Le 24 septembre, 38 ans après avoir abdiqué, le prince Sihanouk redevenait Roi du Cambodge. Quelques instants auparavant, il avait signé la nouvelle Constitution du Royaume, adoptée par l’Assemblée constituante deux jours plus tôt. Par le fait même, cette assemblée, issue du scrutin des 23-28 mai dernier, devenait l’Assemblée nationale du pays. Il était également mis ainsi un terme officiel à la mision de l’APRONUC (Autorité provisoire de l’ONU pour le Cambodge), décidée par les Accords de Paris du 23 octobre 1991, ainsi qu’au Conseil national suprême (CNS, organe représentant la souveraineté du Cambodge). Après avoir prêté serment sur la constitution, le roi Sihanouk nommait son fils, le prince Ranaridhh, et Hun Sen respectivement « premier » et « second » Premier ministre. Le Cambodge est donc désormais redevenu un Etat « normal ». Après le départ de l’APRONUC, reste aux autorités cambodgiennes à gérer, seules, la difficile situation héritée de 23 ans de guerre, de régime khmer rouge, d’occupation militaire vietnamienne, et de protection onusienne. Si les bataillons de l’ONU quittent le pays la tête haute, rien n’est réglé pour autant: le partage des pouvoirs entre les divers partis n’est pas évident; quoiqu’on en dise, les Khmers rouges restent une force d’opposition politique et militaire structurée avec laquelle il faut compter. D’autre part, le délabrement matériel et moral du pays exigera des années de patients efforts pour que le peuple cambodgien puisse retrouver un niveau de vie décent.
La Constitution
Les 120 députés de l’Assemblée constitutante ont été élus lors du scrutin des 23-28 mai dernier. 58 du parti royaliste FUNCINPEC, 51 du Prachéachon, parti communiste au pouvoir à Phnom Penh depuis 1979, 10 du Parti démocrate libéral bouddhiste, 1 du Molinaka. Le partage effectif du pouvoir entre le Prachéachon qui contrôle la totalité de l’administration, de l’armée et de la police, et le parti vainqueur aux élections qui est dépourvu de cadres actifs sur le terrain sous-tend toute la vie politique interne des derniers mois. L’astuce de Sihanouk fut de nommer un ministre de l’un des partis, en lui adjoignant un vice minisre de l’autre parti, a peut être permis le dialogue, mais n’a pas prouvé son efficacité sur le plan des décisions.
Le texte de la Constitution, composé à huit clos par un comité de 18 membres, a été proposé au prince Sihanouk le 3 septembre avant d’être soumis à l’Assemblée constitutante. Selon un procédé connu, le prince a annoncé qu’il ne voulait pas remonter sur le trône royal, et n’a accepté cette proposition qu’après avoir été supplié par tous les partis, même par les Khmers rouges. Même si les habitudes de gouvernement du passé laissaient craindre un débat de pure forme, la constitution a donné lieu à des discussions de haute tenue. Les élus des provinces ont du assister impérativement aux sessions, des rencontres ont été organisés avec des groupes citoyens, notamment des associations de défense des droits de l’homme. Environ 90% des recommandations et des amendements proposés ont été retenus. Le texte a été adopté le 22 septembre par 113 voix, 5 bulletins contre, et 2 abstentions. Il comprend 139 articles répartis en 14 chapitres. Selon Raoul M. Jennar, qui l’a examiné à la loupe, « Ce texte porte très fortement la marque des circonstances qui ont entouré sa rédaction: faible niveau juridique, fortes interférences politiques » (Le Mékong, n°6, octobre 1993).
Les constituants se sont souvent contentés de déclarations généreuses, mais fort imprécises. On peut regretter notamment des lacunes concernant le système électoral, l’organisation administrative des provinces, la nomination du futur roi par le conseil du trône. Dans le domaine des droits de l’homme, on peut noter la proclamation de l’égalité des droits entre l’homme et la femme, l’égalité des rénumérations du travail masculin et féminin; le mariage est déclaré une union volontaire entre un homme et une femme, et non plus arrangé par les parents. Les libertés fondamentales sont garanties aux citoyens cambodgiens, parmi lesquels sont comptés les Khmers, les Chams et les Chinois, mais dont sont exclus les résidents vietnamiens. La majorité des 2/3 est exigée pour un vote de confiance ou de méfiance à l’égard du gouvernement, la majorité absolue est requise pour les autres décisions.
Si « le roi règne, mais ne gouverne pas », aucun texte ne délimite avec précision ses pouvoirs. Le roi peut dissoudre l’Assemblée sur la demande du Premier ministre et du Président de l’Assemblée. Le roi nomme le Premier ministre, avec l’accord du présidente de l’Assemblée nationale. Le Premier ministre forme alors un gouvernement, en choisissant parmi les membres de l’Assemblée ou à l’extérieur de celle-ci, à la condition que ces personnes soient membres d’un parti représenté à l’Assemblée (on exclut ainsi, actuellement, les Khmers rouges). Le roi est personne inviolable, toute critique à son égard est considérée comme crime de lèse majesté. Le drapeau et l’hymne national sont ceux en usage avant 1970.
Sihanouk a eu 71 ans le 31 octobre 1993. Malade, atteint d’un cancer plus grave que l’on ne l’imaginait. Le 23 octobre, il demande que son épouse, la princesse Monique puisse vivre au palais le reste de ses jours. La princesse est nommée « Epouse royalemais non « ReineLe prince Ranaridhh a été nommé par son père « Samdech Krom Luong » (« Monseigneur de la famille royaleil devient donc le second dans la hiérarchie royale, et fait donc figure de dauphin.
