Eglises d'Asie

LA RE-INTERPRETATION DE LA NOTION DE RELIGION EN CHINE

Publié le 18/03/2010




La révision socio-scientifique du concept de religion a commencé en Chine en 1979 au moment du retour à une politique religieuse plus ouverte et de la réapparition des institutions religieuses.

Cette année-là l’Institut des religions mondiales de l’académie chinoise des sciences sociales fut réouvert pour admettre 22 étudiants ayant terminé leur cycle d’études. Leurs spécialités étaient diverses : la religion dans la société contemporaine, l’étude théorique de la religion, du bouddhisme, du taoïsme, du christianisme, du confucianisme, de l’islam et du bouddhisme tibétain. Des essais sur ces divers sujets ont alors été publiés dans “Etudes des religions mondiales” et “Ressources des religions mondiales” ainsi que dans divers livres et traductions parus depuis lors. Au début des années 80, d’autres centres d’études religieuses furent aussi créés sous le patronage d’académies provinciales de sciences sociales : chacune se spécialise dans un domaine particulier. A Urumqi, l’académie des sciences sociales du Xinjiang se consacre à l’étude de l’islam. A Kunming, l’intérêt se focalise sur la religion dans les ethnies minoritaires. A Chengdu, l’accent est mis sur l’étude du taoïsme. L’institut de recherche religieuse de Shanghai quant à lui concentre son intêrêt sur l’étude du christianisme (1).

Une nouvelle approche

Sous la direction de Ren Jiyu, l’Institut des religions mondiales a repris le débat sur la religion là où il en était resté en 1964. Le souci particulier de Ren était d’établir une distinction entre religion et “superstition féodale” et de critiquer la théologie comme une approche arriérée et “non scientifique” de la réalité. Mais avec l’intérêt croissant porté aux études religieuses en Chine, la situation commença à changer. Au début des années 80, de nouvelles questions furent soulevées portant sur la relation de la religion avec la société et la culture. La religion est-elle toujours “l’opium du peuple” ? Religion et foi sont-elles “compatibles” avec le socialisme ? Les croyants peuvent-ils contribuer à la modernisation? La religion fait-elle partie de la culture?

Un tel questionnaire a conduit à un très large débat sur la religion auquel participèrent trois groupes importants de participants : les cadres à différents échelons du Bureau des affaires religieuses et du département du Front uni, les intellectuels et les chercheurs des universités et et des académies de sciences sociales; les représentants de groupes religieux, plus particulièrement des bouddhistes et des chrétiens protestants. Ce débat n’était pas un simple exercice académique ou l’expression de différences d’opinions intellectuelles; il touchait à d’importantes questions en rapport avec la toute nouvelle politique de liberté religieuse, et la place de la religion à l’intérieur d’un processus de réforme plus général, en tant qu’élément de la culture humaine.

L’INSTITUT DE NANKIN ET SON JOURNAL

En marge de l'”establishment” social et scientifique, un centre a joué un rôle particulièrement important dans ce débat. L’Institut de l’université de Nankin pour les études religieuses (IRS) et Religion, le journal qu’il publie, ont constamment poussé à une approche plus ouverte de la religion. L’IRS occupe une position unique car il est situé dans une grande université et non dans une académie de sciences sociales. La plupart de ses chercheurs sont des chrétiens qui sont aussi membres de la faculté de théologie du séminaire (protestant) de Nankin.

C’est dans la deuxième moitié de l’année 1978 que l’IRS est devenu un institut de recherche distinct dans l’université de Nankin. L’idée en avait été avancée par Zhao Fusan qui se trouvait alors à l’académie chinoise des sciences sociales de Pékin. Kuang Yaming, alors président de l’université de Nankin, se montra favorable à l’idée et nomma K.H. Ting (Ding Guangxun) directeur de l’institut, en même temps que vice-président de l’université.

Un journal largement diffusé

L’IRS, situé à l’intérieur des bâtiments du séminaire de Nanjing, fut officiellement inauguré le 1er janvier 1979 et commença la même année à publier son journal. Religion fut considéré comme un “journal à usage interne” jusqu’en 1986 et, bien qu’aujourd’hui encore il ne franchisse pas les frontières de la Chine, sa circulation est devenue beaucoup plus large. En tant que publication de l’université, Religion se trouve sous l’autorité du ministère de l’Education et non sous celle du Bureau des affaires religieuses. Cette tutelle n’est pas si astreignante puisqu’elle a permis le développement actuel de la revue.

