Eglises d'Asie – Chine
ENDIGUER LA VAGUE Les Tibétains de Chine luttent pour la préservation de leur culture
Publié le 18/03/2010
Quoi qu’en disent les cartes et en dépit d’une immigration chinoise constante depuis quarante ans qui a rendu les Tibétains minoritaires dans leur propre pays, la région continue à ressembler au Tibet : la Chine a avalé le Tibet oriental mais est encore loin de l’avoir digéré. Les problèmes du territoire donnent un avant-goût de ce qui se passera au Tibet proprement dit où les Tibétains d’origine ne forment plus qu’une petite majorité selon les estimations courantes : dans l’ancien Tibet oriental, les colons chinois vivent dans les villes des vallées alors que les Tibétains nomades et paysans sont généralement repoussés sur les hauteurs au-dessus de 3 600 mètres.
Peut-être à cause de cette distribution de la population, le territoire ne connaît pas l’agitation qui a secoué Lhassa de façon sporadique cette année. Après la destruction des monastères et l’interdiction de la langue et de la culture tibétaines qui ont suivi l’invasion chinoise et qui ont duré jusqu’à la fin de la Révolution culturelle, les autorités régionales chinoises ont progressivement relâché leur étreinte. On reconstruit les monastères et on ouvre des écoles de langue tibétaine.
En dehors de quelques petites villes frontalières occupées par les colons chinois, les étrangers ne peuvent pas avoir accès au Tibet oriental. La frontière de l’ancien Tibet oriental est à 65 km seulement de Chengdu, capitale de la province du Sichuan, mais dès que les voyageurs pénètrent dans les montagnes à l’ouest de Chengdu, on commence à remarquer les premiers signes de la culture tibétaine : bannières de prières, stupas de pierre et habitations tibétaines typiques peintes de couleurs vives.
A 12 heures de voiture de Chengdu, à travers des routes de montagne étroites et non goudronnées, on arrive à la cité de colons de Maerkang. Lors de la récente visite de deux journalistes, la ville célébrait une fête organisée par le gouvernement et tous les immeubles de béton étaient couverts de bannières et de drapeaux de couleur proclamant l’amitié éternelle entre le peuple tibétain et le peuple chinois. “Nous célébrons quarante ans de progrèsexpliquait Wang Wei, le vice-directeur chinois du bureau de tourisme régional. Le clou des célébrations était une parade militaire organisée par un millier de soldats de l’armée populaire : les hommes marchaient au pas à travers la ville en chantant : “Un, deux, trois, quatre, go-go-go-goLes premières unités étaient en tenue de camouflage et portaient des fusils d’assault AK 47. Suivaient des groupes de quatre hommes chacun autour de mitrailleuses lourdes montées sur roues. Au bord de la route on pouvait voir des moines silencieux en robes marron, et des Tibétains ordinaires en habits de fête (…)
Dans le stade tout neuf de Maerkang, plus de 300 fonctionnaires, chinois pour la plupart, attendaient que commence un spectacle de danses folkloriques tibétaines, l’un des rares aspects de la culture tibétaine que les autorités permettent en public. Les slogans qui ornaient les immenses bannières du stade étaient écrits en chinois et en tibétain, mais dans la vie quotidienne les autorités font de leur mieux pour réduire au minimum l’usage du tibétain. “A Maerkang, je n’ai pas pu trouver un Tibétain qui parle sa langue maternelle correctementdit Akong Rinpoche, Tibétain vivant en Ecosse où il a fondé un monastère bouddhiste. Agé d’une cinquantaine d’années, habillé à l’occidentale, Akong est resté assis, silencieux et impassible, pendant les discours officiels chantant les louanges de quarante années de progrès sous le régime chinois. “Je n’ai pas le choix, dit-il, trois mois par an je voyage au Tibet pour y établir des écoles rurales. Les Chinois n’ont établi d’écoles que dans les villes et dans les vallées. C’est ma manière de contribuer à la culture tibétaine
