Eglises d'Asie

L’ISLAM EN CHINE HIER ET AUJOURD’HUI

Publié le 18/03/2010




La présence de l’islam en Chine populaire n’a commencé que depuis peu à intéresser l’opinion publique mondiale, quand des troubles ont éclaté en 1988-1989 dans le Xinjiang et que des républiques de l’ex-URSS à forte majorité musulmane sont devenues indépendantes en Asie centrale. Cet article voudrait remédier à la rareté des informations en présentant sur l’islam en Chine, après un condensé de son histoire, une étude de la politique du gouvernement communiste à son égard de 1949 à 1978, puis le tableau de sa situation depuis 1979 (*).

1. SYNTHESE HISTORIQUE

Les commencements

L’histoire a retenu que des Arabes ont noué des relations avec la Chine et fait avec elle des échanges commerciaux, principalement par voie maritime, dès avant 500 après J.C. et que quelques-uns d’entre eux s’y sont installés, surtout sur les côtes méridionales, dans la province actuelle de Canton (1).

(*) Traduction EDA d’un article publié en italien dans le numéro 21 (15/04/93) de CINA OGGI, supplément au n°127 de la revue Asia News.

La dynastie Tang (618-907) a marqué un âge d’or des relations extérieures de l’empire chinois. Celui-ci, sûr de son patrimoine culturel, accueillit alors volontiers les influences extérieures et se montra prompt à assimiler les formes et les thèmes culturels des pays avec lesquels il entrait en rapport. Il en vint même à admettre la diffusion de croyances religieuses étrangères, comme le bouddhisme, rejoint par une grande floraison : zoroastrisme, manichéisme, nestorianisme, en plus de l’islam.

Cette ouverture s’est d’abord limitée au commerce et à l’art militaire. Depuis des siècles, les marchands étrangers faisaient le voyage de la Chine à travers l’Asie centrale et s’infiltraient dans l’empire. Selon les sources historiques, à Chang’an, des commerçants venus du centre et de l’ouest de l’Asie vendaient des vins en bouteille et des bijoux. Le négoce des matières précieuses était surtout le fait des Persans, experts reconnus dans l’estimation des pierres dotées de pouvoirs magiques. Les communications maritimes connurent un développement rapide. Des vaisseaux de transport faisaient la navette entre Canton, Chuanzhou, Hangzhou, Yangzhou (2) et les ports du Golfe persique.

Mahomet vivait encore quand, selon la légende (3), quatre de ses premiers disciples vinrent en Chine répandre l’islam parmi les Arabes qui y résidaient. Abu Waqqas (4) l’aurait prêché à Canton, en y faisant construire en 627 le premier minaret, utilisé en même temps comme phare pour les bateaux, d’où son nom de Guangta. Saad Lebid Alhabshi serait allé dans le Fujian, à Changzhou et à Quangzhou, où fut construite la première mosquée, appelée Qilinsi ou mosquée de la licorne.

En tout cas, moins de dix ans après l’hégire (622), une communauté musulmane s’est déjà formée sur les franges de la Chine, en attendant que le processus d’expansion de l’islam pousse les Arabes vers les régions de l’Asie centrale, leur fasse battre la Perse en 636, à Kadisiyad, et rejoindre le Khorassan, aux confins des royaumes tributaires de la Chine. Ce processus entraîne aussi la conversion à l’islam des tribus d’origine turque et mongole du centre de l’Asie, déjà en rapport avec l’empire chinois. L’entrée officielle de l’islam en Chine date de 651, quand arrivent en première ambassade à Chang’an les envoyés du calife abbaside Osman Ibn Affan. Ils exposent à l’empereur Yongwei de la dynastie Tang l’histoire du califat, ses us et coutumes et les bases de la foi islamique. Dans la suite des siècles, spécialement des Tang aux Song du sud (618-1125), se succéderont quarante-sept autres ambassades arabes, venues par terre ou par mer, pour des buts pacifiques ou à cause de conflits armés.

Une bataille entre troupes arabes et chinoises a lieu à Talas en 751, parce que Tashkent, pays tributaire de la Chine, a demandé de l’aide contre la traîtrise de la Chine qui veut l’annexer (5). Mais ce n’est qu’un épisode secondaire puisqu’en 755 le jeune empereur chinois Su Tsung appelle à la rescousse les troupes musulmanes du calife abbaside Abu Ja’far Al-Mansur pour mater la rébellion d’An Lushan, que des délégations officielles des sultans ommayades d’Arabie continuent de venir dans le sud et que les relations commerciales se maintiennent. Les échanges restent si fructueux qu’en 760 on dénombre quatre mille familles arabes dans la seule ville de Chang’an (aujourd’hui Xi’an), capitale de la dynastie Tang.

Avec le continuel va-et-vient des marchands et l’installation de soldats musulmans en Chine, des communautés musulmanes se développent en nombre et en influence dans les principales villes de la route de la soie et dans les ports les plus fréquentés des côtes chinoises. Elles ont le monopole du commerce des marchandises arabes, jouissent de privilèges et d’une relative autonomie de gestion (elles ne peuvent toutefois traiter les affaires commerciales que dans le quartier qui leur est assigné). On les appelle Fanke, hôtes étrangers. Ils habitent des Fanfang, quartiers étrangers. Dirigés d’ordinaire par un chef responsable, Fanzhang ou Qadi, ils vivent regroupés autour de leur mosquée et de leur propre cimetière. Ils se mêlent aussi aux Chinois par le biais des mariages entre un musulman et une femme chinoise.

Les Chinois ont d’abord donné aux Arabes des noms divers, surtout dans le sud. Puis, probablement à cause de la prédominance au nord des musulmans de Perse, ils ont désigné tous les musulmans du nom persan de Tashih, en distinguant les “Tashih habillés en blanc” au sud, les Arabes, et au nord les “Tashih habillés en noir”, les Persans. “Il n’y avait pas seulement des Arabes : ils appartenaient à neuf autres groupes ethniques, en majorité persans. Mais tous étaient musulmans. Des marchands juifs venaient nombreux aussi en Chine, au point qu’ils purent réclamer la construction de deux synagogues à Kaifeng, capitale du Henan. Chose étrange, ce ne sont pas les Arabes qui ont exercé l’influence islamique en Chine, ils n’ont été que son avant-garde. Quand les musulmans chinois, même dans le Fujian et à Canton, récitent le Coran, leur prononciation et leur intonation restent nettement persanes. Bien que la lecture soit encore faite en arabe, leur alphabet de base, leurs idiomes, leur langage familier et le vocabulaire de leurs prières sont persans plus qu’arabes. Cependant rites et modes de prière sont uniformes. Les musulmans chinois suivent l’école hanafite avec une teinte de pensée chiite” (6).

Cependant la prospérité et l’influence des musulmans dans les quartiers où ils vivent éveillent peu à peu des sentiments hostiles dans la population chinoise, jusqu’à la persécution ouverte de 878, quand l’insurgé Banshua (Huang Chao) s’empare de Canton et ordonne le massacre des étrangers. Selon Abu Zaid, voyageur arabe de l’époque, “les personnes bien informées des évènements de la Chine rapportent qu’en plus des Chinois massacrés, ont péri cent vingt mille mahométans, juifs, chrétiens et mages qui vivaient dans la ville comme commerçants” (7). Après le massacre, beaucoup de musulmans se camouflent en prenant un nom chinois. Une autre persécution soudaine des musulmans, surtout persans, a déjà éclaté en 787 quand les forces rebelles de Tian Shen Kong tuent cinq mille étrangers à Yangzhou (la Yonju de Marco Polo), alors port important sur le Yangseu-kiang, dans le Jiangsu actuel (8).

