Eglises d'Asie

LE TAOISME EN CHINE AUJOURD’HUI

Publié le 18/03/2010




La spontanéité du taoïsme, son individualisme, son absence de formalisme le font considérer comme une “anti-culture” dans l’histoire chinoise, en opposition au côté cérémonieux et guindé du confucianisme, “culture orthodoxe” parfaitement ajustée à chaque rapport social et à toute circonstance. En réalité, s’il a gardé l’impulsion de ses origines, le taoïsme a quelque peu perdu son côté provocateur et son goût de la révolution. C’est si vrai que le gouvernement communiste l’a d’emblée regardé comme un instrument de la classe réactionnaire pour s’accrocher au pouvoir. Il n’empêche que le taoïsme, grâce à sa grande diversité d’expressions, a plongé dans le peuple de profondes racines, s’est fondu avec la religion populaire au point de se confondre avec elle.

Mais quel a été son sort à la suite des événements sociaux et politiques des quarante dernières années ? C’est la question à laquelle la présente étude tente de répondre à la lumière des faits récents. Un bref panorama historique est cependant indispensable.

I – SYNTHESE HISTORIQUE

1. Origine et développement (6e siècle avant J.C. – 1949 après J.C.)

Les commencements

Parmi les “cent écoles” qui se sont développées en Chine à partir du sixième siècle avant Jésus-Christ, le taoïsme (de tao ou dao : la voie, la doctrine) 1 est l’une des principales. C’est une combinaison unique et extraordinaire de philosophie et de religion, d’institutions et de mysticisme, de rituels et d’union contemplative, de science archaïque et de pratiques magiques. On le fait couramment remonter à Laozi (6e siècle avant J.C.)2 à qui est attribué le “livre de la vie et de la vertu” (Daodejingqui serait toutefois plus récent 3. L’ouvrage montre le côté mystique et philosophique des ascètes qui ont fui les troubles de la période des rois combattants (475-221 avant J.C.) et se sont retirés dans les montagnes, au contact du Tao de la nature, cherchant à retrouver, à l’encontre des artifices de la culture en vogue, la liberté et la spontanéité primitive, la communion universelle et la vraie sagesse.

D’emblée divers courants apparaissent, expressions de sensibilités différentes et de voies de recherche multiples : le courant plus philosophique et mystique de Laozi ; le courant thérapeutique en quête de santé et de longévité ; des courants tournés vers la géomancie et les secrets de la nature, vers l’art divinatoire des chamanes et des astrologues, vers les prodiges des magiciens et des alchimistes ; enfin le courant naturaliste, anarchiste et apolitique de Yang-zhu (440-360 avant J.C.), victime dans l’histoire chinoise du jugement injuste du plus grand disciple de Confucius, Mencius, qui a fait de lui le promoteur d’un hédonisme débridé.

Tous ces courants se sont rejoints et se mêlent en un même lit aux troisième et deuxième siècles avant Jésus-Christ, surtout dans les ouvrages des magiciens, voyants et maîtres de cérémonie qui s’empressent au service des cours et des familles riches. Ils promettent l’immortalité et créent un panthéon de divinités protectrices autour du culte populaire de Lao-tse et de Huanglao (l’empereur jaune).

L’apogée

Au premier siècle de notre ère se produit le fait principal de l’histoire du taoïsme, son organisation en deux “Eglises” ayant chacune sa structure, sa hiérarchie, son propre rituel pour exprimer le repentir, le jeûne, la réconciliation, le renouveau…, en dépit de leurs désaccords avec le pouvoir impérial pour conquérir leur propre espace géographique. Apparaissent une “Eglise” de l’ouest dans le Sichuan et dans le Shaanxi et une “Eglise” de l’est dans le Shandong.

Le taoïsme absorbe successivement des éléments du bouddhisme venu de l’Inde qui se consolide en Chine et ceux d’autres religions du Moyen-Orient et de l’Asie centrale. Il intègre tous ces éléments à tous les niveaux : doctrinal (panthéon élargi et corpus de révélations plus volumineux), rituel (rites diversifiés selon les besoins individuels et sociaux), institutionnel (hiérarchie plus marquée, avec le titre de tianshi, maître céleste, en 444, qui inaugure la “papauté” taoïste ; rôle mieux défini du clergé, daoshi, qui reçoit des certificats d’ordination ; rédaction du premier catalogue des écritures canoniques en 477 ; début de la vie monastique dans le célibat au sixième siècle).

Avec l’augmentation de son influence qui atteint son apogée sous la dynastie Tang (618-907), le taoïsme redouble ses efforts en vue de sa reconnaissance officielle, tout en rivalisant avec les autres religions pour l’emporter comme unique expression orthodoxe. Ces luttes menées avec un inégal succès s’accompagnent, à l’égard des courants et des groupes tenus pour hérétiques, de mesures d’exclusion qui contribuent à faire naître les sectes et les sociétés secrètes impliquées dans les mouvements politiques. C’est surtout à partir de la dynastie Song (960-1271), avec la conquête du nord du pays par les Mongols en 1127 et sa division, que les sectes se mettent à pulluler. Elles sont souvent en lutte entre elles, faute d’une forte organisation centrale. Parmi les quatre-vingt-six sectes officielles, trois seulement méritent une mention particulière : le Tao de la parfaite vérité ou de la complète perfection (Quanzhen Dao), qui assimile la méditation bouddhiste et les doctrines morales du bouddhisme et du confucianisme ; le Tao grand et vrai (Zhenda Dao), qui promeut l’ascétisme ; le Tao de la grande unité (Taiyi Dao) qui poursuit ses objectifs spirituels en usant des pratiques magiques et des talismans. Sous la dynastie Yuan (1271-1368) émerge au sud de la Chine, précisément dans le Jiangxi, sur le mont Longhu Shan (ou du Dragon et du Tigre), la secte de la parfaite unité (Zhengyi Dao) qui prétend descendre tout droit du premier maître céleste, Zhang Ling. Sous la dynastie Ming (1368-1644) est confié à cette secte l’office impérial de contrôle du taoïsme, avec le droit de superviser toutes les activités taoïstes. En 1447 l’empereur Zheng Tong fait compléter le canon taoïste (Dao Zang

C’est à cette époque aussi que se développe le culte populaire des huit Immortels (Baxian).

Le déclin

Sous les dynasties Ming et Qing (1368-1911) le néo-confucianisme a prédominé en Chine et le taoïsme perd son prestige, surtout auprès des intellectuels qui ne voient plus en lui que basse superstition tant il est mêlé de pratiques de la religion populaire. Les sectes, officiellement excommuniées, restent quant à elles tout à fait libres d’agir au niveau du peuple, tout en s’organisant secrètement à des fins politiques et subversives.

Les Ming et les Qing se sont opposés de toutes les façons au taoïsme qui, de plus en plus réduit à des pratiques superstitieuses et divinatoires, passe au dernier rang des religions, derrière le confucianisme et le bouddhisme. Liang Qichao (1873-1929), un des pionniers du renouveau social de la Chine, va jusqu’à écrire qu’il est “vraiment humiliant” d’avoir à inclure le taoïsme dans l’histoire religieuse du pays, “attendu que le pays n’a tiré aucun profit de son action

L’avènement de la République en 1911 précipite cette évolution. Réformateurs et intellectuels continuent de détester les pratiques taoïstes et leur mépris se manifeste surtout à l’occasion et dans le sillage du “mouvement du 5 mai” (1919) qui se propose de détruire la vieille tradition, tenue comme désormais dépassée.

En 1920 une loi du gouvernement nationaliste sur la conservation des temples ne permet de maintenir que les temples dédiés à des personnages ou à des sages fameux et exemplaires. Les temples dédiés aux divinités des éléments et des phénomènes naturels sont tous proscrits, ainsi que l’usage des enchantements, formules magiques et talismans typiques du taoïsme et de la religion populaire. La loi n’est pas appliquée avec rigueur, mais bien des autorités locales exproprient les temples et les affectent à d’autres usages.

