Eglises d'Asie

LES CHRETIENS ISOLES DU XINJIANG

Publié le 18/03/2010




Loin des palais de l’élite gouvernante de Pékin, au-delà des montagnes et des déserts se trouve le Xinjiang, la sauvage frontière du nord-ouest de la Chine. (…) Depuis toujours le territoire connaît des problèmes. Les dirigeants chinois se méfient de ce qu’ils considèrent depuis longtemps comme un foyer de rébellions ethniques : le Xinjiang est non seulement l’une des forteresses chinoises de l’islam mais il abrite aussi quarante-sept des cinquante-six minorités ethniques de la Chine. La plupart de ces peuples ont des liens de sang, de culture et de langue avec les populations de l’autre côté de la frontière occidentale chinoise dans les républiques musulmanes du Kazakhstan, du Kirgyzstan, de l’Ouzbékistan et du Tajikistan. En dépit d’un millénaire de domination chinoise intermittente, Pékin estime toujours nécessaire de déployer des troupes dans la province en grand nombre afin d’éviter que les minorités du Xinjiang ne soient tentées par la dissidence. Comme disent les Chinois, “Quand le ciel est haut et que l’empereur est loin, la dissidence trouve rapidement sa voie

Pour les chrétiens, la transmission de la foi le long de l’ancienne route de la soie au Xinjiang a été une entreprise lente et dangereuse.

Une implantation chrétienne récente

L’islam est arrivé dans la région au quatorzième siècle alors que le christianisme a attendu la fin du dix-neuvième siècle pour prendre racine au Xinjiang. C’est en 1892 que sont arrivés des missionnaires protestants suédois et allemands. En 1908, la Mission intérieure chinoise s’aventure elle aussi dans la province et établit ses quartiers à Urumqi, capitale de la province. Hier comme aujourd’hui, le travail des missionnaires dans les minorités était très difficile et très risqué, souvent marqué par des tragédies qui frappaient les missionnaires et les nouveaux convertis. Au sud-ouest du Xinjiang se trouve Kashgar, cité-oasis entourée par des collines désertiques. La ville est le centre régional de l’islam. C’est là qu’après quarante années de travail les missionnaires suédois et allemands ont établi une église formée d’une centaine de convertis de l’islam, appartenant pour la plupart à la minorité ouïgour qui est le groupe dominant de la province.

En 1932 les quatre décennies de travail de l’Eglise furent ruinées par l’insurrection islamique qui plaça le Xinjiang méridional sous contrôle des musulmans. Les convertis chrétiens mâles de Kashgar furent arrêtés et exécutés pour apostasie. Les femmes furent obligées de se marier à des musulmans. En 1935, le seigneur de la guerre Sheng Shi Cai renversa l’administration islamique de Kashgar et se mit à assassiner les dirigeants chrétiens en même temps que les musulmans. Dès 1938 les missionnaires étaient obligés de quitter le territoire et, bientôt, il ne resta plus rien d’une Eglise qui avait connu une certaine prospérité.

Trois ans plus tard, à plusieurs milliers de kilomètres à l’est, cinquante jeunes Chinois chrétiens commencèrent à se réunir à Xian, dans la province du Shaanxi. Provenant de différentes Eglises du centre de la Chine, ils formèrent un groupe “pour le retour à Jérusalem” dont la vocation était de porter l’Evangile vers l’ouest au Xinjiang et plus loin dans les territoires musulmans. Le voyage à pied jusqu’au Xinjiang leur prit plus de sept ans parce qu’ils errèrent à travers la Chine. En 1948, à leur arrivée dans le Xinjiang oriental, ils se séparèrent et se dispersèrent deux par deux dans tout le territoire. “Nous avions tout laissé pour venir ici où nous n’avions aucune promesse de travail et peu de chance de retourner vers notre pays d’originese souvient un couple âgé qui participa à l’aventure. Peu d’entre eux réussirent à franchir la frontière occidentale de la Chine avant qu’elle ne se ferme en 1949 à la suite de la prise de pouvoir par les communistes. Leur rêve d’évangélisation des terres au-delà de la frontière ne se réalisa pas, mais ceux d’entre eux qui restèrent dans le Xinjiang consacrèrent leur vie à bâtir l’Eglise dans la province.

Ces efforts portèrent leurs fruits. En 1949 on estimait le nombre des chrétiens à environ 300 pour toute la province. Ils sont aujourd’hui plus de 15 000. A Urumqi la seule “Eglise officielle” de la ville fait le plein à chacun de ses services dominicaux (1). Selon les chrétiens du lieu, la ville compte aussi plus de 80 Eglises “domestiques”. Alors que les bancs de l’église sont pleins de fidèles chinois han, on n’y trouve pratiquement aucun Ouïgour, Kazakh ou Kirghiz. Les chrétiens ont connu un certain succès dans l’évangélisation des colons chinois han qui venaient s’installer dans la province, mais les dirigeants chrétiens avouent avoir échoué dans leurs tentatives d’approcher les peuples minoritaires du Xinjiang.

