Eglises d'Asie

UNE INTERVIEW DE MGR ALOYSIUS JIN LUXIAN « La Chine et le Vatican ne se comprennent pas assez »

Publié le 18/03/2010




Quels obstacles demeurent à une reprise des relations diplomatiques entre la Chine et le Vatican ?

– Les relations diplomatiques que le Vatican entretient avec Taiwan ne sont pas l’obstacle le plus important. Le Vatican est prêt à rompre ces relations et les évêques de Taiwan sont prêts à accepter la rupture, absolument. C’est la nomination des évêques qui constitue l’obstacle le plus important.

A mon avis, la plus grande difficulté réside en ceci que le Vatican et la Chine ne se comprennent pas bien mutuellement, pas assez bien. Le gouvernement chinois pense que le Vatican est encore le Vatican du siècle dernier et le Vatican ne comprend pas les communistes chinois. Surtout lorsque les mots n’ont pas le même sens en Chine et à la curie romaine. Par exemple le mot « indépendance ». Lorsque la Chine dit que l’Eglise en Chine doit être indépendante, cela ne veut pas dire la même chose qu’au Vatican. On peut comprendre ce mot comme voulant dire « autonomie ». Mais le Vatican l’interprète : « Il n’existe plus d’Eglise catholique romaine ».

Si le problème des nominations d’évêques était résolu, les autres questions pourraient-elles l’être facilement?

– Cela serait très, très facile. S’il y a de la bonne volonté des deux côtés, alors il n’y a plus de problèmes.

Combien de temps la normalisation va-t-elle prendre ?

– Ce pourrait être très rapide. Mais on pourrait aussi devoir attendre une centaine d’années. Entre les Etats-Unis et le Vatican, il a fallu deux siècles : les relations diplomatiques ont commencé lorsque Ronald Reagan était président. Ce qui importe le plus, c’est que les deux côtés fassent preuve de bonne volonté. Je ne suis pas prophète, mais j’espère qu’il ne faudra pas plus de deux ans. Bien sûr, il ne serait pas réaliste d’y compter pour demain. Beaucoup de questions pratiques doivent être résolues.

Il arrive parfois que le Vatican nomme secrètement un évêque et que l’Eglise chinoise en nomme un autre ouvertement, pour le même diocèse. Existe-t-il une solution pratique à ce problème de l’existence de deux évêques dans le même diocèse ?

– Cela dépend de l’évêque. Ainsi, à Hankou, dans la province du Wuhan, Mgr Bernardin Dong Guangqin cohabite en toute paix avec l’autre évêque. Ils habitent sous le même toit. Il n’y a pas de problème.

Dans une déclaration publiée en juillet 1993, le secrétaire de la conférence épiscopale clandestine a demandé au pape Jean-Paul II de confier les diocèses les plus importants à des évêques clandestins.

– Ce n’est pas réaliste. Le gouvernement ne permettrait certainement pas à un évêque clandestin d’occuper le siège de Shanghai ou de Beijing. Et ces évêques n’y seraient pas préparés. Par exemple si un évêque clandestin voulait prendre la charge de mon diocèse, il ne le pourrait pas. Tout est si compliqué. L’évêque a affaire à l’Association patriotique des catholiques, au gouvernement, à d’autres encore au sujet des propriétés de l’Eglise qu’il doit protéger, conserver.

Le pape Jean-Paul II a dit combien il se soucie du peuple chinois et exprimé le désir de se rendre en Chine: une telle visite est-elle possible ?

– Aussi longtemps que le Vatican entretient des relations diplomatiques avec Taiwan et par conséquent ne reconnaît pas le gouvernement chinois, comment cela serait-il possible ? Ce n’est pas possible.

Vous dites que Taiwan est prêt à accepter la rupture des relations diplomatiques. Si cela arrive et si des relations diplomatiques sont établies avec Beijing, le pape pourra-t-il aller en Chine?

– Je le recevrai à bras ouverts. J’aimerais qu’il célèbre deux messes dans mon diocèse : l’une à Xujiahui devant ma cathédrale et l’autre à Sheshan, sanctuaire marial national et site du grand séminaire régional. Je garantis qu’au moins soixante mille personnes participeraient à la messe. Nous aurions tout de même des problèmes de sécurité. Il faut se préoccuper du maintien de l’ordre. S’il arrivait quelque chose au pape, j’en serais responsable. Il faudrait donc préparer cette visite au moins plusieurs mois à l’avance.

Selon certains, les nouvelles règles promulguées en janvier sur les activités religieuses des étrangers en Chine limiteraient la liberté religieuse dans le pays.

