Climat de crise politique
Le 2 juillet, vers 17 heures, environ 300 militaires, à bord de 12 véhicules, quittent leur caserne de la région de Prey Veng et prennent la direction de Phnom Penh. Ils sont stoppés vers 20 heures à 25 kilomètres au sud de la capitale sans aucune résistance. Les résidences du prince Norodom Chakrapong et du général Sin Song, sont encerclées par les troupes gouvernementales: on y trouve un petit nombre d’armes et d’instruments de communication. Le général Sin Song est placé en état d’arrestation, le prince Chakrapong, sur l’intervention expresse de la reine Monique, est exilé en Malaisie. 14 Thaïlandais sont arrêtés à l’aéroport de Pochentong, le 3 juillet, alors qu’ils prennent l’avion pour rentrer dans leur pays.
C’est le second-Premier ministre Hun Sen en personne qui dirige la réaction gouvernementale au « coup d’Etat ». Sâr Kheng, ministre de l’Intérieur, ne sera mis au courant que lorsque presque tout sera terminé. Hun Sen fait d’ailleurs arrêter plusieurs personnalités proches de Sâr Kheng: le général Sin Sen, promu quelques jours auparavant secrétaire d’Etat au ministère de l’Intérieur, et Tes Chhoy, chef de la police militaire. Un mandat d’arrêt est lancé à l’encontre de Sok Chamran et de Chin Sarann, qui occupent deux postes importants au ministère de l’Intérieur, ainsi qu’à l’encontre du Colonel Sar Moline, proche de Sin Song. Chay Sang Yun, secrétaire d’Etat à la Défense, et soupçonné de complicité, s’est enfui au Vietnam, après avoir été interrogé par Hun Sen. Tel est le film du « coup d’Etat ».
* Le prince Norodom Chakrapong, demi-frère du premier-Premier ministre, Norodom Ranariddh, était membre du Prachéachon (Parti communiste cambodgien, PCC), depuis 1989. C’est le fils préféré de Sihanouk, mais l’ennemi juré de Ranariddh. En juin 1993, pour s’opposer au verdict des urnes qui faisait du FUNCINPEC (parti royaliste dirigé par Ranariddh) le vainqueur des élections, il avait tenté, avec les généraux Sin Song et Bou Thang, d’entraîner les 7 provinces de l’Est cambodgien en sécession, pour créer « la région autonome de Monseigneur Papa ».
Après quelques jours d’exil, sur pression du gouvernement cambodgien, il doit quitter la Malaisie; les autorités khmères exigent son départ comme condition préalable à la visite officielle du prince Ranariddh, premier-Premier ministre, qui doit avoir lieu durant la seconde quinzaine d’août et pendant laquelle d’importants accords commerciaux doivent être signés. Il gagne alors la Thaïlande et, à nouveau sur pression du gouvernement cambodgien, il y est déclaré « personna non gratale 25 août. Quelques jours plus tard, il se réfugie en France, où il possède une maison à Montpellier.
* Sin Song, né en 1947, a servi dans les rangs khmers rouges jusqu’en 1977, date à laquelle il s’est réfugié au Vietnam. Nommé vice-ministre de l’Intérieur en 1981, puis ministre de l’Intérieur de 1988 à 1993, il a pu tisser un réseau d’allégeances à l’intérieur de l’appareil militaro-policier du pays. Jugé « trop soupleil a été remplacé comme ministre de l’Intérieur, par Sâr Kheng, beau-frère de Chéa Sim, chef de l’Etat par intérim et président de l’Assemblée nationale.
* Comme les deux auteurs du « coup d’Etat » s’étaient rendus plusieurs fois en Thaïlande et au Vietnam durant les semaines précédentes, le gouvernement cambodgien accuse des Thaïlandais d’y être impliqués. Ils avaient été reçus par le secrétaire du général Sin Song à leur arrivée au Cambodge, le 1er juillet. On les soupçonne notamment d’avoir été recrutés comme tireurs d’élite pour assassiner les deux co-Premiers ministres et d’autres personnalités cambodgiennes, ou comme techniciens pour couper les lignes téléphoniques et les lignes électriques. Des vêtements militaires ont été trouvés dans leurs bagages. Le 6 juillet, Hun Sen innoncente le gouvernement et l’armée thaïlandaise de toute participation au coup d’Etat, mais n’exclut pas celle d’individus. Il innocente également le Vietnam.
Le maintien de 14 citoyens thaïlandais au Cambodge pour « enquête » pendant plus de trois mois cause une tension croissante avec la Thaïlande; 5 seront autorisés à quitter le pays dès le 19 août. En échange, le gouvernement cambodgien demande et obtient la possibilité d’aller interroger 15 autres personnes en territoire thaïlandais, pour complicité dans le coup d’Etat, mais cette autorisation ne sera pas utilisée. Le gouvernement cambodgien soupçonne notamment le lieutenant colonel Adul Boonsert, proche de ministre de l’Intérieur thaïlandais, et Thanongsak Surathananan, directeur d’une entreprise de télécommunication et employeur de 10 des 14 Thaïlandais initialement retenus par les autorités cambodgiennes. Adul Boonsert avait réussi à s’enfuir du Cambodge en voiture, le 3 juillet, après l’échec du coup d’Etat.
Trois mois après le « coup », on en est toujours réduit aux hypothèses sur les réels commanditaires. Si ses deux auteurs avaient quelques raisons de monter ce coup (quelques jours auparavant, les parlementaires avaient refusé de les réintégrer dans l’Assemblée nationale, après qu’ils se soient démis de leur mandat de député après leur tentative de sécession de juin 1993, ils semblent avoir agi sur ordres de personnalités qui les auraient lâchés en cours d’opération. Aux arrêts, le général Sin Song menace de révéler le nom de « très hautes personnalités qui le soutenaientmais il n’en fait rien. Le 6 juillet, Sâr Kheng lui-même, ministre de l’Intérieur, doit se défendre d’être derrière le coup d’Etat.
* Est-ce une tentative de certains militaires ou de personnalités politiques visant à s’opposer à la politique de Sihanouk qui refuse de signer le décret déclarant les Khmers rouges « hors-la-loi », comme l’aurait dit Sin Song? Est-ce un coup pour faire revenir Sihanouk au pouvoir, comme le soutien Sâr Kheng? Est-ce une tentative lancée en sous-main par Chéa Sim, chef de l’Etat par intérim et président de l’Assemblée nationale, pour se débarrasser de Hun Sen, chef de la branche opposée à la sienne au sein du Prachéachon? Est-ce une tentative de Hun Sen pour discréditer Sâr Kheng?