Le gouvernement
Le gouvernement intérimaire nommé le 30 juin (ACL n°30, p.18) a continué à gérer le pays sans perdre aucune initiative remarquée en aucun domaine. Il semble que la volonté du gouvernement a été de se faire reconnaître par la Communauté internationale, plus que d’agir dans le pays.
Les deux co-Premiers ministres se sont rendus officiellement chez leurs voisins les plus proches: le 28 juillet, au Laos, avec lequel le Cambodge n’a pas de problèmes, puis en Thaïlande, le 13 août, où ils ont été reçus par le Premier ministre Chuan. La Thaïlande tenait à faire lever les mesures d’interdictions du commerce du bois et du rubis, décrétées l’an dernier par le CNS, mais les co-Premiers ministres cambodgiens ont maintenu l’interdiction. Le 23, ils se sont rendus également au Vietnam, où le problème de la sécurité des ressortissants vietnamiens au Camobodge, du retour des quelques 25 000 Vietnamiens réfugiés en mars dernier à la suite des raids khmers rouges, ainsi que celui de la rectification des frontières ont été abordés. Les discussions ont été « franchesc’est-à-dire sans ménagement. Les deux co-Premiers ministres cambodgiens n’ont pas été emmenés à Ho Chi Minh-Ville, comme le prévoyait le programme, signe entre autres, qui attestent le froid des relations entre les deux pays… Par la suite Phnom Peng a érigé quatre ambassades à l’étranger (Bangkok, Paris, Pékin, Tokyo, Washington -?? cela fait 5), mais ne prévoit que de laisser son chargé d’affaire à Moscou et à Hanoï, » pour des raisons budgétaires ». Tout autant de signes que la tension avec le Vietnam est réelle. Les deux co-Premiers ministres ont participé ensemble à la 48ème session de l’ONU, puis ont transité par la France et la Thaïlande.
Le Prachéachon reste au pouvoir
Le 27 octobre, soit un mois après la nomination du premier et du second Premier ministre par le roi Sihanouk, lors de sa première session parlementaire, l’Assemblée nationale a élu Chéa Sim, président de l’Assemblée, par 99 voix contre 14, 1 abstention et 1 bulletin nul. C’est l’homme fort du Prachéachon et l’ancien président de l’Assemblée nationale de l’EdC. On le tient pour responsable de nombreux meurtres d’opposants politiques durant la campagne électorale. Selon la Constitution, le président de l’Assemblée détient d’amples pouvoirs: le roi ne peut nommer un premier ministre qu’avec son accord; en cas d’incapacité du roi, c’est lui qui devient chef de l’Etat (or on sait que Sihanouk a un cancer!). Il est membre du Conseil du trône qui désigne le futur roi. Lay Chhim Chhéang, du FUNCINPEC, et Son Soubert, du Parti démocrate libéral bouddhique, ont été élus vice-présidents.
* Le prince Ranarridh, premier Premier ministre et chef du FUNCINPEC, parti vainqueur des élections de mai, estime que cette désignation est normalequ’elle n’est que « justiceson parti étant chargé du gouvernement, le Prachéachon doit être chargé du législatif.
* Ce partage des pouvoirs n’a été acquis qu’au terme d’un dur marchandage. En septembre, Chéa Sim, chef de file du Prachéachon, se serait opposé violemment à Hun Sen, co-premier ministre, et tenté de le remplacer à son poste par son propre beau-frère Sar Kheng. Hun Sen aurait alors menacé de former son propre parti (Bangkok Post du 12.09.93). « Une sorte de compromis » entre les deux hommes aurait été négociée. L’élection de Chéa Sim au poste de président de l’Assemblée, semble consacrer sa victoire. En dépit de toutes les déclarations d’union parfaite, l’entente entre le prince Ranarridh et Hun Sen semble à plusieurs observateurs n’être que de façade, et destinée à attirer les capitaux étrangers (Far Eastern Economic Review du 30.09.93).
* Certains signes de cette lutte interne étaient perceptibles en province. A Battambang, par exemple, à la fin du mois de septembre, circulaient les noms des nouveaux responsables des services provinciaux. La majorité d’entre eux appartenaient au FUNCINPEC. Or, subitement, on a appris que les anciens, tous membres du Prachéachon, resteraient en poste. L’administration, dans son ensemble, reste donc entre les mains du Prachéachon.
Plus d’un mois après la proclamation de la Constitution, le 28 octobre, on annonçait la formation du gouvernement définitif. Outre le premier et le second premier ministre, on note une direction également bicéphale pour la Défense (Tea Banh du Prachéachon et Tée Camrath du FUNCINPEC), pour l’Intérieur (le tout puissant Sar Kheng, beau-frère de Chéa Sim du Prachéachon et Yuhok Kry du FUNCINPEC).
Le pouvoir effectif restant aux mains du Prachéachon, peu d’ouvertures sociales et politiques sont envisageables. On peut même penser que le régime va se durcir, selon les principes de l’ancien EdC.
* Sam Raingsy, ministre des finances, tranche sur l’ensemble des ministres: probe, travailleur et discret, il fait forte impression. Il doit faire face aux appétits qui se liguent contre lui de toutes parts. La presse thaïlandaise a essayé de la compromettre dans une affaire de banquier thaïlandais véreux qui a escroqué près de 12 million de francs aux gens de Battambang. Il a fait procéder à un inventaire des biens publics, afn d’éviter les ventes illégales, et annoncé que les contrats passés par l’administration précedente seraient revus (Le Monde du 21.08.93).