– La promulgation est récente mais ces règles existent depuis très longtemps sous forme de document à usage interne. Désormais elles sont devenues publiques. Il n’y a aucune limitation nouvelle. Je pense quant à moi que, d’une certaine manière, elles libèrent. Avec la permission de l’évêque, un prêtre étranger peut désormais prêcher dans mon diocèse.

Les chefs religieux non chrétiens de Chine semblent avoir poussé Pékin à promulguer ces règles. Ceux qui ne sont pas familiers avec ces religions et qui regardent ces règles d’un point de vue catholique y voient une intention maligne, le désir de contrôler plus étroitement les activités des chrétiens.

– Aux yeux du gouvernement, il ne s’agit pas seulement des catholiques. Les musulmans aussi sont visés, et les protestants. L’année dernière, les musulmans ont donné beaucoup de souci. Les premiers visés ne sont pas les catholiques, mais les musulmans et les Eglises domestiques des protestants.

D’après les nouvelles règles, un étranger ne peut introduire en Chine que ce dont il a besoin pour son usage personnel. Cela ne s’applique pas seulement aux non-Chinois, mais aussi aux Chinois de Hongkong, de Taïwan et de Macao, et à ceux qui habitent ailleurs dans le monde. Que leur conseilleriez-vous ?

– De ne pas faire de la provocation. L’incident au cours duquel plusieurs pasteurs ont été arrêtés, au début de février je crois, était une provocation. Pourquoi sont-ils entrés en Chine comme ils l’ont fait, tout de suite après la promulgation des nouvelles règles ? Le gouvernement a regardé cela comme une provocation et sa réaction a été très forte. Je conseille aux visiteurs de faire ce qu’ils font habituellement lorsqu’ils voyagent: qu’ils prennent ce dont ils ont besoin pour leur usage personnel, mais pas trop.

Les instituts missionnaires catholiques disent qu’ils veulent faire davantage pour la Chine, particulièrement pour l’Eglise de Chine.

– Nous avons besoin de leur aide. Mais elle doit être discrète. Par exemple, des missionnaires étrangers peuvent m’aider pour un enseignement au séminaire, pour la formation de mes candidats. J’ai aussi besoin d’aide pour « Guangchi She », notre maison d’édition. Comme dirigeant, j’ai parlé au gouvernement des missionnaires. On m’a dit que cela pourrait faire l’objet de discussions après la normalisation. Ce n’est pas possible pour le moment, car toutes les congrégations ont leur maison-mère à Rome, elles sont donc dirigées depuis Rome. Tant que les choses ne sont pas redevenues normales, elles ne sont pas bienvenues. Après, oui.

Des prêtres missionnaires pourraient-ils se livrer à un travail pastoral ordinaire, être curés de paroisses ?

– Non, ils pourraient enseigner, mais pas être curés.

En ce qui concerne les droits de l’homme, l’image de la Chine est plutôt négative, sur la scène internationale. Les catholiques chinois peuvent-ils améliorer cette image ?

– Sur ce point aussi, il faut être très discret. Nous ne sommes qu’une très petite minorité. Il est important de bien choisir son moment. Vous le savez, au siècle dernier, les femmes n’avaient pas le droit de vote aux Etats-Unis et vous connaissez les problèmes des Noirs. Lorsque les autres ont besoin de décennies pour progresser, pourquoi pas nous ?

Les nouvelles lois religieuses que la Chine prépare sont-elles prêtes ?

– Pas encore pour toute la Chine. Il faut encore beaucoup de discussions, par exemple au sujet des propriétés. Qu’est-ce à dire ? Les moines disent que les propriétés qui s’étendent autour de leur monastère leur appartiennent. Le département du tourisme et le ministère des affaires culturelles ne les considèrent pas comme des biens religieux, mais comme propriétés de l’Etat. On n’a pas fini de mettre tout cela au clair. Il n’est donc pas encore possible d’établir des règles qui s’appliquent à tout le pays.

En novembre dernier, à Manille, vous vous êtes plaint de l’influence en Chine du matérialisme et du consumérisme. Vous avez dit qu’ils sont plus à craindre qu’une persécution religieuse. Que peut faire l’Eglise?