En 1931, c’est auprès des taoïstes du mont Wudang Shan (Hubei) que trouve refuge et assistance médicale la troisième armée rouge, mais au moment même où les troupes communistes attaquent le siège central de la secte Zhengy sur le mont Longhu Shan (Jiangxi). Elles l’incendieront en 1948 et disperseront ses adeptes. Le soixante-troisième “maître céleste”, Zhang Enbu, après diverses péripéties, se réfugiera à Taiwan en 1950. Pendant la guerre contre le Japon (1937-1945) et l’occupation du pays, le clergé du taoïsme et ses fidèles apportent leur contribution à la résistance, jusqu’au don de leur vie, comme les daoshi tués sur le mont Mao Shan (Jiangsu) en 1938.

2. Sous le gouvernement communiste (1949-1979)

Une politique hostile

D’entrée de jeu le gouvernement communiste applique aux centres taoïstes le même traitement qu’aux autres religions, au bouddhisme en particulier, en les considérant eux aussi comme des groupes “contrôlés principalement par les classes réactionnaires de l’intérieur qui s’en servent pour dominer” 4. Sa politique initiale s’oriente en deux directions. D’une part l’expropriation de nombreux temples et monastères et de leurs biens fonciers en vertu de la réforme agraire. On y installe des écoles, des ateliers, des casernes, ou les logements des paysans à qui les terres ont été distribuées. D’autre part le clergé taoïste est contraint de “participer à la production”, ce qui revient en bien des cas à sa laïcisation forcée 5. Par exemple les daoshi restés au temple Baiyun Guan de Pékin sont réduits en 1950 à un effectif de vingt-quatre, qui va continuer de baisser. La pression pour leur engagement dans les activités productives ne se relâche pas et se sert de chaque campagne de rééducation du peuple. Ainsi, lors du lancement des “communes populaires”, en 1958, les coopératives agricoles bouddhistes-taoïstes publient le rapport suivant : “Cette année, sous la direction correcte et avec les encouragements du Parti et du gouvernement, nous, boudhistes et taoïstes de Nanyue, avons suivi une série de leçons sur le socialisme qui ont amélioré notre conscience socialiste, nous ont fait clairement comprendre la lutte entre les différentes positions et nous ont aidés à vaincre le capitalisme sur le front économique, politique et idéologique. Nous avons également exprimé notre entière adhésion aux communes populaires… Nous nous engageons à organiser les religieux de nos coopératives, âgés de 45 à 65 ans, pour qu’ils participent à la production et au travail des cuisines selon leurs capacités physiques, de manière à améliorer leur position…” 6. Le pouvoir cherche à éliminer des aspects du taoïsme qu’il juge inacceptables : terrains et bâtiments vacants, personnel religieux improductif, quêtes d’aumônes,etc. Une affaire qui a fait du bruit a été la destruction de statues de grande valeur dans l’un des centres taoïstes les plus fameux, sur le mont Wudang Shan (Hubei) : en 1955 et 1956, les autorités locales vendirent, au poids, des centaines de statues de bronze à des fonderies. La nouvelle suscita de telles protestations que les autorités de la province durent intervenir pour ramener le calme.

Le taoïsme subit aussi une vigoureuse hostilité du gouvernement contre ses pratiques superstitieuses, assimilées à celles de la religion populaire, et surtout contre les menées souterraines des sociétés secrètes qui tirent de lui leur inspiration. La politique officielle est d’interdire toutes les pratiques superstitieuses et de dénoncer les sociétés secrètes comme des organisations contre-révolutionnaires, en arrêtant leurs chefs. En 1953, par exemple, le comité militaire de Shanghaï les a expressément interdites : “La notification indique clairement la mise au ban de la “secte de l’unité” (Yiguan Dao), de la “secte des neuf temples” (Jiugong Dao) et de trois autres douzaines de cultes taoïstes réactionnaires… Ces cultes trompent les masses… pendant qu’en fait leurs membres sont engagés secrètement dans des activités contre-révolutionnaires” 7.

Beaucoup des affiliés des sectes se sont insurgés contre les mesures de restriction. Ils ont continué leurs activités religieuses et politiques. Ils ont aussi offert une protection à des agents nationalistes. Habitués à vivre cachés, à se déplacer très vite, ils donnent du fil à retordre aux autorités. Celles-ci ont beau se vanter d’en avoir arrêté et éliminé un grand nombre, elles n’en finissent pas de rapporter leurs mouvements en bien des provinces 8. Ils doivent d’avoir survécu à leurs capacités de mimétisme, d’adaptation, à la souplesse de leur organisation interne et à des activités illégales : fraudes, extorsions de fonds, qui les distinguent à peine des sociétés secrètes à buts illégaux. La presse offcielle annonce fréquemment des condamnations aux travaux forcés et des exécutions capitales de membres de ces sociétés et de religieux taoïstes.

Le contrôle par l’association taoïste

Plus tard un autre aspect de la politique officielle à l’encontre des organismes religieux a été le contrôle absolu exercé sur eux de l’intérieur par les autorités gouvernementales. La campagne pour les trois autonomies lancée dans ce but à la fin des années 50 a conduit à la fondation de l’association taoïste chinoise en 1957.

Le comité préparatoire se réunit en novembre 1956 et la première assemblée nationale se tient au mois d’avril suivant au Baiyun Guan à Pékin: Yue Chonddai, du temple Taiqing Gong de Shenyang, est élu président et Chen Yingning, secrétaire. L’assemblée accueille des représentants des centres taoïstes même éloignés. Elle fixe ses buts officiels: “Unir tous les fidèles taoïstes du pays, continuer à développer les traditions positives de la religion, participer activement à la construction socialiste de la patrie sous la direction du gouvernement du peuple, aider le gouvernement à mettre en application la politique religieuse, stimuler et promouvoir la recherche sur le taoïsme, s’opposer à l’hégémonisme et protéger la paix mondiale” 9.

En fait, le gouvernement veut donner une unité d’organisation à la foi taoïste, traditionnellement très divisée, afin de pouvoir mieux contrôler les manifestations religieuses et sociales de ses sectes et sociétés secrètes. En gage de leur bonne volonté, les autorités gouvernementales financent la restauration de temples et de monastères célèbres.

L’association taoïste tient sa deuxième assemblée nationale en 1961 : Chen Yingning est élu président et Lai Yuhang, secrétaire général. Sous l’impulsion du nouveau président, l’Association, en plus de ses engagements antérieurs, ouvre un institut de recherche chargé de la publication d’oeuvres historiques et du “Bulletin de l’association taoïste chinoise” (Zhongguo Daoxiehuikan), lance des cours de formation pour le personnel des centres religieux, encourage des échanges avec l’étranger.

L’élimination des “superstitions contre-révolutionnaires”

Au début de la Révolution culturelle en 1966, l’association taoïste est dissoute et ses activités sont arrêtées, les quelques temples encore en activité sont fermés ou occupés par des unités de production agricole. Leur patrimoine culturel et artistique est inexorablement détruit et toute activité religieuse, absolument interdite. Les rares daoshi sont dispersés, contraints de se marier et de se séculariser ou condamnés comme “contre-révolutionnaires” à la rééducation dans des camps de travail. Décrivant plus tard la situation des taoïstes pendant la Révolution culturelle, la phraséologie officielle répètera: “Pendant ces dix années de chaos, les temples et les monastères ont été fermés, le clergé taoïste a été chassé et renvoyé à la maison” 10. Quand la Révolution culturelle éclate, il reste peu de daoshi au Baiyun Guan de Pékin, astraints à étudier les écrits de Mao. Les bâtiments sont en majeure partie transformés en salles de cours, laboratoires, bibliothèques et salles de réunion, ornés partout d’inscriptions du genre : “La bienveillance du Parti communiste est vaste comme la mer, les mérites de Mao Zedong sont hauts comme les montagnes” 11.