Dans le plus récent numéro, K.H. Ting et Xu Rulei sont mentionnés comme rédacteurs en chef de la publication, tandis que Ji Fengwen, jeune diplômé du séminaire, a le titre de rédacteur en chef et responsable de la publication. La calligraphie de la page de garde est de Zhao Puchu, président de l’Association bouddhiste chinoise. Religion tire à 10 000 exemplaires qui sont distribués aux centres de recherche, aux universités, à des départements du gouvernement, et aux bureaux des affaires religieuses à tous les niveaux de l’Etat. Tout ceci fait de Religion l’une des revues religieuses les plus largement diffusées de Chine. Bien que nous n’ayions pas le moyen de déterminer son impact, sa large diffusion peut laisser penser qu’elle est très lue.

L’index qui accompagne le n° 20 du journal donne la liste de 334 essais et articles pouvant se classer en plusieurs catégories :

– 172 essais traitent du débat sur la nature de la religion; la vision marxiste de la religion; le travail sur la religion; le Front uni et la religion; la politique religieuse; religion et droit; discours politiques sur la religion, etc.

-29 essais abordent des thèmes religieux; l’étude théorique de la religion en Chine; l’étude comparative de la religion; comptes rendus de réunions; études sur le terrain, etc.

-26 essais sur le christianisme en Chine aujourd’hui;

-22 essais sur l’histoire du christianisme chinois;

-41 essais sur le bouddhisme, l’islam et l’histoire de la religion (populaire) chinoise;

-34 essais sur le christianisme dans le monde et la Bible;

-18 essais sur la religion dans le monde contemporain et d’autres sujets.

Une telle classification, même schématique, est déjà très révélatrice de l’orientation du journal. La moitié des contributions concerne le débat sur la religion en Chine et les questions politiques qui s’y rapportent. Si l’on y ajoute les essais sur le christianisme en Chine aujourd’hui et les études pratiques de recherche sur le terrain, la proportion devient encore plus importante. Comme on pouvait s’y attendre, le christianisme (plus spécialement le christianisme protestant) est traité plus largement que les autres religions. Un quart des essais (82) concerne explicitement le christianisme et plus de la moitié le mentionnent indirectement ou s’en servent pour illustrer leur propos. Très peu d’articles et d’essais s’intéressent à la religion en dehors de la Chine.

Les auteurs et les lecteurs

Les articles et les essais de Religion ne sont ni de fumeux traités de théorie marxiste ni des analyses désintéressées de phénoménologie religieuse. Ce sont plutôt des exposés originaux et souvent polémiques se situant dans le contexte du débat actuel sur la religion en Chine. Nous pouvons nous en douter déjà à regarder la liste des auteurs : celle-ci contient les noms de Zhao Puchu, Zhao Fusan, Luo Zhufeng, un haut fonctionnaire de Shanghai habituellement considéré comme l’un des principaux inspirateurs du type de recherches religieuses pratiqué par Religion (2); on trouve aussi le nom de Xiao Zhitian de l’académie des sciences sociales de Shanghai. Des théoriciens de la religion connus tels que Ren Jiyu, Jiang Ping, Lei Zhenchang souvent critiqués dans Religion comme “gauchistes” n’y ont jamais été publiés.

Les unités de travail auxquelles appartiennent les auteurs sont mentionnées dans les numéros 10 à 19 de Religion et elles nous renseignent encore davantage sur les auteurs – et les lecteurs – du journal :

– 25 sont de l’IRS de Nankin;

– 20 sont de l’Institut de recherche religieuse de Shanghai;

– 42 appartiennent à d’autres académies;

– 59 sont fonctionnaires du gouvernement;

– 26 appartiennent à d’autres unités de travail;

– 9 ne sont pas sur la liste.

Cette classification illustre la “base sociale” du journal. Les fonctionnaires du gouvernement appartiennent aux bureaux des affaires religieuses nationaux, provinciaux ou locaux et au département du Front uni. Ceux qui sont classés comme “appartenant à d’autres unités de travail” n’appartiennent pas aux milieux universitaires; ils sont membres d’organisations religieuses ou proviennent d’origines diverses. La plupart de ces auteurs défendent des positions en accord avec la perspective générale du journal.

Selon les chiffres ci-dessus il y a une répartition à peu près égale des auteurs entre milieux universitaires et non universitaires. Comparés à ceux d’autres journaux de sciences sociales sur la religion, les articles publiés dans Religion sont plutôt courts et faciles à lire, reflétant en cela les perspectives de leurs auteurs et des lecteurs. Les auteurs sont originaires de 20 provinces, municipalités ou régions autonomes, mais près de la moitié sont du Jiangsu et de Shanghai. A quelques exceptions près, ce sont ces derniers qui ont écrit les essais les plus importants de Religion.

