endroit à choisir pour construire une maison ou un temple, édifier un tombeau, ouvrir une fenêtre, la forme et les dimensions d’un édifice, la percée d’une nouvelle rue, etc. prend la plus grande importance : il peut être la cause du succès ou de l’échec, de la vie ou de la mort. Les principes de géomancie qui entrent en jeu sont si complexes que le choix à faire revient aux géomanciens de métier (fengshui xiansheng), qui se servent d’un instrument spécial, le panluo, et qui ont approfondi leur science dans les textes classiques. Relevant en général de l’initiative publique et mettant tout le monde à contribution, la construction des temples a été l’un des manifestations les plus complètes de la vie chinoise, où convergaient les activités et les célébrations de tout le village.

Les divinités protectrices du lieu et les principaux personnages divinisés auxquels étaient dédiés les temples furent : Tudigong, dieu tutélaire local, Cheng Huang, dieu de la ville ou du bourg, Guandi (ou Kuanti ou Guanyu ou Guangong, un général de la dynastie Han divinisé comme dieu de la guerre), Niang Niang ou Nai Nai (la Mère, la génératrice), Mazu (l’aïeule ou Tianhou, la Reine du ciel, protectrice des pêcheurs), Guanyin (déesse de la miséricorde, l’Avalokiteshvara du bouddhisme), les divers Bouddhas (Shakyamouni, Amlitha, Maitreya), les Baxian ou les Immortels du taoïsme, etc. “Les deux temples qu’on trouve le plus fréquemment, parfois en l’absence de tout autre, sont ceux du génie du lieu et du dieu de la guerre. Le second a pris une telle importance sous l’action de la dernière dynastie (Qing) qu’il a été hissé au sommet du panthéon. Le premier est considéré comme une espèce de messager de l’autre monde, il doit être informé sans retard de la mort d’un adulte pour pouvoir porter la nouvelle au dieu de la ville (Chang Huang) qui doit la porter à son tour à Yen Wang, le Pluton chinois. Si un village n’avait pas de temple au Tudigong, la nouvelle de la mort d’un adulte devait lui être annoncée en pleurant au carrefour de deux routes où l’on pensait qu’il se cachait” (5). Fréquents aussi étaient les temples aux divinités des montagnes, dont les plus fameuses sont les cinq montagnes sacrées et, en premier lieu, le mont Tai qui a reçu un culte spécial (8). Tout endroit et toute région pouvait cependant avoir ses propres divinités qui n’étaient pas vénérées ailleurs.

Célébrations annuelles

Dans la tradition chinoise, la vie religieuse sociale se manifeste surtout dans la célébration des fêtes annuelles, financées par la communauté et organisées par un comité préparatoire désigné par elle. Les principales fêtes sont : le Nouvel an lunaire avec sa réunion de la famille, les souhaits décorant les portes, les images des gardiens de la porte (Menshen) ou du dieu de la richesse (Caishen), les tirs de pétards, les foires du temple (miaohui) avec toutes sortes de spectacles, les visites aux parents et amis, aux sanctuaires, etc. ; la fête de Yuanxiao (le 15 du premier mois), avec sa retraite aux flambeaux ; Qingming (le 5 du quatrième mois) et Chongyang (le 9 du neuvième mois), avec le “nettoyage des tombes” ; la fête Duanwu et ses compétitions de bateaux ; la fête des esprits errants (le 15 du septième mois) ; la fête de Zhongqiu ou de la mi-automne (le 15 du huitième mois) avec les gâteaux de la lune et le culte à la lune ; la fête de l’hiver (au solstice d’hiver) ; les fêtes de tel ou tel temple local, les cérémonies célébrées pour les besoins collectifs (demandes d’une bonne récolte ou de la pluie, rites pour conjurer les désastres, prières de reconnaissance pour des faveurs reçues…).

La date pour entreprendre quelque chose ou prendre une décision publique importante doit être fixée au moyen de la divination afin d’en garantir le temps propice et le succès. Dans l’antiquité, on recourait à l’interprétation du vol des oiseaux ou à celle des craquelures que le feu laissait sur les ossements des animaux (9). A l’époque récente, la méthode populaire consiste à lancer des pièces de monnaie, à découper et combiner des idéogrammes, ou bien, à la pagode, on voit les gens lancer des morceaux de bambou ou secouer la boîte de baguettes puis faire tirer leur horoscope par un devin. Un malheur, une épidémie.. viennent de l’offense consciente ou non d’un esprit, ou du mauvais oeil d’un ennemi plus influent. Se sont donc multipliés les talismans et les amulettes pour prévenir malheurs et maladies, les remèdes et les recettes secrètes, les thérapies d’immortalité, les conjurations magiques et les exorcismes, en plus d’innombrables pratiques de prévention du malheur et de respect des tabous.

