“Mammon a gagné la partie à l’église de la Mère de Dieu. Sous un bouquet de dômes bleus en forme d’oignon, la cathédrale russe orthodoxe de Shanghai offrit pendant des décennies un sanctuaire aux exilés… Aujourd’hui les voûtes de l’église abritent la Bourse du nouveau bonheur et l’assemblée de ses fidèles prie pour une seule chose – le gain…
La transformation de l’église en marché est révélatrice de la ruée frénétique de la grande cité vers l’économie capitaliste…
Ayant conclu un accord sur un loyer annuel de 1 million de Yuans (environ 1 million de francs) avec le Bureau des affaires religieuses de Shanghai, Nouveau bonheur a ouvert au public fou d’actions les doubles portes de l’église le 4 juin dernier et opère maintenant des centaines de transactions par jour…
En dépit des efforts des Russes, une campagne entreprise pour sauver l’église de la Mère de Dieu n’a produit aucun miracle” (2).
Les lecteurs de tradition chrétienne compatiront avec l’auteur de cet article. En fait, la transformation de cette église en bourse des valeurs n’est pas seulement révélatrice d’une ruée générale vers l’argent. Elle est également indicatrice du nouveau rôle que les religions sont appelées à jouer dans le contexte politique actuel : la religion doit aider à faire de l’argent et contribuer ainsi au développement économique du socialisme aux couleurs chinoises. Le cas de l’église orthodoxe de Shanghai est loin d’être unique. Toutes les religions sont impliquées. A Shanghai encore, le 8 août 1993, quatre organismes religieux bouddhiste, catholique, taoïste et protestant coordonnent leurs efforts en fondant la Société de développement immobilier du centre Shanghaï. Cette Société vise à développer un millier de propriétés religieuses couvrant une superficie de 1.3 million m². Le centre évangélique de Hongkong qui signale cet événement ajoute le commentaire suivant:
“Voir les organismes religieux se “jeter à la mer” du commerce n’est pas tout à fait inattendu. En fait, les dirigeants des cinq grandes religions officielles de la Chine réunis en mars pour le 8ème congrès de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC) ont invité les religions à mettre à profit leurs relations étrangères pour établir des entreprises fécondes” (3).
Tandis que l’attention internationale se porte sur des problèmes internes de la vie de l’Eglise en Chine tels que la persécution des clandestins ou le rétablissement de relations officielles avec le Vatican, un phénomène plus grave est peut être en train de saper plus radicalement la portée du message chrétien en Chine, les valeurs spirituelles cédant la place aux valeurs monétaires.
L’entrée des religions dans la course à l’argent a pris des proportions considérables au cours de l’année 1993. Dès novembre 1992, Eglises d’Asie notait cette évolution:
“Dans le cadre de l’instauration de “l’économie de marché socialiste”, l’enrichissement semble être la première des “caractéristiques chinoises” que l’Eglise patriotique doit mettre en oeuvre. Avec le rapide développement économique de la Chine ces dernières années, l’Eglise de Pékin est concernée par les questions économiques”, écrit le “China Daily” en parlant de l’Eglise “officielle”. Le quotidien officiel de langue anglaise a ajouté : “Les Eglises ont développé récemment d’étroites relations avec les milieux d’affaires” (4).
Ce dossier tente de faire le point et de prendre toute la mesure de cette évolution. Comment le projet politique de développement d’une économie de marché socialiste affecte-t-il les religions? Quelles sont les conséquences religieuses et sociales de la course à l’argent? Quelle est la marge d’initiative laissée aux religions et comment profitent-elles de l’ouverture actuelle pour promouvoir leurs propres fins dans la fidélité à leur inspiration profonde? Devant cette évolution précipitée du monde chinois enfin, quelles sont les réactions de la communauté internationale? Les chrétiens des pays développés en particulier sont invités à fournir des subsides et même à investir en Chine: quelle peut être l’étendue,la nature et la signification de cette aide extérieure?
1. LA RELIGION POUR LES INVESTISSEMENTS
Les religions en Chine étant étroitement intégrées au système politique, la politique religieuse suit l’évolution de la politique générale du Parti communiste chinois. Trois grands principes ont été mis en avant au cours des quinze dernières années : oeuvrer à la modernisation, s’autofinancer, faire appel aux devises étrangères pour investir.
Servir les 4 modernisations
Depuis le 3ème plenum du XIème congrès du Parti communiste chinois en décembre 1978, une politique réaliste de modernisation de la Chine n’a cessé d’être mise en oeuvre de manière pragmatique, les dogmes idéologiques cédant la place à une quête de “vérité dans les faitsToutes les forces vives du pays furent mobilisées grâce à une vaste politique de Front uni. La Conférence consultative politique du peuple chinois, organe du Front uni, associait à cette tâche de nombreux corps intermédiaires, dont les minorités ethniques et les religions. La structure administrative des bureaux des affaires religieuses veillait à transmettre ces consignes aux divers corps religieux par l’intermédiaire des associations bouddhiste, musulmane, taoïste et dans le cas des chrétiens par le Mouvement patriotique protestant des trois autonomies et par l’Association patriotique des catholiques.
Il suffit de feuilleter les revues publiées par les divers corps religieux pour y trouver de nombreux témoignages de participation à l’effort de modernisation. Tous ces articles démontrent que le bien de la société ne fait qu’un avec le bien de la religion et que les croyants peuvent faire aussi bien que les non-croyants au service du développement. Rappelons seulement deux articles publiés en 1986 par la revue catholique de Pékin : le premier décrit le succès économique et social d’un village catholique dans le nord de la province du Hebei; le second met en valeur l’apport d’intellectuels catholiques de Nankin.
Dans le canton de Weichang au Hebei…
“Le village de Xiaochuizishan , catholique à 90%, avait tristement souffert de la Révolution culturelle et se trouvait dans un état notoire d’arriération économique et morale.
Après le 3ème plenum du 11ème congrès du PCC, le comité local du Parti mit en oeuvre une politique effective de liberté religieuse, réhabilitant les chrétiens qui avaient été injustement condamnés. Un arriéré de salaire fut payé à ceux qui avaient fourni des corvées dans les “brigades de travail blanc”. Le curé fut nommé membre de la Conférence consultative politique du canton. Noël 1981 fut dignement célébré avec participation des autorités civiles de façon à dissiper les derniers doutes dans l’esprit des fidèles.
Lors de la fête du plant des arbres en 1983, le père Li organisa un groupe de fidèles en vue de créer une “forêt patriotique” de 1 000 mous (1 mou = 1/15 d’hectare)et fixa les règles de protection de cette réserve.
Aujourd’hui le village de Xiaochuizishan offre une image de paix, d’unité et de prospérité partagée.
Outre l’atmosphère générale d’aide mutuelle et de discipline morale, des modèles de “travail pour s’enrichir” ont émergé : tel est le cas du catholique Guosheng avec les 10 personnes de sa famille. En 1982, il ouvrait un petit restaurant. En 1983, il bâtissait trois pièces et inaugurait un service hôtelier. En 1984, il lançait des travaux de menuiserie et ouvrait un magasin d’alimentation. Le revenu annuel par personne s’éleva à 1 000 Yuans… Sous son influence plus de dix entreprises familiales spécialisées sont apparues dans le village : transport, élevage de boeufs, élevages de poules et de lapins, briqueterie, ateliers de réparation de machines et de pneus, entreprise de peinture et atelier de couture…” (5)
La transformation de ce village catholique répond à la consigne générale “enrichissez-vous pour construire le socialismeLe nouveau système de responsabilité familiale est appliqué. Certains éléments d’économie capitaliste sont déjà mis en oeuvre : encouragements à l’initiative privée, développement d’un marché libre, responsabilité individuelle des profits et pertes. Le succès des plus habiles est considéré comme une saine émulation plutôt que comme une exigence de compétitivité.
