Eglises d'Asie

LA FAMILLE CHINOISE ET LE PLANNING FAMILIAL

Publié le 18/03/2010




La politique de l’enfant unique a maintenant plus de dix ans, mais elle a encore beaucoup de mal à amener les changements espérés. Après avoir fait état d’un grand succès et d’un large soutien populaire, la commission nationale du planning familial a fait machine arrière. A deux reprises elle a dû réviser ses prévisions et produire pour les naissances des chiffres plus élevés, qui correspondaient mieux aux données démographiques tirées du sondage de 1987 sur un échantillon d’un pour cent et du recensement de 1990 (1). Ces données, à la différence des chiffres officiels qu’on trouve dans les annuaires statistiques, fournissent une base d’information sûre quant à l’évolution démographique et sociale du pays pendant les dix ou douze dernières années.

UNE EVOLUTION PLEINE DE CONTRASTES

Les chiffres tirés de la pyramide des âges de 1990 révèlent une évolution très contrastée. En 1982, le taux des naissances s’éleva d’abord brièvement avant de revenir à son niveau de 1976 (22,28 pour mille). Puis il tomba en 1984 au-dessous de 20 pour mille. Les années suivantes, les chiffres augmentèrent, jusqu’au taux de 23,33 pour mille en 1987 -ce qu’on appela “la troisième vague de naissancesEn d’autres termes, si l’on considère la croissance démographique, de 1983-1984 à 1987 le nombre annuel des naissances s’est élevé de 20,6 millions à plus de 25 millions. Par contraste, la fin des années 80 a enregistré des chiffres en baisse : le taux de natalité est descendu à 21 pour mille et le nombre des naissances pourrait s’être situé aux alentours de 24 millions en 1990.

Relâchement de l’action politique

Ces données nouvelles paraissent compatibles avec l’information qu’a fournie la direction du planning familial. Le recensement de 1982 ayant révélé un large écart entre les plans officiels et le développement réel (ce qui amena les bureaux de la statistique à réviser leurs chiffres pour la période antérieure à 1980), on mit aussitôt en oeuvre la politique de l’enfant unique. Très vite, cette politique abaissa de deux points le taux des naissances et ramena le nombre des naissances à environ 20 millions par an.

Mais, en 1985-1987, les chiffres accusent de nouveau une hausse rapide. Ils traduisent un relâchement de la politique de l’enfant unique dans les campagnes. Les autorités cèdent alors aux voeux des paysans. La plupart des provinces permettent un deuxième

enfant si le premier a été une fille ; certaines provinces tolérent même un deuxième enfant quel que soit le sexe du premier. Dans le même temps, les chiffres en hausse sont imputés à la population dite “flottante”, qui commence alors d’apparaître, ainsi qu’aux familles nombreuses des minorités ethniques (ces minorités représentaient 6,7 pour cent de la population totale en 1982, mais 8 pour cent en 1990).

Reprise du contrôle

Le recensement de 1990 a révélé l’ampleur de la montée des chiffres. La population totale dépassait de 15 millions les statistiques. Comme au début des années 80, cette constatation a fourni le prétexte d’un vigoureux contrôle, bientôt suivi par des récits de succès dans la presse. S’il fallait croire les rapports officiels, le taux des naissances aurait chuté à environ 20 pour mille depuis 1991 et des résultats étonnants auraient été obtenus dans les provinces côtières en développement économique accéléré. Nous lisons par exemple que Shanghai a connu une croissance négative en 1992 ; que, la même année, les taux de naissance ont été de 10,6 pour mille dans le Liaoning et de 12,5 pour mille dans le Tianjin. Des provinces notoirement hostiles au planning familial ont également annoncé de brillantes performances: dans le Fujian le taux des naissances serait tombé de 28,54 à 17,42 pour mille de 1989 à 1992, et la province de Canton prévoyait d’abaisser le sien à environ 18 pour mille en 1993 (2).

Pour l’ensemble du pays, l’accroissement de la population se serait établi aux environs de 13 pour mille (3). Ces chiffres devraient permettre aux combattants du planning familial de souffler, mais ceux-ci sont encore loin d’avoir gagné la bataille démographique. On peut relever qu’à l’heure présente le taux global de fécondité dépasse le seuil du remplacement des générations et qu’il ne descendra probablement pas en dessous de deux avant la fin du siècle. Il est en vérité fort probable que la population totale dépassera le chiffre de 1300 millions vers l’an 2000.

