Eglises d'Asie

LA LIBERTE RELIGIEUSE APRES LE CHANGEMENT DE POLITIQUE AMERICAIN

Publié le 18/03/2010




Le marchandage politique avec les Chinois n’est pas une affaire simple, comme a pu le constater au cours de cette année le président Clinton. Tout avait commencé pour lui au moment de la campagne électorale de 1992 avec sa promesse de “durcir la position américaine” vis-à-vis des dirigeants chinois en ce qui concerne leur traitement sordide des droits de l’homme dans le pays. Mais au moment où s’instaurait dans l’administration américaine le débat sur la question de savoir si les Etats-Unis devaient renouveler à la Chine la clause de la nation la plus favorisée, les fonctionnaires du Département d’Etat se rendirent compte que les choses ne seraient pas si faciles.

A mesure que le langage tenu à Washington devenait plus pressant, menaçant même de supprimer les privilèges commerciaux en juin 1994 si la situation des droits de l’homme en Chine ne s’améliorait pas sensiblement, l’irritation de Pékin devenait plus évidente. En mars 1994, dans ce que les observateurs analysent comme une action préméditée contre les avertissements américains, les forces de sécurité lancèrent une vague d’arrestations contre des dissidents politiques et religieux. La polémique ne cessant pas entre les deux pays en avril et mai, l’administration Clinton commença à admettre que les efforts, qu’elle fournissait pour faire de la clause de la nation la plus favorisée un levier pour forcer la Chine à une amélioration dans le domaine des droits de l’homme, étaient voués à l’échec. En fin de compte la Chine accorda aux Etats-Unis une concession de pure forme en relâchant au cours du mois de mai deux militants prodémocratiques, Wang Juntao et Chen Ziming, et six personnalités protestantes et catholiques.

Le 26 mai, opérant un virage à cent quatre-vingt degrés, Clinton annonce qu’il a décidé de renouveler à la Chine la clause de la nation la plus favorisée. Il sépare ainsi la question des droits de l’homme du débat politique sur le commerce avec la Chine. Seules des limitations sans importance sont prévues concernant l’importation d’armes chinoises. Pourtant, dans le domaine de la liberté religieuse, beaucoup de chrétiens chinois et de militants des droits de l’homme estiment que la situation a plutôt empiré aujourd’hui, comparée à ce qu’elle était il y a un an au moment où le bras de fer diplomatique a commencé.

Selon un rapport publié par l’Institut Puebla, de Washington, au moins 100 dirigeants chrétiens, prêtres, pasteurs et laïcs sont en prison ou assignés à résidence. Ce chiffre, disent les auteurs du rapport, n’est qu’une fraction du véritable nombre de chrétiens qui croupissent dans les laogai de Chine (camps de rééducation par le travail). Durant les douze derniers mois, ont été enregistrés 30 nouveaux cas de dirigeants chrétiens condamnés à des peines allant de un à trois ans de prison. La plupart sont détenus pour avoir distribué de la littérature chrétienne, pour avoir organisé des sessions “illégales” d’études bibliques, ou pour avoir rencontré “illégalement” des étrangers.

Dans les provinces centrales du Henan et de l’Anhui, habituellement considérées comme les centres du mouvement des Eglises “domestiques” chinoises, les forces de sécurité ont arrêté des centaines de membres des Eglises non officielles durant ces douze derniers mois. La plupart d’entre eux sont gardés dans les commissariats de quelques jours à trois mois et relâchés après avoir payé une lourde amende.

“Les choses ne se sont pas améliorées” dit un dirigeant chrétien de la ville de Qingdao dans le nord du pays: sa communauté qui n’est pas officiellement enregistrée est continuellement sujette à la colère des responsables de la police locale. Dans la province du Hebei, les chefs catholiques “clandestins, tels que Mgr Jia Zhiguo ou Mgr Su Zemin, ont été emmenés pour interrogatoire tellement souvent au cours de l’année écoulée que les fidèles considèrent leurs “disparitions” régulières comme une routine (1).