* La réduction du personnel administratif et sa réorganisation seraient l’une des premières tâches à laquelle devraient s’affronter les différents ministres. Pourtant, au lieu de réduire le nombre des fonctionnaires, celui-ci a augmenté depuis la création du gouvernement intérimaire. Au ministère de l’information, par exemple, il y avait 1 100 fonctionnaires avant le 30 juin, il y en a actuellement 1 500, alors que selon les propos du ministre lui-même, à peine 300 seraient suffisants. Le trésor public n’a d’ailleurs pas de quoi payer ses fonctionnaires, ni son armée, ni sa police. Le 26 juillet, le gouvernement a puisé dans les fonds de 20 millions de dollars mis à sa disposition par l’APRONUC pour payer ses fonctionnaires (78 francs par mois et par soldat, et 150 francs pour un général). Selon des sources proches de l’organisation internationale, chaque faction aurait utilisé une partie de ces fonds pour recruter des hommes à sa dévotion (Bangkok Post du 09.08.93).
Le départ de l’APRONUC
Le 15 novembre, les 22 000 membres de l’APRONUC auront tous regagné leur pays. Le 26 septembre, Yakushi Akashi quittait discrètement le Cambodge, s’attribuant une note de 9 sur 10 pour le succès de sa mission. Il ne regrette rien et s’il devait recommencer, il n’agirait pas autrement. Grâce à l’APRONUC, le Cambodge, selon lui, « a fait un pas de géant vers la paix, la réconciliation et la démocratie ».
Si, globalement, la mission de l’APRONUC peut être considérée comme un succès (tenue des élections, élaboration d’une Constitution, formation d’un gouvernement), elle comporte plusieurs graves défaillances. Sa première mission était le désarmement des factions: elle n’a pas été réalisée. Le contrôle des cinq ministères-clefs de l’Etat du Cambodge n’a pas été mené à bien: en dépit des élections favorables au FUNCINPEC, c’est le Prachéachon qui dirige le pays. L’attitude de nombreux contingents ne laissera pas un souvenir impérissable chez les Cambodgiens, sinon celui de la gabégie, et une désillusion profonde par rapport aux étrangers. De l’aveu même des responsables de la mission, une des principales erreurs de l’APRONUC a été le manque général de connaissance du Cambodge et spécialement de sa dimension culturelle (Bangkok Post 19.10.93).
* Entre 6 et 10 millions de mines demeurent au Cambodge, soit plus d’une par habitant… En 109 semaines, l’ONU a déminé 5 000 hectares, enlevé 37 000 mines. Faute de moyens financiers, les programmes de déminage sont suspendus depuis le 01.11.93. Selon les estimations du Centre cambodgien d’action contre les mines (CCAM) il faudrait 10 millions de dollars par an pendant plusieurs années, pour mener à bien le déminage du pays. 2 300 Cambodgiens ont été entraînés aux techniques du déminage. On avance le chiffre de 41 000 amputés par suite d’explosion de mines, soit 1 Cambodgien sur 286. L’APRONUC a retiré une grande partie de son matériel de détection de mines (Bangkok Post du 30.09.93).
* 170 véhicules de l’APRONUC, de plusieurs organisations internationales et d’ONG ont été volés. Pour l’APRONUC, ces vols représentent une perte d’environ 2,5 millions de dollars. Certains véhicules ont été dérobés par les chauffeurs cambodgiens de l’APRONUC, d’autres par des officiers supérieurs ou hauts-fonctionnaires du gouvernement de Phnom Penh (Le 23 août, par exemple, 3 véhicules volés ont été retrouvés chez un officier de police et chez deux généraux). D’autres ont tout simplement été dérobés par les officiers de l’APRONUC qui les ont fait rapatrier !…
* L’APRONUC dépolore 21 morts par actions hostiles, 46 autres pour cause de maladies et d’accidents. Au moins 120 soldats de l’APRONUC ont été déclarés séropositifs, dont 45 pour le seul contingent indien de 700 hommes (Bangkok Post 06.09.93).
A la demande des autorités cambodgiennes, relayées par les pays de l’ASEAN, le Conseil de sécurité de l’ONU a décidé de créer le « BINUC » (« Bureau intégré des Nations Unies pour le CambodgeLes 5 membres du Conseil de sécurité ne se sont toutefois pas mis d’accord sur l’importance et la mission de ces organismes. Certains voudraient que le BINUC soit un organe d’assistance pour la défense des droits de l’homme et la coordination de l’aide internationale. D’autres voudraient qu’il comporte de plus une composante militaire formée d’une trentaine d’observateurs de l’ONU et des Etats-Unis, équipés de moyens radio hautement sophistiqués leur permettent de communiquer en permanence avec les Etats-Unis. C’est ce dernier schéma que préféraient les autorités cambodgiennes. La présence américaine inquiète toutefois un certain nombre de gens.
Les Khmers rouges: une force politico-militaire
« En dépit du résultats satisfaisants des élections passées sous les auspices de l’APRONUC, ce serait une grave erreur de déclarer victoire et d’abandonner le Cambodgeaffirmait le porte-parole des ministres des Affaires étrangères des pays de l’ASEAN, réunis le 27 juillet à Singapour à leurs partenaires occidentaux. Même si le général Sanderson, chef de l’APRONUC, déclarait en quittant le Cambodge le 26 septembre, que « les Khmers rouges sont finisils continuent à empoisonner la vie du pays. Aucune paix ni reconstruction du pays n’est possible sans eux, pas plus que ne l’a été la tenue des élections du mois de mai. Une grande partie de l’activité politique des derniers mois a d’ailleurs été focalisée sur eux.
Après avoir boycotté les élections de mai, les Khmers rouges tentent de forcer leur entrée dans le gouvernement et la vie nationale. Le 13 juillet, recevant Khieu Samphan, Sihanouk avait proposé la réunion d’une « table ronde » avec Ranariddh et Hun Sen, au palais royal, pour la mi-septembre (voir ACL n°30, p.21). Les Etats-Unis font pression pour que soit refusé tout poste aux Khmers rouges dans le futur gouvernement. Le 26 juillet, Sihanouk affirme ne plus vouloir négocier avec eux, même s’il autorise les chefs du gouvernement à le faire.