Une évaluation prudente

La commission nationale du planning familial a désormais recruté des démographes et ses objectifs sont devenus plus réalistes : faire descendre le taux de fécondité au niveau du seuil de remplacement des générations, en éliminant “les naissances multiples

Il reste pourtant encore difficile d’atteindre une vision claire de la situation. Il faut lire avec circonspection les chiffres des articles de presse, sans perdre de vue que le contrôle de la population reste entre les mains de cadres qui ont une mentalité de bureaucrates. On ne doit pas non plus oublier que ces cadres ne disposent que de maigres budgets, ni que les fonctionnaires de la base n’ont pas tellement le moral et préfèrent la perspective du développement économique à celle du contrôle des naissances. Bref, il est fort possible que dans un proche avenir une autre enquête plus détaillée fournisse des chiffres qui prouveront que ceux dont nous traitons aujourd’hui sont faux.

LES REALITES DE LA POLITIQUE DE L’ENFANT UNIQUE

Les données tirées du recensement de 1992 sont maintenant disponibles en quatre épais volumes remplis de tableaux statistiques. Ces volumes publiés en 1993 éclairent beaucoup de questions (4).Il devient possible de mesurer les changements intervenus depuis le début des années 80 en ce qui concerne les mariages, la fécondité, la répartition des âges et des sexes. Les experts peuvent désormais évaluer avec des chiffres les effets de dix années de politique de l’enfant unique, dans le contexte plus large de la nouvelle stratégie pour la réforme économique.

Fiabilité des données

Cependant, une étude des changements survenus entre les deux derniers recensements doit vérifier d’abord si les données de celui de 1992 sont fiables. Le chiffre d’ensemble de 1 143 millions de Chinois en juillet 1990 paraît tout à fait sûr. Mais certaines données concernant les flux de la population, surtout les taux de naissances, soulèvent bien des doutes. Si l’on compare par exemple les données de 1982 et de 1990 au sujet du nombre d’enfants par femme en fonction des tranches d’âge des femmes, nous obtenons un total de 172 millions de naissances. Mais d’un autre côté la pyramide des âges de 1990 inclut 175 millions d’enfants âgés de 0 à 7 ans, c’est-à-dire nés entre le troisième et le quatrième recensements. Etant donné un taux moyen de survie de 95 pour cent, ce chiffre de 175 millions correspondrait à 182/185 millions de naissances, et non pas à 172 millions. La différence de plus de dix millions représente une marge d’incertitude de six pour cent et correspond surtout probablement aux “naissances multiples” (au-delà de deux enfants).

En outre, les données sont très vagues sur les niveaux d’instruction (5), de même que pour les catégories résidentielles. Les tableaux distinguent “domiciliés en ville”, “résidents urbains” et “population rurale”, qui sont des catégories administratives. Ce manque de précision empêche pratiquement toute tentative d’analyse sociologique des changements en cours. C’est pourquoi nous allons dans ces pages considérer la population chinoise comme un tout.

Baisse des naissances multiples

Avant tout, il est clair que dans l’ensemble la politique de l’enfant unique ne rencontre pas beaucoup d’adhésion. Selon les données tirées des recensements, les 182 millions d’enfants nés entre les deux derniers recensements comprennent: 89 millions de premiers-nés, 55 millions de deuxièmes naissances et 38 millions de “naissances multiples” (troisièmes et davantage) qui sont en principe interdites ou du moins passibles d’amendes.

Il est intéressant de constater que le pourcentage des premières naissances est resté stable, mais que celui des enfants de deuxième rang a fait un progrès significatif (de 20 à 30 pour cent du total), que les enfants du troisième rang et des suivants tendent à être moins nombreux et ne représentent plus que vingt pour cent du total des naissances en 1989. En d’autres termes, l’évolution se caractérise davantage par la baisse graduelle des “naissances multiples” que par l’acceptation, encore hésitante, du programme de l’enfant unique.

Premier-né ou enfant unique ?

Les publications chinoises, en particulier celles que patronne la commission nationale du planning familial, mentionnent souvent des taux élevés “d’adhésion au planning”, qui impliqueraient l’adhésion de la majorité des couples à la politique officielle. La presse en donne souvent pour preuve la forte proportion des “premiers enfants”, sans relever que la naissance d’un “premier enfant” ne correspondra à la politique de l’enfant unique que si la mère n’en a plus d’autre. En réalité, comme le montrent les données de 1990, le nombre des mères d’un enfant unique a augmenté de 35 millions en huit ans (de 30 à 65 millions), tandis que les naissances du “premier enfant” se sont chiffrées autour de 90 millions. Il est donc très clair que la plupart des couples ont plus d’un seul enfant. On peut noter en outre que si le nombre des “premiers nés” correspond, plus ou moins, à celui des unions matrimoniales contractées (pas toujours enregistrées) dans la période, le chiffre (de 90 millions) est bien au-dessus de celui des 80 millions de jeunes femmes qui ont, pendant ce temps-là, atteint l’âge moyen du mariage (soit 23 ans au début des années 80).