Akong possède un passeport britannique et passe trois mois par an dans la région. Lors de ses voyages il rend visite aux écoles primaires et centres d’apprentissage tibétains de médecine traditionnelle construits avec l’argent qu’il a collecté en Europe de sources gouvernementales et privées. Partout où il va, il exhibe comme un talisman une photographie où on le voit en compagnie du Dalaï lama, le chef religieux tibétain en exil qui a rendu visite au monastère d’Akong au début de l’année 1993. Akong refuse de discuter des questions politiques : “Je ne peux pas en parler, dit-il. “Si je veux revenir l’année prochaine je dois garder le silence
L’abbé d’un des grands monastères de la vallée d’Aba est moins réticent sur les sujets politiques : “Nos chances de retrouver l’indépendance n’ont jamais été aussi grandes, dit-il. La Chine passe par une transition qui la rend instable. Les changements qui se sont produits ici à Aba depuis que Bill Clinton est président des Etats-Unis sont frappants. Le nombre des soldats à la base militaire a augmenté considérablement. Les colons chinois ont peurL’abbé reconnaît cependant que les choses se sont améliorées depuis les sombres jours de l’invasion et de la Révolution culturelle. Son monastère avait été dynamité en 1958 et lui-même avait été interné dans un camp de travail. Il s’en échappa et se cacha : “jusqu’en 1982, j’étais bergerdit-il. Cette année-là, les autorités ont commencé à permettre la reconstruction des monastères.
L’un des temples les plus impressionnants du Tibet oriental est le monastère de la miséricorde universelle près de la ville de colons chinois de Hongyuen. Il a été bâti en béton par les autorités comme une vitrine destinée à impressionner les dignitaires étrangers en visite. Mais quand on y regarde de plus prés, on s’aperçoit que le monastère est vide et fermé. Quelques hommes se disant moines habitent des huttes en dehors du monastère et paraissent ne guère se soucier de leurs devoirs de religieux. Ils ont refusé d’accepter une photo du Dalaï lama, ce qui est choquant dans un pays où beaucoup de Tibétains tombent à genoux quand ils prennent conscience qu’ils voient pour la première fois la photo de leur chef religieux.
En contraste avec le temple de la miséricorde universelle, d’autres monastères de la région sont bien vivants du chant des moines et du chahut d’enfants turbulents. Quelques-uns de ces monastères ont la taille d’une petite ville, logeant quelques milliers de personnes et possédant même des écoles primaires de langue chinoise. Mais aucun des moines ou des acolytes – le plus jeune est âgé de quatre ans – ne va dans une école chinoise. Ils reçoivent tous une éducation en langue tibétaine dans les monastères. “Beaucoup plus d’enfants qu’il n’est autorisé par les Chinois veulent être éduqués dans les monastères, explique un abbé. Les Chinois doivent donner leur autorisation pour chacun des enfants qui manifestent l’intention de devenir moines. Plus d’un garçon sur six aujourd’hui demande à entrer au monastère
Sans aucun doute la présence chinoise a apporté un certain progrès à la région. Au Tibet oriental, les Chinois ont construit des routes, introduit l’électricité, le téléphone et même le karaoké. “Avant 1950, les Tibétains n’avaient rien à faire de ces objets de luxe, ils se préoccupaient surtout de religiondit un expert européen. Le progrès pourtant a été sélectif : la plupart des Tibétains utilisent encore les chevaux et les yacks pour les transports et les villages tibétains se distinguent facilement de ceux des colons chinois parce qu’ils n’ont ni électricité ni téléphone. Quelques-uns des changements ont été pour le pire. La plupart des montagnes sont dénudées à cause des coupes de bois massives. En dépit des dénégations chinoises le déboisement continue et les visiteurs peuvent voir nombre de camions chargés de bois roulant en direction de la Chine.