Le gouvernement intérimaire du Cambodge estime qu’il doit faire son possible pour ramener les Khmers rouges dans la communauté nationale: « Il est mieux d’amener le tigre en ville que de le laisser dans la forêt », déclare le prince Sirirvudh, ministre cambodgien des Affaires étrangères devant ses homologues de l’ASEAN réunis à Singapour le 25 juillet. Le gouvernement reste toutefois ferme sur ses positions: aucun rôle politique ne sera donné aux Khmers rouges dans le gouvernement, même pas celui de conseillers, s’ils ne cessent préalablement toute attaque, s’il n’ouvrent pas leurs zones aux autorités gouvernementales. Ils doivent en outre reconnaître la constitution, l’autorité royale, celle du gouvernement.
Depuis la mi-juillet, les accrochages entre les forces de l’Armée nationale cambodgienne et les Khmers rouges se multiplient. Le 8 août, Ranaridh et Khieu Samphan, chef de file des Khmers rouges, se rencontrent, mais Khieu Samphan refuse de mettre fin aux actions armées et de reconnaître l’armée nationale. Le prince lui répond que son gouvernement n’a d’autre alternative que de faire la guerre. le 12 août, cependant, le prince Ranariddh propose l’amnistie à tous ceux qui déposeraient les armes, avec la promesse de les intégrer dans l’armée nationale unifiée, avec une promotion. Dans une lettre datée du même 12 août, Khieu Samphan avait demandé que le FUNCINPEC prenne en main le contrôle total du gouvernement. « Aucun pays n’a deux Premiers ministres! » Le 17 août, il fait des concessions en échange de discussions qui pourraient avoir lieu les 22 et 25 août, date prévue pour la visite des deux co-premiers ministres au Vietnam. Le gouvernement de Phnom Penh répond qu’il est « trop occupé ». Les Khmers rouges doivent remettre leurs territoires et leur armée. Il n’est pas nécessaire de négocier pour celaprécise Hun Sen.
Pendant ce temps, les forces de l’Armée nationale cambodgienne (dont environ 2 000 soldats des forces sihanoukistes et du FLNPK, ex-alliés des Khmers rouges) lancent une violente attaque sur Phnum Chat, importante base logistique khmer rouge, située à la frontière khméro-thaïlandaise. C’est la base où demeurent habituellement Khieu Samphan et Ieng Sary. Les forces gouvernementales s’en emparent le 19. Les Khmers rouges perdent également le quartier général de leur 519ème division, installé près de Banthéay Chhmar. La victoire est à mettre au compte de la puissance de feu des forces de l’ex-Etat du Cambodge (les orgues de Staline ont déversé un véritable déluge de feu, 600 obus en 36 heures) ainsi qu’à la bonne connaissance du terrain qu’ont les officiers du FUNCINPEC et du FNLPK, ex-alliés des Khmers rouges. Cependant la base est vide, les quelques 500 guérilleros et un millier de civils ont transféré la plus grande partie du matériel utile en Thaïlande, fait exploser le reste, puis ont gagné Phnom Malai, leur quartier général, à bord de camions militaires de l’armée thaïlandaise… 600 autres combattants du secteur se seraient rendus aux forces nationales (Bangkok Post du 21.08.93). La rapidité de la victoire gouvernementale a surpris beaucoup d’observateurs. La prise de la base de Phnom Chat a scindé le dispositif khmer rouge en deux: l’unijambiste Ta Mok contrôle les forces khmers rouges situées à l’Est du Cambodge, Pol Pot celles situées à l’Ouest. Les forces de Phnom Penh contrôlent désormais d’importants territoires dont les Khmers rouges s’étaient emparés après le retrait de l’armée vietnamienne.
* Quelques semaines plus tard, les Khmers rouges se vengent de la trahison de leurs ex-alliés du FUNCINPEC en attaquant le village de O Smach, ancienne base des sihanoukistes, tuent au moins une trentaine de personnes, 3 000 personnes fuient les combats. Les Khmers rouges ont opéré à partir de la Thaïlande. Ils font également régner la terreur dans la région de Thmär Puok, proche de la Thaïlande, et quartier général du FNLPK, qui a été évacuée par la population civile.
* A partir du 30 septembre, 5 000 soldats gouvernementaux assiègeront la base d’Anglong Veng, où sont retranchés 3 000 hommes de Ta Mok. Le commandant des forces gouvernementales déclare différer l’assaut final pour permettre les négociations, ou attendre la fin de la saison des pluies pour attaquer, mais se dit sûr de la victoire.
Khieu Samphan est alors à Bangkok, en conversation avec Prasong Soonsiri, ministre thaïlandais des Affaires étrangères. Il lance un appel urgent pour la tenue de discussions avec Phnom Penh. Il dénonce l’attaque gouvernementale comme une « conspiration des Nations Unies, des Etats-Unis, de la France et de l’Australie » visant à les détruire. Tep Khunal, au nom des Khmers rouges, affirme à nouveau la volonté de son groupe de rejoindre l’armée nationale sans aucune condition préalable.
A la fin du mois d’août, Chan Youran, émissaire des Khmers rouges, rencontre Sihanouk à Pyong Yang, et demande que l’éventuelle « table ronde » soit fixée au 3 septembre. Dans une déclaration datée du 1er septembre, les Khmers rouges prennent un ton plus conciliant: ils « n’ont pas l’intention de briguer le pouvoir, de chercher un poste de co-président ni de ministre, ni même de vice-ministre dans le gouvernement », ils veulent simplement avoir un rôle de conseiller du gouvernement et être intégrés dans l’armée. « C’est le minimum requis » pour une véritable réconciliation nationale. Ils demandent en outre que les discussions se passent entre Khmers, sans présence d’étrangers (des Vietnamiens, mais également des Américains qui s’opposent farouchement à leur participation sous quelque forme que ce soit au gouvernement).