En quoi la religion des villageois intervient-elle? Surtout en ce sens que la religion, fait-on valoir, n’est plus brimée, ce qui entraîne la bonne volonté et la confiance des paysans catholiques. Le pouvoir du curé est également mis en relief. Mais, bien que ce texte soit publié dans une revue catholique officielle, on chercherait vainement une inspiration chrétienne liant la foi elle-même au service de l’homme ou portant un jugement sur l’opportunité ou la valeur intrinsèque de l’enrichissement.
Les catholiques modèles de Nankin
Il n’en va pas de même à Nankin lors d’une cérémonie de décoration de 19 catholiques qui ont bien mérité de la municipalité. Divers commentaires associent amour du pays et amour de la religion – aiguo aijiao – suivant une formule souvent répétée. Une centaine de catholiques dont l’évêque Qian Huimin sont présents à la célébration.
“Au cours de la réunion, huit catholiques ont présenté fièrement leur expérience et comment ils conçoivent le service des 4 modernisations. Parmi eux, notons l’ingénieur Fan Weiyun du Centre de recherche urbaniste pour son apport positif à l’architecture de l’Institut des sciences de Jingling et du Bureau des archives, le maître en innovations technologiques Xu Jinrong pour les transformations qu’il a introduites dans les techniques de coutellerie et les procédés de production quintuplant la productivité des usines de découpage de la ville, le vieux maître Xia Yunlong de la 14ème usine de plastiques de la ville qui a obtenu de nombreux prix pour ses conceptions précises et novatrices, la responsable du magasin d’alimentation de Shangxihe Chang Liming pour avoir fait l’unité parmi les employés, assuré la qualité du service, introduit des améliorations astucieuses…
Ces personnes, chacune à leur place, oeuvrent vaillamment à la tâche de la modernisation… En développant le pays et en servant le peuple d’une manière très concrète, elles témoignent vigoureusement que le grand destin des catholiques est intimement solidaire des destins du pays et du peuple. L’amour de la patrie et de la religion est le devoir sacré des fidèles; le soutien à la direction du Parti, l’engagement dans la voie socialiste sont pour les fidèles la source du bonheur…” (6)
Le professeur catholique Cui Xingkun ajoute son grain de sel:
“Un catholique qui aime la religion doit le manifester dans la pratique et ne peut se contenter de mots. Une conduite sans paroles est plus convaincante et contagieuse que des mots…”
C’est là en fait ce que tout bon catholique s’efforçait de pratiquer sous le régime antérieur d’entreprise privée. Nombre de catholiques travaillant dans les services publics ou dans l’enseignement étaient connus pour leur compétence et leur honnêteté. Ils furent isolés et rejetés dans les années 1950, 60 et 70 soit à cause de leur appartenance de classe, soit parce qu’ils étaient qualifiés de “chiens courants de l’impérialisme étrangerLe fait qu’on éprouve aujourd’hui le besoin de les qualifier de “patriotes” laisse penser que toute discrimination n’est pas encore morte. Ils sont en fait tout aussi patriotes que leurs concitoyens et même plus car ils aiment encore leur pays malgré tout ce qu’ils en ont souffert.
Quoiqu’il en soit, les compétences des intellectuels catholiques sont à nouveau mises à contribution. Ici l’accent porte sur la qualité de leur service plus que sur leur habileté à faire de l’argent. De nouvelles requêtes ne tarderont pas à se faire jour.
Savoir s’autofinancer
En même temps qu’ils doivent oeuvrer à la modernisation, les croyants de toute religion sont invités à s’autofinancer. Les deux tâches se complètent d’ailleurs mutuellement dans le cadre des entreprises lancées avec un personnel et des capitaux religieux.
Dans le cas des chrétiens, l’idée d’autofinancement trouve son origine dans le principe des trois autonomies de gouvernement, de propagation et de financement exigé par une politique anti-impérialiste de stricte indépendance des Eglises. Au cours des années 1980, le principe est rigoureusement maintenu au moins en parole, mais son application prend des formes nouvelles. Les chrétiens doivent faire preuve d’initiative et de compétence en lançant des projets sources de revenu.
Les chrétiens de Chine sont généralement très pauvres. Victimes de persécutions répétées au cours des siècles passés, les catholiques en particulier vivent souvent dans des villages reculés où la surveillance mandarinale était plus relâchée. Au cours de la période coloniale, de nombreux biens d’Eglise furent acquis par les sociétés missionnaires, en particuliers des biens immobiliers souvent situés sur des terrains bien placés dans des villes aujourd’hui en plein développement. Résidences des prêtres ou des pasteurs, couvents, orphelinats, séminaires, hôpitaux, écoles etc. formaient des ensembles de bâtisses impressionnants, souvent bien supérieurs à ce qu’offrait l’habitat local. La nouvelle administration communiste sut d’ailleurs faire plein usage de ces locaux. En outre, les grands bâtiments construits par les étrangers furent souvent découpés en petites cages d’habitation à loyer bon marché. Ce fut même le cas d’un certain nombre d’églises comme à Tianshui au Gansu ou à Quzhou dans la province du Zhejiang. Ces églises sont souvent devenues inutilisables, même si elles ont été restituées aujourd’hui. Dans les premières années de la République populaire, les biens d’Eglise durent souvent être vendus pour pouvoir payer de lourdes taxes. D’autres furent tout simplement confisqués. Beaucoup enfin furent irrémédiablement saccagés lors de la Révolution culturelle.
A partir de 1978, la nouvelle politique de liberté religieuse posait la question d’une subsistance autonome des Eglises. Peu à peu, un certain nombre de propriétés furent restituées sous l’égide de l’Association patriotique des catholiques. Ces restitutions ne manquent pas d’être signalées à grand renfort de propagande dans la presse religieuse officielle. En fait, les chrétiens n’ont récupéré qu’une partie de leurs biens et ils doivent souvent faire face à de lourdes dépenses pour les remettre en état. A Guiyang par exemple, seule la cathédrale, qui d’ailleurs menace ruine, a été ouverte au culte. L’église du sud, restituée en principe, est encore inutilisable. Quant à l’église des Bienheureux martyrs, elle sert encore de prison. Or les catholiques de Guiyang sont au nombre d’au moins 6 000.
Il n’est pas étonnant que les catholiques clandestins aient pris de l’assurance et se soient multipliés face à l’inefficacité de la politique officielle de liberté religieuse. C’est ce que dénonçait avec force Mgr Ma Ji, l’évêque de Pingliang dans la province du Gansu lors des fêtes de l’assomption en 1988.
Le président national de l’Association patriotique des catholiques, Mgr Zong Huaide, a d’ailleurs porté l’antienne à Pékin même lors d’un séminaire du comité religieux de la CCPPC le 3 septembre 1992: bien des propriétés d’Eglise confisquées de 1949 à 1979, a-t-il fait remarquer, ne peuvent être récupérées aujourd’hui du fait que les titres de propriété ont été perdus; la plupart des archives diocésaines ont été brûlées, confisquées ou détruites, surtout pendant la Révolution culturelle (7).
D’une manière générale, les bâtiments restitués à l’Eglise constituent une petite source de revenus lorsqu’ils sont encore occupés par des locataires. Ces revenus auxquels s’ajoute le faible salaire des prêtres officiels permettent aux prêtres de vivoter et d’abriter quelques vieilles religieuses. Mais ils sont tout à fait insuffisants lorsqu’il s’agit de rebâtir une église ou d’assurer la formation des séminaristes et des jeunes religieuses.