Diffusion dans toute la Chine

Tandis que l’expansion musulmane se poursuit dans l’Asie du centre et du nord, surtout par la conversion de la population Uigur qui s’est déplacée de ces régions vers le Turkestan chinois d’aujourd’hui (Xinjiang) en 965, au sud, les échanges économiques et culturels reprennent après une assez longue pause (9), surtout sous la dynastie Song (960-1278). Les ports les plus fréquentés sont Canton et Quanzhou, appelés respectivement Khanfu et Zaiton par les Arabes (et ensuite par Marco Polo). Un service du commerce extérieur est créé, chargé de protéger les monopoles, de contrôler l’entrée et la sortie des navires, de percevoir les taxes et d’examiner les produits. A Quanzhou, le musulman Pu Shou Keng nommé commissaire des douanes pour les affaires arabes s’efforce, de 1245 à 1275, d’améliorer les conditions du commerce extérieur le long des côtes du Fujian, en éliminant la piraterie.

Après la conquête de l’empire chinois par les Mongols, partielle en 1126, totale en 1278, jusqu’à leur chute en 1368, la présence des musulmans est encouragée et facilitée par leur conquête des pays musulmans d’Asie et l’adhésion à l’islam des chefs mongols (à commencer par les neveux mêmes de Gengis Khan), puis par la politique mongole d’utiliser les talents administratifs, commerciaux et culturels des musulmans (médecins, architectes, mathématiciens et astronomes) et de confier à des étrangers le gouvernement des Chinois, en particulier en qualité de durahatch ou conseillers administratifs et politiques. Il y a aussi parmi eux de bons chefs militaires et des experts en fabrication des canons qui contribuent, sous une dizaine de premiers ministres musulmans, à renforcer l’armée mongole. Leur nombre et leur prestige s’accroissent tellement que, selon un dicton populaire, “sous la dynastie Yuan on trouvait partout des Hui Hui”. Le nom de Hui Hui ou de peuple Hui (qui signifie littéralement “retourner”) a supplanté les autres noms pour désigner en Chine toutes les populations sémites, en particulier les adeptes de l’islam, alors qu’à l’origine le mot Hui semble avoir été une translitération du nom des Uigur. Grâce à l’envoi de ministres musulmans en diverses régions de la Chine, l’islam se répand un peu partout. Il s’implante ainsi au Yunnan surtout parce que Syed Omar Shamsuddin (Sai Dianchi), gouverneur de 1273 à 1279, attire des milliers de personnes à sa foi. A Ningxia et dans les régions voisines l’islam est répandu par Ah Nan Da, qui convertit ses cent cinquante mille soldats (10). Les Mongols convertis constituent avec les musulmans venus d’autres pays des communautés nombreuses, qui subsistent encore dans la Mongolie intérieure.

A cause du profond mécontentement inspiré par l’oppression mongole, beaucoup de musulmans s’allient à Chu Yuan Chang dans sa rébellion qui réussit à renverser la dynastie. De grands chefs de son armée, comme Chang Yui Chong, Hu Da Hai, Teng Yu, Lan Yui, Mu Ying sont musulmans (11). Au Yunnan, en revanche, les musulmans qui composent quarante pour cent de l’armée restent fidèles aux Mongols : ils se rendent les derniers aux Ming, qui le leur font cruellement payer. Parmi les esclaves châtrés envoyés servir comme eunuques à la cour de Pékin, un certain Ma He gagne par ses qualités la faveur de l’empereur Yong Le et, sous le nom de Zheng He (Cheng Ho), se rend célèbre de 1405 à 1431 à la tête de huit expéditions maritimes, de caractère politique et diplomatique, dans le sud-est asiatique et dans l’Océan Indien. C’est au cours de ces voyages que, pour la première fois, des Chinois musulmans font le pèlerinage de La Mecque. La dynastie Ming continue d’utiliser le talent des experts musulmans, surtout pour la défense militaire et en astronomie.

Divisions et oppressions sous la dynastie mandchoue (1644-1911)

Avec les progrès de l’islam en Chine ses divers courants et ses sectes vont se révéler, surtout à la fin des Ming (1368-1644) et sous la dynastie mandchoue des Qing (1644-1911).

La “secte ancienne” ou Qadim met l’accent sur le maintien des doctrines et des pratiques traditionnelles, en opposition à la “secte nouvelle” ou “des fondateurs”, davantage liée à la tradition mystique soufi, qui attribue un pouvoir et des honneurs particuliers à de grands personnages, reconnus pour leur sainteté ou leur prestige, dont elle vénère spécialement la tombe. La “secte nouvelle” s’est à son tour différenciée en sectes plus petites : Kubriyad, qui a son centre à Taiwantou dans le Ganzu ; Khufiyad, fondée par Ma Laichi dans le Ningxia et à Lanzhou ; Jahariyad, fondée par Ma Mingxin ; Kadiriyad, disséminée dans le Shaanxi et dans le Sichuan ; les sectes de la Montagne blanche et de la Montagne noire (ou des musulmans à turbans blancs et à turbans noirs) qui se développent en s’opposant l’une à l’autre au sud du Xinjiang ; la secte la plus récente ou Ikhwan (les frères), fondée par Ma Guoyuan vers la fin de la dynastie Qing etc.

Parallèlement à sa division en sectes, l’islam en Chine s’engage de plus en plus dans la politique en se liant avec des sociétés secrètes qui le mènent à l’insurrection et aux mouvements révolutionnaires.

La situation des musulmans se détériore à l’avènement des Mandchous, qui lancent contre eux en 1651, sept ans seulement après leur prise de pouvoir, une cruelle offensive. Opprimés mais pas vaincus, les musulmans subissent les épreuves les plus dures avec courage et stoïcisme. Tout au long de la période des Qing, qui dure 268 ans, ils restent pour les dirigeants mandchous une source constante de préoccupation, de peur et de haine. Au nord-ouest et au sud-ouest du pays se succèdent tous les vingt ou trente ans des conflits qui au total coûtent la vie, de part et d’autre, à des millions de victimes (12).

Les musulmans sans cesse affrontés à la population chinoise locale se révoltent souvent. Les insurrections les plus notables entre 1648 et 1895 sont : la révolte de Kanchow, Gansu, en 1648 ; l’insurrection de Khojia et Aziz, 1758-1759, qui conduit à l’annexion de la région connue aujourd’hui comme Xinjiang (nouveau territoire) en 1768 ; les révoltes de Ush en 1763 et de Chee Chang en 1767 ; la rébellion de Lanzhou en 1778 et celle de She Fong Pu dans le Gansu en 1781 ; l’insurrection de Jehangir à Kashgar en 1820-1827, suivie de celles de Yussof en 1728-1731 et des sept Khojia en 1836-1839 ; la révolte de Tu Wen Hsiu à Dali et de Ren Wu à Shen Si au Yunnan, 1850-1868, réprimée par de grands massacres; la rebellion Tungkan de Ma Hua-lung dans le Shaanxi et au Gansu, 1862-1873, en relation avec le mouvement d’indépendance du Turkestan des années 1862-1877. Dans ce mouvement sont impliqués les musulmans du Shaanxi, du Gansu et du Xinjiang, qui réussissent avec le prince Uigur Yakub Beg (1820-1877) à former l’Etat indépendant du Turkestan, aussitôt reconnu par l’Angleterre qui veut un Etat-tampon entre la Russie et la Chine. Mais l’autonomie de cet Etat dure peu : il redevient une province chinoise en 1884.

Dans la période de la République (1911-1949)

Après la chute de l’empire chinois (1911) et dans les premières années de la République, “le gouvernement et les non-musulmans semblent apprécier le rôle des musulmans dans la construction de la République. Ceux-ci sont considérés comme une des “cinq races” de la Chine. Pour la première fois, ils sont reconnus, y compris naturellement ceux du Turkestan, comme la race ou la nationalité Hui. Pour la première fois aussi, après la chute de la dynastie mandchoue, ils peuvent jouir en Chine d’une véritable égalité. La constitution nationale comme la proclamation du Kuomintang témoignent clairement en faveur de la liberté de religion. L’islam y est reconnu de manière spécifique. La constitution chinoise prévoit aussi que les représentants musulmans à l’Assemblée nationale sont élus par les musulmans de tout le pays” (13).