Les associations de secours mutuel et les sectes

Aux rapports entre membres du même clan et avec les ministres religieux du village ou des temples se sont ajoutés d’autres relations, des groupes se sont formés entre des individus partageant un intérêt commun, soit altruiste dans la bienfaisance, soit pour leur propre santé ou sécurité, comme dans les cours de gymnastique thérapeutique et les écoles d’arts martiaux.

Avec la mystification de leurs rites d’initiation et la prétention fréquente de leurs chefs à disposer de pouvoirs extraordinaires qui les rendaient invulnérables, invincibles dans l’attaque comme dans la défense, les écoles d’arts martiaux se sont souvent transformées en sectes plus ou moins secrètes qui ont joué un rôle social très influent, à l’avantage soit de l’ordre public soit de mouvements insurrectionnels quand elles ont canalisé la révolte d’une population à bout. En général leurs adeptes professent une foi typiquement syncrétiste où se mêlent des croyances et des cultes empruntés aux panthéons bouddhiste, taoïste et du lieu, des rites magiques dérivés de la superstition populaire, des principes éthico-politiques de la tradition confucéenne.

Ces sectes religieuses secrètes ont contribué à organiser les masses rurales en mouvements insurrectionnels à de nombreuses reprises dans l’histoire chinoise : la rebellion des turbans jaunes contre la dynastie Han orientale en 184 après J.C. ; les mouvements insurrectionnels déclenchés par la secte du Lotus blanc et ses ramifications ( sectes des Huit diagrammes, du Principe céleste, des Neuf demeures) contre la dynastie mongole des Yuan (1271) et la dynastie mandchoue des Qing (1644-1911), surtout en 1774 et 1794 ; la révolte des Taiping (1850-1865) contre la dynastie Qing et l’insurrection des Boxers (Yihetuan), d’abord mouvement d’opposition interne soutenu par les sociétés secrètes de la Triade et du Ciel et de la terre, retournée ensuite par l’impératrice régente Ci Xi contre les puissances et les religions étrangères en 1900. Durant l’ère républicaine avant l’arrivée des communistes au pouvoir, de 1911 à 1949, les sectes religieuses les plus répandues et les plus populaires ont été : la religion du Soleil blanc (Baiyangjiao), l’association de la Fleur du dragon (Longhuahui), qui avait tiré son nom de la secte des Huit diagrammes, la voie des Neuf demeures (Jiugongdao), la voie des Saints immortels (Shengxiandao), la secte du Ciel jaune, la voie de l’Unité absolue (Yiguandao), autre branche de la secte du Lotus blanc qui déclencha un mouvement national après 1937 sous l’occupation japonaise, l’association de la Lance rouge et la secte de la grande Epée, qui prospérèrent surtout en Chine du nord dans les années 20, etc. Ces sectes ont souvent été exploitées puis partiellement absorbées par le parti du gouvernement nationaliste (Kuomingtang) ou par le parti communiste, pour leurs propres intérêts politiques.

Au sujet de la période républicaine (1911-1949), il faut enfin noter l’influence que commençait à exercer même dans les campagnes la tendance au rationalisme et à la laïcisation que créaient dans les milieux urbains, à travers les intellectuels, une instruction plus poussée et une diffusion plus large du savoir technique et scientifique. “Tandis que l’élite de la société chinoise s’éloignait de plus en plus de la religion théiste, se multipliaient les temples vidés de leur divinité et utilisés à des usages profanes, conformément à la tendance matérialiste et rationaliste de l’époque. Ce silence imposé aux divinités ne fut qu’un élément du processus de transformation sociale, marqué par la désintégration accélérée de la vie traditionnelle pendant tout le cours de la République” (11). Et cela avec le plein consentement et l’appui officiel du gouvernement nationaliste, qui avait promulgué en 1928 les critères pour préserver ou abandonner les dieux et les temples, dans un document où il était déclaré que “la superstition, obstacle au progrès, a fait de la Chine la tête de turc du monde scientifiqueLes résultats n’ont cependant pas été tellement significatifs.

POLITIQUE COMMUNISTE

A L’EGARD DE LA RELIGION POPULAIRE (1949-1976)

Athée, le gouvernement communiste a considéré la religion comme un produit de l’ignorance et de la faiblesse humaine, utilisé par les classes dominantes comme “opium du peuplequi ne pouvait toutefois être supprimé par la force et en peu de temps. La religion disparaîtra de mort naturelle, avec l’élimination des classes d’exploiteurs et la marche du progrès économique et de la culture technico-scientifique. Cette position se fondait sur l’analyse de Mao Zedong lui-même qui, dans son rapport sur le mouvement paysan du Hunan dans les années 20, la proposa contre les “quatre autorités” : “Ces quatre autorités : politique, clanique, religieuse et machiste intègrent tout le système et toute l’idéologie féodale-patriarcale, ce sont les quatre grosses cordes qui ligotent le peuple chinois, surtout les paysans” (12).