D’où l’idée de créer des entreprises génératrices de profit pour permettre à l’Eglise d’assurer ses dépenses. Sous leur forme la plus commune, ces entreprises sont d’abord des hôtelleries là où de grands locaux sont à nouveau disponibles. Ailleurs, comme à Qionglai près de Chengdu au Sichuan, une hôtellerie de 60 lits a été bâtie tout contre l’église. De petites auberges parfois très modestes comme à Haimen au Jiangsu abritent un restaurant assez fréquenté. Les occasions de festoyer ne manquent pas, au moins pour la classe actuelle des privilégiés. Les restaurants ouverts par l’Association patriotique des catholiques sont sans doute d’un rapport non négligeable. Reste à savoir ce qui revient à l’Eglise elle-même. Un restaurant a été ouvert par les catholiques dans la ville touristique bien connue de Dali au Yunnan, mais le soin de ce restaurant semble retenir toute l’attention du seul dirigeant laïc qui serait capable d’assurer un service d’Eglise.
D’autres types d’entreprises parrainées par l’Association patriotique peuvent être de petits commerces ou de petites industries. A Guilin, célèbre site touristique du Guangxi, une usine de conserves de condiments fonctionne depuis plusieurs années.
Malheureusement la main d’oeuvre est fournie par les jeunes novices qui n’ont plus de temps à consacrer à leur formation spirituelle. Ailleurs, postulantes et novices assurent leur subsistance grâce à des ateliers de couture, des salons de coiffure ou une petite clinique. Ces modestes services ne sont pas vraiment générateurs de profit, mais ils leur permettent de survivre dans la pauvreté.
Pour qu’une entreprise réussisse et produise un revenu substantiel, il ne suffit d’ailleurs pas d’investir un capital réuni à grand peine. Il faut surtout disposer d’un personnel capable de bien gérer l’entreprise et d’en commercialiser les produits. Ces techniques sont peu communes sur le continent chinois, à plus forte raison dans les milieux religieux. Des appels à l’aide envoyés de Yibin (Sichuan) à Singapour font par exemple habilement état de ce problème et réclament la visite de catholiques familiers des affaires. Il n’en manque sans doute pas parmi les Chinois d’outremer, mais leur sens même des affaires leur interdit de prêter à fonds perdus.
La précipitation du développement économique au cours des dernières années entraîne de nouvelles pressions sur l’Eglise : il faut développer à tout prix et vite. A Leshan au Sichuan, une nouvelle église avait pu être bâtie et ouverte en août 1990. Les jeunes religieuses furent logées sur des lits à étage dans le sous-sol de l’église. Ce n’était là qu’un début. Derrière la nouvelle église un terrain appartenant aux catholiques restait à développer. Dans cette région de la ville, les autorités municipales exigeaient des immeubles d’au moins 7 étages. Le vieux curé Luo Duxi récemment consacré évêque en septembre 1993 dut prendre en compte un projet coûtant au moins 3 millions de yuans: bâtir un centre diocésain comprenant un étage pour les bureaux et salles de réunions du diocèse, un étage pour abriter le couvent des religieuses, un étage pour divers services dont une clinique et d’autres étages pour une hôtellerie génératrice de profit. Avant de commencer à bâtir, il fallait déloger les locataires des vieilles maisons basses occupant le terrain, leur construire des logements ailleurs, démolir les vieilles maisons et bâtir ensuite l’immeuble dans un délai relativement court.
Les quelques terrains d’Eglise ayant déjà été vendus et bâtis pouvaient fournir un petit capital au départ, mais ce n’étaient évidemment pas les petites boutiques tenues par les jeunes religieuses qui pouvaient fournir les revenus nécessaires à l’entreprise. Il fallait faire appel à l’aide étrangère et les autorités locales le comprenaient bien ainsi.
Faire appel à l’aide étrangère
Comment réconcilier l’aide étrangère avec le principe sacro-saint de l’autofinancement? Seule la logique étrangère voit une contradiction dans une affaire que les Chinois trouvent parfaitement harmonieuse : la Chine a besoin de devises. Les progrès de l’économie nécessitent de nombreux investissements. Outre leur niveau respectable d’instruction et leurs compétences techniques, les chrétiens ont l’avantage d’avoir des amis à l’étranger. Bien plus, ces amis étrangers entretiennent avec eux des liens fraternels et ne demandent pas mieux que de les secourir. Pour être de bons citoyens, les chrétiens de Chine doivent donc mettre à profit ces relations avec les étrangers des pays riches, en particulier ceux d’Amérique et d’Europe. Les frères étrangers les soutiendront d’ailleurs sans conditions, respectueux qu’ils doivent être de l’indépendance de l’Eglise chinoise. Leur dons aideront l’Eglise en Chine à assurer son autofinancement. Il faut d’ailleurs dire que les autorités chinoises n’ont pu qu’être encouragées à exploiter ce filon : avant même que l’aide étrangère soit officiellement tolérée, des dons généreux affluaient de diverses sources, catholiques et protestantes.
à qui demander?
A la base, de nombreuses demandes sont d’abord faites aux chrétiens chinois de Hongkong, d’Asie du sud-est, d’Amérique, d’Europe et depuis quelques années au clergé et religieuses chinoises de Taïwan. Phénomène explicable pour plusieurs raisons : les requêtes sont écrites en chinois, elles font appel au sentiment de solidarité entre chinois, elles évitent les relations institutionnelles et s’adressent d’abord à des personnes parentes ou amies. Tout Chinois vivant à l’étranger est supposé avoir beaucoup d’argent. De fait les Chinois qui vont sur le continent rendre visite à leur famille se montrent très généreux. Constatant l’état de pauvreté du village de leurs ancêtres, ils offrent cadeaux et aides financières au point de rentrer chez eux dépouillés de tout. Les bénéficiaires qui vivent le plus souvent dans les provinces du sud de la Chine deviennent pour leur part de plus en plus exigeants et veulent des produits de marque, ce qui entraîne par contre-coup une réduction sensible de ces visites de père Noël.
Les catholiques chinois hors du continent font tout leur possible pour aider à reconstruire l’église ou l’école de leur village. Ils recueillent de l’argent auprès de leurs parents et amis. Mais si leurs quêtes touchent l’ensemble des fidèles, ils doivent passer par l’évêque du lieu ou s’adresser aux services spécialisés dans l’aide à l’Eglise en Chine, par example le Centre d’études du Saint-Esprit à Hongkong, le Service Eglise-Pont de Taipei ou le Centre Zhonglian de Singapour. Les requêtes atteignent ainsi les divers Instituts religieux et missionnaires qui ont organisé un Service-Chine au cours des dernières années. Ce sont donc ces mêmes religieux étrangers, chassés de Chine et dépouillés de leurs biens dans les années 1950, qui doivent aujourd’hui aider à reconstruire ce qui a été démoli.
Mais tirant les leçons de l’histoire, ces instituts n’ont pas créé des Services-Chine pour financer des entreprises en Chine. Cette perspective leur est d’ailleurs interdite au nom même de l’indépendance de l’Eglise chinoise officielle. La rancune n’étant pas évangélique, ils s’efforcent seulement d’aider la formation des prêtres et religieuses ainsi que quelques reconstructions d’églises.
Or les requêtes venues de Chine dépassent de loin ces aides ponctuelles. Il a fallu financer la construction du nouveau grand séminaire de Shanghai et fournir une imprimerie moderne au diocèse de Shanghai. Il s’agit maintenant de financer des constructions d’hôpitaux et de fournir leur équipement. Il faut également financer des constructions d’immeubles dans les centres urbains où l’Eglise est pressée de développer. Seuls les instituts de financement disposent des millions de dollars nécessaires pour répondre à certaines de ces demandes. Les requêtes, traduites du chinois en anglais, en allemand, en français ou en italien aboutissent donc finalement à L’Eglise en détresse, à Missio-Misereor, à la S.C. pour l’Evangélisation, au Secours catholique, au C.C.F.D etc.
Comment demander?
Les quelques dons importants faits dans les premières années 1980 suscitèrent des demandes astronomiques, comme si des sommes miraculeuses pouvaient tomber du ciel. Les instituts de financement durent évidemment demander des précisions sur la nature des projets, leur coût réel, leur mise en oeuvre. Il fut d’abord répondu que les dons devaient être faits sans condition, toute ingérence étrangère dans les affaires intérieures chinoises portant atteinte au principe d’indépendance. Mais une telle intransigeance ne pouvait payer. Les demandeurs ont appris depuis à formuler des projets circonstanciés avec un programme de réalisation dans le temps.
