Eglises d'Asie

LE CRI DES INNOCENTS De jeunes Chinoises forcées à la prostitution en Thaïlande

Publié le 18/03/2010




Des jeunes filles en provenance de villages des ethnies minoritaires de la province du Yunnan au sud-ouest de la Chine sont trompées par de fausses offres d’emploi et vendues ensuite à la prostitution en Thaïlande. La police chinoise estime que, depuis 1989, environ cinq mille jeunes Chinoises ont été ainsi attirées dans les rudes montagnes birmanes qui font la frontière entre Thaïlande et Chine et forcées ensuite à se prostituer.

Ce qui est arrivé à une fille de 17 ans, Ee Chang, de l’ethnie Dai, illustre l’itinéraire de beaucoup d’entre elles. Il y a deux ans, Ee Chang et deux de ses amies sont descendues de leur village de montagne au marché du district afin de vendre quelques produits de ferme et faire des achats. Les trois jeunes filles ont alors été approchées par un moine qui venait de l’Etat birman voisin Shan. Le moine réussit à les persuader d’aller jusqu’à la frontière birmane proche pour y acheter des produits et des habits de contrebande venant de Thaïlande. Innocemment elles ont suivi le moine dans une odyssées qui s’est terminée deux ans plus tard lors de leur libération de l’emprise des proxénètes et des propriétaires de maisons closes en Thaïlande.

Ee Chang a raconté son histoire dans une interview qu’elle a donnée juste avant d’être rapatriée et de rejoindre sa famille : “Vous vous demandez peut-être pourquoi nous avons été assez sottes et stupides pour faire confiance à un inconnu, mais nous n’avions jamais rencontré le mensonge et l’escroquerie dans notre vie jusque-là, dit-elle. En Chine, jusque récemment on n’entendait pas parler de ces choses, particulièrement dans notre communauté rurale. J’avais seulement quinze ans et je ne connaissais rien du monde. Le moine nous a conduites de l’autre côté de la frontière, à Muang Yang où nous avons passé deux nuits. Il nous a ensuite confié à deux hommes qui nous ont emmené à Mae Sai, en Thaïlande. Nous avions peur, mais ils nous ont dit de ne pas nous inquiéter : nous pourrions obtenir de bons emplois en Thaïlande et envoyer de l’argent pour aider notre famille”. Après cinq jours un homme est venu qui leur a annoncé qu’il leur donnerait du travail : “J’ai pleuré quand le patron a donné 45 000 baht (10 000 francs environ) à nos kidnappeurs. Ils nous ont dit de ne pas nous inquiéter, que l’argent était le paiement de notre travail et qu’ils donneraient 10 000 baht à chacune de nos familles. Dans un an ils viendraient nous chercher et nous ramèneraient en Chine”.

Elles furent ensuite mises dans une camionnette et emmenées à Pattaya, station balnéaire connue, à une centaine de kilomètres de Bangkok. “Jour et nuit nous avons été forcées à dormir avec des hommes, raconte Ee Chang. Après huit mois, j’ai réussi à m’enfuir avec l’aide d’un chauffeur de taxi qui m’a amenée à Mae Sai”. Après avoir pu rejoindre Tachileck, une ville de Birmanie, Ee Chang fut à nouveau trompée par une vieille femme qui la vendit à une maison de prostitution de Betong à la frontière malaisienne, pour une somme de 30 000 baht. “Après environ dix mois à Betong, j’ai rencontré un Taiwanais qui m’a rachetée, ajoute Ee Chang. Je lui ai raconté ce qui s’était passé et il a promis de m’aider à retourner en Chine. Il a payé 60 000 baht pour me racheter”. Le Taiwanais a alors emmené Ee Chang à Bangkok où il l’a mise entre les mains de l’ambassade de Chine. Les diplomates chinois l’ont confiée au Centre pour la protection des droits de l’enfance où elle a passé dix mois à attendre que ses papiers soient faits. Elle a pris ensuite l’avion pour Kunming. Sur le même vol elle a retrouvé l’une de ses deux compagnes, Ai Kham, qui avait été rachetée à un proxénète par un riche vieillard qui l’avait installée dans un appartement de Bangkok. Il l’avait ensuite envoyée à une personne qui travaille pour Thai Rath, le journal le plus important du pays. Elle est alors devenue gardienne du bâtiment. La troisième fille eut plus de chance qu’elles. Elle fut secourue par un autre Taiwanais qui l’amena à Mae Sai d’où elle put rejoindre son village natal par ses propres moyens.

La plupart des filles qui sont kidnappées appartiennent aux ethnies Dai ou Akha de la frontière. Une massive opération de police a été organisée récemment et une centaine de proxénètes présumés ont été arrêtés : “Ceux qui seront jugés coupables seront durement châtiés” a déclaré Yang Zhongming, chef adjoint de la police de la préfecture autonome Dai de Xishuang Banna. “La Chine a besoin de beaucoup d’aide pour résoudre ce problème, continue Yang, particulièrement à cause de la menace du sida; plusieurs de ces filles reviennent séropositives. Nous avons besoin d’organisations non gouvernementales et de conseillers pour les filles qui ont été mentalement affectées par ces épreuves”.

En juillet 1992, une délégation chinoise dirigée par le chef de la police de Kunming est venue à Bangkok et en a ramené six jeunes filles qui avaient été secourues par le Centre pour la protection des droits de l’enfance. A ce jour, seules 36 filles ont été rapatriées. En août 1991, une fille a été battue à mort par des proxénètes à Chiang Rai : les coupables n’ont jamais été poursuivis, accuse le Centre. Quatre autres filles, dont la fille âgée de 18 ans de l’adjoint au maire de Jinghong, capitale du Xishuang Banna, se trouvent dans un refuge appartenant au Centre et attendent leurs papiers.

Celles-là sont celles qui ont eu de la chance. “Les maisons closes fonctionnent quelquefois sous le nez des policiers, ou sont voisines du département ou de la station de police : ils font semblant de ne pas voir”, accuse le docteur Sisuree Chatikul, conseiller du gouvernement thaïlandais pour ce qui concerne les femmes et les enfants. Un journal de Bangkok ajoute : “Quelques-unes des filles secourues et envoyées au département de l’Immigration ont été vendues à nouveau à des proxénètes quelques semaines plus tard”.

Pour Ee Chang, le bonheur de retourner chez elle se mêle d’appréhension : “Je suis heureuse de rentrer chez moi et je ne reviendrai jamais, mais je me demande ce que va dire mon père quand il me verra”.