Ainsi Mao a-t-il défini, dans les premières années de la République populaire, une politique de relative tolérance du phénomène religieux, formulée dans l’article 88 de la constitution de 1954 sur la liberté de la foi religieuse, autorisée seulement dans les limites où elle ne faisait pas obstacle aux programmes politiques communistes. Mais ceci ne valait que pour les grandes religions institutionnelles, nettement distinguées de la religion populaire qui était traitée en bloc de “superstition

Lutte contre les superstitions

Contre la religion populaire furent prises très tôt des mesures répressives de plusieurs sortes. On chercha avant tout à éliminer ou à rééduquer les intermédiaires religieux, “agents de superstitionaccusés d’exploiter et de tromper les gens simples. Leur “rééducation” impliqua procès populaires et, selon la gravité du crime, condamnation aux travaux forcés rééducation par le travailà des années de prison ou à l’exécution capitale. On frappa de taxes les articles “superstitieux” (bâtonnets d’encens, cierges, monnaies et objets de papier à brûler pour les défunts…), la pression pécuniaire servant à restreindre l’activité religieuse. Les autorités locales intervinrent dès que des traditions superstitieuses paralysaient des projets publics (comme l’interdit qui excluait les femmes de la construction des digues) ou prêtaient des explications fausses aux calamités publiques ou aux épidémies.

En même temps les efforts en vue d’une éducation athée furent redoublés. On organisa des expositions “antisuperstitionAfin de “vaincre le Cielon inculqua l’esprit de lutte contre les désastres naturels : disette, sécheresse, inondations… On expurgea les manuels scolaires, les romans et la littérature populaire de leurs détails superstitieux, pour faire prévaloir une vision athée de la vie. Et pour faire cesser les pratiques superstitieuses en cas de maladies individuelles contagieuses, on s’efforça de répandre les connaissances de médecine et d’hygiène.

Ces mesures de traitement non violent de la religion populaire ne constituaient qu’une partie du tableau. La “liberté anti-religieuse” incluait, avec la liberté de ne pas croire, celle d’organiser des démonstrations anti-religieuses qui portaient préjudice aux sanctuaires et au personnel religieux. La campagne atteignit en priorité les temples, dont les objets, le mobilier, les décorations…furent enlevés et brûlés pour “couper la génération présente des racines du féodalismeLes autres édifices et les biens à usages religieux furent souvent confisqués au nom de la “liberté antireligieuse

Ce furent avant tout les regroupements de clans, les associations et les sectes religieuses secrètes qui retinrent l’attention et suscitèrent les foudres du gouvernement communiste, qui les regardait comme des organisations contre-révolutionnaires. Un an à peine après sa prise de pouvoir, il lança des attaques contre les sectes en les accusant de servir de pions aux nationalistes et aux impérialistes. Pendant la réforme agraire de 1951-1952, beaucoup de propriétaires terriens furent éliminés sous l’accusation d’organiser des associations superstitieuses et de répandre de faux bruits pour tromper le peuple. A l’automne de 1952, la police secrète se vantait comme d’un grand succès du nouveau régime d’avoir liquidé les chefs de nombreuses associations religieuses. Mais les résultats étaient bien loin de la victoire définitive puisque, trois ans plus tard, malgré la liquidation proclamée de plus de 40 000 de leurs membres, ces sectes religieuses restaient inscrites sur les listes de “contre-révolutionnaires” dans tout le pays. Des dépêches sur leurs activités arrivaient en particulier des provinces de Shaanxi, Gansu, Hunan, Hubei, Hebei, Shandong, Sichuan, Giuzhou, Guangdong, Fujian, Guangxi et Zhejiang. Dans le Shaanxi, où les communistes avaient joui de la suprématie pendant plus de vingt ans, bien plus longtemps qu’en d’autres provinces, on signalait une infiltration plus importante des sectes. Leurs membres, habitués à la clandestinité, continuaient leur action, changeant sans cesse leur camouflage, le nom de leur association, construisant locaux et jonctions souterraines pour réunir des groupes parfois nombreux et relier leurs positions stratégiques. En 1955, dans la seule province de Shaanxi, la police découvrit 102 cachettes souterraines et arrêta 434 chefs. Dans le district de Dong Guang, dans l’Hebei, elle s’aperçut que plusieurs dirigeants de sectes avaient vécu cachés depuis plus de quatre ans. Les affiliés moins connus qui n’étaient pas contraints de se cacher s’infiltrèrent dans les organisations locales officiellement approuvées, en visant surtout, dans un but de sabotage, à prendre le contrôle des groupements de secours mutuel et des coopératives constituées avant le lancement du système des “communes agricoles” en 1958. On découvrit que beaucoup d’organisations étaient liées à des sectes et pendant toutes ces années, le gouvernement communiste lança une série de campagnes contre les innombrables sectes religieuses qui travaillaient activement à “changer le Ciel” (biantian), c’est-à-dire à renverser le pouvoir.