La majorité de ces cas sont traités par des cadres subalternes du Parti communiste, mais Pékin a aussi mis son poids dans la balance. Le 31 janvier 1994, le premier ministre Li Peng a signé de nouvelles lois religieuses qui resserrent le contrôle gouvernemental sur les lieux de culte et cherchent à empêcher les contacts entre les Eglises “domestiques” et l’étranger (2). “Ces nouvelles lois montrent que Pékin analyse la religion comme une menace sérieuse”, dit Tony Lambert, observateur expérimenté de l’Eglise de Chine. Depuis le début de l’année 1994, au moins 25 missionnaires étrangers ont été expulsés de Chine pour avoir été en contact avec des Eglises “domestiques” protestantes (3). Maintenant que la Chine a obtenu les privilèges commerciaux qu’elle voulait, certains dirigeants chrétiens chinois se demandent si une répression accrue ne va pas s’ensuivre dans les domaines religieux et politique. “J’ai entendu dire que le bureau de la Sécurité publique préparait une autre attaque contre notre Eglise” disait en mai Lin Xiangao (Samuel Lamb), dirigeant chrétien de Canton (4). “Si cela vient, ce sera après la décision du président Clinton sur la clause de la nation la plus favorisée”, ajoutait-il.

Selon Robin Munro, directeur à Hongkong d’une organisation de défense des droits de l’homme, la police chinoise a déjà reçu le feu vert pour une nouvelle vague de répression. Au mois de mai 1994, le parlement national a officiellement donné la permission aux forces de sécurité d’emprisonner arbitrairement les “fauteurs de troubles” pour des périodes allant jusqu’à quinze jours et de leur imposer des amendes. Ce nouveau décret donne ce pouvoir à la police pour 18 infractions, parmi lesquelles l’appartenance à une association non enregistrée, qui ne sont pas considérées comme suffisamment sérieuses pour nécessiter un renvoi au tribunal. Les forces de sécurité chinoises ont traditionnellement des pouvoirs arbitraires très étendus, mais, selon Munro, ce nouveau décret parlementaire est une manière de faire face à l’agitation sociale qui commence à émerger dans le pays.

La lutte au sommet pour le pouvoir, qui, selon les observateurs, suivra la disparition de Deng Xiaoping, rend improbable à moyen terme toute libéralisation dans le domaine religieux. En même temps, il faut prendre en compte la peur ancienne du gouvernement que les chrétiens chinois ne joignent leurs forces à celles du mouvement des syndicats libres. En avril 1994, la police de Pékin a arrêté l’intellectuel chrétien Xiao Biguang, l’un des fondateurs de la Fédération pour la protection des droits des travailleurs, déclarée hors la loi. A la fin du mois de mai, la femme de Xiao et cinq autres membres des Eglises “domestiques” furent aussi brièvement détenus, en raison de leurs liens supposés avec des activités syndicales (5).

Selon des milieux dissidents de Pékin, la police de la capitale a aussi empêché une Eglise “domestique” d’organiser une manifestation en mars 1994 : les organisateurs comptaient réclamer une plus grande liberté religieuse mais aussi davantage de droits civils et politiques. Selon les mêmes sources, les organisateurs de la manifestation avortée espéraient rassembler plusieurs centaines de personnes. Il faut noter que de telles activités sont inhabituelles dans les Eglises de Chine qui sont restées traditionnellement à l’écart de tout militantisme politique.

Selon un diplomate étranger, la crainte de Pékin d’avoir à faire face à une agitation sociale n’est pas sans fondement. L’inflation, le chômage, le crime et la corruption ont atteint des niveaux sans précédent, alors que l’effondrement des prix agricoles a provoqué l’exode vers les villes de 150 millions de paysans (6). Dans ce contexte, la plupart des observateurs estiment que les exigences occidentales sur les droits de l’homme et la liberté religieuse ne peuvent obtenir que des concessions de pure forme. Quelle qu’ait été dans le passé la valeur de “la clause de la nation la plus favorisée” pour influencer la politique chinoise, son rôle d’atout en politique étrangère n’existe plus. Selon Tony Lambert, il faut maintenant définir des stratégies plus efficaces. Beaucoup de chrétiens des Eglises “domestiques” estiment que l’avenir immédiat est incertain. Mais en ce qui concerne l’Eglise de Chine, la persécution est devenue partie intégrante de la vocation de disciple: “J’ai déjà été emprisonné deux fois”, dit un dirigeant chrétien du Shandong, “c’est inévitable si l’on veut être fidèle au Christ”. Le Frère Ko, prêcheur itinérant, hausse les épaules en décrivant les 15 ans qu’il vient de passer dans un camp de rééducation par le travail : “Je considère que ce temps faisait partie du plan de Dieu pour me préparer à Le mieux servir aujourd’hui” (…) Pour Ko et ses semblables, les arrestations et les emprisonnements demeurent une menace très réelle, mais comme il le dit lui-même : “cela fait partie de l’existence chrétienne en Chine”.