Autre problème : qui doit faire la demande? Pour ce qui est des catholiques, les requêtes signées du comité local de l’Association patriotique ne pouvaient éveiller beaucoup de sympathie. Comment la communauté catholique internationale pourrait-elle financer des gens qui s’isolent d’elle volontairement et qui rejettent l’autorité du pape? Il fallait que les demandes fussent signées des chefs de l’Eglise en Chine, si possible de ceux qui professent plus clairement leur communion avec Rome. Aujourd’hui, les demandes sont généralement signées par les évêques qui ont soin de souligner dans leur lettre leur union à l’Eglise universelle.
Quoi demander enfin? D’une manière très pragmatique, les Chinois se sont mis peu à peu au courant de ce qui avait le plus de chance d’être financé : réparations d’églises représentant un patrimoine artistique comme l’église de Guiyang, construction de séminaires ou de couvents, hôpitaux et cliniques, imprimeries catholiques, projets de développement humain.
Les dons faits au cours des dernières années ont généralement été utilisés à ces fins, compte tenu des bénéfices annexes que pouvait en tirer la bureaucratie locale. Avec la précipitation du développement économique en 1992 et 1993, de nouveaux problèmes se multiplient : la hantise générale étant d’investir, les Eglises se voient pressées d’investir les sommes arrivées à destination. C’est le cas par exemple à Guiyang. Bien que les premiers fonds fournis de l’étranger pour la restauration de ce grand édifice soient arrivés depuis trois ans, les travaux n’ont pas encore commencé. Les autorités locales suggèrent fortement d’investir cet argent. Il sera toujours temps, disent-elles, d’utiliser les intérêts produits dans le futur pour réparer l’église. Il est vrai qu’un plafond d’église vient de s’effondrer dans une petite paroisse des environs, tuant l’un des fidèles.
Qu’arriverait-il si le toit de la cathédrale s’effondrait sur la foule habituelle des fidèles de Guiyang? En attendant le gros des fonds destinés à cette réparation sommeillent à Hongkong. Ils seront acheminés à Guiyang dès que les travaux seront entrepris.
Evêques et prêtres demandeurs d’aide sont pris entre deux feux : si l’argent n’est pas investi, ils s’exposent à la vindicte des autorités civiles; si l’argent n’est pas utilisé aux fins agréées par les donateurs, le flot bénéfique se tarit. Coincés dans cet étau, les évêques se voient obligés de multiplier les lettres, demandant à leurs bienfaiteurs la permission d’utiliser les dons à des fins nouvelles. Leurs bienfaiteurs qui sont eux-mêmes des intermédiaires souvent situés à Hongkong doivent à leur tour écrire aux instituts de financement pour leur demander le feu vert.
2. LES DERAPAGES DE LA COURSE A L’ARGENT
Dans les milieux religieux comme chez les cadres politiques, la course à l’argent entraîne confusion et conflits, corruption du pouvoir et dégradation générale du tissu social.
L’ambiguïté des demandes d’aide
L’apport massif de capitaux dans les régions voisines de Hongkong a décuplé les appétits au point que certaines requêtes embarrassent les donateurs les plus généreux. La région de Shantou (Swatow) à l’est de la province de Canton a été particulièrement gâtée. Le millionnaire de Hongkong Li Jiacheng, un bouddhiste dont la secrétaire est protestante, a été une véritable providence pour ce pays teochew (du nom de Chaozhou, centre ethnique et dialectal dominant). En 1979, il finançait la construction d’un vaste hôpital encerclant littéralement la grande église catholique dévastée par la Révolution culturelle. C’est à lui également qu’est due la belle université bâtie au pied des collines à l’ouest de Shantou. Ces dernières années enfin il faisait un don de 3 millions de yuans aux protestants de Swatow grâce auxquels ils purent construire une haute église moderne à quelque trois cents mètres du vieil évêché catholique.
Derrière leur évêché, les catholiques ont eux-mêmes bâti en 1985 la nouvelle église Saint Joseph, un édifice relativement spacieux, mais déjà trop petit.
En 1992, les catholiques doivent faire face aux exigences du développement urbain en même temps qu’au nombre accru des fidèles dans cette zone économique spéciale en plein boom. Outre leur centre principal de l’évêché, ils disposaient autrefois de trois autres églises. Aucune de ces églises, semble-t-il, n’est récupérable. En juillet 1992, l’évêque Jean Cai Tiyuan parle de bâtir une “église de la Sainte Famille” dans un faubourg de Shantou en pleine croissance. Le coût de la construction serait de 740.000 yuans (8). Quelques mois plus tard, par un changement curieux d’orientation, le diocèse de Shantou conçoit le projet d’une très grande église dix fois plus coûteuse sur le terrain même du vieil évêché situé en plein centre ville.
Le 7 décembre 1992, l’Association patriotique des catholiques obtient du bureau des affaires religieuses un accord formulé en ces termes:
“D’accord pour que vous changiez d’utilisation les terrains de l’évêché et de l’église Saint Joseph, à savoir construire l’église Saint Joseph à la place de l’évêché actuel et rebâtir l’évêché ainsi que d’autres facilités à la place de l’église Saint Joseph actuelle. Pendant les travaux sur le terrain de l’évêché, vous pouvez continuer à utiliser l’église Saint Joseph, mais cette église devra être fermée quand les travaux seront terminés.
Le projet de reconstruction sur le terrain de l’évêché est la grande affaire de l’Eglise catholique et nous espérons que vous y serez particulièrement attentifs, vous soumettant au programme général de la municipalité, utilisant de façon satisfaisante les conditions favorables de cet emplacement, ouvrant un magasin, un commerce, de façon à élever la capacité d’autofinancement de votre diocèse; pour réunir le capital, vous agirez suivant la politique religieuse du Parti; les démarches devront être unifiées sous l’égide de l’Association patriotique…” (9)
Dès Noël 92, un appel en anglais et en chinois est rédigé par le Comité préparatoire de la paroisse catholique. Puis un dépliant de papier glacé portant le croquis de la future église est imprimé le 25 février 1993. Trois prêtres respectés à l’étranger pour leur fidélité à l’Eglise sont chargés des appels outre-mer. L’un d’eux, originaire du diocèse de Swatow est d’ailleurs curé à Hongkong. L’image de la future église peut faire frémir de fierté ou d’inquiétude: une haute bâtisse néo-gothique avec pas moins de 4 rosaces superposées au-dessus du grand portail central, puis une tour percée d’ogives et enfin une flèche surmontée d’une croix atteignant la hauteur totale de 45 mètres.
L’église protestante voisine sera certainement surclassée et les catholiques teochew de Bangkok, Singapour et autres régions du monde n’hésiteront pas à ouvrir les cordons de leur bourse pour voir ce fleuron grandir sur la terre de leurs ancêtres. De fait, 200 000 yuans sont encaissés en l’espace de deux mois, mais il faudra réunir 5 millions de yuans et même 7 pour réaliser l’ensemble du projet.
Un certain nombre d’amis soucieux de soutenir le diocèse de Swatow s’interrogent pourtant. Les occidentaux éprouvent une révulsion d’ordre artistique devant la conception architecturale de la future église. Ils ne devraient pas trop s’inquiéter car il ne s’agit là que d’une première esquisse. Ce plan sera certainement modifié; il y a déjà des divergences de vues entre les patriotiques qui tiennent à intégrer un centre commercial à la future bâtisse et ceux qui aimeraient un édifice purement religieux. C’est évidemment le Bureau des affaires religieuses guidé par le Front uni qui séparera les plaideurs au profit du développement urbain.