Entre 1982 et 1992, une vague de mariages a balayé la Chine, avec une mariée en moyenne plus jeune d’un an et un marié plus jeune de plus d’un an, signe probable d’une demande masculine en progression. De ce fait l’âge de la mère à la première naissance a également baissé d’environ un an et le nombre des naissances du “premier enfant” a davantage augmenté. Dans ces conditions, la forte hausse (de 20 à 30 pour cent) des naissances du deuxième enfant est-elle due à un relâchement des contrôles ? Apparemment, elle est plutôt en relation avec la vague des “premières naissances” qui a résulté du nombre élevé des mariages au début des années 80.

L’analyse de cette évolution est même plus complexe encore. D’un côté, à cause du renforcement de la politique de l’enfant unique, les couples ont vraisemblablement espacé les naissances. De l’autre, dans les années qui ont précédé le recensement de 1990, les femmes à l’approche de la trentaine qui ont eu un deuxième ou un troisième enfant appartenaient à la très petite cohorte née pendant la famine du “grand bond en avant”. Ces remarques valent aussi pour les “naissances multiples”, dont la diminution pourrait en partie refléter un changement du rythme des grossesses.

Les femmes

Pour mieux estimer l’évolution en cours, il est utile de considérer l’histoire des femmes qui ont été en âge d’avoir des enfants pendant les huit années d’intervalle des deux recensements. On doit en même temps garder présent à l’esprit que les données publiées en 1990 ont eu tendance à sous-estimer le nombre des naissances, surtout des naissances “hors plan”, illégales, qui ont été tenues secrètes pour éviter des sanctions rétroactives (6).

Un premier groupe comprend les 61 millions de femmes âgées de 23 à 27 ans qui toutes étaient célibataires en 1982. Elles ont atteint la fécondité après le lancement de la politique de l’enfant unique. 55 millions se sont mariées et 48 millions sont devenues mères. En 1990, elles avaient déjà eu 73 millions d’enfants et 41 pour cent d’elles – une proportion importante – avaient deux enfants ou davantage.

Dans un second groupe, nous trouvons 36 millions de femmes âgées de 28 à 32 ans dont, en 1982, 19 millions étaient mariées et avaient donné naissance à environ 15 millions d’enfants. En 1990, ces 36 millions de femmes étaient presque toutes épouses et mères. Ayant 67 millions d’enfants au moment du recensement de 1990, elles approchaient de la moyenne de deux enfants, en dépit du fait que la proportion des mères d’un enfant unique soit restée importante (36 pour cent).

Les femmes du troisième groupe sont celles qui étaient âgées de 25 à 29 ans en 1982. A cette époque, à peu d’exceptions près, elles étaient toutes mariées et avaient donné naissance à une moyenne de 1,6 enfant. Depuis lors, elles ont augmenté la moyenne, la portant à 2,2 enfants par tête. La proportion des mères d’un enfant unique est d’environ 24 pour cent.

Le dernier groupe comprend celles qui avaient trente ans et plus en 1982 et qui avaient alors trois ou quatre enfants. Ce sont les seules femmes qui ont pratiquement interrompu la phase de fécondité de leur vie. Pourtant, une sur dix dans la tranche 30-34 ans a eu un enfant de plus, portant à environ trois enfants la fécondité cumulée des femmes de 40 ans. Il va sans dire que dans ce groupe, la proportion des mères d’un seul enfant est très faible : 10 pour cent pour la tranche 38-42 ans ; moins de 5 pour cent pour celle des plus de 43 ans.

Baisse de la fécondité

Ces quelques chiffres, qui sans aucun doute sous-estiment le nombre réel des naissances, montrent que la campagne de l’enfant unique n’a eu qu’un impact limité. Menée avec beaucoup plus de vigueur dans les villes que dans les zones rurales, elle a pu au mieux accélérer le processus d’une baisse lente de la fécondité qui a commencé à la fin des années 60. Il est maintenant possible de reconstituer la courbe de cette évolution pour toute la période durant laquelle les politiques dites de “contrôle de la population” ont été appliquées avec plus ou moins de succès.

En ce qui concerne les femmes de 40 ans et plus, le niveau atteint à la fin de leur fécondité est passé progressivement de cinq enfants en 1970 à environ quatre vers 1980, puis à trois au début des années 90. Cela représente un processus évolutif lent, sans relation directe avec la chronologie des grandes “campagnes” de contrôle des naissances.