Autre exemple, le sort du centre taoïste de Louguantai 12 près de Xi’an dans le Shaanxi, qui comptait 140 daoshi en 1949. Pendant les dix années de désordres à partir de 1966, Longuantai comme tous les autres centres culturels et historiques subit de graves dommages. Beaucoup de ses monuments et de ses objets de valeur historique et culturelle sont détruits, de même que dix mille rouleaux d’écritures et de livres, des milliers d’articles eligieux. Le sanctuaire des “Trois purs” (San Qing), et le temple Zongsheng Gong dans lequel il se trouve, édifiés sous la dynastie Yuan et vieux de 670 ans, sont réduits à un amas de décombres. Pendant la même période le temple Shuojingtai est occupé par une unité de travail et ses daoshi sont chassés.

II – LE TAOISME EN REPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE

(de 1979 à ce jour)

Ce n’est qu’avec la politique de libéralisation lancée par Deng Xiaoping en 1979 que le taoïsme peut tenter, non sans mal, de revivifier ses vieilles traditions. Son influence augmente alors notablement au niveau populaire, mais se heurte à l’opposition tenace des autorités de l’Etat à ce qu’elles appellent “pratiques superstitieuses et féodalesLe développement promis par la politique officielle de liberté religieuse s’opère sous l’entier contrôle de l’Etat à travers les associations et les activités approuvées par lui. Les initiatives privées ou, ce qui est pire, clandestines sont absolument interdites.

Rétablir les organes de direction et le système administratif

Le gouvernement communiste reprend la tactique du contrôle exercé de l’intérieur au moyen de l’association taoïste chinoise. Celle-ci retrouve ses activités avec sa troisième assemblée nationale, en mai 1980, qui confirme les objectifs déjà définis : réunir les fidèles taoïstes dans l’amour de la patrie et de leur religion, participer activement à la reconstruction nationale, aider le gouvernement à appliquer sa politique religieuse. Les directives pratiques visent à : rétablir les associations locales et provinciales, restaurer les temples pour la protection de leur patrimoine historique et artistique, former des dirigeants, améliorer la recherche sur le taoïsme avec des études et des publications, augmenter les bons rapports avec les corréligionnaires de l’étranger. Le président élu est Lai Yuhang et le siège central reste au temple Baiyun Guan de Pékin, restauré et rouvert au public en 1984. A cette occasion est lancé l'”Appel aux taoïstes de Taiwan” pour nouer des relations et coopérer avec eux.

Conformément aux directives de l’assemblée, les associations taoïstes provinciales sont peu à peu reconstituées : à Shanghai en avril 1985, dans les provinces de Hunan, Hubei et Gansu le mois suivant, à Canton à l’automne de la même année, dans les provinces de Shaanxi en novembre 1986, de Shandong en décembre 1992, de Sichuan en mars 1993, de Jiangsu en avril 1993,etc. Toutes les associations sont administrées par d’anciens daoshi, invités à revenir dans les temples, avec l’aide de jeunes qui finissent tout juste leur formation et de conseillers laïcs.

La quatrième assemblée nationale de l’association taoïste chinoise se réunit en septembre 1986. Les rapports font état des grands progrès de la formation des responsables comme de la recherche. Dans la liste des succès sont à noter : la trentaine d’associations locales et provinciales déjà fondées, une centaine de responsables récemment diplômés qui travaillent dans les cent temples rouverts, en deux ans plus de huit mille pélerins en visite au Baiyun Guan, l’augmentation des échanges amicaux et universitaires avec Hongkong, Macao et d’autres pays.

“L’association s’est engagée à atteindre ses deux objectifs principaux (…) En appelant ses fidèles à observer la constitution et les lois et à distinguer nettement entre activités religieuses normales et pratiques superstitieuses féodales, elle a contribué à normaliser les activités religieuses elle-mêmes. En améliorant les relations avec les organes taoïstes des différentes régions, elle a a pris en charge l’exigence des fidèles d’être légitimement représentés et de faire valoir leurs justes revendications. Ainsi a-t-elle élevé leur position sociale et politique, leur a-t-elle assuré une protection légale et un constant soutien financier de leur activité” 13. Lai Yuhang fut réélu à la présidence.

En juin 1987 l’association taoïste célèbre le trentième anniversaire de sa fondation, au moment où elle commence le quatrième cycle de formation de son personnel, à Pékin, avec 48 étudiants venus de 28 centres taoïstes. En mars 1992 elle tient sa cinquième assemblée. Fu Yuantian est élu président, Lai Yuhang devient conseiller. Le rapport officiel sur le travail réalisé fait ressortir : la mise en oeuvre des directives gouvernementales (données en juin 1989 et en juillet 1991) et des instructions données lors des rencontres des chefs religieux avec le secrétaire général du parti communiste chinois, Jiang Zeming (en janvier 1991 et 1992) ; l’accueil de délégations de Hongkong et de Taiwan en plusieurs temples (et les aides financières données par elles pour leur restauration) ; la reprise du rite des ordinations de la secte Quanzhen, la réouverture du centre de Longhu Shan aux daoshi de l’étranger ; les ordinations et les titres officiels de l’école Zhenyi et le début d’une politique générale en faveur des études et des pratiques approuvées.

L’assemblée approuve aussi les “Règles d’administration des temples et des monastères” et les “Règles provisoires d’administration des daoshi de la secte Zhengyi qui ne vivent pas dans les temples” 14. Ces réglements légalisent leurs pratiques privées, même rémunérées, dès lors qu’elles ne comportent pas de superstitions, que ceux qui s’y livrent sont enregistrés et regroupés dans des organisations, exercent dans des lieux approuvés et sous le contrôle des organes gouvernementaux responsables.

Au cours de cérémonies officielles du 10 au 12 juin 1993 des récompenses sont remises à trente-trois institutions du taoïsme et à cent cinquante de ses personnalités, “modèles d’amour de la patrie et de la religion

Le contrôle que le gouvernement maintient à tous les niveaux sur l’association taoïste ne lui permet pas une activité très vive. Ses bons rapports avec le pouvoir sont d’ailleurs favorisés par la présence de personnalités taoïstes dans les institutions officielles, en particulier à la conférence politique consultative du peuple chinois. Sont invités à la huitième réunion de cette conférence, en 1993, et y participent : Fu Yuantin, Li Yuhang, Zhang Jiyu et Ren Farong, en plus de Zhao Zhendong de l’association taoïste de Hongkong.

Restauration et réouverture des temples

Sont surtout actives aujourd’hui les deux sectes taoïstes principales, Quanzhen Dao et Zhengyi Dao. La première, moins politisée et par là plus facile à contrôler, a obtenu avant l’autre l’autorisation de ramener son clergé dans ses temples. Vingt-et-un temples de la secte ont été restaurés de 1980 à 1983, et ses responsables ont peu à peu été placés à leur tête. Il y a maintenant environ 450 grands temples et monastères rouverts. Beaucoup qui figurent à l’inventaire des monuments nationaux ne sont que des étapes sur les circuits contrôlés par les fonctionnaires du tourisme et des sources de profit pour l’Etat.

