Eglises d'Asie

DANS LE CONFLIT ETHNIQUE DU SRI LANKA L’EGLISE N’A PAS JOUE LE ROLE QU’ON AURAIT PU ESPERER Une interview de Mgr Rayappu Joseph, évêque de Mannar

Publié le 18/03/2010




La guerre semble continuer… Les gens continuent à souffrir… Où en est-on aujourd’hui ?

C’est une lutte de libération qui, malheureusement, est devenue une lutte armée après l’échec total de tous les moyens pacifiques employés depuis l’indépendance du pays en 1948. Tous les opposants à cette lutte de libération sont devenus les cibles de la lutte armée. La phase actuelle de cette lutte est présentée au monde extérieur par les hommes au pouvoir dans ce pays, comme étant du “terrorisme”, et, pratiquement, l’Etat continue de faire la guerre contre une partie de sa population. Dans cette triste situation, les deux côtés deviennent parfois terroristes. D’après mes propres observations, les activités des militants tamouls qu’on pourrait ainsi qualifier ont toujours été pour se venger de brutalités insensées de la part des forces armées de l’Etat.

La situation politique au Sri Lanka est telle que cette question est fondamentalement liée à la survie même des principaux partis politiques de la majorité. Ainsi, dans une déclaration récente, la conférence épiscopale catholique du Sri Lanka a analysé la situation en admettant qu’il serait suicidaire pour les hommes politiques de résoudre le problème. Nous avons besoin d’hommes d’Etat, de la volonté du peuple et du soutien des pays étrangers pour résoudre ce problème. Les combattants de la libération sont très motivés et recherchent une solution digne. Ils ont toujours dit que leur porte est ouverte à la négociation afin de trouver une solution. Mais ils n’acceptent pas de solution simpliste et la guerre continue…

Quelles sont les injustices auxquelles est soumise la population, que signifie concrètement l’embargo économique ?

Le plus affecté par cette situation est l’homme ordinaire pour qui la survie quotidienne tient du miracle. D’aveugles bombardements d’artillerie sur des quartiers résidentiels, à partir de camps militaires fortifiés et sûrs, des tirs de canon venant de bateaux qui restent au large, des bombardements aériens sur des endroits à forte densité de population, tout cela continue tous les jours et allonge la liste des victimes innocentes.

L’économie a été progressivement paralysée par l’interdiction de l’industrie de la pêche et des cultures vivrières. La situation s’est beaucoup détériorée dans les domaines de l’éducation, de la santé, des transports et communications, l’embargo a été imposé à la circulation de produits de base comme le kérosène, les cyclo-pousses etc. Voilà quelques-unes des injustices auxquelles la population est soumise. Evidemment les coeurs se durcissent contre les hommes au pouvoir et leurs alliés étrangers.

Comment se sent-on quand on est évêque dans une région comme la vôtre ?

C’est toujours très enrichissant de vivre avec des personnes qui, en dépit de difficultés inexprimables, continuent de vivre dans l’espérance de la paix, de rêver au jour où tous nos compatriotes vivront dans l’unité, la fraternité et l’égalité. La responsabilité des dirigeants religieux est de marcher avec leur peuple en maintenant cette espérance.

L’Eglise joue-t-elle un rôle majeur dans le processus de paix ? Comment ?

L’Eglise en tant que telle n’a pas joué le rôle qu’on aurait pu attendre d’elle dans le processus de paix. Le rôle prophétique, si typique de la religion biblique, dans le domaine politique, a été historiquement négligé par l’Eglise au Sri Lanka. En ce moment, quelques modestes initiatives sont prises par l’Eglise pour au moins étudier comment elle pourrait se rendre utile dans le processus de paix.

Vous avez rencontré M. V. Prabaharan (chef des Tigres, ndlr). Quelle est votre opinion sur la vision qu’il a des choses ?

Il est convaincu que les Tamouls de ce pays sont un peuple qui a le droit de déterminer librement son statut politique et la lutte armée est la conséquence nécessaire de la répression violente qui a frappé toutes les autres tentatives d’établir pacifiquement ce droit. Cette lutte est, pour le moment, armée, m’a-t-il répété à plusieurs reprises, mais elle a un objectif sacré et elle est entièrement au service du peuple.

Combien de temps peut encore durer cette lutte ? Est-ce que le peuple possède la capacité de l’endurer encore longtemps ?

Si on le regarde comme une lutte pour la liberté, bâtie sur d’énormes sacrifices en termes de vies humaines, il est raisonnable de dire que le combat cessera seulement quand on trouvera une solution digne au problème ethnique de ce pays. La force de ce combat ne sera affectée par aucune difficulté et il serait futile d’imaginer ou d’espérer une telle éventualité.

Comment est-ce que l’Eglise du Sri Lanka considère ce problème ?

Jusqu’à présent, l’Eglise du Sri Lanka n’a pas réussi à prendre une position indépendante sur ce sujet. De toute évidence elle a oublié l’option pour la justice parce qu’elle risquait de déstabiliser son mode de vie minoritaire.

Personnellement, êtes-vous en faveur de la venue du pape dans ces circonstances ?

La venue du Saint Père sur notre sol est une grâce singulière et en tant que telle j’y suis favorable même dans ces circonstances (1). Cependant, sa visite aurait été préférable à un moment plus paisible. En ce moment, ceux qui habitent dans les provinces déchirées par la guerre ne pourront pas venir à Colombo pour rencontrer leur pasteur et participer à l’événement historique qu’est la béatification de l’apôtre bien aimé du Sri Lanka (2). De la presque-île de Jaffna où vivent 85 000 personnes il n’y a aucune route d’accès ouverte et sûre sur le reste du pays. Un voyage dans ces conditions jusqu’à Colombo serait un cauchemar. Quant à une visite éventuelle du pape dans les régions ravagées par la guerre, elle est bien sûr impossible.

Comment la foi se maintient-elle dans les régions où la guerre sévit ?

La confiance en Dieu qui est le Rocher de la justice est profondément enracinée dans les coeurs de notre peuple en lutte. Le souci de l’autre, lui aussi touché par la guerre, s’est beaucoup approfondi dans la vie de beaucoup de

personnes. Le dessein de Dieu qui mène son peuple à une plus grande fidélité à travers la souffrance est interprété de manière très signifiante et la foi de la Bible devient une réalité vécue au quotidien. Nos efforts pour une Eglise renouvelée du partage portent des fruits.

Qu’attendez-vous des autres pays alors que l’agonie se prolonge ? (3)

Nous ne demandons ni privilège ni faveur de la part des êtres humains des autres pays. Il est essentiel qu’ils aient une compréhension exacte et

correcte de cette question sous tous ces aspects, spécialement historiques et politiques. Nous voulons qu’ils se joignent à nous et à tous les hommes de bonne volonté dans notre cri pour la paix et pour dire non à la guerre. Aucun pays ne devrait s’aventurer à soutenir cette guerre inutile et se rendre ainsi complice de la perte de vies innocentes et précieuses dans notre pays. Il est bien connu que cette guerre a été engendrée par quelques pays riches. Au nom de l’humanité, que les pays étrangers prennent des mesures pour faciliter le retour de notre pays à une paix fondée sur la justice…