Sur le plan politique toutefois, les musulmans du Turkestan ne sont pas satisfaits des changements. Ils s’insurgent contre le pouvoir républicain à Hami en 1912 et de nouveau en 1930. Ces mouvements s’étendent et conduisent, sous l’action de Maula Zabitida à Kashgar à la proclamation en 1933 d’une République du Turkestan, qui est toutefois soumise dès 1934.

A partir de 1912, les groupes musulmans cherchent à améliorer et à coordonner leurs relations avec leurs coreligionnaires de l’étranger. Est fondée dans ce but l’“Association musulmane pour le progrès” qui a son siège central à Pékin et des filiales dans toutes les provinces. Elle est remplacée en 1929 par “l’Association islamique chinoiseEntre temps s’est ajoutée en 1924 l’“Union culturelle musulmane chinoise” qui a pour but de publier et de promouvoir la littérature et la culture musulmanes, en coopération encore avec l’étranger. Une “société pour la prédication islamique” est créée en 1933 à Taiyuan. Pendant l’hiver de 1937, à Hankou, la “fédération islamique chinoise pour le salut national” présidée par le général Omar Pai Chung Hsi connu pour son engagement dans la résistance contre le Japon, entreprend une réorganisation au niveau national qui coiffe et coordonne les structures déjà existantes. Elle envoie deux importantes missions, l’une dans les pays du Moyen-Orient en 1937-1938, l’autre en 1940 dans ceux du sud-est asiatique.

Les musulmans s’engagent aussi de plus en plus dans le domaine de l’enseignement : modernisation des anciennes écoles de mosquée, ouverture de nouveaux établissements, écoles, collèges et centres d’étude, pour la formation des imàm et des enseignants et pour l’instruction religieuse des enfants.

La presse reçoit parallèlement une forte impulsion. Partie d’une simple revue au Yunnan en 1915 elle se dote de publications connues comme Le croissant et La lumière du croissant à Pékin, La revue islamique à Shanghai etc. Cela favorise la naissance et la formation de bons écrivains et traducteurs comme Elia Wang Ching Chai, Mohamad Yang Chong Ming, Ma Chien (Makim), etc.

Selon l’annuaire de la Chine de 1930, il y a alors 48 millions de musulmans dans le pays et environ 40 000 mosquées (14).

En 1943, le professeur Pai Sho Yi écrit : “D’innombrables musulmans ont donné leur vie pour la révolution républicaine et dans la guerre contre l’invasion nippone. Dans les années récentes, un grand nombre d’emplois et de charges militaires ont été occupés par des musulmans, au gouvernement central et surtout dans les provinces du nord-ouest et du sud-ouest. La mobilisation des musulmans a été totale sur le front de la lutte contre l’ennemi comme à l’arrière. Ils ont insufflé l’énergie et l’esprit combatif dans toute la Chine” (15). Dans la guerre contre le Japon, les combattants musulmans constituent cinq pour cent de l’armée chinoise et plus de trente des leurs commandent des troupes au combat avec un grade supérieur à celui de major général. “Les musulmans sont fiers qu’aucun des leurs n’ait suivi Wang Ching Wei quand il s’est réfugié de Chongqing à Nankin pour former le gouvernement fantoche aux mains des Japonais” (16).

A la veille de la République populaire, la situation de l’islam est ainsi décrite : “Le nombre de ses adeptes doit se situer entre 20 et 30 millions. Les Chinois se convertissent difficilement à l’islam. Dans l’armée, on ne trouve des musulmans chinois que dans les troupes dont les officiers sont musulmans. Aucune fille musulmane n’épouserait un Chinois. Une certaine croissance vient du fait que des musulmans épousent souvent des Chinoises qui embrassent leur religion.

Les musulmans de Chine se répartissent entre les deux sectes de la religion traditionnelle et du courant nouveau. La première qui appartient à l’école des hanafites se fonde sur le Coran et sur la sunna. La seconde, qui a pris naissance dans le Gansu et étend de fortes ramifications au Shaanxi, au Sichuan et au Yunnan, est plus attachée au culte de ses saints et de leurs tombes et reconnaît que ses chefs sont investis par Dieu de grâces célestes particulières qu’ils transmettent à leurs successeurs. Les deux sectes sont vivement opposées l’une à l’autre, mais toutes deux s’appuient sur de puissants chefs militaires” (17).

2. POLITIQUE DU GOUVERNEMENT COMMUNISTE

A L’EGARD DE L’ISLAM (1949-1978)

Prudence à l’égard des minorités ethniques

En 1945, les communistes définissent ainsi leur politique dans les zones contrôlées par eux : “Toutes les religions sont autorisées dans les régions libérées de la Chine, selon le principe de liberté de foi religieuse. Tous les adeptes du protestantisme, du catholicisme, de l’islam, du bouddhisme et des autres croyances jouissent de la protection du gouvernement du peuple à condition qu’ils observent les lois” (18).

Mais dans leur entreprise de “libération et unification” de la totalité du pays, les dirigeants communistes rencontrent beaucoup de résistance chez les populations islamiques. En 1947, entre le Gansu et le Shaanxi, des groupes armés musulmans combattent l’armée communiste et lui infligent de sérieux revers. La région n’est d’ailleurs pas “conquise”, mais pacifiée au terme de pourparlers en 1950. De même les Kazak, au nord du Xinjiang, mobilisent leurs forces et résistent par les armes à partir de septembre 1949 sous la conduite de Wo Si Man.

Après la fondation de la République populaire en octobre 1949, le gouvernement communiste officialise prudemment dans la constitution sa politique de liberté des religions, en donnant des instructions précises pour la faire avant tout observer dans les régions des minorités ethniques. Il faut maintenir envers celles-ci le respect qui convient, se garder à leur égard de toute interférence indue pendant les réformes socialistes. Dans le même temps est créé un Bureau des affaires des minorités pour assumer, avec le département du Front uni, la tâche d’une politique prudente de réconciliation et de contrôle.

Cette ligne d’action se concrétise dans l’autonomie régionale concédée à quelques régions à forte population musulmane, en particulier à la Mongolie intérieure en 1947, au Xinjiang Uigur en 1955, au Ningxia Hui et au Guangxi Zhuang en 1958, au Tibet en 1965, ainsi qu’à de nombreux districts dans les autres provinces.

“Après la Libération, les communistes ont dû affronter l’esprit indépendant des musulmans, quand ceux-ci, au Xinjiang, au Gansu et en d’autres provinces se sont soulevés contre la réforme agraire, les abus et l’oppression des cadres. Ils ont alors appris à traiter les minorités avec une très grande prudence, y compris dans le domaine de leur religion, parce que les observances et les pratiques de l’islam sont étroitement imbriquées dans la vie quotidienne de ses adeptes. Mais Pékin a pris soin de camoufler ces conditions de faveur en traitant les fidèles musulmans davantage comme une minorité ethnique que comme un groupe religieux. Il faut en outre observer que la politique communiste à l’égard des musulmans en Chine est également dictée en partie par des considérations internationales. Comme ensemble religieux, les musulmans chinois font partie intégrante du monde islamique du sud-est asiatique et du Moyen-Orient à l’égard desquels la Russie et la Chine ont des visées politiques. Supprimer la religion musulmane à l’intérieur du pays rendrait extrêmement difficile l’amélioration des rapports avec ces régions. L’intensification des activités communistes, en particulier au Moyen-Orient, est donc une cause partielle du traitement plus bienveillant de la religion musulmane par rapport à celui d’autres religions” (19).