D’un point de vue purement religieux, d’autres questions se posent : faut-il que les chrétiens attachent la même importance que leurs compatriotes à la “face” ? La liturgie post-conciliaire en chinois inaugurée officiellement sur le continent en septembre 1992 peut-elle s’accommoder de la nef gothique ancienne?
D’un point de vue financier, d’autres solutions plus économiques ont-elles été suffisamment envisagées? Pourquoi démolir cette église Saint Joseph bâtie il y a à peine dix ans? Etait-il vraiment impossible d’obtenir la restitution d’une des anciennes églises ou encore un nouveau site en dehors du centre? Pourquoi le projet de l’église de la Sainte Famille dût-il être abandonné?
En d’autres régions de Chine, certaines entreprises grandioses de construction immobilière ont d’ailleurs été sur le point d’avorter et donnent à réfléchir. C’est le cas de l’immeuble imposant bâti à Tianshui au Gansu grâce à un financement substantiel des catholiques allemands. L’inauguration de la nouvelle église logée dans l’immeuble devait prendre place le 15 août 1992 en la fête de l’Assomption. Mais les 1 400 000 yuans investis dans la construction ne suffisaient pas à couvrir les derniers frais. Le contremaître n’étant plus payé cessa les travaux le 16 juillet, apposant les scellés sur les portes. Outre l’église, l’immeuble en souffrance devait abriter évêché, petit séminaire et couvent. Seuls des secours extérieurs supplémentaires non prévus au départ pouvaient tirer de l’impasse un diocèse en réalité très pauvre (10).
Interventions abusives des autorités civiles
En fait, les chrétiens n’ont guère de liberté de manoeuvre. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls à se plaindre d’une ingérence abusive des autorités civiles dans leurs affaires. Lors d’une rencontre entre le Comité du Parti pour les affaires religieuses et les représentants des religions les 13 et 14 juillet 1993, le dirigeant bouddhiste Zhao Puchu notait divers abus regrettables:
“…Le temple Chengtian de Ningxia est un haut lieu du bouddhisme. Transformé en musée pendant la Révolution culturelle puis en parc d’amusement, il a été ensuite restitué au culte par un acte officiel. Mais à la suite d’un changement de dirigeant, cet acte a été laissé de côté. Aujourd’hui, le mur d’enceinte du temple a été démoli pour faire place à des boutiques, ce qui a soulevé l’indignation des fidèles…
En certains lieux,les corps religieux, utilisant leur propre patrimoine, gèrent des entreprises annexes, mais c’est le Front Uni et le Bureau des affaires religieuses qui détiennent le contrôle total du personnel, de la gestion et des revenus…”
Le dirigeant protestant Ding Guangxun faisait des remarques analogues à l’ouverture du 8ème congrès de la Conférence consultative politique du peuple chinois. Parmi les centaines de complaintes qui parviennent au Conseil chrétien des Eglises et au Mouvement patriotique des trois autonomies, il distingue une catégorie de griefs qui tendent à se multiplier récemment :
“Dernièrement, nous avons reçu davantage de messages reflétant les faits suivants : en divers lieux, au nom du développement urbain ou de l’expansion d’une entreprise, on envahit un terrain d’Eglise, on démolit des bâtiments d’Eglise sans la moindre discussion préalable…” (11)
Les catholiques pour leur part pourraient citer le cas de l’église de Putian dans le diocèse de Xiamen. L’événement fit grand bruit au printemps 1992. Le pire put être évité grâce à une prise de position courageuse de l’Association patriotique du canton de Putian. A l’échelon provincial, un rapport de l’Association patriotique du Fujian daté du 27 septembre 1991 fait état des faits suivants:
“A la mi-septembre, nous avons reçu par deux fois lettres et visites de l’Association patriotique du canton de Putian rendant compte des faits suivants : les responsables du plan de rénovation urbaine du vieux centre de la cité ont subitement modifié unilatéralement leur plan de démolition et forcé l’Eglise à s’y soumettre, c’est-à-dire à accepter sans condition la démolition totale de tous les bâtiments d’Eglise et ceci sans aucune négociation préalable…” (12)
Les détails contenus dans ce rapport (13) précisent que l’accord primitif entre la municipalité et l’Association patriotique prévoyait d’utiliser 136 m² du terrain de l’Eglise. Une fois modifié, le plan de rénovation devait englober la totalité du terrain, soit 2 922 m², pour y bâtir des centres commerciaux et des magasins. Le rapport indique enfin comment les catholiques du lieu, furieux d’être ainsi foulés au pied, organisent activement la résistance.
Ces remontrances de l’Association patriotique demeurent apparemment sans effet puisque trois des six bâtiments catholiques, dont le couvent des soeurs, sont bientôt rasés, plus de 1 600 m² du terrain étant ainsi nettoyés. Une lettre de la municipalité est alors adressée aux chrétiens, les sommant de se soumettre avant le 1er mai, date ou les bulldozers achèveront leur oeuvre et raseront l’église elle-même.
C’était compter sans la persévérance des chrétiens et surtout c’était ignorer leurs nombreuses relations à l’étranger. Un piquet d’une trentaine de fidèles s’installe en permanence devant l’église, empêchant la poursuite des travaux. On remet deux lettres circonstanciées à des parents catholiques d’Asie du sud-est alors en visite à Putian en les priant d’expédier ces lettres aux plus hauts gouvernants chinois dont Deng Xiaoping et Qiao Shi. La famille d’outremer fait bien son travail. Les lettres sont envoyées à Qiao Shi du Politburo et à Chen Guangyi, gouverneur de la province du Fujian. Un dossier de l’affaire est “faxé” à Hongkong où l’agence catholique de presse diffuse les faits dans le monde entier. Les autorités supérieures se doivent d’intervenir. Une équipe d’enquêteurs comprenant un évêque est envoyée au Fujian depuis Pékin. En fin de compte, les démolitions prévues ne peuvent être évitées, mais les Catholiques reçoivent des compensations substantielles dont un terrain relativement bien placé et une somme de 300 000 yuans pour rebâtir une nouvelle église.
Cas d’extorsion criminelle
Les catholiques d’une région côtière ouverte et fréquemment visitée par les Chinois d’outremer peuvent ainsi défendre leur cause, d’ailleurs non sans mal. Il n’en va pas de même des chrétiens à l’intérieur du pays, dans des régions arriérées où la police elle-même en prend à son aise. L’année 1993 a été noircie dans l’opinion internationale par des crimes odieux perpétrés aux confins des provinces du Henan et du Shaanxi.
Le récit en est parvenu miraculeusement à Hongkong grâce au témoignage courageux d’une chrétienne recueilli par un pasteur protestant qui se trouvait en visite dans cette région lointaine. Voici quelques extraits du rapport publié le 7 mai 1993 par le Centre de recherche évangélique de Hongkong:
“Notre centre a reçu des rapports d’un cas sévère de persécution qui s’est produit le 27 mars au village de Taoyuan dans le canton de Xunyang au sud Shaanxi. D’après ce rapport, une équipe de prêcheurs venus de la ville de Ankang s’était rendue à Taoyuan pour un rassemblement chrétien. Ce soir là, la réunion fut dénoncée au bureau de police par les cadres du village. 8 ou 9 policiers furent dépêchés sur les lieux. Dès leur arrivée, ils se mirent à rouer les fidèles de coups de bâton et fixèrent les menottes aux mains des cinq de Ankang. Trois frères, forcés à baisser leur pantalon, furent cruellement battus. 26 des fidèles furent obligés à leur assèner cent coups de bambou. Ils durent s’exécuter sous peine d’être battus eux-mêmes par la police. Après cette bastonnade, les trois frères couverts de sang furent suspendus, battus à nouveau et injuriés grossièrement.
Les policiers battirent aussi les femmes, à leur en faire perdre conscience. Deux d’entre elles furent courbées contre le kang (14) avec des meules lourdes de 70 kg sur le dos. Leur pantalon arraché devant les hommes, elles furent frappées et honteusement traitées.