Le 3 septembre, les deux co-premiers ministres, ainsi que Son San, président de l’Assemblée constitutante et Chéa Sim, vice-président, font le voyage de Pyongyang (Corée du Nord), pour présenter le projet de constitution au prince Sihanouk. Mais les Khmers rouges continuent à harceler les troupes gouernementales, notamment à Angkor Chum. Les responsables gouvernementaux exigent à nouveau que les Khmers rouges cessent leurs attaques avant toute discussion. Sihanouk annonce, pour sa part, que la « table ronde » ne pourra se tenir qu’après la promulgation de la Constitution.
Le 13 septembre, les Khmers rouges interviennent dans le marchandage concernant le partage du pouvoir à Phnom Penh: ils demandent, entre autres, de pouvoir exercer leur contrôle sur 15% des ministères du gouvernement et 20% des forces armées. Ils proposent que le FUNCINPEC contrôle 45% de l’administration, le Prachéachon 40%, le Parti démocrate libéral bouddhiste 10%. « S’il n’y a pas d’équilibre des forces, à la fois politiques et militaires, la réconciliation ne peut être réaliséedisent-ils (Bangkok Post 14.09.93).
Le 1er octobre, Khieu Samphan fait une proposition de cessez-le-feu et de création d’une commission pour en vérifier l’application. Il affirme reconnaître la constitution, mais non le gouvernement, composé par « les valets des Vietnamiens ». « Ils (le gouvernement de l’EdC) ont forcé les vainqueurs à gagner la cage des marionnettes, conduisant les royalistes à la merci des Vietnamiens et de leurs laquaisIl accepte que son armée soit intégrée dans l’armée nationale, mais non de déposer les armes. Il ajoute plus tard que les Khmers rouges n’abandonneront les territoires qu’ils contrôlent que lorsque le Vietnam abandonnera « les terres, les zones maritimes, les îles cambodgiennes » qu’il occupe depuis 1979 (Bangkok Post du 24.10.93).
Le 5 octobre, lors de la 48ème Assemblé générale de l’ONU, Rannaridh va plus loin dans ses exigences: des postes de conseillers militaires seront accordés aux Khmers rouges à la condition expresse qu’il démantèlent leur administration et acceptent d’être désarmés, donc s’il disparaissent comme mouvement structuré.
Après plusieurs réponses élusives, les Khmers rouges répondent par une fin de non-recevoir: ils céderont les territoires qu’ils contrôlent lorsque le Vietnam aura cédé les territoires qu’il occupe depuis 1979.
* Actuellement, on crédite les Khmers rouges d’une force militaire comprise entre 6 et 9 000 hommes. Certains observateurs révisent les chiffres à la baisse.
* Le porte-parole du gouvernement de Phnom Penh affirme que suite à l’offensive de l’armée gouvernementale et à l’offre d’amnistie du 12 août, environ 2 000 soldats khmers rouges, dont 4 généraux, se seraient rendus aux autorités de Phnom Penh (les généraux Leu Ponch, Srey Nan, Tep Phum, Pin Dy). 268 Khmers rouges appartiendraient à la fameuse division 616 opérant dans la province de Kompong Thom. Les observateurs ne nient pas les faits, même s’ils révisent les chiffres à la baisse. Les Khmers rouges nient catégoriquement et affirment ne pas connaître le nom de ces généraux. Les observateurs estiment que ces déserteurs ne font pas partie des troupes d’élite khmers rouges, qu’ils ont été recrutés tardivement, qu’ils étaient peu motivés idéologiquement. Ces désertions n’affectent donc que peu la force militaire khmer rouge. D’autres se demandent s’il ne s’agit pas d’une nouvelle tactique pour infiltrer l’armée gouvernementale.
* Le 24 octobre, le porte-parole du gouvernement de Phnom Penh affirme que 231 agents secrets khmers rouges infiltrés dans la capitale depuis des années se seraient rendus aux autorités légales. Ils auraient eu pour mission de s’attaquer aux étrangers. L’information, démentie par les Khmers rouges, paraît plus que douteuse, et destinée à usage politique interne.
* Les autorités de Phnom Penh pensent attirer les Khmers rouges vers la désertion en leur proposant d’acheter leurs armes. 400 dollars ont été donnés en récompense à des Khmers rouges ayant apporté 1 000 kilos de roquettes. Elles envoient également des déserteurs inciter leurs collègues à la désertion, procédé d’une efficacité limitée quand on connaît l’appareil khmer rouge.
* Selon l’APRONUC, dans la province de Kompong Cham, plusieurs centaines de combattants du FUNCINPEC seraient passés du côté des Khmers rouges, par suite de vexations de la part des forces de l’ex-EdC (Bangkok Post du 06.08.93).
Le général de l’armée cambodgienne commandant le siège d’Anlong Veng prédit qu’en avril 1994, les Khmers rouges n’existeront plus… Plus sagement, le prince Ranaridh, premier-premier ministre dit que le gouvernement ne doit plus se focaliser sur les Khmers rouges, mais aller de l’avant. Il pense toutefois que sans un accord avec les Khmers rouges, toute reconstruction du pays est vouée à l’échec.