Pour ce qui regarde les fluctuations des taux de naissances dans le court terme, elles ont été déterminées par des causes structurelles. Par exemple, dans les années 70, les naissances ont diminué en corrélation avec un “marché matrimonial” déséquilibré (moins de garçons que de filles sur le marché), qui fit que les filles se marièrent à un âge plus élevé. Vint alors la “troisième vague de natalité”, qui suivit le retour des mariages à un âge plus précoce. Finalement, la stabilité relative de la distribution des naissances selon leur rang (aîné, deuxième enfant, etc.) cache en fait des changements du rythme des grossesses.

FAMILLES STABLES

La résistance des paysans à la politique de contrôle de la population est largement due aux rôles nouveaux assumés par la famille dans la vie économique et sociale.

Jusqu’à une date toute récente, la réduction progressive de la dimension des familles conduisait les sociologues à conclure à l’émergence de l’individualisme. La taille moyenne d’une famille était passée de 4,8 personnes vers 1975 à 4,4 personnes au moment du recensement de 1982. A présent, elle est d’environ 4 personnes. Entre les deux derniers recensements, la proportion des Chinois qui vivaient dans une grande familles de six membres ou plus a baissé de 44 à 28 pour cent. Néanmoins, c’est une évolution mineure si l’on prend en compte, non pas la taille, mais la structure des familles telle qu’elle est décrite dans les rapports des deux recensements. La “famille complexe”, c’est-à-dire comprenant des membres de trois générations ou des personnes autres que des parents, représente 18 pour cent de la totalité des familles selon les deux recensements. En 1990, selon les derniers résultats du recensement, près d’un quart des Chinois vivaient dans une famille complexe.

Permanence des relations familiales

Loin d’évoluer vers un modèle individualiste avec une majorité de petites familles nucléaires, la société chinoise des années 90 apparaît structurée avant tout par les liens de sang. Moins de deux pour cent des Chinois vivent seuls, et parmi eux les célibataires et les divorcés ne représentent qu’une minorité. Les individus passent la plus grande partie de leur existence dans des familles diversement complexes. La plupart des jeunes gens célibataires vivent à la maison de leurs parents ou, si c’est impossible, dans des foyers collectifs où ils sont pris en charge. Le mariage arrive très tôt (vers 22 ans pour les filles et 24 pour les garçons) et il est vraiment universel.

Cependant le mariage n’est aucunement un ticket d’accès à l’autonomie comme il l’est dans bien des sociétés industrialisées. La majorité des mariages sont encore “arrangés”, souvent ils sont négociés par les parents, l’exogamie demeurant la règle. Le mariage et la paternité ne brisent pas les liens de l’époux avec sa famille, la règle étant que la jeune mariée vienne s’établir chez ses beaux-parents. Environ 72 pour cent des jeunes couples vivraient dans la famille du mari, la proportion est encore de 45 pour cent après la naissance du premier enfant. Même si la plupart des couples avec deux enfants ou plus constituent une famille nucléaire, la corrélation entre la taille et la structure des familles est très faible. En fait, moins de 70 pour cent des Chinois vivent en petites familles nucléaires et cette forme d’organisation familiale semble correspondre à une “étape de transition” pour des couples qui ont maintenant des enfants adultes vivant de leur côté et qui n’ont pas de vieux parents à leur charge. Ainsi, un grand nombre des “couples sans enfant” sont, en réalité, des couples dans leur cinquantaine ou leur soixantaine dont les enfants vivent maintenant à part et qui peuvent encore se suffire.

Le soin des vieux

Les sociologues chinois parlent maintenant de l’émergence d’un “feedback familial”. Dans ce modèle nouveau, la préoccupation première est moins le maintien du contrôle sur les enfants et les petits-enfants que la prise en charge des membres de la génération plus âgée. Plus de la moitié (54 pour cent) des 96 millions âgés de 60 ans et plus vivent avec des membres plus jeunes de leur parenté. La proportion augmente rapidement à mesure que ces membres de la parenté sont plus âgés, mais elle varie selon leur situation de famille. Il est de pratique quasi universelle qu’un veuf ou une veuve soit pris en charge par son enfant : c’est le cas de 80 pour cent des veufs et de 85 pour cent des veuves. Les couples âgés pris en charge par un de leurs enfants ne sont que 34 pour cent. Les moins pris en charge sont les vieux célibataires, qui sont presque tous des hommes.