Au lever du jour, les cinq personnes battues toute la nuit furent traînées au bureau de police et détenues pendant 8 jours.
Le plus sérieusement blessé était un jeune frère de 22 ans du nom de Lai Manming. Une docteur fut appelée. Elle lui donna quelques soins, mais il était trop tard. Réalisant qu’il allait mourir, les gardes le laissèrent partir. Il mourut en se traînant vers sa maison.
De peur que l’affaire ne s’ébruite, la police arrêta ensuite plus de 90 chrétiens” (15).
Ces faits ont été indirectement confirmés, bien que de façon mensongère, par une réponse officielle de l’ambassadeur de Chine en Grande-Bretagne à une demande d’éclaircissement de la part d’un parlementaire anglais (2 juin 1993):
“… Après enquête, le rapport concernant le cas précédent ne répond pas aux faits. Lai Manping, un paysan qui n’était pas chrétien, a organisé une assemblée illégale le 27 mars, troublant sérieusement l’ordre local. La réunion a été interrompue conformément à la loi le 28 mars. Lai Manping est mort d’une crise cardiaque le 6 avril, ce qui n’a rien à faire avec la réunion. L’allusion aux arrestations d’un grand nombre de chrétiens est également fausse” (16).
Les nouvelles parvenues du Sud Shaanxi depuis ces événements confirment pourtant le rapport officieux et ajoutent même des éléments encore plus troublants qui mettent en cause la soif d’argent des cadres locaux. La même agence d’information de Hongkong publie le 25 juin suivant:
“Tous sauf deux des 90 Chrétiens arrêtés lors de la récente descente de police sur une assemblée chrétienne au Sud Shaanxi ont été relâchés, mais seulement après avoir payé de lourdes amendes allant de 500 à 700 yuans, soit le revenu d’une année entière pour un paysan chinois moyen” (17).
Etant donné cette issue de l’affaire, on peut s’interroger sur la cause primitive de l’incident. Pourquoi les cadres locaux avaient-ils dénoncé à la police cette réunion chrétienne en la qualifiant d’illégale? Serait-ce que les chrétiens avaient refusé de payer pour avoir la paix? Ces faits sordides rappellent étrangement les procédés mandarinaux de la Chine féodale. A l’époque, les réunions chrétiennes étaient aussi généralement illégales. Les mandarins en profitaient pour arrêter religieux et catéchistes. Ils les relâchaient ensuite contre rançon.
Aujourd’hui, seules sont légales les assemblées cultuelles qui prennent place dans les églises approuvées officiellement. Les réunions de maison, si fréquentes chez les protestants, peuvent faire l’objet de harcèlements continuels, sous prétexte que les permis n’ont pas été obtenus. Etant donné la course actuelle à l’argent, le type de harcèlement privilégié consiste à imposer des amendes.
3. LES INVESTISSEMENTS DE LA RELIGION
Soumis aux pressions politiques d’un socialisme aux couleurs capitalistes et bénéficiant en même temps d’une “politique de liberté religieuse” il est vrai bien limitée, comment les chrétiens chinois réagissent-ils? Où souhaitent-ils placer le peu d’argent qui leur reste? Quant aux chrétiens de l’extérieur soucieux de les aider, que doivent-ils faire? En d’autres termes, d’un point de vue chrétien, quels sont les investissements les plus utiles à l’Eglise et au peuple de Chine?
Les priorités de l’Eglise de Chine
Tout en faisant la part des orientations gouvernementales transmises par l’Association patriotique dans le cas des catholiques, les vieux pasteurs libérés des camps de travail et des prisons se sont préoccupés de faire revivre l’Eglise et d’assurer sa survie. D’un commun accord, ils ont observé un certain nombre de priorités.
La construction d’églises
Depuis le jour où l’Eglise en Chine a pu renaître de ses cendres en 1978, la préoccupation première a été de restaurer, de rebâtir et de construire des églises. A l’occasion du 5ème Congrès national des représentants catholiques en septembre 1992, on annonçait officiellement que 3 900 églises et lieux de culte avaient été ouverts. Le mouvement de reconstruction s’est étendu des villes aux campagnes les plus reculées, là même où le prêtre ne peut venir qu’une ou deux fois dans l’année. De ce point de vue, des prouesses ont été réalisées par les villageois de la presqu’île de Pinghai dans ce fameux canton de Putian devenu célèbre pour sa lutte autour de l’église du chef-lieu. 20 petites églises de villages ont été bâties par les paysans et pêcheurs catholiques, souvent de leurs propres mains, les matériaux de construction étant payés grâce aux dons de leurs parents de Taïwan, Hongkong et Singapour.
Pourquoi les catholiques attachent-ils une telle importance à la construction d’un édifice religieux alors qu’ils pourraient souvent se réunir dans une grande salle de leur village? En mars 1993, j’avais l’occasion de discuter cette question avec les jeunes prêtres du diocèse de Swatow dans la province de Canton. Ces jeunes prêtres circulent en autocar ou en minibus pour visiter les malades ou aller célébrer la messe dans des dessertes éloignées de 20 kilomètres. Ils gagneraient un temps considérable s’ils disposaient d’une petite moto. L’un d’eux me répondit que la priorité était donnée aux constructions d’églises. La moto viendrait ensuite. Leurs remarques me firent comprendre l’importance que joue le lieu de culte dans la pratique chrétienne chinoise traditionnelle : lorsqu’une église est ouverte, les chrétiens se réunissent à nouveau pour les prières du matin et du soir; ils y tiennent des classes de catéchisme pour les enfants; ils s’assemblent pour une célébration du dimanche sous la direction d’un catéchiste ou d’un chef de communauté. L’ensemble rituel catholique hérité des ancêtres reprend tous ses droits.
La formation de jeunes prêtres et religieuses
Dès le mois de mai 1978, alors que l’église du Nantang à Pékin était la seule ouverte dans toute la Chine et que les fidèles chinois n’y avaient pas encore accès, un prêtre de cette église me révélait discrètement qu’ils avaient quelques étudiants apprenant le latin. Nombre de vieux prêtres revenus dans leur paroisses eurent pour premier souci de grouper quelques jeunes gens, d’améliorer leur instruction religieuse et de leur apprendre le latin en vue de les envoyer plus tard au séminaire. Le mouvement s’amplifia bien sûr avec l’ouverture des premiers grands séminaires à Shanghai en septembre 1982 et à Pékin l’année suivante. Dans le même temps quelques jeunes filles commençaient à se mettre à l’école de vieilles religieuses à nouveau réunies en communauté.
Depuis ces premiers temps héroïques, environ 500 prêtres ont été ordonnés pour l’ensemble du pays et les noviciats de filles sont au nombre d’une quarantaine. Nombre d’entre eux et d’entre elles se sont mis à leur tâche avec un grand courage. Pourtant de nouveaux problèmes apparaissent aujourd’hui. La plupart de ces jeunes se rendent compte, ou leurs aînés s’en rendent compte pour eux, que leur formation théologique et spirituelle a été bien maigre et souvent déficiente. Les séminaires ont eu une histoire mouvementée avec trop peu de professeurs, des locaux insuffisants, des livres trop rares et des confusions provoquées par l’ingérence incessante des cadres politiques dans les affaires religieuses. C’est pourquoi l’amélioration de la formation dans les séminaires et après le séminaire retient de plus en plus l’attention.
C’est dans cet esprit que six grands séminaires ont récemment fait appel à des professeurs chinois de Hongkong et Taïwan, voire d’autres pays pour qu’ils viennent sur le continent donner des cours de plus ou moins longue durée en théologie, Ecriture Sainte, liturgie, morale, droit canonique, histoire de l’Eglise et toute autre matière utile. Jusqu’ici, seul le grand séminaire de Sheshan à Shanghai avait été autorisé à tenter une expérience pilote. Les professeurs de l’extérieur qui ont pu enseigner à Shanghai au cours des trois dernières années sont maintenant en mesure d’initier d’autres confrères aux particularités de l’enseignement dans les grands séminaires de Chine. Soeur Maria Goretti Lau de la Congrégation du précieux sang, théologienne spécialisée en ecclésiologie, et le père Thomas Lau, liturgiste, tous deux de Hongkong, jouent un rôle déterminant au service des séminaires sur le continent.