Méritent une mention particulière, en plus des centres des deux sectes principales, le temple Baiyun Guan de Pékin et le siège traditionnel du maître céleste du mont Longhu Shan (Jiangxi) : la salle Pixia des ancêtres du mont Tai Shan et le temple Taiqing Guan du mont Lu Shan (Shandong) ; les monastères et les temples des monts Mao Shan, Guoqu Shan et Linwu Shan (Jiangsu) ; ceux des monts Wudang Shan et Zigai Shan avec le temple Changchun Guan à Wuhan (Hebei) ; ceux des monts Qingcheng Shan 15 et Yulei Shan avec le temple Qinyang Gong 16 à Chengdu (Sichuan) ; ceux du mont Hua Shan (Xi’an) avec les temples des huit immortels et de Louguantai 17 de Zhouzhi (Shaanxi) 18 ; du mont Song Shan à Denfeng (Henan) et d’autres dans le Liaoning ; le temple Taiqing Gong à Shenyang (province de Canton) 19 ; dans le Zhejiang20 sur les monts Chicheng Shan, Wu Shan et Tongbo Shan ; dans le Fujian, tels ceux du mont Qingyuan Shan ; à Shanghai comme le temple Baiyun Guan ; à Suzhou, à Xining dans le Qinghai,etc.

Ces temples hébergent tous des pensionnaires permanents et des hôtes de passage. Parmi ces derniers se trouvent aussi des étrangers avec la permission de la police locale. Situés dans des régions de montagne d’une rare beauté, ces temples attirent les touristes autant que les passionnés d’arts martiaux. Ce qui ne va pas sans problèmes : “Beaucoup de temples sont devenus des zoos, se lamente un daoshi, on nous considère comme des animaux de cirqueC’est pourquoi nombreux sont les daoshi qui se retirent dans la montagne et y mènent la dure vie des ermites.

La récente reprise de la célébration annuelle des fêtes traditionnelles a amené celle des festivités taoïstes, dans les temples et dans les villages, avec leurs cérémonies accompagnées de chants et de musique (instruments à percussion et à vent). Dans les temples, aux rites populaires qui reviennent chaque année s’ajoute la célébration des anniversaires des divinités, spécialement celui de Yuhuang, l’empereur de jade, des San Qing (trois purs), des San Yuan (trois origines), de Laotseu, des Baxian (huit immortels, en particulier du patriarche Lu), de Guandi, de Wen Chang, de Tianhou (reine du ciel), etc.

La réglementation ne date que de 1992, mais beaucoup de communautés avaient repris dès le début des années 80 la célébration des Jiao-zhai, rites de renouvellement, de purification et de suffrage. En janvier 1986, pour la première fois depuis trente-sept ans, aux environs de Zhangzhou (Fujian), 250 familles d’un même clan ont célébré un jiao de cinq jours.

Formation des responsables et des agents religieux

A Shanghai, au temple Baiyun Guan, l’Association taoïste de la ville a organisé de 1986 à 1989, pour trente étudiants venus spécialement de Jiangsu, son premier cycle triennal de formation religieuse et sociale, à la fois théorique et pratique. Le deuxième cycle a commencé en 1982 avec le même nombre de participants.

Mais le principal institut d’enseignement supérieur du taoïsme est celui du temple Baiyun Guan de Pékin, qui a commencé en 1984 à accueillir chaque année une quarantaine d’élèves venus de toutes les régions du pays. Les cours portent sur l’histoire du taoïsme, la philosophie taoïste, l’alchimie interne, les arts martiaux, la politique, la langue chinoise et les langues étrangères,etc. et s’étalent sur deux ou trois années. Le 1er avril 1993 la nouvelle année scolaire a été ouverte avec un cours d’initiation et un cours de perfectionnement d’une durée moyenne de deux ans. Les quarante étudiants, dont l’âge moyen était vingt-cinq ans, venaient de seize provinces ou régions autonomes, une bonne trentaine appartenant à la secte Quanzhen, les autres à celle de Zhengy.

Dans les régions et au niveau local les centres de formation organisent généralement des cours d’une année. Mais les novices y sont absorbés par le service du temple et le soin des visiteurs. Décrivant en 1985 la situation au mont Qingcheng Shan où vivaient une cinquantaine de novices, jeunes gens et jeunes filles, le sinologue belge Julien F. Pas écrivait : “Absorbés par des tâches matérielles, ces jeunes ne semblent pas voir beaucoup de temps pour l’étude, les exercices spirituels et la maîtrise de soi. Comme je ne voyais pas de bibliothèque, l’abbé à ma demande m’a conduit à l’étage, au-dessus de la salle des San Qinq. La bibliothèque était bien là, mais elle ne semblait pas fréquentée : étagères fermées, pas même de table dans la pièce. Les novices disposaient de textes pour l’étude, mais je n’ai pas eu la possibilité de les voir, sauf un petit manuel d’histoire du taoïsme. Au dire de l’abbé, le temps des exercices spirituels était le soir. Les prières étaient récitées matin et soir, mais individuellement. Leur récitation en commun était réservée au premier et au quinze du mois lunaire” 21. En 1985 vivaient au temple du mont Wudang Shan environ quatre-vingts taoïstes, dont soixante novices des deux sexes, qui s’étaient retirés là au cours des deux années précédentes. Leur vie ressemblait à celle qu’on vient d’évoquer : le travail et le service des visiteurs absorbant la plus grande partie du temps et ne laissant qu’une heure le soir pour l’étude.

En 1993, au centre de Louguantai, près de Xi’an (Shaanxi), il y avait plus d’une cinquantaine de daoshi, dont vingt jeunes, presque tous membres de la secte Quanzhen. Comme ailleurs, l’accent était mis sur le travail manuel et les exercices religieux étaient normalement laissés à l’initiative de chacun, à l’exception de la cérémonie commune, matin et soir, du premier et du quinze du mois 22.

Toute ordination de daoshi fut interdite à la prise de pouvoir des communistes. Après le lancement de la politique de libéralisation, en 1979, on recommença à voir dans les temples quelques jeunes portant le chignon traditionnel et à parler de jeunes daoshi ordonnés. Thomas Hahn, spécialiste allemand du taoïsme, écrivit en 1986 : “Pour résumer la situation telle que nous pouvons encore la voir aujourd’hui, nous devons dire que les premiers novices ont été affectés aux temples taoïstes à partir de 1981 et qu’ils y sont çà et là devenus plus nombreux que les daoshi anciens. Mais ils n’étaient pas ordonnés, même après avoir accédé aux échelons supérieurs de la hiérarchie administrative du templeCe n’est qu’en septembre 1989 que furent officiellement approuvées des règles pour les ordinations, les dignités, les nominations et les affectations du clergé taoïste. Cette année-là, du 12 novembre au 2 décembre, fut célébrée à Pékin l’ordination de soixante-quinze nouveaux daoshi de la secte Quanzhen, qui reçurent chacun un certificat. Cette cérémonie, la première depuis 1937, était présidée par le vingt-deuxième abbé de la secte, Wang Lixian.

Etudes et recherches

Dans les milieux taoïstes, le niveau des études et de la recherche reste inférieur à ce qu’il est dans les autres traditions religieuses. Les organismes qui s’y intéressent le plus sont les départements d’étude des religions de l’académie des sciences sociales, en particulier à Pékin, Shanghai, au Sichuan et au Jiangsu. Depuis quelques années des instituts de recherche sur la culture taoïste ont été fondés à Pékin (1989), Shanghai (1988) et à Xi’an (1992). Ils organisent des sessions sous le parrainage de l’association taoïste chinoise.