METHODES ET PERSPECTIVES

En 1979, le climat qui régnait dans la religion comme dans les études religieuses en Chine était encore plutôt oppressant. Pourtant le tout premier essai publié dans Religion concernait quelques-unes des questions qui allaient être développées par les partisans d’une réforme de la politique religieuse dans la décennie suivante (3). Cet essai développait l’idée qu’on ne peut pas accuser la religion de freiner le progrès dans les sociétés capitalistes; que les chrétiens d’outre-mer n’étaient pas nécessairement “anti-Chine”; que le christianisme pouvait jouer un rôle progressiste dans les pays du tiers monde; que la religion pouvait aider à la promotion de la modernisation en Chine. L’essai se terminait par une critique de la vision marxiste simpliste de la religion comme “opium du peupleBien que limité par les perspectives et le langage de l’époque, l’article était plus ouvert et plus critique que ceux qui paraissaient dans d’autres publications durant cette période.

Réinterprétation du marxisme

Il est important de comprendre que tous les essais publiés dans Religion utilisent le langage des sciences sociales marxistes-léninistes “aux caractéristiques chinoisesPour participer au débat sur “la question religieuse” seul ce langage peut être utilisé. C’est la raison pour laquelle quelques-uns des auteurs chrétiens utilisent assez souvent des pseudonymes – pratique courante en Chine – afin que les lecteurs ne confondent pas le langage utilisé dans leurs polémiques avec celui de leur foi et de leurs engagements personnels. Cette pratique assure une certaine protection dans un environnement politique hostile à la dissidence et à l’expression individuelle.

Pour les éditeurs et la plupart des auteurs de Religion, la question (principale) est celle du changement et de la réforme dans le contexte de la Chine socialiste, et non pas l’exploration de problèmes à partir d’un point de vue alternatif. Le journal privilégie une approche du socialisme pragmatique et proche des faits plutôt qu’un “dogmatisme gauchisteMais dans tous les cas on utilise le vocabulaire ordinaire du marxisme-léninisme.

Parce que tous les auteurs se réfèrent à un corpus de textes qui leur est commun, il est essentiel qu’ils fondent leurs arguments dans les classiques du marxisme. Les textes ne sont jamais critiqués; ils sont réinterprétés. Religion a donc publié un grand nombre d’articles sur la compréhension “correcte” de la religion dans les écrits marxistes. Un court essai, par exemple, cite dix textes où la religion est décrite comme “opium” avant 1843-44, avant donc que Marx n’invente la formule “la religion est l’opium du peuple” (4). Par conséquent, l’opium ne peut être le fondement de l’interprétation marxiste de la religion parce que l’idée n’est pas née de Marx.

L’application de la politique religieuse

L’application de la politique religieuse exige cependant davantage que la réinterprétation de textes communs. Un débat de la fin des années 70 et du début des années 80 tournait autour de la question de savoir si l’application de la politique religieuse devait procéder à partir de la théorie marxiste ou à partir des “faitsSur cette question, les auteurs et les éditeurs de Religion se trouvèrent résolument du côté des réalités concrètes. Des études du christianisme et d’autres religions furent publiées pour démontrer le bien-fondé et l’importance de cette position. Pour n’en mentionner que quelques-unes, ces études comprenaient des travaux sur les conflits religieux dans des régions d’ethnies minoritaires (5), sur la foi catholique parmi les pêcheurs du Jiangsu méridional (6), sur les activités religieuses musulmanes dans les régions rurales du Ningxia (7), et une enquête sur les diplômés du séminaire protestant du Jiangsu (8). Ces essais tendaient à montrer que les croyances religieuses n’étaient pas vécues au détriment du socialisme ou de la modernisation.

Les critiques exprimées dans Religion sont toutes dans la ligne pragmatique et réformiste de la politique générale du Parti. Néammoins le journal a critiqué les ténors de la politique religieuse et les partisans d’une approche plus restrictive de la religion. La revue représente ainsi une “opposition loyale” qui ne remet pas en question la ligne fondamentale de la direction du Parti.

Malgré tout, Religion a critiqué directement des cadres du gouvernement et l’application de la politique religieuse. L’un des essais les plus percutants en ce sens fut publié en 1984 sous le pseudonyme de Ru Wen. Il s’agissait probablement du texte d’un discours prononcé à l’occasion d’une conférence gouvernementale sur la religion (9). L’auteur y prenait la défense du patriotisme des croyants qui participent aux réunions des Eglises domestiques, et il critiquait l’approche “gauchiste” de la politique religieuse. Son reproche le plus sévère était adressé aux cadres du gouvernement qui s’ingèrent dans la gestion interne des organisations religieuses. Un certain nombre de cadres “ne comprennent rien à la religion, n’apprécient pas les pensées et les sentiments des croyants, ne respectent pas les traditions religieuses; en dépit de tout cela, les membres des cercles religieux n’osent pas élever la voixPour corriger la situation, Ru Wen en appelait à une application meilleure de la politique religieuse, à davantage de protection juridique et à la nécessité d’aligner les mentalités sur l’accent mis sur la réforme par Deng Xiaoping.