La mise en oeuvre de la politique officielle prend la forme d’une succession d’attaques et de contre-attaques, de coups de poing et de caresses, les autorités communistes gardant l’avantage de pouvoir moduler leur tactique en fonction des circonstances et des réactions locales. Cela va des mesures d’oppression et des attaques directes à l’infiltration et à la création d’organismes qui ont pour but de pacifier, de transformer et de contrôler. Le 10 janvier 1951, le Quotidien de l’illumination de Pékin lance une attaque ouverte contre Mahomet en le traitant de “voleur”. La tempête de protestations qu’elle soulève chez les musulmans de la capitale, qui veulent détruire le siège du journal, contraint les autorités à se rétracter et à changer de tactique. Désormais, elles se servent des personnalités et des organisations musulmanes pour critiquer l’idéal islamique d’“un Etat féodal, de droit divinl’acceptation de la division en classes et de l’injustice sociale, la “nature réactionnaire du grand IslamLes musulmans doivent au contraire “s’unir derrière le Parti communiste chinois pour s’opposer à l’impérialisme et retrancher de leur vie économique et culturelle toutes les manifestations rétrogrades” (20).

Dans les régions calmes, sous prétexte d’efficacité et de préparatifs de la réforme agraire, les autorités se hâtent de réquisitionner les mosquées et les locaux pour divers usages. Par exemple, sur 42 mosquées qui existaient dans Pékin en 1949, trois seulement sont encore utilisées comme telles en 1953, avant tout pour le personnel diplomatique étranger ; toutes les autres sont devenues des ateliers ou des entrepôts. Un autre objectif a été d’éliminer “les forces réactionnaires qui contrôlent encore les masses des fidèles musulmansLa tactique des communistes est de pénétrer les groupes et de participer à toutes les activités des musulmans afin de recueillir des informations et de manipuler de l’intérieur les personnes et les affaires en vue des buts recherchés. Pendant la lutte contre les propriétaires terriens et la réforme agraire, bien que des mosquées soient maintenues ouvertes à cause de conditions particulières, sous le contrôle des musulmans du lieu, beaucoup et de mullàh qui n’adhèrent pas aux plans des autorités sont soumis à des procès populaires et condamnés.

Mais les choses ne se passent pas bien, le Quotidien du Xinjiang l’admet en décembre 1951 : “En diverses régions du nord-ouest, pendant les mois de mai, juin et juillet, on a rapporté 37 homicides, 19 empoisonnements et 17 incendies volontaires. Dans la seule province du Qinghai, en août et septembre, 18 attentats ont été commis : empoisonnements des puits, homicides, vols, attaques à main armée, coupures de lignes du télégraphe et du téléphone… Dans le Gansu, au cours des mêmes mois, on a enregistré des cas d’insurrection armée pendant la réforme agraire dans les cinq districts d’administration spéciale de Linxia, Pingliang, Tianshui, Tingsi et Jiuchuan. De même dans les provinces de Xinjiang, Shaanxi et Ningxia, on rapporte des rumeurs alarmistes, des inscriptions de slogans réactionnaires et d’autres désordres du même genre” (21).

Au début d’avril 1952, au moment de la réforme agraire à Pinliang, dans le Gansu, la mosquée est expropriée. Les musulmans de l’endroit, conduits par Yang Jiyun et Ma Guoyuan, prennent les armes et se soulèvent. Ils réussissent à occuper plusieurs districts autour de Haiyuan et de Kuyuan. Seule la coupure des vivres les contraint à se rendre. Leurs chefs sont emprisonnés.

A l’égard des Kazak qui poursuivent leur résistance au nord du Xinjiang, la tactique communiste consiste en contre-attaques armées répétées, qui finissent par les vaincre. Leur chef, Wo Si Man, soumis en février 1951 à un gigantesque procès populaire à Urumqi, devant une masse de 80 000 spectateurs, est condamné à mort. Mais sa mort ne met pas fin à la résistance des Kazak. Les autorités communistes continuent à leur égard leur politique d’élimination des contre-révolutionnaires en multipliant tout au long de la réforme agraire les mesures discriminatoires, les exécutions et les abus de pouvoir en tous genres.

Ce n’est qu’en 1953 que les autorités adoptent la méthode de la réconciliation en tentant d’allécher certains Kazak par divers privilèges et d’endoctriner les jeunes pour en faire de dociles cadres responsables à leur service.

“Dans la première moitié de 1954, doit admettre la presse officielle du Xinjiang (22), on a découvert 3 429 éléments contre-révolutionnairesD’autres émeutes de caractère politique sont enregistrées dans le Henan où, pendant un court laps de temps, un “royaume islamique indépendant” est fondé en 1953.

A la même époque, dans le but de maintenir l’ordre et le contrôle dans les zones stratégiques de la frontière où vivent les minorités ethniques, les autorités centrales continuent d’y transférer des populations Han, la race majoritaire, en vue d’une “sinisation” en douceur de ces zones. L’uniformité des conditions de vie que le pouvoir impose n’empêche pas de fréquents conflits ni les affrontements. La presse officielle déplore souvent des cas d’atteintes aux us et coutumes de la région : “…Dans certaines provinces comme au Henan et en Anhui, là où les Han et les Hui vivent ensemble, les cadres Han traitent les Hui d’arriérés parce qu’ils ne mangent pas de la viande de porc… Pendant la réforme agraire, dans les provinces du Guizhou et Guangxi, à Tai’an dans le Shandong, à Jingyuan dans le Gansu etc., des cadres n’ont pas traité les minorités ethniques selon l’esprit d’égalité. Au moment de l’allocation des terres, ils font exprès de leur attribuer les parcelles les plus petites et les moins rentables, parfois même les laissent sans rien…” (23)

Organismes musulmans

L’éducation des masses musulmanes et la transformation de l’islam dans la ligne socialiste sont poursuivies avec l’aide de divers organismes islamiques et surtout de l’Association islamique chinoise (AIC). C’est en juillet 1952 qu’est décidée sa fondation par un groupe de 53 représentants provenant de différentes régions et dont beaucoup sont des membres du Parti ou de bons exécutants de la politique du Front uni. Le comité préparatoire, dirigé par Burhan Shahidi, convoque l’assemblée inaugurale en mai 1953. Elle le confirme dans son poste de président et précise les buts de l’AIC : “aimer la patrie, assister le gouvernement du peuple et le Parti dans la mise en oeuvre de la politique religieuse, le maintien de bons rapports avec les coreligionnaires de l’étranger afin de contribuer à la campagne de sauvegarde de la paix dans le monde” (24). Dès sa fondation, l’AIC s’applique à se faire l’interprète des directives officielles, à promouvoir une active participation des masses musulmanes à toute campagne nationale lancée par le pouvoir, surtout en direction des minorités ethniques, – à interpréter la doctrine islamique dans la ligne socialiste, avec l’édition du Coran en chinois et la traduction en arabe des principaux documents officiels.

En 1962, Chang Jie, l’un des vice-présidents de l’AIC, écrit : “La Chine est un pays formé de beaucoup de minorités nationales, où vivent ensemble proches les unes des autres beaucoup de fois religieuses. Dans les minorités ethniques la majorité des gens suivent une religion. Dix groupes ethniques adhèrent à l’islam : Hui, Uigur, Kazak, Uzbek, Kalkhas, Tatar, Tajik, Tunghsiang (Dongxiang), Salar et Paoan (Bonan). Il est donc très important de mettre correctement en oeuvre la politique de liberté de foi religieuse du Parti dans les minorités ethniques.

Dans notre pays, le problème de la religion implique les rapports entre les masses, entre les minorités ethniques différentes, entre les diverses classes sociales du pays, les rapports entre la Chine et les pays étrangers. C’est donc un problème très complexe. Son traitement correct a une portée exceptionnelle pour le renforcement de l’unité entre les groupes des minorités ethniques et pour la construction de notre grande patrie socialiste… Pendant les dix années écoulées, la politique de liberté de religion du Parti a été généralement appliquée dans les milieux musulmans et entre musulmans des diverses nationalités. Il est tout à fait possible à présent pour les grandes masses musulmanes de décider librement de leur propre foi religieuse. Le Parti et le gouvernement respectent et prennent en considération toutes leurs croyances, coutumes et traditions religieuses. Toutes les activités et toutes les cérémonies légitimes ne sont pas seulement permises, elles sont protégées par les autorités. Le Parti et le gouvernement ont aidé à reconstituer notre organisation religieuse, “l’Association islamique chinoise“.