Le défi des ethnies

Les différences culturelles et religieuses ont forgé une inimitié profonde entre les Chinois han et leurs voisins des ethnies minoritaires. Cette hostilité est encore accentuée par la volonté déclarée du gouvernement chinois de “siniser” la région du nord-ouest en y implantant des millions de colons chinois afin d’y dissoudre la population indigène. En 1955, 95% de la population du Xinjiang était indigène. Aujourd’hui, les indigènes ne forment plus que la moitié des quinze millions d’habitants de la province. Les immigrés han sont toujours considérés comme des “colonialistes étrangers” par une majorité de la population originaire de la région.

En dépit de tous les efforts faits par Pékin pour faire cesser l’agitation, les analystes politiques estiment que le Xinjiang reste toujours sur la brèche. En avril 1990, deux mille Ouïgours ont manifesté à Baren pour protester contre la fermeture d’une mosquée et les restrictions imposées à la construction des nouvelles mosquées et des écoles coraniques. L’émeute ne fut réprimée qu’après l’arrivée d’un millier de soldats chinois et se solda par vingt-deux morts. En août 1993, des terroristes musulmans firent sauter une banque gouvernementale à Kashgar. Trois Chinois furent tués dans l’explosion. Les autorités disent être informés d’au moins sept organisations musulmanes opérant dans la province et dont le but est d’obtenir la séparation du Xinjiang d’avec la Chine (2).

Les dirigeants chinois sont évidemment inquiets d’une telle situation. Des troupes bien armées ont été envoyées dans la région pour décourager de nouvelles tentatives d’insurrection. De plus, Pékin travaille patiemment à améliorer ses relations avec les républiques voisines d’Asie centrale ex-soviétiques pour essayer d’empêcher que leur nationalisme à fondement religieux ne s’étende vers l’est jusque dans le Xinjiang. Etant donné les vastes réserves de pétrole, d’uranium et de divers minerais du Xinjiang, étant donné aussi que le territoire abrite les zones d’essais nucléaires et les terrains de lancement des satellites chinois, la province est une pièce stratégique majeure dans le jeu de Pékin.

Les tensions politiques affectent inévitablement tous les secteurs de la société du Xinjiang, mais, jusqu’à présent, l’agitation musulmane n’a pas produit d’effet négatif sur l’attitude du gouvernement vis-à-vis de l’Eglise. Le petit nombre de chrétiens et le fait qu’ils sont tous des Chinois han expliquent sans doute cet état de choses. “En comparaison des problèmes créés par les musulmans séparatistes, l’Eglise chrétienne est le dernier des soucis du gouvernementdit par exemple un observateur.

Au début de l’année 1994, un chrétien étranger qui travaille au Xinjiang a été surpris d’apprendre que les autorités chinoises han étaient parfaitement au courant de ses tentatives prudentes de partager sa foi avec des amis musulmans ouïgours. Il fut stupéfait de s’entendre dire par les mêmes autorités qu’on lui souhaitait grand succès dans ses efforts car, disaient-elles, il y aurait moins de problèmes avec les Ouïgours une fois qu’ils seraient convertis au christianisme.

Malgré cela, en beaucoup de lieux où les tensions religieuses sont vives, les autorités essaient d’empêcher les activités qui pourraient perturber la population musulmane. A Kashgar, où les patrouilles militaires maintiennent un calme précaire, la petite communauté chrétienne han est sous surveillance étroite. Les 100 000 habitants de Kashgar sont musulmans à 90%, et les sentiments antichinois qui animent la population obligent les chrétiens à se rencontrer en secret. De plus, les fonctionnaires gouvernementaux leur refusent systématiquement la permission d’utiliser des bâtiments publics pour le culte.

Seul un petit nombre de Chinois han chrétiens travaille à l’évangélisation des Ouïgours. Il y a quelques signes d’espérance. Dans le sud du Xinjiang, un certain nombre de rapports laissent à penser qu’il y aurait quelques dizaines d’Ouïgours qui se seraient convertis secrètement au christianisme dans des villages éloignés après avoir lu des fragments de la Bible. D’autres, dans le Kazakhstan voisin, sont devenus chrétiens et ont traversé la frontière pour partager leur foi avec leurs parents du Xinjiang.

Il n’y a pas encore d’Eglise ouïgour. Comme la plupart des ethnies minoritaires du Xinjiang, le peuple ouïgour demeure étranger au christianisme. Les tensions politiques dans ce coin isolé du monde ne vont pas s’apaiser avant longtemps. Bien que l’Eglise ait été jusqu’ici préservée des conséquences de l’agitation sociale récente, ceci pourrait rapidement changer en particulier si les chrétiens commencent à donner la priorité à l’évangélisation des peuples indigènes du Xinjiang. (…)