Bien que les spécialistes de la Chine aient souligné dès 1956 le rôle positif des sectes religieuses secrètes qui ont maintenu unies les masses rurales et les ont entraînées en plusieurs mouvements insurrectionnels de l’histoire chinoise (13), la presse officielle fit savoir que les communistes avaient lancé dans les premiers mois de 1958 une campagne générale victorieuse contre certaines d’entre elles, pour “détruire la divinité et les esprits” et faire disparaître des villages toute croyance et toute association superstitieuse. Cette lutte contre la superstition “donnait satisfaction au désir fondamental des masseshostiles aux pratiques économiquement inutiles, voire nuisibles (14). Cette politique d’abolition de toutes les activités religieuses du peuple fut poursuivie avec difficulté parce que, si la religion, dans la tradition chinoise, n’a jamais eu des structures capables d’offrir une résistance solide, la clandestinité des associations de clans et des sectes religieuses s’avéra un obstacle presque invincible.

La Révolution culturelle

Avec l’explosion de la Révolution culturelle (1966-1976), l’objectif fut de détruire tout ce qui restait des religions. Lors de la grande parade du 18 août 1966, Lin Piao appela les gardes rouges à déraciner les vieilles idées, la vieille culture, les vieilles coutumes et les vieilles traditions des classes exploiteuses. Fut aussitôt lancée à partir de Pékin une campagne contre ces “quatre vieilleries” qui atteignit en deux semaines toutes les autres villes. Pagodes, temples, monastères, églises.. furent envahis et dépouillés de tous leurs objets et ornements religieux, mais on fouilla aussi les habitations privées en quête des choses de nature féodale, bourgeoise et superstitieuse : images, autels, candélabres, vaisselle, livres et objets religieux…, qui furent jetées au feu. Partout les temples furent convertis en écoles, laboratoires ou entrepôts pendant que les tablettes des ancêtres servaient d’ardoises aux écoliers (15).

Dans le même temps le communisme devint une foi religieuse. Déjà les efforts déployés pour imposer une éducation athée avaient tendu à présenter le communisme sous les traits d’une religion sans Dieu, c’est-à-dire comme “la destinée finale et l’ultime intérêt” de l’humanité, qui transcende toute aspiration des idéologies concurrentes, tout autre idéal de justice, de vérité et de bonheur pour le salut de l’individu et celui de la société. Le communisme veut donc une conversion totale, le rejet du moindre doute, une adhésion absolue à ses doctrines et à ses programmes. Pour le salut de la nation et le bien-être de tous, le communisme exige de chacun qu’il renonce à tous ses intérêts personnels, dépasse tout égoïsme et aille jusqu’à trahir ses proches les plus chers s’ils sont mêlés à des activités “contre-révolutionnairesChacun doit faire abandon à la Cause suprême de son propre moi, de son être intime, sans l’ombre d’une réserve, comme le mouvement de “la révolution au fond du coeur” l’exigea contre le déviationnisme de droite, après la campagne des cent fleurs en 1957-1958.

La Révolution culturelle a repris ces exigences radicales, en les complétant avec un ensemble cultuel et culturel copié sur les religions institutionnelles. Le livre rouge des paroles de Mao devint la Sainte Ecriture dans laquelle les gardes rouges trouvaient leur force et leur inspiration pour tout faire, même des “miracles”. Le portrait de Mao Zedong remplaça les images des divinités dans les maisons et dans les lieux publics, il fallait se réunir devant lui matin et soir pour le “culte” laïc (culte de la personnalité). Toute initiative, tout discours devait se référer à “Lui”, à ses pensées ou à des modèles qu’il avait canonisés (tel Lei Feng, le jeune soldat qui avait sacrifié sa vie pour le service du peuple). Tout ce qu’on avait dans la vie était un don du Parti, à qui il fallait rendre grâce, etc. On prêta à un vieux paysan les paroles suivantes : “J’ai vécu plus de soixante ans dans la vieille société, j’adorais la divinité mais j’ai quand même dû vendre mes fils. Maintenant, sous la conduite du Président Mao, je n’ai plus à me soucier de nourriture et de vêtement. Sans le président Mao et le parti communiste, jamais je n’aurais eu le bonheur que j’ai aujourd’hui. Toutes ces divinités, ces esprits, c’était des bêtises, que les propriétaires fonciers utilisaient pour nous tromper, nous les paysans pauvres” (16).