Il semble que « le coup d’Etat » ne soit guère plus finalement qu’un « coup de théâtredestiné à régler des conflits de tendances au sein du Prachéachon, notamment contre Hun Sen, mais ce dernier a retourné les événements en sa faveur. Pour anéantir la tentative de coup d’Etat, il a utilisé les éléments de la police et de l’armée du FUNCINPEC, contre ceux du Prachéachon, puis il a tenté de faire le ménage. Il aurait fourni une liste de 43 personnes à arrêter, soupçonnées d’être impliquées dans le coup d’Etat.
Selon plusieurs observateurs étrangers, Sâr Kheng, qui a la confiance des Etats-Unis (et peut-être Chéa Sim, chef de l’Etat), n’auraient pas osé pousser leurs pions trop loin, leurs partisans d’Outre-Atlantique refusant de reconnaître un gouvernement issu d’un putsch. Comme par hasard, le 4 septembre, Sin Song, placé en prison sous le contrôle du ministère de la Défense, s’échappe, bénéficiant à l’évidence de complicités. Depuis le mois d’août se font entendre des rumeurs de remaniement au sein de l’équipe dirigeante. Lors du Congrès du Prachéachon, les 5-6 septembre, le bruit court que Sâr Kheng va être nommé second-Premier ministre à la place de Hun Sen. Ce dernier, parti en France le 2 septembre pour « raisons de santé » (ses deux enfants sont dans une famille bourgeoise de Versailles), rentre précipitamment à Phnom Penh. Il déclare le 20 septembre qu’un remaniement ministériel est prévu, afin de renforcer le pouvoir du cabinet. On envisagerait de fait d’affablir la tendance Sâr Kheng-Chéa Sim, en changeant 7 ministres et 5 commandants de régions militaires, ainsi qu’un certain nombre de fonctionnaires du ministère de l’Intérieur et de la Défense.
Le changement ministériel a lieu le 20 octobre, mais est moins ambitieux que prévu, et n’a pas visé de personnalités du Prachéachon. Par 90 voix contre 13, l’Assemblée nationale vote la restructuration du gouvernement; Sam Rainsy, ministre des Finances (FUNCINPEC), Kong Sam Ol (PCC), ministre de l’Agriculture, et Var Huot (PCC), ministre du Commerce, sont respectivement remplacés par Kéat Chhon (PCC), Tao Seng Huor (FUNCINPEC) et Cham Prasith (PCC). Selon le premier-Premier ministre, ces changements ont pour but de renforcer l’efficacité du gouvernement. Le 25 octobre, le prince Norodom Sirivuddh, ministre des Affaires Etrangères donne sa démission « pour raisons de santé ».
* Selon la quasi-totalité des observateurs étrangers, Sam Rainsy était le ministre le plus compétent et le plus honnête membre du gouvernement, mais sa lutte ouverte contre la corruption dérangeait trop d’intérêts, sa popularité, même au sein du FUNCINPEC, offensait Ranariddh. Volontiers populiste, il n’avait pas particulièrement l’art de la communication avec ses collègues ou ses subalternes, comme le reconnaît Saumura Tioulong, son épouse et directrice de la Banque nationale du Cambodge. Plusieurs altercations l’avaient mis aux prises avec le ministre du Commerce. Il avait su attirer la confiance du FMI (Fonds monétaire international) et celle des investisseurs étrangers.
Depuis janvier, les deux co-Premier ministres désiraient renvoyer l’empêcheur de s’enrichir en rond. Le roi Sihanouk leur avait écrit plusieurs lettres, la dernière fois le 17 octobre, exprimant sa crainte que le départ du minstre ne soit un danger pour la reprise économique du pays. Sam Rainsy quitte son poste en grand seigneur, « sans amertumedit-il, avec la conscience d’avoir bien rempli ses fonctions. La monnaie cambodgienne a immédiatement connu une chute de près de 8% de sa valeur. Dans les campagnes, les gens critiquent ouvertement les autorités qui renvoient un homme intègre qualifié de « héros national » par le roi.
Keat Chhon, son remplaçant est également un homme honnête et efficace, qui s’est engagé à suivre la ligne de Rainsy.
* Le prince Sirivuddh, demi-frère du roi, démissionne par solidarité avec son collègue et ami Sam Rainsy. Il estime d’autre part que le gouvernement manque de respect pour le roi, n’ayant suivi aucun de ses conseils, et exprime son désaccord avec Hun Sen. « Je suis un homme fier, dit-il « je préfère partir avant qu’on ne me chasse. Sam Rainsy fait l’éloge de son collègue, comme d’un « homme de principes, dont le pays a besoin ».
Après les multiples pressions de la part des autorités thaïlandaises à tous les niveaux, après l’intervention d’Amnesty International et d’autres associations de Défense des droits de l’homme, de Michael Kirbi, délégué de l’ONU pour la protection des droits de l’homme au Cambodge, ainsi que du roi Sihanouk, les 9 Thaïlandais, mis initialement en résidence surveillée dans un hôtel, puis dans la sinistre prison T3, sont jugés le 28 octobre. Le procès semble avoir été volontairement bâclé pour mettre fin à une situation embarrassante pour tous. Deux jours avant le jugement on savait que les inculpés seraient graciés. Les inculpés sont reconnus coupables de conspiration pour renverser le gouvernement, de possession illégale d’armes, et d’« avoir trahi la révolutionmais sans que des preuves vraiment convaincantes aient été avancées. Ils ont été condamnés de 2 à 5 ans de prison. Immédiatemment graciés par le roi Sihanouk à l’occasion de son anniversaire (le 31 octobre), ils sont renvoyés chez eux le jour même. Désormais 34 Thaïlandais sont interdits de séjour au Cambodge pour participation au coup d’Etat.
* Le premier ministre thaïlandais ordonne que soit faite une enquête en Thaïlande pour que soient recherchés les coupables qui ont terni l’image du pays. Après le jugement, il remercie chaleureusement le roi Sihanouk pour son intervention efficace dans l’affaire.
* La Thaïlande reconnaît implicitement que des hommes d’affaires et des ministres thaïlandais étaient réellement impliqués dans le coup d’Etat; le général Wimol Wongwanich, chef d’Etat major de l’armée thaïlandaise, annonce que les officiers qui étaient au Cambodge pour affaires personnelles au moment du coup d’Etat seront punis. Thaksin Shinawatra, propriétaire d’une grande partie de la télévision du Cambodge, pressenti pour être ministre des Affaires étrangères de Thaïlande, est évincé de la candidature à ce poste.