Un phénomène nouveau est d’ailleurs apparu en 1993. De jeunes prêtres, professeurs de séminaires ou pasteurs particulièrement dynamiques, sortent du pays et vont eux-mêmes faire une enquête sur la vie d’Eglise à l’extérieur. Une délégation officielle est venue de Pékin à Hongkong faire le tour des instituts de formation et des services caritatifs. Fait encore plus surprenant, cinq jeunes prêtres de Mandchourie ont entrepris une tournée d’enquête pastorale en juin dernier à Hongkong en Malaisie et à Singapour. Organisant ce voyage de leur propre initiative et à leurs frais, ils ont mis à profit leur relations avec des prêtres chinois originaires de leurs diocèses et même rendu visite à l’ancien évêque de Jilin, Mgr Charles Lemaire, âgé de 93 ans. A l’heure actuelle, l’évêque de Pékin Mgr Fu Tieshan projette d’organiser une tournée en Belgique et en France pour une quinzaine de jeunes professeurs de séminaire. L’évêque de Shanghai Mgr Jin Luxian, officiellement chargé de la formation dans les séminaires de Chine, multiplie pour sa part les envois de ses meilleurs grands séminaristes pour études en divers pays de culture chrétienne : Amérique, Belgique, France, Suisse, Italie, Allemagne. Suivant le succès de ces expériences, l’Eglise de Chine pourra se doter un jour de théologiens capables de penser une formation religieuse combinant la grande tradition chrétienne avec les richesses de la tradition culturelle chinoise.
Réforme liturgique
A la suite du 5ème Congrès national des catholiques, lors de leur première réunion commune avec les dirigeants de l’Association patriotique les 20 et 21 février 1993 à Pékin, les dirigeants de la Conférence épiscopale se sont fixé trois tâches prioritaires:
“hâter la réforme liturgique par la mise en oeuvre dans tout le pays de la célébration de la messe post-vaticane en chinois; établir une liste de textes de référence et un programme d’enseignement pour les séminaires; aider les diocèses en mesure de le faire à combler la vacance de leur siège épiscopal” (18).
Il est intéressant de comparer ces priorités avec les points soulignés par l’Association patriotique lors de la même réunion:
“se préoccuper de la croissance des jeunes prêtres et des novices et assurer des cours de formation pour les jeunes prêtres; former des cadres pour l’Association patriotique et opérer efficacement des projets économiques en vue de l’autofinancement” (19).
Des deux côtés, on s’intéresse à la formation des séminaristes et jeunes prêtres: du côté religieux pour leur vie spirituelle et leur compétence en matière liturgique, biblique, théologique; du côté politique pour leur activisme en matière économique et leur esprit socialiste.
Aux yeux des évêques, la tâche la plus urgente en 1993 est d’introduire l’usage du chinois dans la liturgie. Depuis environ trois ans, les jeunes prêtres formés au séminaire de Shanghai ont pu se familiariser avec les nouvelles cérémonies de la Semaine Sainte, réformées d’ailleurs bien avant Vatican 2. Ils ont également été initiés à l’esprit et au rituel de la célébration eucharistique dans leur langue chinoise. Un prêtre de Pékin, Liu Guozhi, a également été envoyé à Manille pour trois mois de formation liturgique. Il était nommé ensuite secrétaire exécutif de la Commission épiscopale de liturgie. Au printemps 1993, le lancement de la nouvelle liturgie se fait à grande échelle. Un cours de formation liturgique est organisé au séminaire national de Pékin du 10 au 25 mai pour 30 prêtres et un diacre venus des 30 provinces, municipalités et régions autonomes de la Chine (20).
En bien des régions de Chine on n’avait d’ailleurs pas attendu ces mesures officielles pour se mettre à la liturgie en chinois. Dès l’été 1985, une communauté catholique aussi lointaine que celle de Urumqi possédait déjà son grand missel d’autel chinois imprimé avec les moyens du bord, et sa chorale chantait admirablement en chinois les mélodies du kyriale grégorien. Dans des campagnes reculées, les communautés catholiques clandestines initiées à la messe chinoise par des prêtres de Hongkong, Taïwan et autres lieux se montraient plus “patriotiques” que l’Eglise officielle encore attachée au latin. C’est d’ailleurs probablement cette popularité de la nouvelle liturgie qui a permis aux dirigeants officiels d’introduire l’usage du chinois et les nouvelles formes de célébration sans soulever l’opposition irréductible des fidèles.
L’adoption de la nouvelle liturgie a été retardée pour diverses raisons, l’une d’entre elles étant le coût financier de l’opération. Où trouver l’argent pour imprimer de nouveaux missels alors qu’il fallait reconstruire des églises et que les maigres revenus des diocèses ne suffisaient pas à couvrir les frais de formation des séminaristes et religieuses? De telles questions ne se posent plus depuis qu’il est possible de faire appel à l’aide extérieure. Une dépense de ce type est d’ailleurs susceptible d’attirer les dons étrangers au-delà de toute espérance. Le diocèse de Shanghai qui dispose d’une imprimerie moderne s’est très vite intéressé au projet de publication du missel chinois. Son évêque Jin Luxian a pris la peine d’écrire à de nombreux évêques de France, d’Allemagne, d’Italie et autres lieux et l’argent est arrivé à flot. Le missel a pourtant du mal à voir le jour. Jusqu’ici, seul un petit livret a été publié pour permettre aux fidèles de suivre la messe chinoise. Pourquoi ces délais? L’un des obstacles est peut-être l’observance quasi-tabou du principe d’indépendance de l’Eglise chinoise. Il faut introduire quelques modifications mineures dans le texte officiel de l’Eglise universelle. D’après les liturgistes de Hongkong et Taïwan les petites modifications prévues n’altèrent en rien la liturgie et la doctrine. Plus gênant peut-être est le problème objectif soulevé par la langue chinoise. Le missel publié à Taïwan diffère de celui de Hongkong. L’écriture chinoise est sans doute la même partout, mais à la lecture publique, certaines expressions très acceptables en mandarin du nord sonnent au contraire fort mal à des oreilles habituées au cantonnais du sud. Il faut pourtant se mettre d’accord sur un texte commun. Autre problème enfin touchant la diffusion du missel parmi les catholiques de Chine : l’imprimatur doit être donné par la Conférence épiscopale officielle. Il n’est pas question de faire valoir que le texte a été mis au point par des experts de Hongkong et Taïwan en vue de lui conférer plus de légitimité.
Dans ces circonstances, les Catholiques clandestins accepteront-ils de se servir du nouveau missel? Certains observateurs indépendants fatigués de ces chamailleries incessantes suggèrent non sans humour d’imprimer seulement “cum approbatione ecclesiastica”.
Les objectifs de l’aide étrangère
Comment les chrétiens de l’étranger peuvent-ils répondre aux nombreuses demandes d’aide qui leur viennent de Chine lorsqu’ils réalisent toutes les complexités de la situation dans ce pays?
Nous savons déjà à qui les chrétiens de Chine demandent une aide financière. Il s’agit maintenant d’évaluer la nature et l’ampleur de l’aide apportée puis de préciser en quel sens l’aide extérieure peut témoigner en vérité des valeurs évangéliques et de la fraternité ecclésiale.