La perspective du journal

La meilleure présentation de la perspective générale de Religion se trouve dans un essai intitulé “Développements récents des études religieuses”, par K.H. Ting (Ding Guangxun) et Wang Weifan (10). Les sept points développés dans cet essai donnent un bon résumé de la position adoptée par Religion à la fin des années 80 et qui est encore la sienne aujourd’hui :

1- Remplacer le dogmatisme dans la recherche religieuse par une approche qui privilégie la recherche de la vérité à partir des faits.

2- La religion est une réalité sociale complexe comportant plusieurs niveaux et la recherche théorique ne devrait pas se limiter à ses seuls aspects doctrinaux et philosophiques.

3- Il faut comprendre de manière appropriée et réévaluer l’idée de la religion comme “opium du peuple

4- La religion possède une dimension éthique et joue un rôle positif et complémentaire dans une société socialiste.

5- La religion est compatible avec le socialisme.

6- La religion doit être regardée comme une partie intrinsèque de l’héritage culturel socialiste.

7- La direction et l’administration des affaires religieuses doivent être réformées.

Le dernier numéro de Religion continue à débattre de la plupart de ces questions. L’article principal est le texte d’un discours de Zhao Puchu aux cadres gouvernementaux du Henan leur demandant de combattre le “gauchisme” dans l’application de la politique (religieuse) (11). Une longue contribution est signée de Xu Rulei, membre de la direction de l’IRS : elle analyse le rôle de la religion dans les changements politiques en ex-URSS et en Europe de l’Est et désamorce la critique chinoise selon laquelle la religion est une force déstabilisatrice dans la société (12). D’autres essais examinent l’importance culturelle et sociale de la religion dans différents domaines.

Bien que la révision du concept de religion continue de s’élaborer, le septième point, et le plus controversé, de Ting et Wang n’est plus à l’ordre du jour. C’était un appel à la réforme politique et au “réajustement des relations” dans les affaires religieuses, similaire à la demande de séparation des pouvoirs de gestion et de gouvernement qui était mise en avant jusqu’au milieu de l’année 1989. Le besoin de davantage de démocratie sans “renforcement de la supervision” était ressenti dans les cercles religieux. Depuis le 4 juin 1989 cependant, toute question de réforme politique est bloquée.

Le point est pourtant fondamental, car il démontre qu’un changement de structure est nécessaire au développement des études religieuses. Les éditeurs de Religion en sont bien conscients : l’administration des affaires religieuses n’a pas changé. La situation s’est même détériorée d’une certaine manière depuis 1988. Il est donc clair que la révision de la notion de religion est assujettie à des limites sur lesquelles les chercheurs, les croyants et les cadres ouverts n’ont que très peu d’influence directe. Tout comme dans d’autres domaines de la recherche intellectuelle et de la culture, cette révision est limitée par le contexte politique.

VERS L’AVENIR

Compte tenu de ces limites, la révision de la notion de religion peut-elle contribuer à un changement dans la Chine socialiste ?

Aussi raisonnable qu’elle puisse paraître à des observateurs de l’extérieur, la question n’a guère de sens pour ceux qui essaient de changer la situation de l’intérieur. Les limites leur apparaissent encore plus clairement, tout comme aussi la nécessité d’appeler au changement chaque fois qu’ils le peuvent. Même si le but est hors de portée, il reste nécessaire de soulever les questions. Les partisans de la réforme en Chine sont engagés dans une polémique pratique dont le résultat affectera très pratiquement la vie des croyants.

La religion dans la société

La dernière décennie a vu des changements significatifs dans la manière dont la religion est comprise en Chine, et cela en dépit de l’impasse dans laquelle on se trouve en ce qui concerne la réforme de l’administration des affaires religieuses. En répondant au défi de la “question religieuse”, Religion a contribué à la promotion de la réforme et de l’ouverture. La religion n’est plus écartée d’un revers de main comme “opium”. La plupart des intellectuels et des fonctionnaires du gouvernement sont d’accord pour dire que la religion a un rôle légitime à jouer dans la société. De plus en plus de fonctionnaires et de décideurs politiques reconnaissent les contributions apportées par les croyants à la Chine. Ce peut paraître une bien petite victoire, mais elle fait toute la différence dans la vie des adhérents des religions en Chine.