* Les autorités thaïlandaises invitent les investisseurs de leur pays à « tirer les leçons » de ce qui vient de se passer, et à ne pas se comporter comme en pays conquis (The Nation du 29.10.94).
Tous sont d’accord pour reconnaître que les vrais coupables sont ailleurs, le prince Chakrapong et le général Sin Song sont condamnés par contumace à vingt ans de prison, le général Sin Sen à 18 ans de prison ferme. Tes Chhoy condamné à trois ans avec sursis; 8 autres généraux à 15 ans de réclusion par contumace.
Le coup d’Etat procure aux autorités cambodgiennes l’occasion de surveiller plus strictement la presse nationale et internationale, ainsi que les activités des étrangers.
* Ainsi, le 8 juillet, Nguon Non, directeur du journal « Nouvelles du matinest incarcéré, pour avoir écrit que 15 généraux, dont Sâr Kheng, étaient compromis dans le coup d’Etat. Il est libéré le 26 juillet, après trois semaines de détention. C’est la deuxième fois que le journaliste est incarcéré. En mars, il a été libéré sur intervention d’Amnesty International. Depuis le 8 juillet, les 2 co-ministres de l’Intérieur ont menacé les journaux de fermeture. Ineg Mouly, ministre de l’Information, a demandé l’inspection de 2 journaux (FEER du 18.08.94).
* Le 7 septembre, Non Chan, directeur du journal « La voix de la jeunesse » est abattu d’une balle dans le dos, tirée par un tueur à moto. Comme il avait accusé plusieurs hommes politiques de corruption, on accuse des membres du FUNCINPEC d’être commanditaires du meurtre. Le 11 juin, Thou Chhan Mongkol, directeur d’un journal, a également été assassiné dans la rue.
* La société privée thaïlandaise de télévision IBC opérant au Cambodge refuse désormais de diffuser des nouvelles des activités d’ONG qui seraient critiques à l’égard du gouvernement cambodgien.
Ieng Mouly, ministre de l’Information, projette de lancer des actions de justice contre 5 journaux locaux qui diffusent de fausses nouvelles ou des accusations de personnes. Il est vrai que les journalistes cambodgiens ont peu de formation, et diffusent peu de nouvelles objectives, mais le plus souvent des prises de position partisanes ou des attaques personnelles plus ou moins fondées. La presse locale comprend près de 30 titres, à la durée de vie éphémère.
Les journalistes de la presse internationale sont inquiétés quand ils dénoncent la corruption, et donnent ainsi une image défavorable du Cambodge à l’étranger. Le 28 octobre, 2 reporters du journal français « Libération » se voient refuser leur visa pour avoir rapporté des « histoires non fondées » mettant en cause des ministres pour corruption. 800 agents recrutés par le ministère de l’Intérieur seraient chargés d’écouter les conversations téléphoniques des étrangers et de lire leurs télécopies. Des pressions sont exercés, avec armes à l’appui, sur les société louant des téléphones mobiles pour obtenir le listing des communications (FEER du 06.10.94).
Les associations de défense des droits de l’homme sont également inquiétées par les autorités cambodgiennes. A la fin du mois de juillet, Julio Jeldres, directeur de l’Institut khmer pour la démocratie, s’est vu menacer d’expulsion pour avoir proposé un débat sur la mise des Khmers rouges « hors-la-loiRanariddh, premier Premier-ministre, a interdit aux membres du gouvernement de participer à ces débats. Certaines associations menacent de mener une campagne pour lier l’octroi d’aides internationales au respect des droits de l’homme.
En l’absence de lois sur les associations, une circulaire du ministère de l’Intérieur du 6 juillet tente de mettre de l’ordre dans les organisations non gouvernementales, cambodgiennes ou internationales. On en revient progressivement aux règlements restrictifs de l’Etat du Cambodge: annonce de toute réunion, de tenue de séminaire, d’ouverture de cours, au moins 5 jours à l’avance, rapport mensuel d’activités, etc. Il est vrai que l’anarchie prévalant jusqu’à présent a pu occasionner des désordres, plusieurs ONG cambodgiennes abusant de leur statut, comme il est signalé à juste titre dans la circulaire, pour soutirer de l’argent aux plus pauvres, faire du marché noir, mener des activités autres que celles prévues par les statuts de leurs associations. Des visites de fonctionnaires sont opérées au siège de nombreuses associations. Une circulaire du 12 octobre invite les multiples confessions chrétiennes à s’unifier et à respecter les lois du Royaume. Désormais, l’Etat ne reconnaîtra que deux confessions chrétiennes: les catholiques, qui ont désormais un ambassadeur auprès du roi, et les protestants.
Les Khmers rouges
C’est dans ce contexte tendu, après un débat houleux, après de nombreuses pressions exercées sur les parlementaires et sur un groupe de défense des droits de l’homme, que la loi déclarant les Khmers rouges « hors-la-loi » est votée le 6 juillet, par 103 voix sur 120 parlementaires (17 absents). Sam Rainsy, ministre des Finances, s’y était opposé, craignant notamment qu’une telle mesure ne provoque une recrudescence des combats, et menace ainsi le fragile équilibre budgétaire de l’Etat. Il craignait également que la loi ne soit détournée pour inquiéter les opposants au régime, déclarés comme autant de « Khmers rougesDes amendements proposés par Kem Sokha, responsable du Comité parlementaire pour les droits de l’homme, ont permis le vote de la loi à une large majorité.
Aux termes de cette loi, les citoyens reconnus comme « khmers rouges » sont passibles de prison et leurs biens seront saisis. La porte n’est cependant pas pour autant fermée; une amnistie est proposée tant aux chefs qu’aux soldats khmers rouges pendant une période de 6 mois (le temps de la saison des pluies… avant l’attaque de décembre). En sont exclus les chefs historiques, auxquels le roi peut éventuellement faire grâce.
Le roi Sihanouk refuse de signer le décret: « C’est la raison pour laquelle je ne retourne pas au Cambodgedéclare-t-il de Pékin. En l’absence du roi, c’est Chéa Sim, chef d’Etat par intérim qui doit signer le décret. Mais selon les termes de l’article 11 de la constitution, il ne peut approuver une loi que « si le roi n’est pas en mesure de le faireselon l’article 28, c’est « le roi qui promulgue les décrets de l’AssembléeSur proposition de Sihanouk, l’Assemblée vote donc un amendement à la constitution autorisant le chef de l’Etat par intérim à signer les décrets au cas par cas.