Dans un certain nombre de provinces, de villes et de territoires autonomes, ont également été formées des organisations islamiques locales selon les besoins. Un Institut islamique a été ouvert dans le but exclusif de former des intellectuels musulmans patriotes, versés dans les saintes écritures. Des mosquées célèbres de diverses régions du pays ont été restaurées. Des classiques de l’islam ont été traduits et publiés. Les pèlerinages annuels ont été organisés… Les contradictions entre certains réactionnaires de l’islam et le socialisme se sont graduellement aggravées. En réponse aux voeux unanimes des grandes masses musulmanes, un symposium du peuple Hui tenu dans le Ningxia a révélé au grand jour et dénoncé les crimes odieux du réactionnaire Ma Chen-wu” (25).

“Ce furent là les effets d’une réforme démocratique du système religieux en divers endroits qui a connu un succès remarquable… (Les grandes masses musulmanes) ont en outre abattu les barrières qui de longue date séparaient les groupes ethniques, les religions, les sectes, les croyants et les non-croyants. Elles ont ainsi favorisé le développement des relations socialistes entre les différentes nationalités du pays… Par de fréquentes visites amicales, les musulmans des autres pays qui sont venus chez nous ont loué avec chaleur la politique de notre Parti et du gouvernement quand ils ont constaté que les musulmans jouissent ici de la liberté religieuse et d’une vie heureuse” (26).

L’institut théologique islamique chinois est fondé en avril 1955 dans le but de “former des imàm doués des nobles qualités de l’amour fervent de la patrie et de l’amour fervent du socialisme, sachant bien parler l’arabe, imbus des principes de la foi islamique et dotés du savoir nécessaire pour servir les adeptes de l’islam” (27). Mais dans le même temps, en vertu du principe qui prohibe la propagation de la religion hors des temples et des églises, il est interdit aux écoles élémentaires et moyennes traditionnellement rattachées aux mosquées de dispenser l’instruction religieuse (28).

En 1957, avec la politique des Cent fleurs, des critiques à l’encontre des autorités communistes sont formulées par des musulmans, qui accusent le gouvernement de vouloir détruire toutes les religions ou de se servir d’elles à ses propres fins. Comme les autres intellectuels qui osent parler, ils sont convaincus de “crimes contre-révolutionnairesde “tendances droitières” et condamnés. Les autorités s’acharnent spécialement contre Liu Shengming (29) et contre “les musulmans rebelles du Henan” dirigés par Bai Qingzhang, Yuan Changxiu etc. “L’an passé, pendant la grande querelle et la grande floraison (les Cent fleurs), en profitant des attaques frénétiques de droitistes contre le Parti en plusieurs régions du Henan, des criminels de droite cachés dans les couches supérieures du peuple Hui et dans les cercles religieux islamiques se sont démenés. Ils ont répandu des idées réactionnaires et dénigré la politique du Parti. Certains parmi eux sont allés jusqu’à comploter une insurrection dans le but de détruire l’unité nationale et de constituer des royaumes indépendants…” (30)

En 1965, à la clôture de la troisième assemblée nationale de l’AIC, son président Burhan Shahidi déclare: “L’AIC a obtenu de grands résultats dans son effort pour aider le gouvernement à mettre en oeuvre la politique de liberté religieuse, à organiser l’étude théologique islamique et à renforcer les échanges de visites amicales avec des coreligionnaires d’autres pays… Pour les fêtes musulmanes, le gouvernement accorde des congés spéciaux dans ses services, les usines et les écoles, les organisations d’Etat distribuent à leur personnel musulman des rations alimentaires et des articles de circonstance… Avec l’aide financière du gouvernement, nombre de mosquées célèbres ont été restaurées… Depuis sa création l’institut théologique islamique a formé de nombreux imàm et spécialistes musulmans : Hui, Uigur, Kazak, Uzbek, Khalkhas et Salar.., sans parler des cours spéciaux organisés en beaucoup de régions sur le Coran, les hadith (actes et dits du prophète Mahomet), les lois et l’histoire de l’islam, sur la langue arabe… Deux éditions du Coran ont été publiées et de nombreux ouvrages de théologie… Des pèlerinages annuels à La Mecque ont été organisés… Nous avons poursuivi avec nos coreligionnaires d’autres pays les échanges de visites amicales qui contribuent énormément à renforcer la compréhension mutuelle et l’amitié…” (31)

Pendant la Révolution culturelle (1966-1976)

Quand la Révolution culturelle éclate, la politique de liberté religieuse se transforme en persécution ouverte, selon les directives des dazibao (32) qui apparaissent à l’automne 1966 à Pékin : “Fermer toutes les mosquées, dissoudre toutes les associations religieuses, supprimer l’étude du Coran, abolir les mariages entre coreligionnaires, la circoncision” ; “Abolition immédiate de toutes les organisations islamiques de Chine, internement du ‘clergé’ islamique dans des camps de travail forcé, substitution de l’incinération aux rites funéraires musulmans, suppression de la célébration des fêtes et des congés islamiques” (33). Les gardes rouges s’engagent à fond dans cette ligne d’action. Au paroxysme de la Révolution culturelle, vers la fin des années 60, les musulmans de la province du Yunnan fomentent une insurrection en proclamant la fondation de la République islamique. Les villages impliqués sont rasés par les troupes gouvernementales.

Les premiers signes de retour d’une certaine liberté religieuse, après les excès de la Révolution culturelle, apparaissent en 1970-1971 quand revient au premier plan la préoccupation de l’unité entre les minorités ethniques et des bons rapports avec les pays islamiques étrangers. Ce coup de frein amène en 1974 une autre insurrection des musulmans du Yunnan, dont la répression fait 1 700 morts sans rien résoudre ni favoriser une réconciliation des esprits.

3. SITUATION ACTUELLE (depuis 1979)

Avec la politique de libéralisation lancée par Deng Xiaoping au troisième plenum du onzième Comité central du Parti communiste chinois, en décembre 1978, s’ouvre une ère nouvelle pour les musulmans de Chine. Nous voudrions montrer les aspects les plus significatifs de leur situation actuelle, en notant d’abord les principaux événements et les lignes prédominantes de leur histoire récente, puis en présentant les données statistiques et les caractéristiques de la vie musulmane chinoise.

Evénements marquants

En 1979, des étapes préliminaires importantes sont franchies : réouverture des mosquées dont le muezzin du haut du minaret appelle à la prière ; libération et rétablissement dans tous leurs droits des personnalités musulmanes condamnées avant et pendant la Révolution culturelle ; reprise officielle des pèlerinages à La Mecque ; fixation d’un programme de recherche et d’étude islamiques à la Conférence nationale de Kunming, en février ; participation de quelques représentants musulmans en août à la troisième conférence mondiale de Princeton (New Jersey) sur la paix et les religions et, en septembre, au Conseil islamique d’Algérie.

A partir de la même année, les musulmans chinois sont considérés comme un pion important dans l’amélioration des rapports et du commerce avec les pays arabes, et pour cela leur est laissée une plus grande marge d’initiative. Au niveau de la population les signes de respect se multiplient. Les traditions alimentaires des musulmans sont favorisées, un peu partout s’ouvrent des boutiques et des restaurants spécialisés dans les plats halàl (purs, permis), plats également présentés dans les buffets des trains, des bateaux et des avions, sur les tables des cantines d’usine. Pour les aliments obligatoires au moment des fêtes, des primes spéciales sont accordées aux ouvriers musulmans ou des distributions leur sont faites. Des inspecteurs sont envoyés dans les abattoirs pour vérifier que les lois islamiques sont respectées dans l’abattage des animaux. Des congés sont accordés pour la célébration des fêtes les plus importantes. L’élection de musulmans comme délégués aux assemblées du peuple est favorisée à tous les niveaux, etc.

