Eglises d'Asie

CATHOLIQUE ET KAREN TOUJOURS…

Publié le 18/03/2010




Benjamin, vous êtes l’un des dirigeants du mouvement karen en lutte armée contre le pouvoir central birman depuis plusieurs décennies. Pouvez-vous nous en dire plus sur vous-même ?

Je suis juge en dernière instance de la Haute Cour instituée par le gouvernement karen résidant à Manerplaw. Depuis quelques semaines je suis aussi vice-président de l’organisation de jeunesse karen (Karen Youth Organisation) qui a été fondée en 1989. Je suis catholique, issu d’une famille catholique de Thunze au nord de Rangoon. J’ai commencé mes études au petit séminaire de la capitale. Je me souviens d’ailleurs, étant enfant, avoir connu des prêtres des Missions étrangères de Paris, qui étaient dans notre paroisse avant l’expulsion en 1966 de tous les missionnaires étrangers. L’année dernière je suis devenu président de la communauté catholique dans les territoires protégés par l’armée karen.

Comment avez-vous rejoint l’insurrection ?

A la fin de mes études de droit à l’université de Rangoon, en décembre 1978, je n’ai même pas attendu les résultats des examens pour rejoindre l’armée nationale du peuple karen. J’avais profondément conscience que notre peuple était opprimé depuis trop longtemps, que nous avions été trop souvent trahis et que la seule manière de nous défendre contre l’hégémonisme birman était la lutte armée. Dans la mémoire de mon peuple, les massacres commis par les Birmans contre les villages karens au moment de la décolonisation restent extrêmement vivaces. D’ailleurs l’armée karen n’était à ses débuts qu’une milice d’auto-défense contre la volonté de purification ethnique des Birmans. Aujourd’hui encore vous pouvez constater vous-même que l’armée birmane entretient une pression très forte sur les villages karen du delta ainsi que sur ceux de la frontière (1). Récemment, nous avons mené une opération militaire dans le delta et nous ne sommes passés que dans des villages birmans en évitant les villages karen… Pourtant, l’armée birmane n’a pas touché à ces villages et s’en est pris uniquement aux villages karen de la région où elle a emprisonné plusieurs dizaines de personnes.

Vous êtes catholique. Comment réconciliez-vous votre foi chrétienne et votre engagement dans la lutte armée ?

Au début je ne me suis guère posé de questions. Ce qui me motivait c’était la passion pour que justice soit faite à mon peuple. Cela me suffisait. Plus tard, je me suis posé d’autres questions et je me suis aussi un peu formé dans ma foi chrétienne. Je me suis intéressé à la théologie de la Libération. Je me suis rendu compte qu’il y avait un lien étroit entre le combat pour la justice et la foi chrétienne. L’amour du prochain et l’amour de Dieu sont un seul et même commandement. Mon prochain le plus proche c’est le peuple karen.

Vous êtes président de la communauté catholique. Vous avez fondé une école primaire et un pensionnat catholiques. Bientôt il y aura une église…

Oui. Jusque très récemment les catholiques n’étaient pas du tout organisés alors que les bouddhistes, les adventistes du septième jour, les baptistes étaient tous bien organisés avec leurs écoles, leurs temples, leurs foyers. Nous avons voulu montrer que les catholiques aussi étaient présents et nous avons voulu donner une certaine visibilité à notre communauté. Par ailleurs, cette école et ce pensionnat sont très utiles pour les enfants catholiques qui n’ont pas autrement accès à l’éducation et cette église rassemblera plus de 250 fidèles. Nous sommes fiers d’être catholiques et nous essayons de le montrer par ces bâtiments que nous avons construits pour le service de la communauté.

Quel est le regard que porte l’Union nationale karen qui forme le gouvernement sur les religions et l’Eglise catholique ?

Pour l’Union nationale karen, qui rassemble plusieurs partis, toutes les religions sont sur un pied d’égalité et toutes sont les bienvenues : baptistes, adventistes, catholiques, bouddhistes et animistes bénéficient d’une liberté religieuse totale. L’Eglise catholique est particulièrement bien considérée parce qu’elle a été la première en Thaïlande à s’occuper efficacement des réfugiés karens, service qu’elle continue encore aujourd’hui avec d’autres organisations chrétiennes par des distributions de riz dans les camps.

Mais les baptistes n’ont-ils pas tout de même une influence plus importante que les autres religions ?

Cela a été longtemps vrai. A l’origine de l’insurrection karen et des milices d’auto-défense on trouve en effet beaucoup de pasteurs baptistes. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. D’ailleurs le général Bo Mya, président de l’Union nationale karen, est lui-même adventiste, et le premier ministre du gouvernement, Saw Basein, est anglican. Ce qui est vrai par contre c’est que la plupart des dirigeants de l’Union nationale karen et des officiers de l’armée sont chrétiens. Dans les milieux dirigeants on trouve peu de bouddhistes et d’animistes.

Qu’attendez-vous de l’Eglise catholique de Birmanie et des évêques ?

Nous voudrions que l’épiscopat se montre ferme et uni face au régime répressif de la junte militaire au pouvoir à Rangoon. Bien entendu, les circonstances font que nous ne pouvons pas attendre grand-chose pour nous-mêmes de l’Eglise catholique de Birmanie. Je constate cependant que beaucoup de moines bouddhistes sont allés en prison pour le peuple ces dernières années, mais il n’y a pas eu de prêtre catholique dans ce cas.

Haïssez-vous les Birmans ?

Je ne crois pas avoir de haine dans le coeur. Je veux simplement que mon peuple jouisse des mêmes droits que les autres dans une fédération de Birmanie qui respectera l’identité des nationalités historiques du pays telles que le peuple karen et qui leur permettra de se gérer elles-mêmes. Nous ne rendrons les armes que quand cet objectif sera atteint. Nous avons été trompés et trahis trop souvent.