Pour Ranariddh, premier Premier-ministre, cette loi n’est pas suffisante pour « en finir » avec les Khmers rouges, elle doit s’accompagner de pressions sur le mouvement révolutionnaire. « Le gouvernement demandera aux différents pays de ne pas autoriser les Khmers rouges à traverser leur territoire… à arrêter les hors-la-loi et à les renvoyer au Cambodge ». Les passeports des Khmers rouges ne doivent pas être reconnus comme valides. Une lettre sera envoyée aux 19 signataires des accords de Paris en ce sens.
La réaction des Khmers rouges ne se fait guère attendre: le 11 juillet, ils annoncent la création d’un « gouvernement provisoire de solidarité et de salut national du Kampuchéadont le siège est situé dans la province de Préah Vihéar, et dont Khieu Samphan est le Premier ministre. Toute possibilité de négociation semble désormais exclue avec le gouvernement de Phnom Penh. La manoeuvre est considérée par Phnom Penh comme « une mesure désespérée pour se faire reconnaîtreet les Khmers rouges sont désormais passibles de 30 ans de prison pour acte de sécession.
Dès le 6 juillet, la Thaïlande, par son ministre des Affaires étrangères, déclare qu’elle regrette le décret, mais qu’elle l’honorera. Elle refuse d’autre part de reconnaître le gouvernement provisoire. La Thaïlande affirme n’être pas en mesure de geler les avoirs Kmers rouges dans les banques, car elle n’a pas de législation concernant la prévention du blanchiment d’argent. « Que le gouvernement de Phnom Penh en fasse une demande expressedisent les autorités thaïlandaises.
* Si la Thaïlande observait un embargo strict à l’encontre des Khmers rouges, elle les priverait de leurs sources de revenus. Il est vrai que le prix des pierres précieuses a sérieusement baissé. Seules 12 des 200 mines sont actuellement exploitées. Les mesures prises par l’armée thaïlandaise en juin pour contrôler le trafic semblent avoir été efficaces.
Le 24 juillet, lors d’une conférence de presse qui suivait la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’ASEAN à Bangkok, un représentant américain, qui a tenu a rester anonyme, a continué à exprimer des doutes sur l’arrêt réel du soutien de la Thaïlande ou de certains Thaïlandais aux Khmers rouges. Le 25 août, le président Clinton signe un décret autorisant le gouvernement américain à suspendre l’aide militaire à tout pays soutenant les Khmers rouges. Ce décret vise à l’évidence la Thaïlande sans la nommer. En 1995, les Etats-Unis envisagent de suspendre l’aide de 875 000 dollars accordés pour la formation de 100 officiers thaïlandais aux Etats-Unis. On reproche à la Thaïlande non seulement son soutien aux Khmers rouges, mais également son opposition à l’établissement d’un régime démocratique en Birmanie. Les autorités thaïlandaises réagissent en coupant le budget de 3 millions de dollars alloués pour les actions d’un groupe de liaison militaire américain en Thaïlande, et demandent des explications à l’ambassadeur américain, qui affirme, en diplomate, que la Thaïlande ne soutient plus les Khmers rouges! Dans un câble secret, diffusé à Canberra, John Holloway, ancien ambassadeur australien au Cambodge, affirme, lui aussi, que la Thaïlande continue à soutenir les Khmers rouges.
C’est dans ce contexte qu’il convient de lire l’affaire des « otages étrangers ». Conseillés par un Cambodgien très prévenant, un Français, Jean-Marc Braquet, un Australien, David John Wilson, et un Anglais, Mark David Slaver, prennent le train pour se rendre à Sihanoukville. Le train est attaqué par un groupe de bandits, comprenant des Khmers rouges et du personnel local de l’armée gouvernementale, alliés pour la circonstance dans une affaire avant tout crapuleuse. 13 personnes sont tuées (2 soldats, 2 employés des chemins de fer et 9 passagers).
* Paet, le chef khmer rouge local, et son adjoint Chuk Rin, sont déjà responsables d’avoir enlevé, le 31 mars dernier, puis relâché après six semaines de détention, Melissa Humes de « Fund For the Hungry ». C’est la sixième fois que le train est attaqué à cet endroit.
* En avril, 3 étrangers, deux Anglais, et un Australien, avaient été arrêtés dans la région de Kampot. Le 31 juillet, on considérait qu’ils avaient été exécutés quelques jours après leur enlèvement : crime crapuleux ou vengeance de commerçants rivaux. Selon un homme d’affaires étranger, ce kidnapping aurait entraîné une perte de 50 à 100 millions de dollars en investissements au Cambodge.
* Cet enlèvement, apparemment à but lucratif, a donné lieu à une tragique comédie et étalé au grand jour les pratiques des officiers de Phnom Penh: corruption et collaboration avec les Khmers rouges. Une rançon initiale aux environs de 50 000 dollars par personne était réclamée, mais les enchères n’ont cessé de monter. Un général s’est même présenté à l’Ambassade d’Australie, se faisant fort de ramener les otages pour une somme de 1 millions de dollars, dont 250 000 pour « frais administratifs(2 Cambodgiens ont été libérés contre une rançon de 800 dollars, un autre contre 200 dollars). Les gouvernements des trois étrangers s’opposent au versement de rançons, ce qui encouragerait, selon eux, lenlèvement de leurs ressortissants, mais ne sont pas opposés à accorder des aides sous d’autres formes. Le gouvernement cambodgien, qui voudrait sortir de l’impasse, accepte, quant à lui, de verser la rançon exigée. Un trafic juteux s’est installé entre officiers, journalistes et diplomates pour obtenir des informations, si bien que le 22 août, Ranariddh, premier Premier-ministre, a dû interdire l’accès du secteur aux étrangers.
Si dans un premier temps, les Khmers rouges ont nié toute participation à l’attaque du train (ce qui est certainement vrai au niveau des autorités supérieures), à partir du 15 août, Khieu Samphan, Premier ministre du gouvernement provisoire, a utilisé les otages à des fins politiques. Phnom Penh utilisant la prise d’otages pour insister sur la nécessité de l’octroi d’une aide militaire, les Khmers rouges lient le retour des otages à l’engagement des Etats-Unis, de la France et de l’Australie à ne plus fournir d’armes à Phnom Penh. Ils menacent ouvertement de s’en prendre à la vie des ressortissant de ces pays: « Si les Etats-Unis, la France et l’Australie s’engagent dans la guerre pour tuer des Cambodgiens, alors les Américains, les Australiens et les Français seront tués et blessés. Si vous jouez avec le feu, vous vous brûlerez ». Les ambassades de ces pays déconseillent donc à leurs ressortissants de s’aventurer hors des villes. Le roi Sihanouk demande aux agences touristiques étrangères d’annuler leurs voyages (41 visites de groupes ont été annulées en juillet). Une véritable psychose de l’enlèvement règne dans quelques ONG.
