Eglises d'Asie

A mesure que la corruption s’aggrave, le ras-le-bol de la population atteint des proportions inquiétantes

Publié le 18/03/2010




Sous le double poids de changements économiques rapides et d’une corruption de plus en plus incontrôlée, une grande partie de la population chinoise manifeste les signes de plus en plus clairs d’un “ras-le-bol” généralisé. Au début du mois de juin 1993, pour la première fois, le gouvernement chinois a admis qu’il y avait eu de violentes émeutes paysannes dans la province du Sichuan. Les rapports s’accumulent sur l’agitation sociale parmi les ouvriers, la corruption dans les services de police, les escroqueries financières de toutes sortes. De puissantes forces de déstabilisation semblent avoir été libérées dans le pays par les réformes économiques de Deng Xiaoping.

Le bureau provincial des affaires étrangères du Sichuan, province la plus peuplée du pays, a confirmé, le 12 juin 1993, qu’il y avait eu de sérieuses émeutes paysannes dans le district de Renshou, au sud de Chengdu, durant la première semaine de juin. En 1992, le gouvernement avait décidé de reconstruire pour une somme équivalant à environ 145 millions de francs la route nationale 213 qui passe dans le district. Les cadres gouvernementaux ont alors décidé d’imposer les paysans de la région pour un tiers du coût total, soit environ 50 francs par personne. Le revenu moyen du paysan étant de 700 francs environ par an et les taxes, déjà très nombreuses, les paysans protestèrent en janvier 1993. Le gouvernement revint sur ses exigences et l’affaire semblait réglée. Mais au mois de mai, à la suite de quelques articles de journaux apparemment mal informés, l’agitation a repris dans le district sous la direction d’un paysan du nom de Xiang Wenqing. Le 16 mai, un percepteur fut sévèrement battu. La semaine suivante une centaine de paysans dévastèrent une perception et endommagèrent une usine, une école et les domiciles de plusieurs cadres locaux. Finalement, le 5 juin, 10 000 paysans environ empêchèrent l’arrestation de l’un des leurs et prirent violemment à partie les forces de police.

L’affaire de Renshou n’est cependant que l’une parmi beaucoup d’autres semblables. En dépit des efforts du gouvernement pour empêcher la diffusion d’informations de ce genre, les observateurs mentionnent de très nombreux cas d’agitation sociale dans les campagnes. Les causes en sont presque toujours les mêmes : des cadres locaux corrompus abusent de leur pouvoir sur les paysans. D’autres facteurs jouent aussi un rôle, en particulier la stagnation du revenu paysan qui n’a pratiquement pas augmenté depuis 1986 alors que dans le même temps des taxes de toutes sortes ont été imposées souvent illégalement (1). Les paysans se sentent de plus en plus les laissés-pour-compte de la “nouvelle prospéritéCette agitation paysanne a tout pour inquiéter les autorités communistes qui ont longtemps assis leur pouvoir sur le soutien des milieux ruraux. Si elles venaient à le perdre, le régime connaîtrait sans doute des jours difficiles.

Le mécontentement n’est pas seulement perceptible dans les campagnes. Les ouvriers d’usine sont eux aussi touchés par les difficultés économiques. Les grèves sont encore rares, limitées le plus souvent aux cités proches de Hongkong comme Zhuhai, mais on entend de plus en plus souvent parler de suicides d’ouvriers ou d’agressions contre les contremaîtres dans les villes où la restructuration économique oblige les entreprises à une compétition et à une productivité accrues. Une récente enquête de la fédération chinoise des syndicats estime que 5% de la main d’oeuvre citadine (7 millions de personnes environ) font face à des difficultés économiques insurmontables. Selon Lu Jinhua, un dissident ouvrier qui s’est exilé après les événements de Tiananmen, la situation actuelle de beaucoup d’ouvriers, dont les salaires ne sont pas ajustés à l’inflation et qui font de plus en plus d’heures, laisse présager l’éruption d’une colère populaire dont les effets seront bien plus dévastateurs que la révolte étudiante du printemps 1989.

La situation sociale est encore aggravée par la corruption, devenue un phénomène endémique. Elle atteint aujourd’hui tous les secteurs de la société et se manifeste sous une grande variété de formes, dans le secteur immobilier, l’industrie, la Bourse. Elle est favorisée par un système juridique archaïque qui n’a pas suivi l’évolution de l’économie de marché. Tous les services gouvernementaux, la police, les douanes sont touchés par le phénomène. Zhang Siqing, procureur en chef de la République, a confirmé le 14 juin 1993 au South China Morning Post de Hongkong que les sommes d’argent de la corruption sont énormes et que les services gouvernementaux sont particulièrement touchés.

Selon certains observateurs de Hongkong, si rien n’est fait pour améliorer rapidement la situation, les conditions seront bientôt réunies pour une dislocation sociale de grande amplitude. Ils comparent la situation à celle de 1949 quand la même conjonction de phénomènes amena le renversement du gouvernement nationaliste de Jiang Jieshi (Chiang Kai-shek).