Les études et recherches que l’association favorise et qui reçoivent leur impulsion et leur orientation de l’institut de recherche taoïste de Chine fondé dans ce but à Pékin en 1990, suivent en général un critère de rentabilité. On publie davantage de recueils populaires de légendes et d’anecdotes ou de manuels d’arts martiaux que de textes pour les études universitaires et pour la formation spirituelle. Cependant les études de ce genre ne manquent pas et ont été récemment encouragées. L’organe de l’association créé en 1982 sous le nom de “bulletin de l’association taoïste” (Daoxiehuikan) et devenu en 1987 “Le taoïsme chinois” (Zhongguo Daojiao) publie en plus d’informations sur ses activités des études concernant les écritures, les doctrines et les traditions de méditation liturgique. Les associations taoïstes de province suivent la même ligne : celle de Shanghai publie depuis 1988 le Shanghai Daojiao, celle du Shaanxi, depuis 1992, le Sanqin Daojiao, etc. Et il y a beaucoup de bulletins locaux. Toutes ces publications font un effort remarquable pour rééditer et présenter de nouveau les écritures classiques et les textes rituels. De 1986 à 1993 on a réimprimé “L’essentiel des écritures taoïstes” (Daozanz Jiyao), extrait de treize mille inscriptions sur tablettes de bois remontant à la dynastie Qing. De 1979 à 1990 ont paru une trentaine de volumes et plus de 450 articles sur le taoïsme. Le “grand dictionnaire du taoïsme” (Daojiao Daijian) a été mis sous presse en août 1993.

Les secteurs les plus étudiés sont : l’histoire du taoïsme, la pensée des sages et des philosophes, les écritures classiques, les sectes, les thérapies de santé et de longévité, l’influence du taoïsme sur la culture chinoise, son impact dans la modernisation en cours.

Sur l’histoire et la philosophie du taoïsme, l’ouvrage le plus important est l'”Histoire du taoïsme chinois” (Zhongguo Daojiaoshi) de Qing Xitai, en quatre volumes, publiée par les “Editions du peuple” du Sichuan à partir de 1988. Sous le même titre un ouvrage composé par plusieurs spécialistes a été publié à Shanghai en 1990.

Les grandes figures de la tradition taoïste qui retiennent le plus l’attention dans les publications et les colloques sont Laotseu, Zhuangzi, Ge Hong, Tao Hongjing ; parmi les contemporains, Chen Yingning (1880-1969) et Lai Yuhang (né en 1916, encore vivant).

Des journées d’étude ont porté sur l’influence du taoïsme dans la culture chinoise traditionnelle et moderne, telle la rencontre organisée en juillet 1990 dans la province de Hubei sur “Taoïsme et culture contemporaine”, celles de septembre 1992 à Pékin sur la culture taoïste et la modernisation, et de Xi’an en octobre 1992 (suivie par 61 spécialistes, chinois et étrangers), qui ont voulu attirer l’attention des responsables économiques sur l’actualité de la pensée taoïste.

Parmi les sujets spécialement étudiés citons : l’apport du taoïsme à la médecine et aux méthodes thérapeutiques avec sa recherche de l’immortalité ; son action stimulante pour l’imagination et l’originalité dans la littérature ; en peinture son sens de l’union à la nature… En musique aussi l’influence du taoïsme a été reconnue et, depuis 1984, l’association taoïste de Shanghai produit avec l’aide du conservatoire de la ville des audiocassettes de musiques et de chants traditionnels, en particulier ceux des cérémonies zhai-jiao, et organise des rencontres d’experts. Sont également étudiées les traditions cultuelles et liturgiques taoïstes dans les minorités.

Les relations avec les correligionnaires d’autres pays

Des rapports informels entre les taoïstes de la République populaire chinoise et ceux de Hongkong n’ont pas attendu que les changements politiques favorisent les visites et les relations commerciales. Attachées par des liens historiques aux centres taoïstes de Canton, les institutions taoïstes de Hongkong se sont senties en devoir de contribuer financièrement à la restauration des sites auxquels elles devaient leur origine. Des visites de particuliers et de délégations se sont multipliées dans les deux sens, avec les encouragements de l’association taoïste de Hongkong. En décembre 1991, à l’invitation officielle du bureau des affaires religieuses, un groupe de représentants de cette association conduit par son président Tang Guohua a visité les principaux temples de Pékin, Shanghai et Shuzhou et y ont célébré des rites liturgiques spéciaux 23.

Les taoïstes de Taiwan, à titre personnel ou en associations locales, n’ont pas tardé non plus à nouer des relations avec leurs correligionnaires du continent. Attachés surtout à reprendre contact avec les daoshi de la secte Zhengyi, qui prévaut dans l’île, ils tenaient à faire reconnaître leurs ordinations par les centres originaires de leur tradition et ont souvent envoyé des délégations. Les échanges ont également été en faveur dans le domaine des études de philosophie taoïste, des rencontres culturelles ont rapproché “les deux rives” du détroit de Formose. En août 1992, à Xi’an, l’institut de recherche sur les religions mondiales de l’académie des sciences sociales de la Chine populaire et une institution analogue de Taiwan ont organisé ensemble un colloque de trois jours sur la pensée et la culture taoïstes dans leurs pays respectifs. C’est également de Taiwan qu’est venue en septembre 1992 au temple de Louguantai, près de Xi’an, une délégation de 160 taoïstes, qui y firent une cérémonie avec le clergé local. C’était la première rencontre de ce genre entre les clergés des “deux rives” et entre les sectes Quanzhen et Zhengyi. La première visite officielle en Chine d’une délégation de l’association générale des taoïstes de Taiwan date de novembre 1992.

Les échanges avec la communauté taoïste de Singapour n’ont pas été négligés : visites réciproques, échanges d’enseignants et de conférenciers, contributions financières à la restauration des temples… Un sommet de ces rapports nouveaux a été atteint avec le solennel jiao de cinq jours qui s’est déroulé à Singapour en mai 1993. Des représentants de Taiwan, de Hongkong et de Malaisie s’y trouvaient et l’on avait invité l’ensemble musical du temple Baiyun Guan de Pékin.

Le taoïsme non officiel

Le taoïsme non officiel mêle souvent ses manifestations multiformes avec la religion populaire 24. Sa vitalité éclate aux yeux dès qu’on entre en n’importe quel temple taoïste célèbre. Partout des gens se pressent autour de devins et de voyantes qui lisent dans la main, de guérisseurs qui font des massages ou transmettent par des gestes le qi (l’énergie vitale), de médicastres qui vendent des potions infaillibles pour guérir toutes sortes de maladies ou pour “rendre immortelLe nombre de ces “agents religieux populaires” augmente chaque jour. Même dans les milieux intellectuels il est courant d’entendre parler de célèbres maîtres en qigong (exercices respiratoires) qui semblent faire des miracles et des guérisons, ou de hauts fonctionnaires de l’Etat qui consultent un mage extralucide ou un devin spécialiste des Bagua (huit diagrammes) et du Yi Jing (“classique des changements”) avant de prendre une décision importante.

Dans les régions rurales il y a les daoshi plus ou moins liés à la secte Zhengyi à qui les gens s’adressent pour toutes sortes de besoins : guérir une maladie, combattre le mauvais oeil, entrer en contact avec les âmes des défunts ou les libérer de leurs peines, apaiser les esprits méchants, choisir le bon endroit pour construire sa maison ou pour ensevelir un mort, déterminer le temps propice pour partir en voyage ou lancer une affaire, etc. Il n’est pas facile pour l’Etat de se servir de l’association taoïste pour contrôler ce que font ces daoshi. Les solutions possibles vont de la condamnation de leurs activités comme “pratiques superstitieuses et immorales” à leur contrôle par la voie administrative, mais en se heurtant à des usages enracinés dans la culture populaire. Un rapport sur les daoshi de la ville de Zhangye (Ganzu) explique : “On s’est demandé s’il ne faudrait pas institutionnaliser l’activité des daoshi de la secte Zhengyi et l’administrer de quelque façon. Certains tiennent que leurs pratiques sont superstitieuses, qu’il ne faut donc pas les officialiser, mais les laisser au contrôle de la sécurité publique. D’autres, au lieu de considérer ces daoshi comme une organisation superstitieuse, voient en eux une secte importante du taoïsme, avec un grand nombre d’adeptes, une influence sociale considérable. Ils observent, ajoute-t-on, les rites taoïstes et appliquent les réglements. L’association taoïste devrait donc accepter le status quo, reconnaître les droits de ces daoshi et leurs intérêts légaux, et prendre des initiatives pour gérer leur activité. L’expérience des dernières années l’a montré : mieux vaut les organiser et les contrôler que de les laisser à leur libre initiativeDe fait, comme nous l’avons indiqué, l’association taoïste chinoise a publié de nouvelles normes pour réglementer les activités des daoshi de la secte Zhengyi. Cela ne signifie cependant pas que tous les problèmes ont été résolus. Au contraire, la situation échappe encore à tout contrôle, surtout dans les campagnes.