Par la suite, les Khmers rouges lient la remise des otages à l’abrogation de la loi les plaçant « hors-la-loiqui d’une certaine façon concerne les pays étrangers, et fixent au 30 août la date limite, après laquelle ils exécuteront les otages.
* Les autorités cambodgiennes se donnent pour but d’assurer la sécurité sur les routes nationales 3 et 4 (reliant Kampot et Sihanoukville, ainsi que le périmètre d’Angkor Vat. (Les soldats minent certains secteurs, la nuit, pour éviter les vols et déprédations). Cependant une ligne aérienne est mise en place pour desservir Sihanoukville, alors que la route nationale 4 reliant la ville à la capitale est nouvellement réparée. La sécurité sur les autres routes reste problématique: souvent des cadavres mutilés de « bandits » pourrissant au bord de la route, avec interdiction à la population de les ensevelir… Bandits? Khmers rouges ou déclarés tels? Voyageurs ayant refusé de payer la dîme aux soldats?…
* Le 16 octobre, Chuk Rin, l’un des deux chefs Khmers rouges commandant le secteur se rend aux autorités gouvernementales avec 147 soldats, après avoir envoyé son épouse à Phnom Penh, visiblement pour marchander sa reddition. Avec un cadeau de 2 000 dollars, plus 10 dollars à chacun à ses hommes, il reprend le combat contre son ancien collègue Paet.
Le 27 octobre on apprenait que les trois otages avaient été massacrés, sans doute le 27 septembre, date à laquelle avait été lancée l’offensive d’envergure contre le Phnom Voar, repaire des Khmers rouges. La France a « condamné solennellement ce crime odieux et lâche qui ne frappe que des innocents ».
Les Khmers rouges profitent de toute erreur gouvernementale pour augmenter le climat d’insécurité et d’instabilité du pays. Sabotant par là tout effort de reconstruction du pays, ils pensent provoquer éventuellement la chute du gouvernement, ouvrant ainsi la porte à un nouveau gouvernement « d’unité nationale » qu’ils réclament depuis les élections de mai 1993. S’ils ne visent plus la victoire militaire, ils n’en arrêteront pas pour autant leur harcèlement pour soutenir leurs revendications politiques. Une douzaine de responsables militaires khmers rouges ont été rappelés à la frontière thaïlandaise durant la deuxième quinzaine d’août, ce qui laisse présager un changement dans la tactique du mouvement.
* De très nombreux petits accrochages font des morts et des blessés dans les provinces de Battambang, de Siemréap, de Préah Vihéar et de Kampot (Poipet: 4 juillet; 8 juillet 4 morts et 21 blessés; 12 juillet: 3 morts et 1 blessés; 26 juillet: 13 blessés). Le 26 août une centaine de Khmers rouges attaquent plusieurs villages à une quinzaine de kilomètres de Battambang. 12 barques sont attaquées à Mongkolborey durant la dernière semaine d’octobre, une bombe à retardement explose dans un train près de Mongkolborey: 12 morts et 80 blessés… En fait, l’inondation ayant été particulièrement forte cette année, l’armée gouvernementale en profite pour « nettoyer » les ilôts Khmers rouges le long du Tonle Sap, submergés par les eaux. Les Khmers rouges attaquent pour s’installer en lieu sec…
* Des renforts en hommes et en munitions sont acheminés de part et d’autre, et l’on a tout lieu de penser qu’avec le début de la saison sèche (décembre), les combats vont reprendre en intensité, du moins dans la province de Battambang. Les Khmers rouges minent les diguettes des rizières situées en bordure de leurs « territoires » (Anglong Roun, Bavel, Knach Roméas). Le canon tonne pratiquement toutes les nuits depuis le mois de juillet… Les fonctionnaires de la région de Battambang ne se posent pas la question de savoir s’il y aura la guerre ou pas, mais seulement celle de sa durée et de son intensité. Les paysans craignent pour la moisson, et cherchent à stocker un peu de riz en ville…
* A la fin du mois d’août, la radio khmère rouge annonce que Chan Youran, ambassadeur des Khmers rouges à Pékin, a formé une « armée de libération nationalede 2 300 membres, comprenant des Khmers rouges et des nationalistes du FNLPK et de l’ANKI (Armée sihanoukiste). Chakrapong, alors en Thaïlande, aurait rejoint le mouvement. Il semble que ce soit, une fois de plus, une manoeuvre de désinformation, pour diviser le gouvernement de Phnom Penh et amener les déçus du régime à rejoindre les rangs khmers rouges comme à l’époque du mouvement de Rumdâs en 1970.
* Il semble que les Khmers rouges renforceraient leurs activités dans les provinces de Stung Treng, Ratanakiri et Mondolkiri.
La nouvelle tactique khmère rouge semble également viser les responsables locaux qu’ils exécutent et remplacent par leur propre administration: plusieurs chefs de villages ont été tués ces dernières semaines (ceux de Chumkiri dans la province de Kampot, de Srey Sam dans celle de Siemréap). C’est le scénario des années 1970 qui se remet en place.
Aide étrangère et réformes
Le Cambodge obtient un siège d’observateur à la 28ème réunion des ministres des Affaires étrangères des pays de l’ASEAN, réunis à Bangkok les 22-23 juillet. Le prince Norodom Sirivudhh, ministre cambodgien des Affaires étrangères annonce que son pays est disposé à devenir membre à part entière de l’organisation « le plus vite possiblequ’il est prêt à signer le traité d’Amitié et de coopération, charte de fondation de l’ASEAN (dit aussi « Traité de Bali » et signé en 1976). L’an dernier, le roi Sihanouk s’était opposé à cette démarche, préférant que son pays reste neutre. Le changement a été motivé notamment par la candidature du Vietnam, en passe de devenir, lui aussi, membre à part entière de l’ASEAN.