En avril 1980, la quatrième assemblée nationale de l’AIC précise de nouveau les objectifs de l’association : servir de pont entre le gouvernement et les membres de la communauté islamique pour la mise en oeuvre de la politique religieuse ; restaurer les mosquées ou en construire de nouvelles ainsi que les autres lieux de culte ; reprendre la publication du Coran, des livres religieux et de ses propres publications ; travailler à la formation des imàm et des mullàh en ouvrant des instituts d’étude et de formation islamique ; réorganiser les grandes fêtes traditionnelles et les pèlerinages à La Mecque; favoriser les relations avec les coreligionnaires d’autres pays et la coopération internationale. Burhan Shahidi est élu président honoraire et Zhang Jie, président en exercice.

A partir d’août 1980, à Yecheng au Xinjiang, des mouvements de protestation se succèdent contre la domination des Han, de nouvelles organisations antigouvernementales prêchent la guerre sainte pour obtenir l’indépendance, en union avec tous les musulmans turcs.

Les pèlerinages privés à La Mecque sont également autorisés à partir de 1981. En 1985 diverses associations islamiques provinciales et locales sont créées.

Du 10 au 16 mars 1987 se déroule à Pékin la cinquième assemblée nationale de l’AIC qui réélit Burhan Shahidi président honoraire, nomme Zhang Jie conseiller et Shen Xiaxi, président en exercice. Les statuts qui sont approuvés définissent ainsi les objectifs de l’association : “assister le gouvernement populaire dans la mise en oeuvre de la politique religieuse ; promouvoir les meilleurs traditions de l’islam et oeuvrer pour une meilleure gestion des affaires religieuses ; représenter les droits légaux des cercles islamiques et des individus ; unir les musulmans de tous les groupes ethniques dans l’amour de la patrie ; participer positivement à la construction de la civilisation matérielle et spirituelle socialiste; promouvoir le grand oeuvre de la réunification de la nation ; développer et renforcer les rapports et les échanges amicaux avec les coreligionnaires de l’étranger et sauvegarder la paix du mondeLes appels concrets adressés directement aux fidèles sont : “étudier consciencieusement les diverses politiques du parti… surtout celles qui concernent les minorités nationales et les religions ; approfondir la connaissance des lois… renforcer l’unité des nationalités et des sectes pour contribuer à une gestion paisible des affaires religieuses et maintenir la paix et l’harmonie de la situation politique…; aider efficacement le comité d’administration démocratique des mosquées..; améliorer l’éducation et la formation des agents religieux… poursuivre la publication et la traduction des Ecritures et des livres de l’islam ; soutenir le périodique Musulmans en Chine ; recueillir et mettre en valeur les vestiges et les monuments historiques de l’islam ; développer les études islamiques ; faire avancer les recherches sur les problèmes présents de l’islam.., continuer à développer les rapports d’amitié avec les partenaires étrangers et pratiquer les échanges universitaires et culturels pour améliorer la compréhension mutuelle avec les pays musulmans

Des données statistiques sont fournies pour l’occasion : on a ouvert vingt mille mosquées, distribué huit cent mille exemplaires d’ouvrages islamiques et, depuis 1980, sept délégations ont été envoyées à La Mecque (34).

Le conseiller de l’AIC, Zhang Jie, meurt en octobre 1987. On loue sa ferveur d’écrivain et d’éditeur au service de la doctrine islamique.

A partir du printemps de 1988 éclatent des conflits de nature diverse entre groupes musulmans, entre sectes, des manifestations se produisent en faveur de l’autonomie locale, contre les Han, contre la nouvelle législation de l’Etat sur le contrôle des naissances (qui limite à trois au maximum le nombre des fils dans les minorités ethniques).

En dépit des interventions et des discours des autorités, les mouvements de protestation et les désordres continuent à l’automne 1988, avec des manifestations d’étudiants à Kashgar contre la présence d’étudiants Han et, là et en d’autres villes du Xinjiang, contre les essais nucléaires et les expériences sur les missiles à Lop Nor.

Le 20 octobre 1988 la Chine reconnaît l’Etat palestinien au niveau diplomatique.

Du 22 au 26 novembre 1988 sont convoqués à Pékin tous les secrétaires généraux des provinces et des régions autonomes de l’AIC ainsi que les directeurs des neuf séminaires islamiques. Les mots d’ordre sont : clarifier et améliorer l’administration démocratique des mosquées, renforcer l’autonomie financière de l’Association et de chacune de ses unités, élever le niveau de formation des séminaires, faciliter les visites d’étrangers et les pèlerinages (35).

Le 28 décembre 1988, plus de 300 étudiants Uigur de cinq universités de Pékin organisent une manifestation dans la rue contre la discrimination raciale, ils réclament plus d’égalité et le respect des droits de l’homme pour les minorités ethniques.

Les manifestations de mécontentement et les mouvements de protestation continuent en 1989. En mai, des groupes musulmans dont l’ensemble dépasse cent mille personnes manifestent à Urumqi, à Pékin et en d’autres villes, réclamant la saisie du livre Les coutumes sexuelles, publié à Shanghai, qui traite le sujet de façon offensante dans son chapitre consacré à l’islam.

En juillet 1989, après l’intervention des troupes sur la place Tiananmen contre les étudiants, dont les manifestations pour la liberté et la démocratie ont mobilisé des groupes islamiques, toute la direction de l’AIC se réunit pour réaffirmer son soutien au discours de Deng Xiaoping et à la résolution du Comité central du Parti de “renforcer consciencieusement le travail idéologique politique, de mieux développer l’éducation patriotique et de s’opposer au libéralisme bourgeois”Nous devons, affirme l’AIC, suivre la direction du Parti dans l’organisation des professions religieuses et des masses musulmanes. En étudiant bien les affirmations de Deng Xiaoping et des autres documents majeurs, nous devons augmenter la prise de conscience idéologique, distinguer le vrai et le faux, maintenir la paix et l’union dans tout le pays. Nous devons continuer à aider le gouvernement à appliquer sa politique à l’égard des minorités et des religions, renforcer l’unité entre le peuple et les sectes religieuses et accomplir consciencieusement nos obligations de croyants” (36).

Le 29 août 1989 meurt Burhan Shahidi, président honoraire de l’AIC.

En mars 1990 une campagne est lancée contre le fondamentalisme islamique et contre “les forces hostiles étrangères qui cherchent à faire des prosélytes et à créer des tensions

En avril 1990 un groupe de musulmans organisés en “parti islamique du Turkestan de l’Est”, sous la direction d’Abul Kasim, proclament la guerre sainte pour établir une république indépendante. L’intervention des forces de police à Baren, près de Kashgar dans le Xinjiang, fait une cinquantaine de morts. Puis viennent les arrestations (six mille selon Amnesty International), les interrogatoires et les exécutions. Les mosquées et les écoles sont fermées. Une campagne est lancée pour convaincre les chefs religieux et les fidèles musulmans de s’opposer au séparatisme. Des régions du Xinjiang sont fermées au tourisme.

En juillet l990 la Chine noue des rapports diplomatiques avec l’Arabie saoudite. En novembre de la même année, dans le district de Yuxi à 80 kilomètres au sud de Kunming au Yunnan, une autre manifestation éclate : trois musulmans sont tués et beaucoup d’autres sont blessés.

Dans les premiers mois de 1991, surtout pendant la guerre du Golfe, on enregistre des manifestations en faveur de Saddam Hussein, acclamé aussi comme un éventuel libérateur des musulmans chinois.

Le 8 mars 1992 se déroule une grande manifestation à Kashgar, près de la mosquée la plus importante, pour réclamer le respect des droits de l’homme et l’autodétermination politique. Des policiers armés interviennent.

