Eglises d'Asie

L’EGLISE A L’AUBE DE LA RESURRECTION Une interview du P. Emile Destombes mep

Publié le 18/03/2010




Vous avez retrouvé le Cambodge et son Eglise après de nombreuses années. Quelle est la première impression que vous aimeriez partager avec nous ?

Il faut dire d’abord que, pendant près de vingt ans, l’Eglise du Cambodge était totalement invisible. Les prêtres et les évêques cambodgiens avaient été tués par les Khmers rouges, la cathédrale de Phnom Penh avait été rasée. Depuis les accords de Paris et l’entrée du Cambodge dans la communauté internationale, l’Eglise s’est peu à peu reconstruite dans ses signes visibles… Je crois qu’on peut dire que nous nous sentons aujourd’hui à l’aube de la résurrection après une longue et terrible nuit.

Combien de chrétiens y a-t-il aujourd’hui au Cambodge ?

Il y a environ 5 000 catholiques khmers et 12 000 Vietnamiens. L’histoire de chacune des deux communautés est bien différente et leur organisation présente un certain nombre de différences.

Quand la communauté catholique khmère, qui avait disparu de la surface pendant plus de quinze ans, s’est reconstituée à partir de 1990, elle n’a pu le faire que suivant les principes édictés par le régime aujourd’hui défunt du parti communiste. C’est donc un comité de chrétiens qui a pris les rênes du pouvoir si j’ose dire. Les prêtres et les évêques ne sont arrivés qu’ensuite. La communauté s’est donc organisée autour d’un certain nombre de comités comme le comité d’entraide, le comité de transmission de la foi, le comité liturgique etc. Aujourd’hui elle fonctionne encore de cette manière. Ce fonctionnement permet une prise de responsabilité plus grande de la part des laïcs.

La communauté catholique vietnamienne, qui est numériquement plus importante, n’a pas connu la même évolution parce qu’elle n’a jamais complètement disparu. On y trouve donc une organisation plus traditionnelle avec des catéchistes et des chefs de communauté.

Quel est aujourd’hui le problème le plus important de la communauté chrétienne ?

Je dirais que c’est celui de la formation de la foi. Nous trouvons beaucoup de personnes d’origine chrétienne qui ont aujourd’hui l’âge adulte et qui n’ont jamais reçu de formation. Nous faisons donc un grand effort dans la communauté catholique khmer pour pallier cette insuffisance. En ce qui concerne la communauté vietnamienne, le problème est moins urgent car la formation ne s’est jamais interrompue.

Vous parlez de Khmers et de Vietnamiens. Cela veut-il dire qu’il y a deux Eglises catholiques au Cambodge ?

Pas du tout. Il n’y a bien entendu qu’une Eglise catholique et un seul évêque responsable de l’Eglise du Cambodge reconnue officiellement par le roi (1). Mais il est vrai qu’un contentieux historique existe entre les Khmers et les Vietnamiens du Cambodge. Le problème dépasse largement l’Eglise. Les Khmers ont toujours eu peur d’être phagocytés par les Vietnamiens, traditionnellement très nombreux dans le pays. Ils ont développé par conséquent une susceptibilité un peu exacerbée à l’égard de tout ce qui est vietnamien. Il y a aujourd’hui, de fait, deux communautés chrétiennes différentes, mais il n’y a qu’une Eglise.

Nous travaillons d’ailleurs à faire en sorte que ces deux communautés se rapprochent. Aujourd’hui toute la liturgie des communautés vietnamiennes se déroule en langue khmère et nous croyons que c’est quelque chose d’important pour la communion entre ces deux communautés qui forment l’Eglise du Cambodge.

Il y a un certain nombre de prêtres et de religieux qui travaillent aujourd’hui au Cambodge…

Il y a d’abord un évêque, responsable de l’Eglise du Cambodge, un préfet apostolique et quatre prêtres appartenant aux Missions étrangères de Paris auxquels on peut ajouter un prêtre Fidei Donum savoyard, un prêtre thaïlandais des Missions étrangères de Thaïlande et deux jésuites. Parmi ceux-ci, quatre sont à plein temps dans le travail pastoral des communautés. Il y a ensuite huit prêtres appartenant à divers instituts ou congrégations missionnaires missionnaires qui travaillent pour des organisations non gouvernementales. Quelques-uns d’entre eux aident aussi en fin de semaine dans les différentes communautés chrétiennes. Il y a enfin une trentaine de religieuses dans les oeuvres caritatives et éducatives. Tout ce personnel d’Eglise est pour le moment d’origine étrangère, mais nous avons commencé à former des séminaristes cambodgiens. Ils sont en ce moment une demi douzaine.

Comment jugez-vous la situation politique du Cambodge ?

C’est l’anarchie. Le parti royaliste qui a gagné les élections n’arrive pas à affirmer son pouvoir et l’ancien parti communiste a regagné tout le terrain qu’il avait perdu à ce moment-là. La corruption règne du haut en bas de l’administration. Les pays occidentaux aimeraient bien pouvoir aider le Cambodge mais ils ne trouvent pas au gouvernement d’interlocuteur fiable et ils s’en remettent finalement aux ONG qui font ce qu’elles peuvent… L’affaire récente des otages étrangers a été révélatrice de l’incapacité et de la corruption du gouvernement. Pour la population, la police et l’armée gouvernementales sont des facteurs d’insécurité au même titre que les Khmers rouges. Les investisseurs étrangers ne se précipitent pas pour l’instant car il y a trop d’incertitudes et le seul homme en qui tout le monde avait confiance, à savoir Sam Rainsy, ministre des Finances, a été exclu du gouvernement. Le roi lui-même est absent et est de moins en moins écouté, car toute la classe politique se prépare à l’après-Sihanouk… Sur le plan politique, il y donc peu de raisons d’être optimiste à court terme.