Dans ces conditions, la stabilité remarquable des structures familiales – 18 pour cent de familles composées de trois générations selon les recensements de 1982 et 1990 – doit être mise en relation avec la stabilité du nombre des vieux qui peuvent être pris en charge. Au moment de chacun des deux recensements, les veufs et les veuves, les femmes âgées célibataires ou divorcées étaient au total environ 50 millions.

Il est également évident que le soin des vieux restera un problème social majeur dans les années à venir. Très peu d’entre eux ont un revenu ou une pension suffisante pour vivre. Le problème deviendra plus sérieux encore dans les prochaines décennies quand l’allongement de l’espérance de vie fera que le nombre des plus de 65 ans augmentera plus vite que la population globale. S’il faut en croire les études démographiques par simulation, le modèle de la famille à trois générations pourrait devenir prépondérant à long terme (7).

Répartition des sexes à la naissance

Il est tentant de mettre en relation cette évolution avec le retour d’une agriculture privée et les débuts d’une économie urbaine privée. Dans les villes, la politique de l’enfant unique pourrait être réalisée sans de trop nombreux problèmes dès lors que les autorités sont en mesure d’exercer diverses formes de pression (l’emploi, le logement) et que les amendes encourues pour les naissances “hors plan” restent des moyens effectifs de dissuasion. Dans les régions rurales, les choses sont bien plus complexes et beaucoup dépend de l’attitude des cadres locaux responsables du contrôle des naissances. Même si les indicateurs disponibles sont trop vagues pour une étude sérieuse des différences entre villes et campagnes, il est clair que la moyenne rurale de fécondité est d’environ trois enfants. Ce taux traduit le besoin d’assurer un héritier mâle dans chaque famille.

Selon les données, dans les zones urbaines 40 pour cent des femmes mettent fin, volontairement ou non, à la phase de fécondité de leur vie sans avoir donné naissance à un fils. A la campagne, la proportion des femmes de trente ans qui n’ont pas d’enfant mâle est d’environ 15 pour cent – taux très semblable à celui qu’on trouvait dans la société “traditionnelle” d’avant 1949.

En pratique, ce désir d’avoir un fils aboutit aujourd’hui à l’élimination d’une fraction non négligeable des bébés filles. Le principal indice de cette conduite est le ratio de la répartition des sexes à la naissance. Dans beaucoup de régions rurales, il y a 110 à 120 naissances de garçons pour 100 naissances de filles. Quant aux causes de ce nouveau phénomène, la prédominance des naissances de garçons, il n’y a pas présentement unanimité. Une explication partielle pourrait être qu’une partie des naissances de filles ne sont volontairement pas déclarées. Une autre est que le déséquilibre des sexes à la naissance vient de pratiques qui sont, en principe, interdites, telles que l’infanticide à l’égard des filles ou l’avortement après une visite médicale ayant déterminé le sexe du foetus (8). La question reste aujourd’hui ouverte faute de données suffisantes, mais il n’est pas douteux que cet état des choses soulève de légitimes inquiétudes pour l’avenir.

En conclusion de ses pages dans La dynamique de la famille en Chine, l’auteur Zeng Yi a clairement montré que la dimension moyenne de la famille était vraisemblablement appelée à diminuer. Les Chinois qui vivront dans des familles de plus de cinq personnes seront de moins en moins nombreux. Pourtant familles nucléaires et familles complexes coexisteront, et il y aura deux modèles tout différents, celui des villes et celui des campagnes. Le modèle urbain sera caractérisé par une fécondité faible et une population de plus en plus âgée (environ dix pour cent des habitants de Shanghai ont aujourd’hui plus de 65 ans, alors que la moyenne nationale est 5,5 pour cent). D’un autre côté, dans les régions rurales, les mères d’un enfant unique seront peu nombreuses et le processus de vieillissement mettra longtemps à se faire sentir.

Si les habitudes sociales ne changent pas, les conditions de vie deviendront plus difficiles dans les villes. Le nombre des personnes âgées restées seules y augmentera, tandis que le manque de logements limitera la capacité des familles d’accueillir les grands-parents. A la campagne en revanche, la solidarité familiale compensera l’absence des pensions de vieillesse.

Ces considérations constituent un argument de poids pour ceux qui pensent que la politique de l’enfant unique, encore impopulaire, devrait être atténuée. Selon Zeng Yi, “à moins d’être corrigé par une hausse de la fécondité et par l’immigration de jeunes des régions ruralesle vieillissement de la population des villes posera vraisemblablement de graves problèmes. Il semble nécessaire, ajoute-t-il, “d’aménager graduellement le planning familial, avant la fin du siècle, en politique de deux enfants avec espacement de leur naissance” (9).

( ) Traduction EDA d’un article publié en anglais dans China News Analysis, Hongkong, 15 février 1994.