L’aide spontanée
L’aide spontanée, au ras du sol, nous l’avons vu, est avant tout l’apport très substantiel des chrétiens chinois d’outremer, des prêtres et religieuses de Taïwan, Hongkong et autres lieux et, dans une mesure plus limitée, d’anciens missionnaires familiers d’une région particulière. Cette aide atteint les plus pauvres. C’est un geste de solidarité quasi familiale. Ceux qui en bénéficient sont souvent des chrétiens clandestins qui se sont toujours tenus à l’écart de l’Association patriotique ou de son équivalent protestant. En réalité, les bienfaiteurs venus de l’extérieur du pays se gardent généralement de prendre position pour ou contre les structures officielles. Ils regrettent les divisions internes des chrétiens en Chine et souhaitent plus de compréhension mutuelle quels que soient les griefs des uns contre les autres. Il serait erroné de la part des autorités de considérer cette aide directe de personne à personne comme subversive. Les dons faits aux uns comme aux autres peuvent au contraire contribuer à réduire les oppositions irréductibles.
Les dons en outre ne sont pas destinés qu’à des fins religieuses. Des écoles et des cliniques ont pu être bâties grâce aux subsides apportés par des prêtres chinois.
Il est malheureusement bien difficile d’évaluer l’importance numérique de cette aide qui dépend avant tout de relations entre personnes privées. Chacun se garde de parler ouvertement de ces choses. La méfiance règne, avec raison, compte tenu de l’expérience douloureuse des quarante années passées. A titre indicatif, on sait pourtant que chacun et chacune des quelques centaines de prêtres et religieuses qui se rendent de Taïwan sur le continent emportent avec eux ou avec elles des sommes rondelettes de quatre ou cinq mille dollars américains. Beaucoup d’entre eux et d’entre elles jouent probablement en ceci le rôle d’intermédiaires, la somme dont ils disposent provenant de sources diverses.
L’aide organisée
L’aide organisée, répondant à des demandes officielles, est de nature différente. Des organismes divers, ayant généralement leur base ou un poste de liaison à Hongkong, recueillent les requêtes venues du continent, obtiennent des fonds des agences internationales de financement et s’efforcent d’acheminer ces fonds vers leurs destinataires en utilisant les filières les plus sûres. Ces organismes font office de canaux de transmission. Mais il n’est pas exclu que les agences mondiales de financement traitent directement avec des partenaires responsables sur le continent chinois.
Aide humanitaire
Les protestants ont su prendre une initiative de taille en organisant dès 1985 l’Association Amity gérée par un comité directeur à Nankin et un coordinateur à Hongkong. D’abord préoccupée de fournir un personnel enseignant au Jiangsu et dans les provinces voisines, l’association s’est ensuite lancée dans divers projets humanitaires et des expériences de développement rural. Les premiers succès de cette entreprise ont peut-être favorisé la tenue d’une Conférence internationale oecuménique à Nankin en mai 1986 sur le thème : “Partage oecuménique: perspectives nouvelles” (21). La conférence fut caractérisée par une forte présence américaine, les organisateurs principaux venant du Conseil national des Eglises des Etats-Unis assistés par une équipe catholique dynamique de la Société de Maryknoll. Les conférenciers les plus marquants appartenaient au groupe des théologiens du tiers monde préoccupés d’abord de réduire le déséquilibre entre pays riches et pays pauvres grâce à une aide favorisant les changements structurels : situation paradoxale où les bailleurs de fonds des pays développés se voyant reprocher leur richesse étaient priés de soutenir d’abord les pays en lutte contre le système capitaliste producteur de cette richesse. La Chine, pour sa part, déjà “libérée”, ne s’intéressait plus guère à cette lutte mais songeait plutôt à s’enrichir en recueillant non seulement les dépouilles mais aussi les méthodes du capitalisme vaincu. D’un point de vue réaliste chrétien, les tirades idéologiques vengeresses semblaient déplacées et peu efficaces au regard du témoignage discret des quelques représentants de l’association Amity travaillant à Nankin.
Les catholiques pour leur part disposaient d’un organisme efficace avec Caritas Hongkong. Depuis 1986, Caritas Hongkong gère un secteur continent-chinois. En 1993, Caritas s’occupe de 140 petits projets dans une vingtaine de provinces : formation d’enseignants, de personnel hôtelier, soin des handicapés, développement de villages très arriérés, services médicaux etc. L’intérêt de Caritas est de pouvoir envoyer du personnel en même temps que des fonds, ce qui permet d’assurer la formation humaine et technique des responsables locaux de façon qu’ils poursuivent la tâche par leurs propres moyens.
Un autre organisme catholique a été formé également à Hongkong pour fournir des enseignants de langue, généralement d’anglais, dans les universités et instituts chinois: AITECE (Association for international Teacher Education and Curriculum Exchanges). La plupart des enseignants recrutés sont des prêtres et des religieuses qui n’ont pas charge familiale et sont prêts à servir pour un maigre salaire et dans des conditions de vie peu confortables. Ils savent qu’ils ne peuvent exercer en Chine un ministère religieux, l’Eglise de Chine leur refusant ce droit au nom de son “indépendance”. Il leur reste à offrir une aide amicale à la fois d’ordre moral et culturel. Un certain nombre d’enseignants laïcs sont également prêts à offrir un service désintéressé. Des postes d’enseignement de français, relativement peu nombreux sont ainsi proposés par L’Union pour la diffusion de la langue et de la culture française en Extrême-Orient créée en avril 1992 (22).
Outre les organismes fonctionnant d’abord à Hongkong, d’autres services ont été établis à partir d’une base européenne avec des correspondants en Asie. L’Association des quatre mers dirigée par Jérôme Heyndrickx, CICM, travaille à partir de la Fondation Verbist de Louvain en coopération particulièrement étroite avec des services médicaux catholiques de Taïwan pour aider à la formation d’infirmières et fournir des équipements médicaux à l’hôpital populaire de Dengkou en Mongolie intérieure. L’abbaye bénédictine de Sainte Odile en Allemagne grâce à ses liens amicaux avec le diocèse de Jilin en Mandchourie a pu développer école et église dans la région ethniquement coréenne de Yanji en même temps qu’elle aidait à construire le grand séminaire de Jilin et le couvent des soeurs. Sur l’invitation du Bureau des affaires religieuses de Jilin, les soeurs bénédictines missionnaires de Tutzing ont pu joindre leurs efforts à ceux de l’abbaye de Sainte Odile pour fonder un hôpital à Meihekou, ville de 600 000 habitants entourée d’une zone rurale de 2,5 millions habitants (23).
Aux aides d’ordre social et humanitaires fournies par des organismes d’Eglise, il faut également associer les divers programmes de développement fournis en Chine au nom des organisations non gouvernementales (ONG). Une trentaine de représentants de 17 ONG appartenant à 9 pays ont participé à un séminaire à Jinan dans la province du Shandong du 29 octobre au 3 novembre 1992. L’une des participantes, Hazel Wong de World Vision International, de retour à son bureau de Hongkong, rapportait qu’en Chine, environ 30 millions de personnes vivaient en dessous du niveau de pauvreté avec un revenu annuel inférieur à 250 yuans (24). Soeur Lily Cheng, FMM, responsable du secteur Chine à Caritas Hongkong, également présente au séminaire, apportait quelques précisions :
“Le séminaire a inclus des présentations de leur travail par les agences de financement, des discussions de groupe et des visites de villages. L’un de ces villages, Shangzhuang, du canton de Mengyin, reçoit l’aide de l’agence allemande Misereor. Les projets à Shangzhuang comprennent approvisionnement en eau potable, soins médicaux, plants d’arbres fruitiers et élevages… Misereor a fourni 130 000 marks (US$ 83 700) et le gouvernement chinois 137 000 yuans pour le creusement de puits, de 12 étangs, l’achat de 17 200 mètres de tuyauterie, de pompes et autre équipements” (25).
Le séminaire était organisé par le CICETE – China International Centre for Economic and Technical Exchanges, un organisme dépendant du ministère des Relations économiques étrangères et du commerce qui est chargé de la coordination des projets avec les ONG internationales. Cet organisme s’i