Tout reposait sur la certitude absolue que l’idéologie communiste était le seul guide de l’homme vers son destin inévitable, l’unique voie infaillible vers le salut du peuple. Le rôle de l’individu était de l’accepter et de la répandre en se mettant à son entière disposition, dans une attitude de discipline et de parfaite obéissance. Cet idéal de salut remplaçait “la vie éternelle” ou le “paradis” des religions traditionnelles. Il servait aussi à expliquer les souffrances, les échecs temporaires du communisme, “prix nécessaire” pour remporter la victoire finale. Cette certitude absolue favorisait une attitude fanatique, qui fut officiellement inculquée à l’époque de la Révolution culturelle comme une arme psychologique contre toutes les croyances et habitudes religieuses populaires. “Ce sont les efforts de l’homme qui ont chassé ‘le dieu de la peste’ et l’homme d’aujourd’hui doit être idéologiquement rouge. N’oublions jamais les paroles du président Mao et unissons nos forces pour chasser le dieu de la peste!” (17).

“Je crois que dans sa forme historique présente, le communisme en Chine peut être considéré comme un mouvement religieux parce qu’il possède les caractéristiques suivantes : 1( une révolution totale et cosmique dans son impact sur le peuple, 2( un ensemble de symboles et de rites (héros et héroïnes, mythes et histoires, discours publics, fêtes et célébrations, assemblées périodiques, défilés et processions, pélerinages et lieux sacrés, spectacles et divertissements populaires,etc.) qui soulèvent les émotions morales et esthétiques des individus en vue d’objectifs collectifs et d’un style de vie commun, 3( un système de croyances qui touche les personnes de tout âge et oriente la vie, la pensée et l’action des masses comme des dirigeants” (18).

REPRISE DE LA RELIGION POPULAIRE

APRES MAO

La constitution de 1975 garantissait la “liberté de foi religieusemais tout individu était invité à “propager de toutes ses forces le marxisme et sa vision scientifique du monde, à porter haut le niveau d’illumination intellectuelle du peuple et à détruire la superstition religieuseOr les autorités chinoises n’ont peut-être pas prévu qu’avec la libéralisation lancée par Deng Xiaoping en décembre 1978 et le mieux économique des campagnes, on allait enregistrer une forte reprise des usages traditionnels et des coutumes, celle aussi des phénomènes religieux chez une multitude de gens. La religion populaire refleurit à divers niveaux : on recommença à célébrer les fêtes annuelles, on restaura et construisit des temples où fidèles et dévots reprirent leurs visites, les pratiques de culte familial reparurent à la maison et sur les tombes des ancêtres, les acteurs religieux de toutes sortes redevinrent à la mode dans les temples et dans la vie privée sans oublier les spécialistes du qigong et des arts martiaux qui donnèrent un nouvel essor à l’activité de leurs écoles et de leurs sectes secrètes. Enfin, dans le sillage de la libéralisation économique, apparurent la course vers le bien-être, le culte de l’argent et du capitalisme, en même temps que la tendance vers le monothéisme, surtout chez les intellectuels. Voyons en détail les divers aspects de cette renaissance.

Reprise des fêtes et des célébrations annuelles

La reprise des fêtes et des célébrations annuelles selon la tradition a été favorisée par les autorités officielles, même si la presse exhorte à chaque commémoration à en éliminer les éléments trop évidemment religieux. D’habitude, les villages nomment les responsables de la préparation de chaque fête et la liste de leurs noms est affichée dans le temple des ancêtres.

Au niveau national, les fêtes les plus célébrées sont : le Nouvel an lunaire, appelé aujourd’hui fête du printemps, avec la réapparition, sur les portes de la maison, des formules de souhaits, des images des gardiens (menshen) et du dieu de la richesse (caishen), les tirs de pétards, l’organisation des foires des temples et les échanges de visites ; la fête de Yuanxiao avec la retraite aux flambeaux ; celles de Qingming et de Chongyang avec la visite sur les tombes ; la fête de Duanwu et ses compétitions de bateaux ; la fête de la mi-automne avec les gâteaux de la lune, etc.

Au niveau local s’ajoutent les commémorations de la divinité du lieu, les processions solennelles pour des nécessités particulières,etc. Par exemple, en 1981, plusieurs villages du Guangdong ont organisé la fête du “Grand roi et père qui chasse les esprits mauvaisune femme parée comme cette divinité, assise sur un trône, une épée à la main, est transportée au milieu d’une troupe de guerriers le long des rues et à travers les champs, pour exorciser le village et ses alentours. La fête dure plusieurs jours, les écoliers sont en congé et participent avec tous les habitants (19).

Les autorités ont veillé spécialement à la célébration des fêtes traditionnelles des minorités ethniques, toujours avec le souci de les laïciser : la fête des pétards de la minorité Dong, celles des jets d’eau (Poshuijie) chez les Dai et des torches chez les Yi, la fête de Nadam des Mongols, celles de Gepo des Zhuang, des chansons chez les Yao et les Jing, etc. “Le coût de telles fêtes est illustré par la liste des dépenses d’un participant à la fête de ‘Duanwu’ avec ses joutes de bateaux-dragons qu’on voit accrochées aux murs du temple d’un petit village visité à l’époque de la procession. Un bateau : 1200 yuan, sa peinture : 400 et sa décoration : 64 ; spectacle de marionnettes 90, projection d’un film 150, 30 yuan pour les autels, 20 pour la nourriture et 643 pour d’autres dépenses. Total : 2 597 yuan. Tous les villages d’alentour rivalisent dans les jeux de barques sur le canal, devant le temple de Guandi. Les épreuves préliminaires durent deux semaines ; la compétition finale revêt une signification religieuse avec la présence, devant le temple, de l’image de Shuixian, l’Immortel de l’eau, dans une barque devant et derrière laquelle passent les bateaux qui s’affrontent” (20).