Lignes de développement

a) Autonomie locale et unité nationale

Une première constante dans l’histoire récente de l’islam en Chine a été, du côté des musulmans, une sensibilisation de plus en plus profonde à la liberté et à l’autonomie, jusqu’à réclamer l’indépendance, et du côté des autorités chinoises, la préoccupation croissante de l’efficacité de leur contrôle et de l’unité nationale. Derrière toutes les protestations des musulmans il y a leur ressentiment contre l’emprise des Han sur leurs terres, leur suprématie et leurs fréquents abus de pouvoir. La majorité des musulmans refusent l’enseignement laïc et athée des communistes chinois, qu’ils regardent avec mépris comme “infidèles”. De leur côté, avec la libération et l’ouverture de la Chine au monde, les autorités chinoises n’ont cessé, en insistant sur l’unité nationale, de s’inquiéter de l’influence que les pays musulmans, en particulier ses voisins d’Asie centrale qui ont obtenu leur autonomie en 1989-1990, peuvent exercer sur leurs coreligionnaires chinois. Dans les années récentes, les forces de sécurité ont déjoué beaucoup de tentatives d’indépendance musulmane, surtout dans le Xinjiang.

En mai 1988, les autorités chinoises organisent pour les minorités ethniques une conférence sur l’unité nationale, avec le but de leur inculquer de façon draconienne l’urgence de l’unité.

En février 1990, au Tajikistan, qui est uni géographiquement et ethniquement au Xinjiang chinois et qui a repris avec lui un rythme élevé de relations et d’échanges, l’état d’urgence est décrété. Le premier ministre Li Peng affirme que cette province présente “tous les facteurs d’instabilité” et met en garde contre les forces séparatistes qui “peuvent, sous le manteau de la religion, s’infiltrer dans nos rangs en profitant de nos rapports avec d’autres paysLe ministre des minorités nationales, Ismaïl Asmat, prend la suite en attaquant ceux qui “fomentent des désordres et mènent des activités séparatistes sous des prétextes ethniques ou religieuxDans son rapport annuel présenté à Urumqi le 3 mars 1990, le gouverneur du Xinjiang, Tomur Dawamat, musulman lui-même, fait état d’une “période de lutte politique extrêmement difficile” au cours du printemps et de l’été précédents, de nombreux conflits et de mouvements protestaires. Il menace d’une sévère répression toute activité séparatiste. Dans les premiers mois de 1990 la campagne tant nationale que régionale contre le fanatisme islamique vise à maintenir partout l’ordre et la stabilité. Après l’insurrection de Baren en avril 1990, une campagne lancée là auprès des milieux religieux musulmans mobilise clergé et fidèles sur les objectifs : “aimer la patrie, observer les lois, s’opposer au séparatisme et sauvegarder l’unité nationale”, “empêcher les tentatives d’infiltration d’ennemis de la mère-patrie qui mettent en péril l’unité nationale, violent la loi et la discipline” (37).

Une enquête réalisée par l’académie des sciences sociales dans le Xinjiang rapporte en 1991 : “Dans les années récentes, au sud de la région autonome du Xinjiang Uigur, l’audience et l’influence des religions ont régulièrement augmenté en plusieurs régions. Le sentiment religieux s’est de plus en plus renforcé dans les masses et on observe une véritable fièvre religieuseLes raisons de cette “fièvre religieuse” sont manifestes : rapidité de la construction ou des agrandissements de mosquées, multiplication spectaculaire des livres saints et des écoles de mosquée, grand nombre des cadres du parti et des enseignants qui pratiquent la religion et qui participent à des activités religieuses, prestige et position sociale du clergé et des chefs responsables religieux, forte pression exercée par les forces religieuses et par la tradition qui contraint tout le monde à croire, etc., – autant de stimulations des activités religieuses qui interfèrent d’ailleurs avec l’administration, le système judiciaire, l’enseignement, la planification des naissances, le progrès technique et la mécanisation de l’agriculture (38).

b) A l’égard des mosquées et des lieux de culte restaurés ou construits, les autorités chinoises tiennent à en favoriser de toutes manières “l’administration démocratiqueActuellement le nombre officiel des mosquées ouvertes dépasse vingt-trois mille. “Selon la règlementation, la construction ou l’agrandissement des lieux de culte, y compris les mosquées, doivent être approuvés par le service (officiel) responsable au niveau de la commune ou au-dessus. Depuis quelques années, leur construction échappe au contrôle de l’Etat et ce sont des cadres de niveau inférieur qui délivrent l’autorisation. Beaucoup de mosquées sont même construites sans la moindre autorisation. En conséquence le nombre des mosquées a été multiplié plusieurs fois en peu d’années… C’est surtout depuis 1984 que les citadins et les villageois se sont mis à rivaliser dans la construction de mosquées grandes ou petites et ce mouvement a atteint un sommet en 1986” (39).

Quant à l’administration démocratique des mosquées, ses règles particulières sont édictées par l’AIC de la province ou du lieu, ainsi que par le Bureau des affaires religieuses. En octobre 1986, l’AIC de Pékin rédige un projet de statut qui définit le comité d’administration démocratique des mosquées : “Au nom des masses musulmanes, le comité d’administration démocratique des mosquées agit sous la direction des directeurs des services responsables des minorités nationales et des affaires religieuses à tous niveaux et des dirigeants de l’association islamique. Ses tâches consistent à : aider le gouvernement dans la diffusion et l’application de la politique du Parti et de l’Etat à l’égard des nationalités et pour la liberté religieuse ; gérer les affaires administratives et financières de la mosquée ; prendre soin des affaires religieuses ; conserver et protéger les biens des mosquées et les monuments culturels ; accueillir les hôtes ; redemander aux AIC du district et de la commune un imàm qui sera ensuite nommé par l’association locale ; créer des entreprises de production, de services et d’assistance sociale ; promouvoir l’unité nationale; protéger la sécurité de la société et participer positivement aux initiatives prises en faveur de la civilisation spirituelle socialiste” (40).

Voici l’une des conclusions de la rencontre des secrétaires généraux musulmans de novembre 1988 : “Il existe actuellement plus de vingt mille mosquées dans tout le pays. Beaucoup parmi elles ont déjà leur comité d’administration démocratique, des statuts en bonne forme et un système d’organisation approprié. Elles ont de la sorte assuré les meilleures conditions pour réaliser leurs activités et leurs devoirs religieux et favoriser la construction harmonieuse de l’unité. Elles ont également formé des entreprises pour assurer leur autonomie financière, avec des résultats positifs dans tous les secteurs. Mais il y a des mosquées qui n’ont pas encore mis sur pied un comité d’administration ou qui ne l’ont pas établi conformément aux directives. Il est donc unanimement recommandé que, sous la direction et avec le soutien des services gouvernementaux responsables, un plan d’action soit élaboré, d’une part pour venir en aide à ces mosquées encore privées d’un comité d’administration démocratique, afin qu’il soit rapidement constitué, d’autre part pour aider les autres en vue d’une meilleure efficacité démocratique” (41).

c) Le développement récent de l’islam en Chine a également porté sur la célébration de ses traditions et de ses fêtes annuelles. Les musulmans chinois pratiquent toujours la prière cinq fois par jour à l’appel du muezzin du minaret. Ils continuent de se réunir le vendredi à la mosquée pour la cérémonie hebdomadaire et les ablutions rituelles. Ils célèbrent solennellement leurs fêtes annuelles. Celle du Qorban ou “Fête du grand sacrifice” (Id al-Adha ou de l’immolation des animaux) le dixième jour du douzième mois, comporte un nettoyage général de la maison, la confection de tartes et d’autres pâtisseries spéciales le soir précédent, le matin de la fête des ablutions et une cérémonie à la mosquée, l’immolation d’un agneau pour les invités et la parenté, des jeux et des compétitions. Le mois du Ramadàn, au neuvième mois, impose un jeûne total du lever au coucher du soleil. La fête du Bairam ou Id al-Fitr marque pendant trois jours la fin du jeûne du Ramadàn : le premier jour commence par des prières à la mosquée et la visite des tombes puis se passe en visites à la parenté et aux amis. A l’occasion de cette fête, chaque famille doit faire une offrande à la mosquée et des dons aux pauvres et aux orphelins. Ces célébrations s’ajoutent aux fêtes traditionnelles chinoises comme le Nouvel an ou fête du printemps, le festival de la mi-automne, etc., pendant lesquelles, jusque devant les mosquées, les gens se mêlent à des troupes professionnelles pour donner des spectacles de chansons et de danses traditionnelles.

