Eglises d'Asie

PAS DE VRAIE LIBERTE RELIGIEUSE SANS LIBRES INSTITUTIONS

Publié le 18/03/2010




L’année dernière j’ai lu de nombreux échos de Chine rapportant des libérations de prêtres, des mesures de libéralisation du culte, un progrès général de la liberté religieuse. Ces nouvelles ont commencé à circuler quelques semaines avant la décision américaine d’accorder de nouveau à la Chine le statut commercial de la nation la plus favorisée. Et elles ont continué pendant la compétition pour l’accueil des jeux olympiques de l’an 2000, surtout lors de la visite du cardinal Etchegaray à Pékin.

Or c’est là un sujet que je connais un peu. De 1958 à 1980, j’ai été l’hôte du Parti communiste chinois en plusieurs de ses prisons. Mon « crime », avec beaucoup d’autres, était simplement de ne pas vouloir soumettre ma conscience ni ma foi au contrôle du Parti.

En lui-même mon emprisonnement pourrait n’être qu’un triste maillon dans une longue chaîne d’injustices. Mais quand le gouvernement met en prison des chrétiens, des bouddhistes et quiconque se réclame d’impératifs de conscience, il ne réprime pas seulement leurs paroles ou leurs actes, il exige bien plus que le loyalisme et le patriotisme dus à tout gouvernement, il revendique une autorité sur toute âme chinoise. Et il réserve un surcroît de venin à ceux qui, pour dire non à ses exigences, s’appuient sur une institution.

Même dans le débat international sur les droits de l’homme, le droit le plus fondamental, le droit à la liberté religieuse, n’a retenu qu’une attention superficielle. C’est pour une grande part parce que nous sommes partis d’une définition trop étroite. La liberté religieuse est bien davantage que le droit d’assister occasionnellement à des cérémonies. Pour que ce droit se traduise dans la réalité, il lui faut aussi une dimension collective ou institutionnelle.

Que serait par exemple la communauté de Hongkong sans ses 275 écoles, ses hôpitaux (6) et ses cliniques (9), ses centres sociaux (17), ses hôtels (11) et ses foyers pour personnes âgées (29), son foyer pour les handicapés et tant d’associations d’entraide dirigées par l’Eglise catholique mais au service de toute la population de Hongkong ? Dans la plupart des pays de telles institutions sont hautement estimées. En Chine, on les regarde comme une menace.

Le refus de s’aplatir devant Pékin a fait de nouveaux martyrs. C’est ainsi qu’en novembre dernier les neveux de Mgr Etienne Liu Difen reçurent l’ordre de venir chercher leur oncle. Ils le trouvèrent gisant inconscient sur un lit d’hôpital. Il mourut trois jours plus tard. Quand ils firent sa toilette funèbre, ils découvrirent avec horreur des plaies et des traces de coups sur tout son corps.

Au début de cette année, l’évêque du Hebei, Mgr Joseph Fan Xueyan, est mort lui aussi dans le secret d’une détention administrative et son corps a révélé aussi des blessures aux jambes et des traces de coups. Les autorités chinoises affirment que ces personnes ont été gardées dans des « maisons du troisième âge ». La vérité, c’est que la détention administrative leur permet de se dispenser des actes d’accusation, des procès et des voies de recours.

C’est pourquoi, tout en me réjouissant de la libération de mes frères, prêtres et ministres, je reste sceptique. Dans un rapport récent intitulé « Poursuite des persécutions antichrétiennes en Chine », l’institut Puebla de Washington a relevé que les autorités chinoises ont donné la nouvelle fausse de la libération de deux chefs religieux, qu’elles ont salué la sortie de prison d’un prêtre qui avait été libéré des années plus tôt, et qu’elles ont continué d’exercer des contraintes par divers moyens sur les dirigeants religieux qui ont été « libérés » de prison.

Selon le rapport de l’institut, « Pékin s’applique à donner l’impression de réformes et de compromismais « en déformant et en manipulant les faits, sans qu’il y ait de véritables réformes politiques ni même, en beaucoup de cas, des progrès significatifs

Même quand le gouvernement dit vrai au sujet d’ecclésiastiques libérés de prison, on est encore très loin de la vraie liberté de religion. Car cette liberté reste une abstraction tant qu’elle ne va pas avec des institutions que la loi et la pratique chinoises rejettent résolument. Ainsi, dans les années qui ont précédé mon incarcération, le Parti a rendu la vie de plus en plus difficile à mon diocèse : taxations écrasantes jusqu’à le ruiner, occupation des écoles et des églises, interdictions de circuler, amendes…, bref en élevant devant nous tous les obstacles bureaucratiques concevables. Un régime qui ne respecte pas l’autonomie de l’âme ne respecte pas l’autonomie de grand-chose d’autre.

Tout cela reste d’actualité. Les futurs prêtres peuvent ne pas être admis au séminaire, ils ne peuvent pas être ordonnés sans l’approbation du gouvernement. La construction d’églises est soumise à des restrictions. Le Parti continue de retarder l’indemnisation des terrains et des propriétés qu’il a autrefois volés. Les transferts du personnel religieux d’une région de la Chine à une autre doivent être au préalable autorisés. Bien entendu des contrôles sont exercés sur ce que publient les groupes religieux, sur les aides qu’ils peuvent recevoir de l’étranger. En vérité, l’existence même d’un Bureau des affaires religieuses, du mouvement des trois autonomies et de l’association patriotique catholique ne vise qu’à maintenir un contrôle institutionnel.

Ce n’est pas l’effet du hasard. En 1989, des documents internes du Parti ont accusé le pape d’avoir fait perdre l’Europe de l’Est à l’URSS. Les principaux textes de référence dans toutes les discussions – les documents 19 (1982), 3 (1989) et 6 (1991) du Parti – montrent à l’évidence que la nouvelle version chinoise de la « liberté » religieuse est conçue comme un détour tactique pour amener la fin de la foi, pas comme un objectif stratégique qui serait de la laisser libre de s’épanouir où elle veut.

Aujourd’hui le travail de l’Eglise de Chine est d’autant plus précieux que presque toutes les institutions publiques chinoises sont atteintes par la corruption. Le communisme a perdu son emprise comme idéologie, mais sa chute ne laissera rien à sa place. Si la Chine doit se moderniser et prendre sa juste place dans le concert des nations, elle a besoin de l’aide des institutions religieuses et privées qui peuvent lui fournir les bases d’une vraie reconstruction de sa société civile.