Eglises d'Asie

LA SITUATION AU NORD-EST DU SRI LANKA Un rapport des trois évêques catholiques de la région

Publié le 18/03/2010




Nous, évêques catholiques de Jaffna, Mannar et Trinco-Batticaloa (nord-est du Sri Lanka), sommes très inquiets de la rapide détérioration de la situation dans nos régions. Les possibilités de faire connaître la situation véritable de ces régions sont très limitées et les visites y sont rendues difficiles par la guerre qui continue. De plus, de telles visites sont découragées, quand elles ne sont pas interdites, par le gouvernement pour des raisons de sécurité. Nous réalisons qu’il est important et urgent de vous offrir nos services afin de vous aider à connaître la vérité. En tant que dirigeants religieux responsables dans ces régions et en tant que citoyens loyaux du Sri Lanka, nous avons, dans le passé, appelé le gouvernement aussi bien que les “Tigres pour la libération de l’Eelam tamoul” à terminer cette guerre et à rechercher un arrangement à l’amiable. Mais la guerre continue au plus grand détriment des vies humaines et des propriétés. Nous estimons qu’il est urgent d’en appeler à travers vous à votre gouvernement et à votre nation pour qu’ils nous aident à trouver le moyen de terminer cette guerre et sauver le pays du chaos et de la destruction.

Il y a une histoire longue et fondée de griefs des Tamouls auxquels les gouvernements successifs du Sri Lanka n’ont pas répondu en dépit de protestations non violentes et nombreuses par les voies parlementaires. Après presque vingt-cinq ans de protestations non violentes contre la discrimination ouverte dont souffraient les Tamouls, contre les meurtres et la destruction des biens des Tamouls, c’est par désespoir que les jeunes Tamouls se sont mis à la lutte armée pour défendre leur droit à l’autodétermination et à une zone de sécurité contre la colonisation cingalaise organisée par l’Etat dans des régions traditionnellement tamoules.

Le gouvernement, sans se soucier des griefs qui ont donné naissance à l’activisme tamoul, a réagi contre ces jeunes tamouls armés en les considérant simplement comme des terroristes détruisant l’ordre établi de la société. Il n’a rien fait pour répondre rééllement aux griefs tamouls qui étaient la cause de la situation. Le résultat en est que le conflit ethnique est devenu une guerre entre les forces de l’Etat et les Tigres, les deux côtés recherchant une victoire militaire. Des groupes irresponsables des deux côtés poussent à la guerre dans l’espoir de cette victoire militaire. Pendant ce temps-là, les griefs tamouls ont encore augmenté et chaque Tamoul du nord ou de l’est est traité par le gouvernement et les forces armées, non pas comme un citoyen srilankais mais comme suspect d’appartenance aux Tigres ou un Tigre potentiel. Les milliers de Tamouls arrêtés et détenus à Colombo comme suspects ou “Tigres potentiels” en sont un exemple clair.

Après la mort récente du président Premadasa, il est devenu encore plus évident que le gouvernement n’a plus suffisament de contrôle et de pouvoir sur les forces armées pour les amener à une solution pacifique. Une illustration claire de cet état de choses est le retrait précipité de la proposition gouvernementale, pourtant déjà parue au journal officiel, de levée de l’embargo sur certains produits de base à destination du nord. Il a suffi que certains secteurs de l’armée fassent pression pour que le gouvernement recule. Le gouvernement est donc incapable de suivre une ligne déterminée vers une solution pacifique, parce que l’armée, dont l’augmentation numérique est hors de proportions pour un pays comme le nôtre et qui est militairement renforcée par l’aide et les armes étrangères, est impatiente d’obtenir une victoire militaire. Le gouvernement est incapable de contenir ou de modérer une telle impatience. Comme le président Premadasa le disait souvent et comme quelques-uns de vos pays en ont l’expérience tragique, personne ne sort vraiment victorieux d’une guerre.

Nous nous sentons impuissants, et nous sommes attristés par le fait que les diplomates étrangers restent loin de nos régions à cause des difficultés du voyage et à cause de l’interdiction gouvernementale de ces visites pour raisons de sécurité. Le résultat en est que les délégations étrangères se fient davantage aux rapports qui leur viennent du gouvernement sur la situation de nos régions. De plus, tout ce qui est dit par les Tigres n’est pas suffisament crédible pour les autres et peut être facilement disqualifié comme étant de la propagande. Par conséquent, en tant que témoins vivants de ce qui se passe dans les régions tamoules et en tant que dirigeants religieux au service de la justice et de la paix pour notre peuple, nous voulons souligner ce qui suit:

1-Bien que le gouvernement ait proclamé que cette guerre était conduite contre le terrorisme des Tigres et non contre les Tamouls, en fait nous pouvons témoigner que les bombardements aériens et autres, utilisant des armes sophistiquées en provenance de pays étrangers, sont dirigés contre les populations civiles innocentes. Les assassinats récents de civils innocents dans la baie de Jaffna (Kilali) en sont une illustration claire. Nous avons demandé à plusieurs reprises au gouvernement de reconnaître et protéger cette unique porte de sortie au moins quelques jours dans la semaine pour la population de Jaffna virtuellement emprisonnée dans la ville. A ce jour rien n’a été fait.