Les ministres réunis à Bangkok condamnent les Khmers rouges pour la création du gouvernement provisoire, acte contraire à l’esprit des accords de Paris, et affirment publiquement leur soutien au gouvernement de Phnom Penh. La Thaïlande rappelle aux pays qui avaient promis de fournir des aides au Cambodge, qu’ils doivent honorer leurs promesses, mais réafirme plusieurs fois que fournir une aide militaire à ce gouvernement, pourtant issu d’élections sous contrôle international, serait contraire aux accords de Paris. La Thaïlande, estime que le problème khmer rouge est avant tout politique et doit être avant tout réglé par des moyens politiques.
* Le 23 juillet, on apprenait qu’une compagnie d’Etat indonésienne avait livré au Cambodge trois conteneurs de munitions, comprenant 3 millions de cartouches pour les fusils d’assaut américain M 16, pour une valeur de 378 000 dollars. Les deux parties ont opposé un démenti à la nouvelle, étayée cependant par la production de documents.
Pour le ministre cambodgien des Affaires étrangères, le gouvernement de Phnom Penh a le droit d’acquérir des équipements militaires qu’il estime nécessaires. Cela n’est en rien contraire aux accords de Paris. Il considère l’initiative thaïlandaise pour interdire toute fourniture militaire au Cambodge comme une ingérence indue dans les affaires intérieures du pays.
Le 26 juillet, une réunion à huis clos permet aux ministres des Affaires étrangères des pays de l’ASEAN et à leurs invités occidentaux de faire le point sur le Cambodge. Si les Etats de l’ASEAN refusent d’accorder (officiellement) une aide militare au Cambodge (la Malaisie et l’Indonésie l’on fait récmement), les représentants des pays occidentaux ne l’excluent pas: les Etats-Unis, la France et l’Australie rappellent que la priorité est la réorganisation des structures de l’administration et de l’armée. Winston Lord, sous-secrétaire d’Etat américain, rappelle, pour sa part, que le meilleur moyen de lutter contre les Khmers rouges est l’amélioration du niveau de vie des Cambodgiens, et demande une coopération des autres pays, non seulement dans les domaines économiques et militaires, mais également pour assurer la fermeture de la frontière « afin d’être sûrs qu’aucune aide ne parvienne aux Khmers rougesSi la Communauté européenne accepte l’idée d’une aide militaire, elle refuse les tentatives d’internationaliser le conflit interne cambodgien. La Chine réaffirme son opposition à toute livraison d’armes aux factions cambodgiennes: les Cambodgiens doivent règler leurs problèmes par eux-mêmes, sans ingérence extérieure. Le Canada préfère se consacrer à l’aide économique.
« Il y a un immense réservoir de bonne volonté pour aider le Cambodge, mais une très grande hésitation concernant les moyens par lesquels accorder une aide, en argent ou en matériel militaire. Si vous accordez une aide militaire, vous êtes blamé, si vous n’en accordez pas vous êtes condamnédit un diplomat observateur à la réunion. Une aide économique ne peut être profitable que si la sécurité règne dans le pays: cela justifierait l’octroi d’une aide militaire. Mais le délabrement de l’armée et de l’administration entravent tous les efforts pour remettre le pays sur pied. Dans tous les domaines, la fourniture d’aide étrangère est limitée par la capacité d’absorption du pays.
Réforme de l’armée
Le 11 août, lors d’un séminaire concernant la réforme de l’armée, Ranariddh, premier Premier-Ministre, déclare que « Les Etats-Unis nous ont dit qu’ils ne pouvaient pas nous aider, à moins que nous ne nous aidions nous-mêmes. L’aide suivra immédiatemment la réforme de l’arméePlusieurs délégations militaires australienne, américaine, française se succèdent au Cambodge pour proposer cette réforme.
Celle-ci est annoncée par le lieutenant général Proch Bunthol, porte-parole de l’état-major des Forces armées royales cambodgiennes: « Nous voulons être une armée moins nombreuse, meilleure, plus efficace et professionnelle ». Le plan prévoit la réduction des effectifs à 70 000 ou 80 000 soldats, qui formeront 6 divisions (une dans chacune des 6 régions militaires), ainsi qu’un brigade de forces spéciales, 4 bataillons anti-insurrectionnels seront formés. Le nombre des généraux devra être abaissé de 1969 à 91. La réforme est prévue pour s’étaler sur une durée de trois ans.
* Actuellement l’armée compte officiellement 130 000 hommes, mais tous les observateurs estiment qu’il n’y en a qu’environ 90 000 effectivement sur les rangs, les autres étant des « soldats fantômes », n’existant que sur le papier, permettant aux officiers de toucher les soldes disponibles. Les démobilisés, les morts, les déserteurs restent sur les listes; lors de la démobilisation prévue par l’APRONUC, les chiffres des différentes armées ont été exagérément gonflés, pour permettre à chacun de garder ses troupes réelles. L’armée actuelle comprend 12 divisions (4 venant du FUNCINPEC, 2,5 du FNLPK, 5 ou 6 du Prachéachon). On doit ajouter 30 000 hommes de la police sous les ordres du ministère de l’Intérieur.
Le 15 septembre, le nombre des généraux était déjà réduit à 600, chaque officier étant rétrogradé d’un échelon. (Ranariddh et Hun Sen ont donné l’exemple en abandonnant une de leurs 5 étoiles). Le 15 octobre a été créée une unité d’élite, « le bataillon 70comprenant 2 262 hommes.
* Les Etats-Unis envoient un groupe de 59 conseillers militaires pour former des démineurs cambodgiens et des spécialistes dans le maniements d’engins nécessaires à la construction des routes. Une aide de 34 millions de dollars a été accordée pour 1995, une autre aide de 40 millions est prévue pour 1995. Les Etats-Unis ont également accordé 24 millions de dollars pour 3 projets de reconstructions.
* La France a rééquipé l’armée en véhicules de transports et fourni une cinquantaine de formateurs et conseillers. Elle est chargée de former le corps de police cambodgien.
* L’Australie assure la maintenance de la marine cambodgienne et le réseau de télécommunications.
* L’Indonésie forme 200 soldats d’un bataillon « anti-insurrectionnel ».
* Le 18 août, sur pression du FMI, a été abrogé le décret attribuant les ressources provenant de l’exportation du bois au ministère de la Défense.
Le code des investissements
Le 4 août, une loi concernant les investissements étrangers est votée par 89 parlementaires. Ce code des investissements donne de nombreuses facilités aux investisseurs étrangers: exemption d’impôts pendant 8 ans, puis impôts de 9% sur les revenus: exemption de droit de douane sur l’importation de matériel nécessaire à la construction d’usines dont les produits sont destinés à l’exportation: libre disposition du sol pendant 70 ans renouvelables. La propriété du sol sera accordée aux sociétés dont plus de 51% du capital sont détenus par des Cambodgiens. Un Conseil pour le développement du Cambodge (CDC), présidé par le premier Premier-ministre, coiffe le Comité des investissements (CIC), dirigé par le ministre d’Etat Kéat Chhon, et chargé de faciliter au maximum les formalités administratives. Tout investisseur étranger recevra une réponse dans les 45 jours.
