Eglises d'Asie

L’ENJEU DES NEGOCIATIONS ENTRE PEKIN ET LE VATICAN

Publié le 18/03/2010




Quand le cardinal Roger Etchegaray, président de la commission pontificale Justice et paix, est venu à Pékin du 3 au 8 septembre 1993 à l’invitation des organisateurs des septièmes jeux nationaux de Chine, il n’a pas attiré l’attention des amateurs de sports. Sa visite a été pourtant pour les familiers des affaires extérieures de la Chine un signe de la plus haute importance qui a révélé un espoir de reprise des négociations sino-vaticanes, entamées, croit-on, en 1980, mais suspendues après la répression du mouvement prodémocratique par l’armée en 1989.

Les problèmes restent plus ou moins les mêmes que douze ans plus tôt, mais leur nature et leur ampleur ont avec le temps évolué. L’Eglise de Chine s’est beaucoup développée depuis une dizaine d’années, et le Vatican affronte de nouveaux problèmes depuis la fin de la guerre froide. Voici les principales questions :

Comment le Vatican et la Chine se partageront-ils le pouvoir de nommer les évêques chinois ?

Comment, dans l’Eglise catholique de Chine, l’Eglise autorisée par le gouvernement et l’Eglise non autorisée peuvent-elles retrouver l’unité ?

Comment le représentant du pape à Pékin communiquera-t-il librement avec les évêques de Chine ?

Peut-on établir une représentation pontificale à Pékin sans heurter Taiwan ? Que deviendra la nonciature apostolique de Taipei ?

Pour le Vatican, un réchauffement des relations entre l’Eglise et l’Etat ménagerait à l’Eglise de Chine la possibilité de respirer et de récupérer après trois décennies de persécution. Pour le gouvernement chinois, les interactions sur la scène internationale à la fin de la guerre froide, spécialement les changements survenus en Europe de l’Est et à Hongkong, ouvrent une nouvelle perspective pour les relations entre Eglise et Etat et suggèrent qu’il ne serait pas sage de retarder les négociations. Persuadé que l’autorité morale des Eglises d’Europe occidentale, y compris celle de l’Eglise catholique, a contribué là-bas à la chute des régimes communistes, le gouvernement chinois craint la répétition du même drame politique chez lui. Une normalisation avec le Vatican amènerait le retour au grand jour de l’Eglise clandestine et empêcherait la levée de graines possibles de subversion. En d’autres termes, pour mettre la sécurité nationale à l’abri de ce secteur de la société, Pékin est prêt à consentir des concessions à l’Eglise catholique.

De même que Hongkong, Macao et Taiwan déploient une influence économique et sociale en Chine, les catholiques de ces territoires en ont une sur les dirigeants ecclésiastiques de l’Association patriotique des catholiques chinois qui est dans la mouvance du gouvernement. Ces catholiques chinois de l’Eglise “officielle”, après des contacts avec les catholiques d’outre-mer, se sont mis à demander en privé une réconciliation avec le Vatican, puis à exprimer ouvertement leur loyalisme envers le pape. Ce mouvement s’accompagne d’une réduction des efforts du gouvernement chinois pour établir une Eglise catholique indépendante en Chine.

D’autre part, Pékin s’inquiète de l’engagement politique des catholiques d’outre-mer dans la période transitoire actuelle qui précède le retour de Hongkong sous l’autorité chinoise prévu pour 1997. Des dirigeants de l’Eglise à Hongkong sont engagés à fond dans des questions socio-politiques, sous la bannière de Justice et paix. Ils soutiennent le mouvement prodémocratique en Chine, recueillent des fonds pour les victimes des inondations en Chine orientale, etc. Les autorités de Pékin ne voient pas ces initiatives d’un bon oeil, sans pouvoir intervenir directement tant que Hongkong et Macao restent sous souveraineté étrangère. En revanche, une fois restaurées les relations sino-vaticanes, Pékin pourra exiger qu’une discipline favorable à ses intérêts politiques soit imposée par Rome aux catholiques de Hongkong et de Macao.

Dans le même temps, Rome voit l’Eglise d’Occident en déclin, avec des conversions moins nombreuses et la raréfaction des vocations religieuses. Des catholiques refusent ouvertement de suivre les enseignements de Rome sur les questions morales et sociales, telles que l’homosexualité, le divorce, la limitation des naissances, le clergé marié et les ordinations de femmes. Quoi de surprenant que Rome prête attention aux onze cent millions de Chinois comme au nouvel avant-poste de sa mission et à un substitut de ses pertes à l’Ouest?

Le développement de l’Eglise catholique en Chine posera pourtant bien des problèmes. Par exemple, avec les encouragements du gouvernement, l’Eglise “officielle” se plonge dans les affaires immobilières. A force de se séculariser de cette façon, l’Eglise pourrait bien le payer au prix fort, en perdant son autorité morale de “sel de la terre” et de “lumière du monde”. Ce qui se passe dans l’Eglise non autorisée n’est pas non plus l’idéal. La formation du personnel ecclésiastique est problématique, souvent insuffisante. A l’heure où les chefs de l’Eglise sont très vieux, le jeune clergé n’est pas prêt à assumer les tâches de direction. Accablée par tant de problèmes internes, cette Eglise de Chine apparaît davantage introvertie, son impact socio-politique est extrêmement diminué. Le gouvernement trouve moins difficile qu’autrefois de traiter avec elle.

Les problèmes que nous venons de signaler ne sont que la partie émergée de l’iceberg de l’Eglise de Chine. Pour le Vatican, il est raisonnable de concéder quelques points d’importance secondaire en échange de l’exercice de sa juridiction spirituelle fondamentale sur l’Eglise de Chine. Cela n’est pas possible avant la normalisation des relations. Et il y a quarante ans que les catholiques chinois attendent le retour d’un bon climat entre l’Eglise et l’Etat.

Dans la course pour la normalisation entre la Chine et le Vatican, la visite du cardinal Etchegaray est le début du dernier tour de piste. Parce que c’est le dernier tour, c’est le plus critique. Il vaut donc la peine de suivre avec attention le déroulement de la négociation en cours.