2-Le gouvernement traîne les pieds depuis des années tout en faisant des promesses de solution rapide dans des conférences réunissant toutes les parties, des commissions parlementaires et des négociations de haut niveau. A ce jour, ni le gouvernement ni l’opposition n’ont présenté à la nation une solution viable du problème ethnique. Tous se concentrent sur la stratégie militaire pour gagner la guerre et on ne parle d’efforts de paix que quand il s’agit de recevoir l’aide des pays donateurs.

3-Nous demandons instamment à vos pays respectifs, par les bons offices de votre mission, d’aider le Sri Lanka de la meilleure manière possible à sauver des vies innocentes des deux côtés de la frontière ethnique, en réduisant, directement ou indirectement, toute aide militaire. Le gouvernement proclame que l’aide étrangère n’est pas utilisée pour l’achat de fournitures militaires. Même si le bol du mendiant n’est pas utilisé pour mendier des armes, nous soupçonnons fortement le gouvernement d’utiliser des moyens détournés pour obtenir des armes afin de poursuivre une guerre permanente dans ce pays.

4-Par conséquent, nous demandons à votre excellence que votre pays, amoureux de la paix et des droits de l’homme spécialement pour les plus faibles, et en tant qu’ami du peuple du Sri Lanka, exerce une influence aussi grande que possible et fasse pression sur notre gouvernement pour qu’il décide d’un cessez-le-feu et commence des négociations avec les Tigres. Le gouvernement a répété à plusieurs reprises qu’il est favorable à une solution négociée et que la voie est ouverte pour des conversations. Nous affirmons, nous, que les réponses du gouvernement aux gestes et signaux des Tigres prouvent le contraire. Les réponses du gouvernement ont été conditionnées par le désir d’une victoire militaire. En fait, quelques politiciens demandent que le pays tout entier s’engage dans une guerre contre les Tamouls.

5-Nous assurons votre excellence que, de notre côté, nous faisons des efforts sincères pour encourager les Tigres à cesser le feu et accepter un arrangement négocié. En fait, chaque fois que des évêques catholiques ont rendu visite aux chefs des Tigres dans le nord et qu’ils ont proposé un cessez-le-feu et des négociations, les Tigres ont accueilli ces propositions favorablement. Malheureusement, le gouvernement a traité avec mépris les rapports de ces visiteurs pourtant crédibles.

6-Nous demandons aussi à votre excellence de faire tout ce qui est possible en ce qui concerne les besoins pressants et concrets de notre peuple:

– Qu’un chemin de sortie soit ouvert pour la population assiégée du nord, soit en acceptant le passage de la baie de Kilali soit en ouvrant le pont de Poonekery.

– Qu’on lève l’embargo sur les produits de base qui n’ont rien à voir avec des armes de guerre. En dépit de nos demandes répétées que soit révisée la liste des 48 produits interdits, les militaires continuent à imposer cet embargo inhumain sur des produits essentiels comme les vélos, le kérosène, les médicaments etc. Se fondant sur la logique fausse de “tout ce dont les Tigres ont besoin est interditdes nécessités de base comme les médicaments, le tissu, le papier, le cirage sont interdits.

– Qu’on s’assure que des provisions de nourriture et de médicaments sont envoyées régulièrement vers le nord et qu’on permette le libre transport de ces produits.

– Que les communications soient rétablies entre le nord et l’extérieur. Depuis trois ans, les habitants du nord sont privés d’électricité, de poste, de téléphone etc. Le courrier en provenance de l’étranger est gardé à Colombo pendant des mois et beaucoup de ce courrier a été perdu.

Nous remercions votre excellence et le peuple que vous représentez pour toute la bonne volonté et la sollicitude que vous avez montrées pour le Sri Lanka. Une fois encore, nous vous demandons de faire pression sur notre gouvernement pour améliorer les conditions de vie dans nos régions, pour arrêter cette guerre et commencer des négociations en vue d’une solution rapide.

Signé par Mgr T. Savundaranayagam, évêque de Jaffna

Mgr J.K. Swampillai, évêque de Trico-Batticaloa

Mgr R. Joseph, évêque de Mannar