Parmi les célébrations religieuses particulières dont la tradition a été reprise, la plus populaire est le Jiao, d’origine taoïste, généralement fêté pendant plusieurs jours par un groupe de villages, chaque village à son tour. En février 1986, près de Zhangzhou, dans le Fujian, pour la première fois depuis 1949, fut fêté un Jiao de cinq jours sous la direction d’un groupe de prêtres taoïstes de Anxi et de leurs familles (22 personnes : 12 prêtres, 6 musiciens et 4 assistants). “Pendant la Révolution culturelle, toutes ces pratiques religieuses ont été brutalement supprimées, sans être complètement abolies. Beaucoup d’entre elles ont été poursuivies en secret, à une échelle réduite. Leur reprise plus ou moins publique a commencé en certaines régions à la fin de 1978, mais la construction de nombreux temples locaux ne survint qu’en 1981. Au rythme des réformes économiques qui ont redonné aux gens prospérité et plus grande liberté d’action, les rites religieux ont refleuri dans tout le Fujian. Les conditions ont toutefois varié d’un endroit à l’autre, selon l’attitude de l’autorité locale et la détermination de la population. Décider de célébrer un Jiao de cinq jours fut donc une décision aussi ambitieuse que courageuse, une telle cérémonie dépassant toutes celles qui avaient été organisées dans le district depuis des dizaines d’années. Depuis deux ou trois ans, la plupart des villages s’étaient contentés de célébrer un Jiao d’un jour, au maximum de trois jours” (21).

Reconstruction des temples et nouvel élan religieux

Le gouvernement autorise et subventionne la restauration ou la reconstruction de temples célèbres, dans un but moins religieux que culturel et touristique. Dans le même temps, nombreux sont les temples locaux restaurés grâce à des aides de l’Etat et à des dons de la population locale et des compatriotes de l’étranger. Une fois réunis les fonds et les matériaux, tout le monde participe à la construction pendant son temps libre, parfois en prenant pour cela un congé. De sourdes rumeurs d'”apparitions de la divinité” ou d'”ordres reçus du ciel” sont souvent à l’origine de ces restaurations.

“Le village à la périphérie de Zhangzhou, dans le Fujian, a maintenant trois temples et un temple des ancêtres (citang). Les trois temples, dédiés à Jialan, gardien bouddhiste semblable à Tudigong, dieu tutélaire du lieu, à Xuantian Shangdi et à Taiziye, deux divinités guerrières, et à Zhugegong, vaillant général divinisé, comportent chacun un unique local. Le citang est au contraire un des édifices les plus importants du village. Il comporte une entrée, deux pièces latérales, une cour et une salle spacieuse construite toute en bois. C’est aussi le siège de l’association locale d’arts martiaux, célèbre dans la région. Chaque famille conserve un petit autel avec une table garnie des offrandes et des images de diverses divinités (d’habitude Guandi ou Guanyin)… Placée près de l’entrée des trois temples, une stèle en pierre, haute d’environ un mètre, porte l’inscription: “Malheur à quiconque osera violer le sol de ces temples !”, datée de l’hiver de l’année jiazi, soit de l’hiver 1984-1985″ (22).

Curieux et fidèles ont recommencé à fréquenter les temples en foule et les font bourdonner d’activité. Ils brûlent de l’encens, ils s’inclinent, se mettent à genoux et se prosternent à terre (koutou), devant les principales statues ou images des divinités, ils récitent des litanies, égrènent des chapelets, allument des cierges, déposent des offrandes et pendant que le flot des admirateurs s’écoule à l’intérieur du temple, quelques personnes s’arrêtent à bavarder avec le bonze ou le gardien. Certains, à genoux, secouent la boîte de divination remplie de tablettes numérotées jusqu’à ce que l’une des tablettes tombe à terre. Ils la ramassent et vont se faire lire par le bonze ou le gardien la réponse à leur prière dans les textes divinatoires. On voit réapparaître des pratiques superstitieuses comme la pièce de monnaie jetée à une statue : qu’elle lui tombe dans la main, ce sera signe de chance. Dans le même but, des gens se bousculent autour de bassins ou de fontaines pour essayer de faire flotter de la monnaie à la surface de l’eau. Ou bien ils tendent les mains pour toucher les statues, les brûle-parfums, les encensoirs, et ensuite se frottent le visage ou la partie du corps où ils ont mal, pour s’assurer la guérison. Qu’un paravent soit décoré de l’idéogramme fu, la bonne fortune, on voit des gens s’approcher les yeux fermés, la main tendue, ravis et rassurés s’ils réussissent à toucher la chance. Beaucoup profitent de la visite au temple pour se payer un repas végétarien, surtout du fromage de soja (doufu). Le jardin du temple devient le lieu de rencontre des personnes âgées qui accrochent leurs cages d’oiseaux aux branches, et des passionnés des jeux de cartes ou des échecs. Des individus se mettent à réciter des vers ou à chanter. Aux portes des temples se multiplient les éventaires des marchands d’articles religieux et de souvenirs selon la fête : couronnes, bâtons d’encens, pétards, amulettes et statuettes de divinités, monnaie de papier, pendentifs porte-bonheur, décorations et formules de voeu du jour de l’an,etc. Les pélerinages aussi ont repris en grand, surtout aux montagnes sacrées et aux temples de renommée nationale, souvent dans une atmosphère d’enthousiasme religieux.