Cette loi aux conditions très avantageuses pour les investisseurs étrangers, vise avant tout à fournir des emplois plus qu’à faire entrer de l’argent dans les caisses de l’Etat. Il est vrai que sans création de richesse nationale, toute lutte contre la misère est vouée à l’échec, la campagne ne pouvant absorber le surplus de la main d’oeuvre actuellement inemployée.
Lors du Forum économique mondial tenu à Singapour les 12-14 octobre, Chanthol Sun, secrétaire général du comité de développement du Cambodge, lance une opération de charme pour améliorer l’image de son pays à l’étranger. 1 million de dollars sont affectés à cette campagne, qui loue les services d’une des agences de marketing les plus connues au monde. Selon lui, 10 jours après le vote de la loi sur les investissements, les hommes d’affaires de Singapour, de Taïwan et de Malaisie ont soumis des projets d’investissement pour une valeur de 40 millions de dollars.
* Malgré l’insécurité et la mauvaise image du Cambodge à l’étranger, 96 915 touristes se sont rendus au Cambodge durant les 7 premiers mois de l’année, soit 41% de plus que l’an dernier. Phnom Penh, Sihanoukville et Angkor sont les principaux pôles d’attraction que le gouvernement entend développer.
* La compagnie Singapore Airlines qui devait participer à la création la compagnie cambodgienne Royal Air Cambodge, annonce sa décision de se retirer du projet, « à la suite des accrochages » avec les Khmers rouges.
* Le Cambodge lance un appel d’offres, valable jusqu’au 21 novembre, pour la construction d’un casino sur une île au large de Sihanoukville. La concession sera accordée pour une durée de 70 ans.
La loi sur l’immigration
Malgré de nombreuses interventions d’organisations de défense des droits de l’homme et les démarches de la République socialiste du Vietnam, la loi sur l’immigration est votée le 26 août par 97 voix contre 1, et promulguée le 22 septembre. Cette loi autorisant « l’expulsion de toute personne non khmèredevrait être complétée en décembre par une loi sur la citoyenneté. Actuellement c’est le ministre de l’Intérieur qui décide de la citoyenneté cambodgienne. Sihanouk a tenté, en vain, de bloquer le processus parlementaire aboutissant au vote de la loi.
Dès le lendemain du vote, Nguyen Manh Cam, ministre vietnamien des Affaires étrangères, écrit une lettre à son homologue cambodgien exprimant « sa profonde préoccupationcraignant que la loi ne détériore les relations d’amitié entre les deux pays. Sans doute, le premier Premier-ministre cambodgien précise que cette loi n’est pas orientée contre la communauté vietnamienne résidant au Cambodge, mais vise à « défendre nos intérêts nationaux, la loi et l’ordre dans notre sociétéDans une réponse à une lettre écrite par Boutros Boutros-Ghali, secrétaire général de l’ONU, en date du 19 septembre, Ranariddh exclut l’éventualité d’une expulsion massive de résidents vietnamiens du Cambodge, et affirme que l’application de la loi sera faite en consultation avec le Vietnam. Cependant, en juillet, le gouvernement de Phnom Penh a demandé par deux fois à l’UNHCR de pouvoir utiliser les centres de réception construits par l’organisation internationale pour recevoir les rapatriés de Thaïlande à partir de 1992. En plusieurs endroits les cartes d’identité des résidents vietnamiens ont été confisquées, puis rendues aux intéressés sur pression d’associations des droits de l’homme.
* La population vietnamienne présente au Cambodge est estimée à 100 300 par les autorités gouvernementales cambodgiennes, mais les observateurs indépendants l’estiment comprise dans une fourchette allant de 200 à 500 000 (les Khmers rouges avancent le chiffre absolument exorbitant de 4 millions!). Selon les membres d’associations de droits de l’homme, plus de la moitié de cette communauté est arrivée dans les fourgons de l’armée vietnamienne en 1979. Phnom Penh peut donc légitimement se poser des questions sur la légalité de leur présence. L’autre partie est composée de descendants d’immigrés du siècle dernier, expulsés par Lon Nol en 1970, ou par les Khmers rouges en 1975, puis revenus à partir de 1979… Ils ont peu de liens avec le Vietnam, ils parlent le cambodgien, et certains possèdent des cartes d’identité délivrées dans les années 60.
* Depuis des siècles, les Cambodgiens ont peur d’être avalés par le Vietnam. Rappelons que tout le sud du Vietnam était terre cambodgienne, conquise par le Vietnam au cours des trois siècles passés, ou accordée, morceau après morceau, par les rois khmers aux autorités vietnamiennes pour services rendus dans leur lutte contre les raid siamois à l’Ouest.
* Les sentiments anti-vietnamiens ne sont pas propres aux Khmers rouges, mais sont universellement répandus dans la population cambodgienne. Depuis deux mois, la plupart des journaux en langue cambodgienne distillent en première page des articles distillant la haine raciste, sinon des appels au meurtre. L’unique parlementaire qui a voté contre la loi, un Cham, l’a fait, non pour soutenir les Vietnamiens, mais par peur que la loi ne se retourne contre les Chams. Peu de personnalités politiques souhaitent s’opposer à un tel courant populaire: dans les journaux en langue khmère Sihanouk est vilipendé pour sa défense des « avaleurs de terre » que sont les Vietnamiens. En privé, quelques ministres se montrent toutefois plus nuancés: « Le vrai danger vient de la Thaïlande avec son agression culturelle et commerciale. Les Vietnamiens sont pour la plupart des artisans. Ils rendent service au pays ».
* Le 18 octobre, 7 Vietnamiens, dont deux enfants, ont été assassinés dans un village de pêcheurs, près de Kompong Chang. On accuse les Khmers rouges dêtre les auteurs du massacre. Depuis le début de l’année, environ une cinquantaine de Vietnamiens ont été ainsi massacrés. En mars 1993, une centaine d’assassinats avait provoqué la fuite d’environ 25 000 personnes.
On peut toujours craindre, au Cambodge, que les sentiments anti-vietnamiens ne dérapent vers une explosion de violence, exutoire à toutes les frustrations.