Les musulmans s’efforcent aussi de conserver leurs coutumes et leurs traditions, surtout pour les mariages et les enterrements, en dépit de la pression officielle pour les simplifier et les changer. Dans chaque village musulman a été formé un comité chargé de contrôler que ces cérémonies soient organisées sans dépenses excessives : “Nous devons obéir aux Ecritures de l’islam qui défendent le gaspillage. Quand on fait choix d’une femme pour se marier, on ne dépense pas d’énormes sommes pour le tape-à-l’oeil. Les funérailles aussi doivent se faire selon les enseignements des Ecritures, aussitôt après la mort, simplement, en n’érigeant qu’une petite stèle, en rompant avec la mauvaise habitude d’une parade de deuil. Ces manières de faire sont dans l’esprit de l’appel du gouvernement à un style de mariage nouveau et à un cérémonial simple de sépulture” (42).

La tradition du pèlerinage à La Mecque est l’objet d’une particulière attention. Depuis 1986 paraît un bulletin Nouvelles pour les pèlerinages, des bureaux et des comités sont organisés pour la réception des pèlerins. Les secrétaires généraux de l’AIC réunis en 1988 font la proposition suivante : “L’AIC a l’importante responsabilité d’organiser un pèlerinage par an. Cette année, le grand nombre des demandes, plus élevé que l’année précédente, et les conditions nouvelles nous amènent à faire les propositions suivantes. L’association islamique devrait organiser dans chaque région, en accord avec les bureaux et les associations du lieu, une session spéciale consacrée aux problèmes des pèlerinages. Les associations locales doivent former des équipes responsables qui mettront au point et simplifieront les formalités, fourniront aux pèlerins renseignements et directives avant leur départ. Tout inscrit au pèlerinage doit être pleinement informé de ses aspects doctrinaux comme de son règlement. Les masses doivent être dissuadées d’organiser des fêtes au départ des pèlerins et à leur retour” (43).

d) L’islam s’est également développé sur le plan de l’enseignement des fidèles et de la formation des agents religieux. En 1982 est rouvert à Pékin l’Institut théologique islamique de Chine. D’autres instituts sont ouverts par la suite : à Zhengzhou en novembre 1985 pour la formation des chefs religieux des provinces du Henan, Shandong, Anhui et Jiangsu ; à Yinchuan pour la province de Ningxia ; en avril 1986 à Pékin ; en 1987, à Urumqi pour le Xinjiang, à Xining pour le Qinghai et en novembre à Kunming pour le Yunnan. Il y a maintenant en tout neuf séminaires ou instituts théologiques. Ils organisent, comme le font les AIC à divers niveaux, des cours d’instruction générale et de langue, ouverts également aux femmes musulmanes, comme par exemple à Chang De au Hunan.

A l’issue de leur réunion de novembre 1988 que nous rappelions plus haut, les secrétaires généraux soulignent ceci : “Depuis quelques années, tous les séminaires se sont attachés à contrôler les programmes des études et à résoudre les problèmes que posent le personnel enseignant, le matériel pédagogique, les logements, les équipements, etc. Chaque établissement délivre des diplômes et envoie des élèves à l’étranger pour des études plus poussées. Quelques séminaires donnent des cours spéciaux pour les imàm et les mullàh… Voici les directives et les suggestions proposées pour améliorer la direction des séminaires :

– Faciliter de plus en plus les relations des séminaires avec les bureaux gouvernementaux. Chaque séminaire doit déployer ses efforts en fonction de ses spécialités et des exigences des disciplines scolaires, renforcer et compléter son organe de contrôle, recruter un personnel dirigeant ouvert aux questions de l’islam et de l’éducation, animé d’un amour sincère pour la cause de l’islam, établir enfin, s’il fait encore défaut, un comité permanent des affaires du séminaire, chargé de contrôler et d’aider à la mise en oeuvre des directives.

– Réviser le mode de recrutement des étudiants, en fixant une politique d’ensemble, et insister sur le principe du retour des étudiants à leur propre région d’origine…

– Il est à souhaiter que l’Institut islamique chinois s’engage à créer les conditions permettant d’organiser des cours de formation des enseignants, afin qu’il soit remédié à leur grande pénurie…

– Les séminaires devront avant tout élaborer un programme d’enseignement pour chaque niveau, qui définisse après les recherches indispensables les matières qui conviennent aux divers cours. Ils prépareront aussi plus tard des programmes pour les cours spéciaux…” (44)

En août 1989, la première université musulmane chinoise, celle du Xi’an, a commencé de recevoir des inscriptions, venues avant tout des minorités ethniques.

Quand à l’instruction religieuse des jeunes, un rapport officiel du Xinjiang décrit ainsi ce qu’il en est : “Jusqu’à 1978, le comité central du Parti n’a cessé de répéter la règle qui interdit d’inculquer la moindre idée religieuse aux enfants et aux jeunes de moins de dix-huit ans. A cause de cette défense, aucune mosquée ne devait avoir une école privée, aucun enfant ne pouvait être mené dans les lieux de culte et d’activité religieuse. Par contre, à partir de 1979, on a ouvert partout des écoles privées de mosquée. Toutes les tentatives pour empêcher leur ouverture ont échoué et elles continuent de se multiplier. A Yencheng, par exemple, il n’y avait en 1979 que cinq écoles de mosquée faisant étudier l’islam à 150 élèves, mais à la fin de 1989, on comptait cinq fois plus d’écoles et d’élèves. Les voies d’accès aux livres sacrés ont évolué : les étudiants qui se contentaient auparavant de fréquenter l’école de la mosquée locale sont allés se mettre à l’école de personnalités religieuses en renom. Les étudiants de l’islam à Yenchang viennent de tout le Xinjiang. Ils aspirent tous à poursuivre leurs études théologiques à l’étranger. Depuis 1986, sous couvert de visite à leur famille, 119 étudiants des districts de Kashgar et de Hotan sont partis pour ces études à l’étranger” (45).

e) Il y a eu aussi un essor dans la publication de la littérature religieuse. La parution en chinois du périodique Musulmans de Chine a commencé en 1981, son édition en uigur en 1983. Un bureau a été ouvert pour la distribution des écrits sacrés et des livres de l’islam, qui s’est doté depuis 1984 de services commerciaux. La récente Encyclopédie chinoise a été pourvue d’un chapitre sur l’islam. Les Nouvelles pour les pèlerinages sont publiées depuis 1986. En 1987 a paru la première traduction du Coran en uigur. Des oeuvres classiques ont été rééditées et l’on a favorisé la production littéraire de jeunes écrivains musulmans.

Dans les premiers mois de 1990, la télévision chinoise a diffusé une série de programmes sur les doctrines et les pratiques de l’islam.

f) Etudes et recherches

La conférence de Kunming de février 1979 a décidé d’organiser à l’échelle nationale une série de rencontres sur l’islam, présidées à tour de rôle par les cinq provinces du nord-ouest. Des représentants de ces provinces se sont réunis la même année pour fixer le détail du programme qui allait ouvrir “une ère nouvelle des études islamiquesLes rencontres vont se succéder :

-10-20 novembre 1980 à Yinchuan (Ningxia) : 80 délégués de six groupes ethniques différents, qui présentent 47 études, centrées principalement sur les problèmes de l’histoire de l’islam du dix-huitième siècle à nos jours: les sectes de l’islam et leur hiérarchie, le rôle de l’islam dans la formation de la nationalité Hui, les caractéristiques et l’évolution de l’islam parmi les minorités après sa diffusion en Chine, le rapport entre l’islam et l’insurrection Hui, etc.;

-13-21 octobre 1981 à Langzhou (Gansu) : 150 délégués de dix groupes ethniques, 65 études : interactions entre la pensée, la culture et les traditions chinoises et musulmanes, les sectes de l’islam et leurs rapports hiérarchiques, la politique de la dynastie Qing à l’égard de l’islam et l’influence de celui-ci sur les mouvements anti-Qing, les orientations de l’islam en matière d