Il convient de garder à l’esprit que le bureau politique des Khmers rouges et leur force de frappe restent intactes: même si l’offensive de l’armée nationale l’a affaiblie, elle ne l’a pas brisée. Les forces armées gouvernementales n’avancent pas dans les territoires contrôlés par les Khmers rouges de longue date. Les paysans rentrant de ces zones affirment qu’il y règne le même climat qu’en 1979, lors de l’invasion vietnamienne: les villages sont évacués, les hommes sont regroupés, prêts à résister à une attaque. Si en dix ans d’occupation, l’armée vietnamienne, forte de 130 000 hommes, n’a pas réussi à en venir à bout, on ne voit pas comment la petite armée de Phnom Penh pourra en finir en quelques mois, même si les conditions psychologiques et politiques sont très différentes.
Certes les Khmers rouges sont isolés, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays: leur propagande ne porte plus guère en dehors de leurs zones. Traiter le gouvernement de Phnom Penh de « marionnette du Vietnam » ne convainc plus, puisque Sihanouk est redevenu roi du Cambodge, que le princ Ranarridh est le premier-premier ministre, nommé par le roi.
On peut prévoir qu’il ne déposeront cependant pas leurs armes, même s’ils sont incapables désormais de reprendre le pouvoir par la force. On peut penser qu’une partie d’entre eux opéreront leur mutation en parti légal d’opposition de gauche, qui profitera de toutes les fautes gouvernementales pour apparaître comme modèle de vertu. Une partie des cadres pourraient rester dans la forêt et maintenir un climat d’insécurité diffus, empêchant toute reconstruction du pays. Ils n’ont pas intérêt à ce que le pays se développe rapidement, et le temps leur appartient.
* On attribue beaucoup de méfaits aux Khmers rouges: c’est de bonne guerre pour la propagande de Phnom Penh. Cependant bon nombre d’attentats contre les voies ferrées et les ponts sont à mettre au compte des gens de l’administration nationale ou des bandits. Dans le climat d’anarchie et d’insécurité généralisée, personne n’est en mesure d’attribuer avec précision la paternité des méfaits.
* Plusieurs ponts ont été dynamités (dont le pont de pierre de Battambang, qui avait survécu et à la guerre, et aux Khmers rouges, et à l’occupation vietnamienne). La destruction des ponts permet aux militaires non payés ou sous-payés de rançonner les voyageurs. Certains voient dans ce dynamitage la volonté de bloquer le rapatriement du matériel de l’APRONUC.
* Au début du mois d’août, 6 Vietnamiens, dont 3 enfants ont été éxécutés à Chul Kiri, dans la province de Kompong Chhang. Les 14-15 août, à Chnok Trou, dans la même province de Kompong Chhnang, 2 Vietnamiens ont été tués, 8 enfants kidnappés.
* Le 29 août, des bandits s’emparent d’une barge transportant 314 tonnes de caoutchouc, tuent les 16 personnes qui convoyaient la barge (dont 6 policiers, une femme et un enfant), puis passent au Vietnam avec leur prise, vendue 84 996 dollars (Bangkok Post du 08.09.93).
* Le 3 juillet, 10 personnes sont tuées et 40 blessées dans l’attaque d’un train dans la région de Kompong Trach. Le 15 août, une mine explose au passage d’un train près de Kompong Chhnang, blessant 6 personnes. Le 24 octobre un train est attaqué près de Sisophon: on dénombre 17 morts et une trentaine de blessés.
* Le 4 septembre, le marché de Poipet est bombardé. 16 commerçants sont tués. Cette attaque relève d’une sordide histoire d’argent: l’armée gouvernementale a reçu de l’argent pour forcer les commerçants à aller s’installer sur d’autres emplacements, moyennant finances (Bangkok Post 05.09.93).
« Il est stupide de penser que vous pouvez avoir la paix au Cambodge sans tenir compte, d’une façon ou d’une autre, des Khmers rougesdit assez sagement un diplomate européen (Bangkok Post du 23 août).
Sur le plan extérieur, les Khmers rouges sont également isolés: la Thaïlande et la Chine ont reconnu le nouveau gouvernement et, officiellement du moins, n’accordent plus leur soutien aux révolutionnaires. Le 28 octobre, le gouvernement de Phnom Penh demande aux autres gouvernements de ne plus reconnaître les passeports cambodgiens émis par d’autres autorités que la sienne. Depuis l’an dernier la Thaïlande affirme sa volonté de se conformer aux accords de Paris et nie tout soutien aux Khmers rouges. Les faits apportent cependant un démenti accablant.
* Le 1er août, les Khmers rouges attaquent un poste de l’APRONUC, près de Choam Ksan, et retiennent 21 membres de l’APRONUC en territoire thaïlandais. Un officier thaïlandais filme la scène. La Thaïlande nie les faits, mais un détenu a lui aussi filmé la scène…
* Lors de l’attaque de la base de Phnom Chat, le 19 août, les militaires thaïlandais transportent les Khmers rouges vers le Phnom Malai. Ils refusent par contre à un groupe de 963 soldats de l’Armée nationale, bloqués dans l’enclave de Sok Sann, le même service. Ils prétextent que ce serait participer à la préparation d’une attaque contre les Khmers rouges.
* A la fin août, les Khmers rouges quittent leur base d’Anlong Veng, traversent le teritoire thaïlandais et attaquent la base de O Smach à partir de la Thaïlande. 250 d’entre eux se sont retirés dans le village d’Anlong Svay, à trois kilomètres à l’intérieur de la Thaïlande (Bangkok Post du 12.10.93).
* Selon les services de renseignements cambodgiens, le 5 octobre, des militaires thaïlandais en uniforme auraient livré 3 tanks et 37 mitrailleuses anti-aériennes de 37mm de fabrication chinoise aux Khmers rouges d’Anglong Veng (Bangkok Post du 13.10.93).
* Malgré les dénégations officielles, le trafic de bois et de pierres précieuse continue, en dépit des interdictions portées l’an dernier par le CNS (The Nation du 17.09.93).