Droits de l’homme
* Un rapport de l’ONU révèle qu’une unité de la province de Battambang a détenu, entre juillet 1993 et mai 1994, plus de 35 personnes dans la prison de Cheu Khmau, situé au bord du Tonlé San et désigné sous le sigle S-91, puis les a sommairement exécutées, les accusant d’être pro-khmers rouges. Le rapport cite les noms de 5 officiers supérieurs impliqués. Cette prison avait été fermée en 1992 par l’APRONUC. Les personnes exécutées sont pour la plupart des commerçants dont on désirait s’accaparer les richesse. Le roi Sihanouk a demandé au gouvernement de procéder à une enquête. Un premier rapport a confirmé les faits, un second, ordonné par les deux co-Premiers-ministres, les nie. La vérité semble pourtant indéniable aux observateurs locaux. Peut-être en relation avec cette affaire, le 9 septembre, la fille, âgée de cinq ans, du responsable espagnol d’une association de défense des droits de l’homme qui avait révélé l’existence de la prison, est blessée à la jambe par des « voleurs
* Sur proposition du sénateur Charles Robb, les Etats-Unis ont créé une commission pour enquêter sur les crimes de génocide perpétrés par les Khmers rouges. Cependant, peu de moyens sont accordés au projet: seulement 400 000 dollars, aucun spécaliste américain de la question ne fait parie de la commission de recherche, dirigée par La Porta. Certains pensent que le gouvernement américain craint de se voir accusé lui-même de génocide pour ses bombardements de 1973. Ben Kiernan, chercheur australien, estime que 450 000 bombes américaines ont été larguées sur le pays à ce moment-là, causant la mort de 50 à 100 000 personnes. Les autorités américaines et occidentales pourraient se voir également accusées d’avoir redonné vie aux Khmers rouges, après 1979, afin de contrer l’hégémonisme soviétique, agissant par Vietnamiens interposés… Même les accords de Paris se sont montrés discrets dans la condamnation des Khmers rouges, tant les responsabilités sont partagées. Norodom Sirivuddh déclare pour sa part que le Cambodge a plus besoin d’aide que de preuves de génocide. Les membres du Prachéachon, Khmers rouges dissidents, sont globalement favorables au projet.
* Dans un effort de suppression de la corruption, le ministre de l’Education nationale a pris des mesures pour interdire l’achat des résultats d’examens de fin d’année scolaire. Alors que l’an dernier 11 500 élèves sur 16 000 étaient reçus aux examens de fin d’études, cette année seulement 750 sur 17 000 ont passé l’examen avec succès. Même le fils du gouverneur de Battambang a été recalé! Cette année le nombre des classes terminales est donc doublé.
* Le 17 septembre, les étudiants de la faculté de médecine ont demandé une enquête sur la vente des réponses aux sujets d’examen. Ces réponses ont été vendues entre 10 et 20 dollars. Le 1er octobre, ils ont manifesté devant leur faculté, refusant qu’on les taxe, pour autant, de Khmers rouges. Les autorités de police ont rapidement pris la situation en main et interdit toute manifestation qui risquait de « mettre en danger le gouvernement ».
Nouvelles diverses
* Un mémorandum, remis au roi Sihanouk le 13 octobre, l’alerte sur la déforestation du Cambodge. De 70% en 1970, la surface du pays couverte de forêts est passée à 40% actuellement. Selon ce mémorandum, les deux co-Premiers-ministres, mais aussi les autorités militaires seraient grandement responsables du fait, détournant les décrets interdisant la coupe d’arbres. 29,5 millions de dollars seraient partis en pots-de-vin, causant une perte de revenus au trésor cambodgien de 128,25 millions de dollars. On soupçonne Sam Rainsy, ex-ministre des Finances, d’être à l’origine du rapport, ce qui aurait accéléré son remplacement. Deux jours plus tard, le roi envoie une lettre aux deux co-Premiers-ministres, pour demander « humblement au gouvernement royal du Cambodgede ne pas transformer le pays « en un désert au 21ème siècleIl propose que des mesures énergiques soient prises pour faire respecter les lois, et que soit créé un « Bureau royal du boisen vue de centraliser toutes les opérations concernant l’exportation du bois.
* La Banque asiatique pour le développement a accordé un prêt de 4 millions de dollars pour la réparation du port de Sihanoukville. Les travaux devraient être achevés en 1995. Grâce à un don du Japon, le port de Phnom Penh va être doublé. Il comprend actuellement un embarcadère de 196 mètres, auquel s’ajoute un quai de 45 mètres. De 1979 à 1993, la fréquentation du port est passée de 80 à 1 025 bateaux par an, 683 pour les 8 premiers mois de l’année 1994, procurant 31 millions de dollars de droits de douanes.
* La crue du Mékong, exceptionnellement forte cette année, et les inondations provoquées par des pluies diluviennes ont détruit une partie des rizières. On estime à 180 000 tonnes de riz le déficit alimentaire pour l’année. Près de 50 000 personnes seraient sans abri. Le roi Sihanouk a accordé une aide de 10 000 dollars pour les familles sinistrées.
* Depuis le 30 août, la prostitution est interdite à Phnom Penh, mais l’industrie du sexe continue clandestinement, rendant plus difficile le dépistage du sida. On estime que 7 000 Cambodgiens sont contaminés par le virus (5,87% des donneurs de sang). Environ 20 000 femmes s’adonnent à la prostitution à Phnom Penh, contre 6 000 en 1991. Dans la campagne, la prostitution se généralise. Le commerce de jeunes filles ou de jeunes femmes devient une réalité. Certaines sont séquestrées dans une villa à Phnom Penh, puis envoyées dans des maisons closes de Bangkok. Les jeunes filles de 14 ans sont achetées pour la somme de 150 dollars (900 FF) (The Nation du 01.08.94).
* Le gouvernement cambodgien commence à craindre l »intoxication culturelle » thaïlandaise. Les sociétés de télévision thaïlandaises opérant au Cambodge sont montrées du doigt. Le ministre de l’Information leur rappelle qu’est interdite toute projection de films pornographiques, que les programmes de musique thaïlandaise doivent être réduits, que la langue cambodgienne est la seule autorisée pour le sous-titrage et pour les publicités, que les fils d’horreur ne doivent pas être diffusés avant 21h30. La seule station de radio et de télévision autorisée à diffuser complètement en langue étrangère est la station française.
* Le Cambodge et Taïwan renouent leurs relations diplomatiques. Taïwan procèse à la réouverture de son bureau semi-officiel fermé en 1975.