Une troisième manifestation de la vitalité du taoïsme non officiel est la resurgence des sectes secrètes. Leurs activités sont souvent dénoncées par les organes officiels. Un réglement approuvé en septembre 1983 par le comité permanent de l’assemblée nationale du peuple a fixé des châtiments pour “quiconque organise des sociétés ou des sectes secrètes réactionnaires, utilise des croyances et des superstitions féodales pour mener des activités contre-révolutionnaires et mettre en sérieux péril la sécurité du pays”25. Est particulièrement active la secte Yiguan Dao, au point que sa propagation a été, avec le danger créé en diverses provinces par l’activité des sectes, la première question abordée par la “conférence nationale sur le travail religieux” convoquée par le Conseil de l’Etat en décembre 1990.

Tout cela démontre que la situation actuelle du taoïsme en Chine est assez complexe et instable. Le conflit est évident. D’un côté, les pouvoirs civils encouragent, sous leur entier contrôle, le développement des “belles traditions du taoïsme” qui consistent à : “considérer le temple comme sa propre maison, tâcher de se suffire financièrement, se livrer aux activités religieuses régulières, protéger le patrimoine culturel et artistique, prendre part au travail de production et à la sylviculture, faire progresser la médecine, développer les services d’assistance, contribuer à améliorer le niveau d’instructionD’un autre côté, des individus et des groupes étroitement liés aux masses prennent des initiatives et mènent des activités sur un tout autre plan, en fréquent désaccord avec les organes de contrôle officiels.

III – LE TAOISME EN DEHORS DE LA REPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE

1. Le taoïsme à Taiwan

On admet que le taoïsme a pénétré à Taiwan vers 1590, apporté par des daoshi de la secte des Trois soeurs (Sannai) du mont Lu Shan de Zhangzhou (Fujian). En 1740 arrivèrent aussi des membres de la secte Zhengyi du mont Mao Shan. Bien que certains se déclarent aujourd’hui adeptes de la secte Quanzhen, celle-ci n’a pas vraiment pénétré dans l’île, dont les contacts avec le Fujian et la région de Canton ont dépassé de loin ceux qu’elle a eus avec le nord de la Chine.

La secte Zhengyi a atteint son apogée en 1950 avec l’arrivée à Taiwan du soixante-troisième Maître céleste, Zhang Enbu, qui chercha à unifier tous les groupes taoïstes en établissant en 1966 l’association taoïste chinoise. Après sa mort, en 1969, il eut pour successeur à Tainan, centre du taoïsme taiwanais, son neveu Chang Yuan-hsien, qui fut loin d’hériter de la même autorité. A partir de 1978 s’est fait sentir une meilleure coordination grâce à l’ouverture d’un centre religieux commun.

Les daoshi, qui ont en général une famille, vivent au milieu de la population et célèbrent leur culte dans de petits temples ou devant des autels privés. Ils se divisent en daoshi “à bonnet noir” et daoshi “à bonnet rouge”. Ces derniers pratiquent généralement les cérémonies demandées par les gens et les rites plus populaires considérés comme “petits rites” comme les gestes de guérison, les enchantements, les actions contre le mauvais oeil et la malchance, les divinations, la chiromancie, etc. Quant aux “grands rites” qui concernent la vie de la société, la paix et l’harmonie universelle, le culte envers les défunts comme les funérailles et les rites de suffrage (jiao-zhai), les daoshi “à bonnet noir” s’en estiment les spécialistes, en regardant les autres pratiques comme hétérodoxes. En fait, cependant, tous les daoshi font les rites qui leur sont demandés et payés.

Les daoshi “à bonnet rouge” appartiennent à diverses traditions dont les principales sont l’école du Maître céleste, celles de Laojun, de Lingbao, des Trois soeurs de Lu Shan, etc. En l’absence de centralisation les sectes restent séparées. Chacune prétend détenir l’orthodoxie. Chaque maître cherche à garder secrets les noms des divinités protectrices, les formules et les rites, de façon à se montrer plus puissant vis-à-vis d’autres maîtres et des divinités qui pourraient lui faire du tort. Les rites des daoshi “à bonnet rouge” utilisent la musique, la danse au rythme des tambourins et du gong, les moulinets de lances et d’épées, les exercices d’arts martiaux et une abondance d’actions spectaculaires: exorcismes, démonstrations de résistance à la douleur, au feu, aux coups et aux blessures (grimper une échelle de lames, marcher sur des morceaux de verre, etc.). Leur école la plus populaire est celle des Trois soeurs qui pratique une forme de possession chamanique et des exorcismes.

Les daoshi “à bonnet noir” se targuent de fonder leurs rites sur les pratiques moins spectaculaires de la méditation et de la concentration de l’énergie interne.

Le taoïsme jouit d’un prestige auprès des intellectuels en tant que philosophie, pas comme religion. C’est comme tel au contraire qu’il est vivant dans les masses populaires, surtout par ses rites solennels et collectifs, jiao et zhai en particulier. Le taoïsme qui se rencontre actuellement à Taiwan semble se réduire à une voie pragmatique, à une méthode ou technique, étroitement liée à la religiosité populaire, de contrôle et de maîtrise des puissances spirituelles pour en obtenir les avantages souhaités.

En 1993, il y a plus de huit mille temples taoïstes déclarés à Taiwan.

2. La taoïsme à Hongkong et à Macao

Si l’on considère l’histoire des temples qui existent à Hongkong et dans la région voisine, “il ne fait aucun doute que le taoïsme y a pénétré avant le début du dix-huitième siècleLes principales divinités auxquelles les temples sont dédiés sont Tianhou (la reine du ciel à qui plus de vingt d’entre eux sont dédiés), Beidi (Pak Tai, l’empereur du nord), Wenwu (Wen Chang ou Man Mo, dieu de la littérature), Guandi (ou Kuan Yu, dieu de la guerre).

En ce qui concerne les sectes et les groupes taoïstes, la première secte établie à Hongkong a été la Xiantian Dao, secte de la nature originelle, qui a ouvert en 1912 le centre Wanfotang, principalement comme lieu de spiritualité et de repos pour les femmes, puis le centre Zhilantang en 1913, le Daodehui Longqingtang en 1924, le Zixiayuan en 1926, etc. Est arrivée en deuxième lieu la secte Quanzhen, en particulier son école Longmen, venue surtout des centres des monts Xijiao Shan (district de Nanhai, province de Canton) et Luofu Shan (district de Boluo). Le Qingsong Guan, fondé à Tun Mun en 1949, se rattache au premier de ces centres ; le temple de Wangdaxian (Wong Tai Sin), au second. Ils maintiennent encore des contacts et une coopération avec leurs centres d’origine. Ainsi que nous l’avons noté, la reprise des rapports avec la Chine dans les dernières années permet aux centres et associations taoïstes de Hongkong de renouer des liens avec le continent et d’y faire parvenir des aides financières pour la réparation ou la reconstruction des temples.

Mérite aussi une mention spéciale l’école Chunyang de la secte pour avoir répandu à Hongkong le culte au plus populaire des Huit immortels, Lu Dongbin.

