Eglises d'Asie

La loi sur le blasphème est en passe de devenir un problème politique majeur

Publié le 18/03/2010




Le 17 mai 1994, plus de 25 000 Pakistanais appartenant à diverses ethnies pathanes de la “province-frontière du nord-est” ont mis fin à six jours de manifestations au cours desquelles ils avaient bloqué les routes, en particulier plusieurs cols dans les contreforts de l’Himalaya. Ils ont obtenu du gouvernement que la loi islamique soit imposée immédiatement dans le district de Malakand. “Nous avons réussi dans notre mission. Si nous sommes trahis, nous recommencerons”, dit Soofi Mohammad, un leader du clergé musulman de la région.

Un fonctionnaire du district commente: “Le gouvernement avait l’intention de faire exactement ce que les gens de Malakand réclamaient. Il était bien prévu que nous allions imposer la loi islamique”. Cette décision gouvernementale n’en est pas moins intervenue au lendemain d’une fusillade au cours de laquelle 10 manifestants ont été tués par les troupes para-militaires de maintien de l’ordre. Ce qui tend à montrer que les autorités ont en fait cédé aux pressions de la foule. Ces incidents succèdent à d’autres déjà connus au cours desquels des chrétiens ont été arrêtés, parfois assassinés, au nom de la loi sur le blasphème contre le prophète Mahomet (14).

Comme on le sait, la loi sur le blasphème donne à toute personne le droit de porter plainte contre une autre qui se serait rendue coupable, en paroles ou en actes, d’insulte à l’égard du prophète. Cette loi fut promulguée par le général Zia ul-Haq en 1986. En 1992, le gouvernement de M. Nawaz Sharif rendait la sentence de mort obligatoire à chaque fois que l’accusé(e) serait reconnu(e) coupable. En 1993, un nouvel amendement a inclus, en plus du prophète lui-même, les membres de sa famille.

Cette loi, qui de toute évidence avait pour but de donner satisfaction aux fondamentalistes musulmans, a été abondamment utilisée pour assouvir des vengeances personnelles ou familiales, en particulier contre des chrétiens et d’autres non-musulmans. Dans le courant de l’année 1993, quatre chrétiens, parmi les nombreux accusés de blasphème, sont morts en prison dans des circonstances qui n’ont jamais été éclaircies.

Mais des musulmans tombent aussi sous le coup de cette loi. C’est ainsi qu’un écrivain le Dr Akhta Ahmeed Khan, âgé de 70 ans, a été accusé de blasphème à cause de l’un de ses ouvrages. Selon Mme Asma Jahangir, présidente de la commission pakistanaise des droits de l’homme, “les lois sur le blasphème sont parvenues à leur objectif ultime : elles ont déclenché le terrorisme religieux, elles invitent les gens à détourner la loi à leur profit et elles sapent le système juridique en faisant fuir les juges”. Mme Jahangir a elle-même reçu des douzaines de menaces de mort, émanant de fondamentalistes musulmans.

Tout cela a provoqué une radicalisation dans l’attitude des chrétiens et des hindous. Ensemble, ils forment à peu près 3,5% de la population pakistanaise. Selon un journaliste du pays, M. Khalid Ahmed, “davantage de militants chrétiens internationalisent tout naturellement le problème. Ils font remarquer que le Pakistan n’a pas le droit de critiquer les excès commis par l’Inde contre les musulmans du Cachemire quand, dans leur propre pays, la communauté chrétienne est persécutée”.

Le gouvernement de Mme Benazir Bhutto a finalement promis d’apporter deux amendements à la loi sur le blasphème: la police ne pourra enregistrer une plainte qu’après en avoir reçu l’ordre d’un tribunal; en cas d’accusation fausse, le dénonciateur pourrait être lui-même condamné à une peine allant jusqu’à dix ans de prison. Mais, dit Mme Jahangir, “le gouvernement fait trop peu, trop tard”. Pour elle, il faudrait purement et simplement abolir cette loi.

Le ministre de la Justice, M. Iqbal Haider, avoue en privé avoir peur de la violence religieuse que cette suppression ne manquerait pas de provoquer. De son côté, M. Sharif, devenu leader de l’opposition, dit tout bas son opposititon à la loi contre le blasphème mais ne parle pas publiquement. “Tous les politiciens jouent double jeu. Ils ont peur de dire quoi que ce soit contre le clergé musulman”, ironise M. Khalid Ahmed.