– Nous devons prêcher la Bonne Nouvelle. Parce que, même si l’atmosphère générale est aussi mauvaise, aussi matérialiste, il y a pourtant des gens qui veulent entendre parler des vraies valeurs. A Noël dernier, beaucoup de non-catholiques ont assisté à ma messe. Ils ont entendu ma longue homélie sur la pauvreté, la charité. J’ai parlé contre le culte de l’argent. Leur réaction a été très favorable. Ils m’ont dit que seule l’Eglise fait entendre sa voix en ce sens. Nous devons publier la vérité, la Bonne Nouvelle. Il ne faut pas imiter les gens dans leur recherche de l’argent et dans leur matérialisme. Il faut adhérer strictement à la doctrine chrétienne. C’est cela qu’ils veulent entendre.

Où en sont les séminaires en Chine ?

– Il y a une dizaine d’années, lorsque les séminaires ont commencé à s’ouvrir, la plupart des gens voulaient former rapidement de nouveaux prêtres. On parlait de cours réduits à deux ou trois ou quatre ans. Maintenant, la plupart réalisent que ce n’est pas facile et on insiste sur la qualité de la formation.

Nous mettons l’accent sur la spiritualité, plus beaucoup sur le patriotisme et le reste. Si nous ne parlons que du patriotisme, les prêtres ainsi formés ne pourront pas garder le célibat ni servir les pauvres. On reconnaît maintenant qu’une formation accélérée ne pourra donner de bons pasteurs. On insiste sur la spiritualité.

Certains séminaires sont revenus entre les mains des évêques, mais certains sont encore entre les mains de l’association patriotique, comme celui de la province de Sichuan. C’est triste. A part ce dernier cas, tous les séminaires réclament des professeurs de Hongkong. Ils me demandent mon aide. Ils reconnaissent le besoin de spiritualité.

Il y a plus d’un an, l’Eglise catholique de Chine a décidé la réforme de la liturgie : quel progrès a été fait depuis ?

– La Chine toute entière est prête. Mais je suis coupable : je n’ai pas encore fourni les livres liturgiques. J’ai l’argent, mais il faut faire le travail de composition et d’impression. Il nous faut beaucoup de temps pour résoudre certains problèmes pratiques, comme celui de l’impression des rubriques en rouge. J’espère qu’à la fin de l’année 1994, toutes les églises de Chine auront les livres liturgiques en chinois. Le père Thomas Law Kwok-fai de Hongkong m’aide et mes séminaristes ont formé deux équipes de correcteurs des épreuves. Nous devons faire très attention, car nous n’avons pas beaucoup d’argent pour faire de nouveaux tirages tous les ans.

Cette année, en plus de 5 000 livres liturgiques, notre diocèse va imprimer 4 000 bréviaires et 300 000 exemplaires d’une nouvelle traduction du Nouveau Testament. Nous devons aussi imprimer les livres publiés par Kuangshi She. Cette année, notre imprimerie est très, très occupée.

Ces dernières années, quelques évêques clandestins ont commencé à travailler pour l’Eglise officielle. Sont-ils bien acceptés, bien accueillis au sein de la conférence épiscopale ?

– Assurément. Ils sont ipso facto acceptés. Ils sont maintenant trois ou quatre : un à Tianjin, un autre à Sanyuan, un autre encore dans le sud du Shanxi. Je crois qu’ils sont quatre en tout. L’Eglise « ouverte » les accepte comme membres de la conférence épiscopale. Certains sortent de l’Eglise souterraine et perdent des fidèles. Parmi ces derniers, certains suivent leur évêque, d’autres le rejettent. Une vraie solution ne pourra être obtenue qu’avec la normalisation. Mais si celle-ci se produit, certains diront que le pape a tort, le communisme étant intrinsèquement pervers, et refuseront de suivre le pape.

Des élèves des anciennes universités catholiques de Chine disent qu’ils veulent re-fonder leurs institutions.

– Ce serait difficile. La permission ne serait pas accordée. Je voulais ouvrir une université. On m’a dit que je pouvais le faire en mon nom personnel ou au nom d’une fondation, mais on ne veut pas d’une université « catholique ». J’hésite.

Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez dire à l’Eglise en Asie?

– Tout d’abord, j’aimerais la remercier pour ses prières et l’intérêt qu’elle porte à la Chine. Deuxièmement, je veux lui demander de continuer à prier pour nous tous. Troisièmement, je compte sur son aide, en argent et en livres, pas pour mon diocèse, mais pour les autres diocèses. Beaucoup d’évêques ont besoin d’honoraires de messes. Certains n’en ont pas du tout. D’autres ne reçoivent qu’environ deux francs cinquante par messe, alors que dans mon diocèse, les fidèles donnent l’équivalent de douze francs pour une messe basse. Les besoins de ces évêques sont énormes. Depuis le mois d’octobre 1993, j’ai distribué plus de dix mille intentions de messes dans des diocèses à travers toute la Chine.