* Pour attirer les investisseurs thaïlandais, les Khmers rouges ont assoupli leur législation concernant l’exploitation des rubis. Autrefois, ils vendent les champs de mines et ne demandent que le versement d’une redevance mensuelle. Cette mesure a fait doubler le nombre des champs exploités qui sont montés à 150 (Bangkok Post du 09.09.93). Au début octobre, les Khmers rouges ont pris en otage 30 citoyens thaïlandais qui tentaient de regagner leur pays par peur d’attaques imminentes. Ils réclament environ 10 000 francs par tracteur détenu (The Nation du 06.10.93).
* L’armée thaïlandaise n’autorise pas les 963 soldats de l’armée gouvernementale à quitter Sok San pour gagner un autre poste au Cambodge, prétextant que ce serait participer à la mise en place d’une offensive contre les Khmers rouges (The Nation du 17.09.93).
Le gouvernement de Phnom Penh a réagi fréquemment, accusant la Thaïlande de violer la souveraineté nationale cambodgienne. Il fait savoir que la Thaïlande a sans doute plus d’intérêts économique à négocier avec le gouvernement cambodgien qu’avec les Khmers rouges. Le 19 août, il demande que les Khmers rouges entrés illégalement en Thaïlande soient désarmés et remis aux autorités gouvernementales, mais la Thaïlande répond qu’aucun accord en ce sens n’a encore été signé entre les deux pays. Même le premier ministre chinois Li Peng, en visite officielle en Thaïlande, le 26 août, aurait conseillé à la Thaïlande de ne pas s’intégrer dans les affaires intérieures du Cambodge. le 15 septembre, Prasong Soonsiri, ministre thaïlandais des Affaires étrangères, menace, dans une déclaration inhabituellement dure, de prendre des mesures sévères contre les Khmers rouges, s’ils continuent leur attaques contre le gouvernement légal du Cambodge (The Nation du 16.09.93). Le 20 septembre, le général Wimol Wongwanich, chef de l’armée thaïlandaise, déclare que son armée et prête à aider l’armée cambodgienne à nettoyer les bases khmers rouges le long de la frontière khméro-thaïlandaise: « si le gouvernement cambodgien le demande nous serons heureux de l’aider » (The Nation du 21.09.93). Il précisera plus tard que les Khmers rouges ne sont pas pour autant considérés comme « ennemisIl dissout l’unité 838 chargée d’approvisionner les Khmers rouges en matériel militaire depuis 1979, déplace les officiers les plus engagés dans le trafic avec les Khmers rouges. Suite à plusieurs mises en garde de la part des autorités de Phnom Penh, le 11 octobre, ce même général déclare que désormais, tout Cambodgien entrant avec ses armes en Thaïlande sera fusillé sur le champ, quelle que soit la faction à laquelle il appartient, mais que les civils seront accueillis « pour raisons humanitairesLe 14 octobre, Hun Sen, second-premier ministre, menace de porter l’affaire devant le Conseil de sécurité de l’ONU. Ranaridh, premier-premier ministre, demande le déploiement de 20 observateurs de l’ONU sur la frontière khméro-thaïlandaise pendant 6 mois.
Il est difficile de parler de la politique thaïlandaise d’un point de vue unique: sans doute le premier ministre Chuan Leekpai et le gouvernement tiennent le langage du respect des accords de Paris. Prasong Soonsiri, ministre thaïlandais des Affaires étrangères résume la position gouvernementale, le 2 octobre, avant de se rendre à la 48ème session de l’ONU: « Nous ne savons pas quelles mesures le nouveau gouvernement thaïlandais envisage de prendre contre les Khmers rouges, mais le gouvernement thaïlandais ne soutiendra qu’un gouvernement élu » (Far Eastern Economic Review du 14.10.93).
Mais les militaires thaïlandais des provinces ne suivent pas forcément les ordres de Bangkok. Double langage, comme la Thaïlande en a souvent donné l’exemple, ou impossibilité de contrôler l’armée? La Thaïlande bénéficie de forts soutiens aux Nations Unies, et contre toute évidence, doit faire au moins verbalement preuve de sa bonne foi. Elle ne tient pas à perdre sa part de la manne internationale destinée à la reconstruction des trois pays de l’ex-Indochine… Pour éclairer la question, il convient de garder également un oeil tourné vers la Chine: officiellement la Chine a cessé d’accorder toute aide poitique et militaire aux Khmers rouges. Cela semble réel dans les faits. Cependant elle a recommencé ses essais nucléaires, elle envoie des bateaux de guerre dans la mer de Chine. Après l’ouverture relative dûe à sa candidature aux jeux olympiques, la Chine durcit sa position. Le développement éventuel du Vietnam qui bénéficie de la levée de l’embargo américain et qui fait sa rentrée au FMI pourrait réveiller ses vieux démons.
Aides financières
* Les 8-9 septembre, à l’invitation de la France, et sous la présidence du Japon, les représentants de 33 pays et de 12 organisations internationales ont confirmé les engagements financiers pris le 22 juin 1992 à Tokyo, concernant l’octroi de 880 millions de dollars pous la reconstruction du Cambodge. 119 millions supplémentaires ont été annoncés. La France est le second pays donateur après le Japon, qui offre de verser 220 millions de dollars. La France a passé des accords concernant la coopération financière (62 millions de francs), alimentaire (29 millions), un institut de technologie (32 millions), qui s’ajoutent aux 300 millions de francs déjà déboursés dans le cadre de la mission de l’APRONUC. Il faut ajouter la dépense d’un milliard de francs qu’a entraîné le maintien du contingent militaire français de l’APRONUC.