Pour apprécier ce que Religion a accompli, il est nécessaire de prendre en compte le travail réalisé pour le changement dans un domaine où les frontières sont clairement déterminées. L’acceptation provisoire des limitations d’une situation donnée pour travailler de l’intérieur à un changement n’est ni une capitulation ni une compromission. Bien que ce soit le Parti communiste qui définisse le contexte de l’existence sociale en Chine, la révision de l’idée de religion n’exige pas un engagement par rapport au marxisme-léninisme comme idéologie. Le contexte – mais pas l’idéologie – est assumé, les textes sont réinterprétés et un langage politiquement correct est utilisé. Mais les objectifs visés par l’interprétation ne sont pas les mêmes.

Il fut un temps où les adhérents les plus rigides de l’idéologie marxiste-léniniste à la chinoise auraient critiqué cette approche comme une manière de “brandir un drapeau rouge pour combattre le drapeau rougeAvec la réforme, la critique est devenue généralement plus subtile. Mais beaucoup d'”exégètes” sont toujours très habiles à “brandir le drapeau rouge” avec des objectifs qui leur sont propres.

Les limites

A long terme, le corpus marxiste-léniniste manque trop de profondeur pour pouvoir supporter une réinterprétation continuelle. Il y a trop de questions qui touchent le coeur de l’existence humaine – particulièrement dans le domaine de la croyance religieuse – et qui ne sont pas traitées dans ce corpus. Même dans les domaines dont il traite, beaucoup de ses réponses ont été inadéquates. Dans l’esprit pragmatique du temps, la critique et la réinterprétation sont acceptables tant qu’on ne touche pas aux “quatre principes fondamentaux” qui garantissent la suprématie du Parti. Les partisans de la réforme en Chine, y compris beaucoup de ceux qui écrivent dans Religion, sont bien conscients de cela et l’impact qu’ils peuvent avoir est donc limité. Pour la même raison, ils savent que les changements vont à terme rendre obligatoire une réinterprétation de ce qu’ils ont fait de manière provisoire.

Ce provisoire pourtant a rendu possible une exploration renouvelée des thèmes religieux à partir d’une perspective culturelle (le terme étant opposé à politique). L’affirmation selon laquelle la religion est compatible avec le socialisme ou que la religion fait partie de l’héritage culturel du socialisme, crée un espace pour la religion. Cela ne fait pas qu’aider les chrétiens, les bouddhistes et les autres croyants à défendre leurs droits et leur point de vue, cela permet aussi de pousser plus loin l’exploration de la religion dans un contexte intellectuel et culturel.

La culture chrétienne

Au moment où l’orthodoxie dominante n’a que peu à offrir dans le domaine des valeurs et de la philosophie de la vie, les intellectuels qui s’intéressent à la religion contribuent au débat sur l’avenir de la culture chrétienne (13). Le terme de “culture chrétienne” est maintenant largement accepté dans les cercles intellectuels chinois. Il se réfère aux aspects non doctrinaux du christianisme et à leur signification culturelle, artistique et philosophique. Même l’académie chinoise des sciences sociales publie aujourd’hui des ouvrages d’introduction sur la réinterprétation des religions chrétienne et autres (14).

D’autres sont allés plus loin dans l’exploration de ce que le christianisme peut offrir à la Chine. Trois numéros de La revue de la culture chrétienne, publiée par Liu Xiaofen, philosophe des religions de l’université de Shenzhen, ont déjà paru. Cette revue plutôt dense fait une lecture sympathique de la théologie occidentale et présente les questions de la “culture chrétienne” à une nouvelle génération d’intellectuels. Une autre publication, Forum de la culture et de l’art, a commencé sa publication en 1992 et est diffusée à Hongkong et Taiwan aussi bien que sur le continent chinois. Son approche des questions de la foi et de la culture est existentielle, et l’accent est mis sur la manière selon laquelle religion et esthétique envisagent la question du sens de la vie.

Conclusion

Religion a été le précurseur de ces nouvelles publications et a encore un rôle important à jouer dans le débat, plus officiel, sur la révision de la notion de religion en Chine. Ce rôle, comme beaucoup d’entreprises de réforme, ne peut être que transitoire et concerne davantage l’histoire sociale de la Chine que son histoire intellectuelle. Dans vingt ou trente ans, les lecteurs ne retourneront pas à ce journal pour ses contributions philosophiques ou historiques à l’étude de la religion en Chine. Mais ils devront reconnaître que Religion aura aidé à rendre possibles les changements survenus.