En juin 1961 les représentants des divers centres ont entamé des pourparlers en vue de la fondation de l’association taoïste de Hongkong, qui a fini par voir le jour en 1966 et été déclarée au gouvernement en 1967. Elle est aujourd’hui composée de soixante-cinq sociétés ou organismes membres dont l’un des plus grands est l’institut Yuanxu et son temple des Trois religions à Tsuen Wan. Les autres grandes sociétés taoïstes sont : la société de la svastica rouge (ongwanzihui ), fondée dans le Shandong en 1917, qui prône l’unité des cinq religions (confucianisme, taoïsme, bouddhisme, christianisme et islam) et fournit des services d’assistance sociale ; la sainte assemblée de la vertu céleste (Tiande Shengjiao), fondée en 1937 sur les monts Gialli, qui a huit centres de culte à Hongkong ; la Voie de la révélation céleste (Tianqi Dao), fondée à Canton en 1935 par Lu Jiabing qui l’a amenée à Hongkong après la guerre ; la Voie de l’unité (Yiguan Dao), fondée au dix-septième siècle et qui s’est développée à Hongkong sous le nom de Voie du ciel (Tian Dao), surtout depuis les années 20 et 30.

L’association dirige quatre écoles secondaires, six écoles élémentaires et quatre asiles. Les autres sociétés taoïstes indépendantes, qui sont en général plus petites, sont une soixantaine et ont aussi des établissements scolaires. Après la secte Xiantian Dao, qui a ouvert la première des maisons de retraite pour les vieux, les autres associations se sont elles aussi engagées en divers services sociaux d’assistance. Il y a aussi des membres de ces sociétés taoïstes qui dirigent à titre personnel des écoles, des cliniques, des maisons de retraite et d’autres foyers de charité.

Les dons privés sont la source principale de leurs financements. Leurs autres recettes proviennent des restaurants végétariens ouverts dans presque tous les centres, des cours organisés en diverses disciplines : gymnastique thérapeutique, arts martiaux…, de la vente d’articles religieux (en particulier les lanternes de la fête Yuanxiao), de la garde des tablettes des morts (et des cendres en certains endroits des Nouveaux territoires), des cérémonies de suffrage le premier et le quinze de chaque mois.

Le taoïsme, grâce à sa prise sur la psychologie des gens simples, à ses réponses immédiates à leurs demandes, à la vivacité de ses rites, s’épanouit dans les villes comme dans les campagnes. On fête solennellement les diverses divinités et les immortels : Beidi, Tianhou, Lu Dongbin, Guandi et Wangdaxian, etc. Sur l’île de Cheung Chau, se célèbre chaque année pendant trois jours, au début du quatrième mois lunaire, le jiao de renouveau et de purification par la paix sous la protection de Beidi, l’empereur du nord, devant le temple du même nom. Les officiants sont originaires de Haifen (province de Canton) selon la tradition du Fujian, et la cérémonie a pour but d’obtenir la paix et la prospérité pour l’île et de se réconcilier les esprits affamés. Un autre jiao de trois jours est célébré dans le même but une fois tous les dix ans au village de Longyuetou dans les nouveaux territoires, par le clan des Tang, selon la tradition cantonaise.

Les principales publications taoïstes locales sont : Dao Xin (le coeur du Tao”), l’annuaire de l’association taoïste de Hongkong publié depuis 1978 ; Dao Sheng (la voix du Tao), publié tous les quatre mois par le centre Qingyun Gudong ; le mensuel Shengshan du centre de même nom ; Da Dao (le grand Tao), publié tous les quatre mois par la maison d’édition du même nom ; et Daojia Wenhua Yanjiu (recherches sur la culture taoïste), créé en 1922 par l’institut taoïste de Hongkong.

Actuellement le nombre des taoïstes de la colonie, difficile à calculer, doit avoisiner cent mille, avec environ mille daoshi qui, en général, ne vivent pas dans les temples mais avec leur famille. Il y a plus de cent vingt temples, petits et grands, répartis un peu partout. Les plus grands sont surtout dans les Nouveaux territoires.

L’histoire des temples locaux fait remonter la présence du taoïsme à Macao au quinzième siècle. Ils sont surtout dédiés à Mazu, Wen Chang, Guandi, Beidi, Danxian, Chenghuang et en particulier aux divinités marines, Tianhou, Zhudaxian et Sanpo.

Les sectes les plus représentées sont, comme à Hongkong, la secte Quanzhen,avec ses écoles Longmen et Chunyang (culte de Lu Dongbin), la secte Xiantian Dao (qui semble toutefois devenue peu active) et la secte secrète Yiguan Dao. En 1974 a été fondée la fédération confucéenne, bouddhiste et taoïste de Macao, qui entretient des relations avec son homologue taoïste de Hongkong.

3. Le taoïsme dans la diaspora chinoise

Le taoïsme présent à Singapour doit son origine aux régions de Canton et du Fujian. Les principaux temples, coordonnés dans une union par le gouvernement, sont dédiés à l’empereur de jade (Yuhuang), Guandi, Mazu, Chenghuang, Dabogong, etc. Les fêtes annuelles de ces divinités donnent lieu à des célébrations populaires marquées de rites fastueux avec musiques et danses, de banquets et de représentations théâtrales.

L’association générale taoïste de Singapour lancée en 1990 a rassemblé trente-deux temples ou groupes taoïstes. Le président, Chen Guoxian, était assisté de plus de soixante-dix conseillers. En 1991 des maîtres taoïstes de Taiwan ont été invités pour assurer la transmission authentique des ordinations et des titres. En 1993 Chen Yemau a été élu président et Chen Guoxian, secrétaire général. Outre des cours de formation pour les novices dans chaque temple, l’association organise des enseignements pour les gens de tout âge.

Que ce soit par ses rites et ses exorcismes ou par les études de sa philosophie, le taoïsme prospère aussi dans les pays du sud-est asiatique comme la Thailande, la Malaisie et l’Indonésie. Il est présent en Corée et au Japon, surtout comme objet de recherche. Une association universitaire japonaise compte plus de cinq cents spécialistes de l’étude du taoïsme. A Hawai et dans les diverses communautés chinoises de la diaspora, le taoïsme est vivant par ses associations et ses temples populaires. Dans un climat de progrès technique et d’industrialisation qui pousse à tout laïciser, la présence taoïste contribue souvent à la renaissance des valeurs et des coutumes chinoises traditionnelles.

Le taoïsme est également présent en Occident par divers instituts de recherche sur sa philosophie. Au Canada il y a environ trente mille taoïstes qui ont leur siège à Toronto.

G L O S S A I R E

Bagua (Pa Kua) : “les huit diagrammes”. C’est la composition circulaire de huit symboles formés chacun de trois lignes (entière, symbole du yang, le principe positif, ou coupée en deux, symbole du yin, le principe négatif). Créés, dit-on, par l’empereur Fuxi de la légende d’après les signes des écailles de la tortue, ils décriraient tous les changements de la nature et de ses cycles saisonniers qui, de par leur influence sur le monde, sont aussi en relation avec l’histoire et la vie individuelle et sociale de l’homme. C’est donc devenu un instrument de base de la divination.

Selon la tradition, c’est en étudiant et commentant les Bagua que l’empereur Wen Wang (1231-1135 avant J.C.), fondateur de la dynastie Zhou, alors qu’il était prisonnier d’un usurpateur, écrivit le Yi Jing, le classique des mutations, autre instrument de divination.

Baxian : “les huit Immortels” du panthéon taoïste. Les trois plus fameux sont Lu Dongbin (médecin des pauvres par ses remèdes tout-puissants et son pouvoir sur les esprits mauvais), Tieguai Li (“Li à la jambe de fer”, qui malgré son allure de mendiant est toujours secourable aux pauvres) et Zhang Guolao (représenté habituellement à califourchon sur un âne, mais tourné vers sa croupe, le protecteur des époux, qui leur assure des enfants, spécialement des garçons).