Pratiques religieuses familiales

Outre la réapparition dans les maisons des images et des statues sacrées auxquelles on offre de l’encens et des fruits, on a repris les célébrations des naissances, celles des anniversaires, les mariages avec leurs cérémonies traditionnelles, la procession de l’épouse entourée de musiciens et les grands banquets ; les funérailles dispendieuses avec leurs cortèges solennels, surtout dans les régions rurales où la pratique de la crémation n’est pas contrôlée comme en ville et où le voyageur en train aperçoit souvent des tumuli plus ou moins décorés. On fait porter aux enfants, surtout aux tout-petits, amulettes et pendentifs de protection contre le mauvais sort, on leur peint sur le front un point rouge, qui passe à présent pour une marque de beauté (23).

Le culte des ancêtres est remis en honneur, surtout une ou deux fois par an avec la visite de familles et de clans entiers sur les tombes, pour les nettoyer, présenter les offrandes de nourriture, de boissons et d’encens, brûler la monnaie et les autres symboles en papier. “En général, on observe une tendance des personnes qui portent le même nom de famille à se soutenir mutuellement et à se réunir. La coutume était restée latente sous le système des ‘communes’, mais elle a repris sa vigueur au début des années 80 avec le retour des traditions féodales…Ces liens sont favorisés par le nombre croissant des mariages à l’intérieur du même clan. Les réunions de clan les plus notables ont lieu à l’époque de la fête Qingming ou du nettoyage des tombes, au printemps. En 1990, le district de Wuchuan dans le Guangdong a vu un rassemblement de plus de 5 000 membres du clan Wu, venus sur les tombes de leurs ancêtres en 53 véhicules motorisés et sur des milliers de bicyclettes. A cause de la foule, quatre autres tombeaux et des rangées de pierres tombales furent endommagées, une dispute s’ensuivit qui dura plusieurs jours et aurait fini en effusion de sang sans l’intervention des forces de l’ordre” (24). “Dresser les généalogies, construire les temples des ancêtres, restaurer les tombes ancestrales, quêter auprès des membres de son clan pour les sacrifices à offrir aux défunts, organiser des associations de clan,etc., ce sont des activités devenues très populaires dans certaines régions rurales et qui exigent la vigilance de tous les responsables à tous les niveaux” : les avertissements de ce genre ne sont pas rares dans la presse officielle (25).

Toutes ces activités refleurissent avant tout dans les minorités ethniques. Les Yao, par exemple, ont repris leurs cérémonies funèbres où toute la population du village suit le défunt assis sur un baldaquin, précédé des sorcières et des mages qui sacrifient des volailles dans tous les coins et à chaque ruisseau pour apaiser les esprits.

Réapparition des sorciers et des guérisseurs

Un peu partout reviennent sorcières et mediums, qui prétendent communiquer avec les esprits et incarner la divinité ; astrologues, devins, mages et physiognomistes, qui prévoient l’avenir et donnent des horoscopes ; alchimistes, experts de qigong et médicastres qui garantissent la guérison de toute maladie et malaise, etc. Naturellement ils en profitent pour extorquer l’argent des gogos, en se faisant consulter en toute circonstance : construction d’une nouvelle maison, accident, choix d’un métier.., et avant de prendre la moindre décision.

On rencontre jusque dans les jardins publics des villes des individus qui se vantent d’une habilité spéciale dans la magie, dans l’art de la transmission de l’énergie vitale (qigong), ou bien pour les massages, l’acupuncture ou la pharmacothérapie traditionnelle, et qui vendent à la ronde leurs secrets pour “guérir les maladies”, “allonger la vie” ou ” devenir immortel”. Ils se font passer pour des incarnations de divinités et réussissent parfois à convaincre non seulement les masses ignorantes, mais aussi des ouvriers et des cadres du parti, à “ingurgiter comme remèdes sacrés des mixtures mortelles” ou à “offrir leur tête au sabre pour monter au ciel et devenir des êtres surnaturels” (26).