* Le 29 septembre, le Cambodge signait un accord avec la France et le Japon afin de rembourser la dette publique de 52 millions de dollars (env. 300 millions de francs) d’arriérés dûs au Fonds monétaire international. Ce remboursement ouvre au Cambodge la possibilité de postuler à des prêts de la part des organismes internationaux. Pour sa part, la France a versé 85 millions de francs.
* A la demande du Cambodge, la coopération française portera essentiellement sur la recréation d’une administration économique et financière: mise en place d’une administration fiscale, d’une direction des douanes et du budget, d’un plan comptable, d’un institut d’émission de règles commerciales. La formation de cadres et l’envoi d’experts compléteront le dispositif. Suite à la visite de l’amiral Lanxade au Cambodge, le 22 octobre, la France s’est engagée à envoyer des experts militaires pour étudier les moyens d’améliorer l’efficacité de l’armée. Des conseillers militaires seront présents au Cambodge après le départ du contingent français, prévu le 15 novembre, pour former l’armée cambodgienne. A son départ, le contingent français fera don de son matériel à l’armée cambodgienne. Paris va détacher des officiers de gendarmerie auprès des forces de police cambodgiennes et pour aider le ministère de l’intérieur. L’amiral Lanxade a également remis deux hélicoptères destinés au roi Sihanouk et aux deux co-premiers ministres (AKP du 22.10.93).
* La « Caisse française du développement » installé au Cambodge en mars dernier a lancé sa première mission agricole en province. Elle devrait déboucher sur une aide de 25 millions de francs.
* La Fondation de France a remis 100 000 francs au contingent français de l’APRONUC pour distribuer des vêtements aux enfants défavorisés.
* Le 7 octobre, plus de 1 000 étudiants manifestent contre l’usage du français dans l’enseignement supérieur: « L’anglais est vraiment important dans le développement technologique… » Selon l’ambassade de France à Phnom Penh, la France a déboursé 57 millions de francs pour développer le système scolaire cambodgien. Si l’anglais semble plus utile dans une Asie globalement anglophone, le français peut rester langue de culture (The Nation du 08.10.93).
* Le Japon a accordé un fonds de 350 000 dollars pour des projets de développement agricole. Les pays de l’ASEAN fourniront le personnel nécessaire. Il s’est engagé à verser 4,2 millions de dollars pour payer le personnel de l’armée et de la fonction publique. Le Japon a également versé 200 000 dollars pour payer 13 juges étrangers qui assistent 26 hautes cours provinciales ou municipales (The Nation du 13.08.93).
* Le 29 août, les Etats-Unis accordent un don de 24 millions de dollars pour réparer les principaux axes routiers cambodgiens.
Plus que l’argent, qui ne manque pas, c’est la formation des hommes qui importe: redonner aux Cambodgiens la fierté nationale et le goût de travailler, en cessant de se considérer comme de perpétuels assistés.
Angkor
* Les 12-13 octobre, la France et le Japon ont organisé, à Tokyo, une session de deux jours, regroupant les participants de 31 pays, de 7 organisations internationales et de 10 ONG, sous la présidence de l’UNESCO. Cette réunion devait envisager les mesures concrètes pour la protection du site d’Angkor. Van Moly Van, ministre d’Etat cambodgien, a rappelé que les temples d’Angkor, même déclarés « héritage universel » en décembre 1992, demeuraient propriété du Cambodge. Il a proposé un plan quinquennal, qui tenterait de mettre un peu d’ordre dans l’anarchie des projets internationaux. La France s’est engagée à verser 30 millions de francs, dont 10 pourraient être déboursés immédiatement. Le 8 février 1993, le gouvernement français avait déjà débloqué 3,5 millions de francs, au fonds de l’UNESCO. Christophe Pottier, architecte de l’EFEO (Ecole française d’Extrême Orient), dirige actuellement une équipe de 50 Cambodgiens qui réparent la terrasse du Roi lépreux. Ce travail avait été commncé par B.P. Grolier en 1968. Le Japon s’est engagé à verser 10 millions de dollars sur deux ans afin de financer la formation du personnel et l’achat de matériel. Lors de cette conférence, la rivalité entre la France et le Japon n’a pu être masquée. La Thaïlande s’est engagée à former du personnel et de débourser un montant de 1,2 million de dollars.
* La Thaïlande se propose de rétrocéder au Cambodge les pièces artistiques qui lui ont été dérobées à condition que la partie cambodgienne fournisse des certificats d’origine (Bangkok Post du 16.09.93).
* Le 7 septembre, Van Moly Van, ministre d’Etat Cambodgien, a fait fermer les bureaux de la mission de l’UNESCO à Siemréap. Le prince Sirivuddh, ministre cambodgien des Affaires étrangères a fait des excuses à l’organisation internationale.
Santé
* La tuberculose tue chaque année 30 000 Cambodgiens. 550 personnes sur 100 000 habitants en sont atteints, contre 15 en France. 44 000 malades contagieux répandent la maladie dans le pays. Sur 8 500 cas dépistés, 60% guérissent, 40% ne suivent pas le traitement nécessaire de 12 mois, faute de suivi, de formation, d’argent.
* Le taux de mortalité infantile est de 120 pour 1 000 (contre 9 en France), 1 enfant sur 5 meurt avant 5 ans. Les accouchements tuent 1 femme sur 100.
* La corruption, le manque de formation (des diplômes achetés ne donnent pas nécessairement la compétence), le manque de conscience professionnelle et d’intérêt pour les malades, sont les principales causes retenues par le Dr Hong Sun Huot, ministre de la Santé du Cambodge, comme causes du délabrement du système sanitaire. Il a lancé les bases d’une réforme profonde (Le Mékong, n°6).
* La nouvelle constitution garantit la gratuité des soins médicaux pour les pauvres, mais sans spécifier sur quels critères sont définis « les pauvres