Dao (Tao) : c’est l’idée centrale du taoïsme qui a pris au cours du temps diverses significations. Le mot signifie littéralement la voie, le chemin, le sol qui soutient les pas, sur lequel on marche, sur lequel s’écoule la vie, c’est-à-dire le fondement qui donne stabilité à l’existence. Au sens figuré, le mot a pris une signification morale : sentier de la vertu, loi naturelle, principe moral, vérité.

Le Tao est le principe, la loi inscrite dans l’univers et dans la nature humaine (à la fois immanente et transcendante), qui détermine la voie de la conduite de l’homme. Le but de la vie humaine est donc d’être en harmonie avec le Tao, de devenir, par des pratiques et des exercices particuliers, l’instrument et le moyen de manifestations toujours plus dociles de sa puissance, de manière à retrouver l’état originel d’ “intégrité naturelle” et donc de perfection et d’immortalité (l’idéal de devenir xian, immortel).

Du point de vue physique, le Tao, principe dynamique de la nature, de la loi naturelle et de l’ordre de la nature, est absolu et éternel, parfaitement neutre et impartial dans son mode d’agir, caractérisé par l’interaction des deux principes yin-yang (négatif et positif) et du principe de l'”éternel retour” (cercle éternel).

Du point de vue ontologique, il désigne le principe originel, la racine ou l’origine universelle, la réalité absolue qui est donc aussi la cause finale, la réalité ultime, l’Absolu, Dieu (mais non personnalisé comme dans la tradition chrétienne). De ce point de vue il est indicible, indescriptible, imperceptible, inconnaissable et, précisément pour cela, il fonde un sentiment de révérence et de crainte devant le mystère et la beauté que l’univers manifeste par sa silencieuse et continuelle transformation. Etant l’origine première de toute existence, il ne peut pas être identifié avec elle, ni avec le tout ni avec une partie. Il est à la base de l’existence et, du point de vue matériel, il n’existe pas, mais il fait exister. Il est la base et la racine de l’unité du tout.

Daoshi : clergé ou agents religieux taoïstes. Ils se divisent en deux groupes:

Chujia daoshi : célibataires, ils vivent dans les temples et appartiennent en général à la secte Quanzhen ;

Houju daoshi : ils fondent une famille, vivent au milieu des gens ordinaires et opèrent dans leur propre temple, tout en pouvant aller dans les temples publics. Ils appartiennent généralement à la secte Zhengyi.

Guan (ou Daoguan ou Gongguan) : temple ou centre taoïste, qui peut comprendre gong (temple), daoyuan (couvent), miao, an, ou dian (temple, sanctuaire) et yuanlin (jardin et bois).

Jiao (ou zhai-jiao) : cérémonie taoïste accomplie annuellement ou à quelques années d’intervalle, pouvant durer depuis trois, quatre ou cinq jours jusqu’à soixante, ayant pour but le renouvellement cosmique de la vie d’un clan, sa communion avec le Tao et le culte des morts. Dans les premiers siècles du taoïsme, l’ensemble complexe des rites de purification, de réconciliation et d’union avec les forces supranaturelles était appelé zhai. Ce mot en est venu à signifier surtout les rites envers les morts, et le terme jiao a désigné les autres types de cérémonies. Actuellement jiao et zhai sont accomplis ensemble et la cérémonie comprend donc en général trois types de rites : rites de supplication, de repentir et de réconciliation avec les esprits pour recevoir leurs bénédictions, rite d’union avec le Tao accomplie symboliquement par le daoshi qui préside (heyi), rites de suffrage pour les âmes des morts de la communauté (rite pudu en particulier, présentations d’offrandes et de nourriture pour nourrir les esprits errants affamés).

Lina-Dan : alchimie. C’est un secteur important de la recherche taoïste qui tient, sur la base de la théorie de l’interaction des deux principes yin et yang, que les éléments et les formes de la nature changent graduellement et que la nature de l’homme peut donc être modifiée et perfectionnée jusqu’à devenir immortelle. L’alchimie chinoise a commencé comme wai-dan, alchimie externe, par des expériences matérielles de transformation des matériaux inorganiques, spécialement des métaux, en vue de les transformer en or et de trouver la pilule d’immortalité : “combinaison des deux grands désirs de l’homme, la richesse et une longue vieNei-dan, l’alchimie interne ou spirituelle, est l’ensemble des efforts : pratiques ascétiques, exercices spirituels de communion avec la nature, exercices de respiration et de gymnastique, usage de médecines minérales et de drogues végétales, par lesquels on pense pouvoir transformer le corps et l’esprit de l’homme en la substance d’un être éthéré (shenxian) doté de pouvoirs surnaturels.

Monts taoïstes célèbres : il faut avant tout mentionner les cinq montagnes sacrées : Tai Shan (Shandong), Heng Shan (Hunan), Hua Shan et Song Shan (Henan), Heng Shan (Hebei), auxquelles on peut ajouter celles qui sont devenues des centres fameux dans l’histoire du taoïsme comme Longhu Shan et Gezao Shan (Jiangxi), Mao Shan (Jiangsu), Qingcheng Shan (Sichuna), Luofu Shan (Guangdong), Zhongnan Shan (Shaanxi), Wudang Shan (Hubei), Lu Shan (Shandong), Wei Shan (Yunnan),etc.

San Qing : les “Trois purs”, qui constituent la trinité taoïste. Ce sont Yuqing ou Yuhuang (l’empereur de jade ou Yuanshi Tianbaojun), Shangqing Linbao Tianjun (ou Taishang Daojun) et Taiqing Daode Tianjun (ou Taishang Laojun, c’est-à-dire Laozi).

Shou Shan (ou Xian Jing) : le paradis taoïste, les peintures et sculptures qui le représentent.

Wu-ei : littéralement “la non action”, ce qui ne signifie cependant pas la passivité ou l’inertie, mais n’entreprendre aucune action naturelle ou artificielle, donc ne pas se préoccuper d’agir, ne pas agir par intérêt ou égoïsme, agir avec une véritable spontanéité et liberté.

Yangsheng (ou Yangqi) Shu : l’art de cultiver la vie (de nourrir l’énergie vitale). C’est l’ensemble des techniques : respiration, gymnastique, massothérapie, héliothérapie, alchimie, pharmacopée, diététique et techniques sexuelles que les maîtres taoïstes ont proposées comme moyens efficaces d’atteindre l’idéal de longévité et d’immortalité. Les exercices de respiration et de gymnastique, couramment appelés Qigong ou Gongfu, comprennent différentes séries, simples ou complexes, dont les plus populaires sont : Daoyin, gymnastique pour guider les arts, Taijiquan, suite de mouvements lents et harmonieux, Yijinjing, le classique de la relaxation musculaire, Baduanjin, combinaison de huit exercices, Wuqinxi, les jeux des cinq animaux.

Yang-Yin : les deux principes ou éléments fondamentaux de la nature, négatif et positif, qui tour à tour agissent l’un sur l’autre et se complètent. Yang est le soleil, la lumière, le jour, le masculin, la force, l’action, l’attaque, la montée, la montagne… Yin est la lune, les ténèbres, la nuit, le féminin, la faiblesse, la passivité, la réceptivité, l’affaissement, la descente, la vallée…

You-Wu (ne pas être/être, vide/existence). C’est la théorie dont se sert Laozi dans le Daodejing non seulement pour expliquer la réalité primordiale de la cosmologie et de la nature (c. 40 : “Tout sous le ciel dérive du You, mais le You dérive du Wu“), mais aussi pour déterminer les principes qui orientent la vie de l’homme et les attitudes fondamentales de sa conduite, sa vie spirituelle (l’idéal de l’eau qui sans disputer descend en bas, de la vallée obscure, du vase vide…), le bon gouvernement, et même la bonne santé et l’art de se défendre (céder pour vaincre, le faible qui bat le fort).