Résurgence des sectes religieuses secrètes

Le retour des sectes et des sociétés secrètes religieuses dans tout le pays est l’objet de fréquents compte-rendus. A Xi’an des chefs de sectes religieuses qui se targuent de pouvoirs miraculeux ont repris leurs activités (27). “Au cours des dernières années, il y a eu des indices d’une reprise des sectes superstitieuses et des sociétés secrètes réactionnaires en certaines régions. Des voyous et des contrerévolutionnaires ont réapparu, qui se prétendent “empereurs”, voire “l’empereur de Jade, Yudi, descendu du ciel”, abusent et empoisonnent l’esprit du peuple avec des superstitions féodales. Ces criminels ne se cachent même pas pour commettre des infanticides et des viols” (28).

En septembre 1983 on arrêta à Tianjin cinq personnes qui avaient redonné vie à la secte Yiguandao, recrutant de nouveaux membres et distribuant du matériel (29). Quelques jours plus tôt, le comité permanent de l’assemblée nationale populaire en fixant les peines à infliger aux criminels, avait rangé parmi ceux-ci “quiconque organise des sociétés ou des sectes secrètes réactionnaires et utilise les croyances superstitieuses féodales pour mener des activités contre-révolutionnaires et mettre en péril la sécurité du pays ” (30).

En juillet 1980, deux individus, Wang Wenhua et Zhang Congde, entreprirent de réorganiser la “voie du système impérial” (Huangjidao), secte religieuse secrète bannie en 1953. Ils recrutèrent des centaines de membres à Luotian et en d’autres régions du Hubei, répandirent de faux bruits sur des calamités imminentes, distribuèrent quantité de matériels et d'”écritures sacrées” de la secte. Arrêtés en juillet 1984, ils furent condamnés et exécutés (31).

Preuve d’une forte reprise des activités des sectes secrètes, le fait qu’à chaque réunion des adeptes des religions organisée par le parti soit dénoncée la prolifération des organisations clandestines. A la conférence nationale sur l’action dans le domaine religieux, organisée en décembre 1990 par le conseil d’Etat, la première question à l’ordre du jour fut celle de la vieille secte secrète Yiguandao, qui se révélait encore largement répandue en plusieurs provinces et dont les activités étaient regardées comme dangereuses pour la stabilité sociale.

Les nouveaux cultes : l’argent, le capitalisme

A partir de 1979 les réformes économiques ont lancé la course au bien-être et libéré l’initiative privée, au nom du principe qu’il était permis de devenir riche. Dans ce contexte, la majorité des gens ne cherchent pas midi à quatorze heures quant aux moyens d’atteindre l’objectif. Ont aussitôt pris place au premier rang les cadres et les dirigeants du parti, qui ont su mettre à profit leurs pouvoirs et leurs relations (guanxi). Pour le grand nombre, privé d’autre intérêt par son bas niveau d’instruction, devenir riche est devenu une hantise. En même temps, le culte de l’argent, joint presque toujours à la plus grande défiance pour l’idéologie et le parti communiste, étant données la corruption de ses membres et l’inefficacité du système, est devenu un engouement aveugle pour le capitalisme occidental et la “libéralisation bourgeoiseLa presse officielle ne perd aucune occasion d’attaquer soit le culte de l’argent soit le capitalisme. Elle lance des campagnes nationales comme celle du début de 1987 contre “la libéralisation bourgeoise et l’occidentalisation totalela relance des efforts pour le travail idéologique de septembre 1988, la campagne contre la tendance “tout faire pour de l’argent” et les mesures répressives de la seconde moitié de 1989. Mais les résultats ont été maigres.

Chez les étudiants et les intellectuels, la totale méfiance envers le communisme, jointe à un intérêt toujours plus vif pour la culture occidentale, la plus grande facilité des contacts directs (touristes, délégations commerciales,etc.), la littérature et les transmissions audiovisuelles (programmes télévisés, radios étrangères…) ont également attiré l’attention sur les problèmes religieux en ouvrant beaucoup d’entre eux à une compréhension plus objective de la religion et même à la foi monothéiste. La presse officielle a souvent dénoncé cette ferveur religieuse, même parmi les jeunes et chez des membres du parti qui en sortent pour embrasser une foi religieuse.

Nouvelles lois sur les religions

A cette reprise d’activité religieuse, le gouvernement a réagi en cherchant avant tout à la contrôler par une législation appropriée. Il a continué à maintenir une distinction très nette entre les cinq grandes religions institutionnelles mondiales, auxquelles il laisse une certaine liberté d’action, et la religion populaire, qu’il continue de taxer de “superstitionsL’article 36 de la constitution de 1982 stipule que la nation “jouit de la liberté de foi religieuse” et que “l’Etat protège les activités religieuses normalesSont donc ainsi distinguées : liberté et protection,