Eglises d'Asie

Les chrétiens craignent qu’une loi anti-blasphème soit adoptée à la faveur de la crise politique

Publié le 18/03/2010




Les chefs religieux et les personnalités civiles se demandent jusqu’où le parti national du Bangladesh ira dans son entente avec les fondamentalistes pour élargir ses soutiens et se maintenir au pouvoir (1). Car parmi les députés de l’opposition qui ont démissionné le 28 décembre en réclamant de nouvelles élections sous un gouvernement neutre, il y avait des membres du parti fondamentaliste Jamaat-e-Islami, dont le programme comprend l’introduction d’une loi sur le blasphème, décalquée presqu’entièrement sur celle du Pakistant et punissant sévèrement toute “souillure” du Coran ou de l’islam.

La constitution garantit certes la liberté de religion à tous les citoyens, mais elle a été amendée en 1988 pour faire de l’islam la religion officielle de l’Etat. Si une loi anti-blasphème était adoptée, la liberté pour les chrétiens et les autres minorités religieuses de professer ouvertement un credo non islamique serait sérieusement menacée. “Si je prêche que Jésus est le fils de Dieu (ou d’Allah), a confié sous le sceau de l’anonymat un pasteur chrétien, ce sera un blasphème

Jusqu’à présent le Premier ministre, Begum Khaleda Zia, n’a pas encore fait droit à la demande de nouvelles élections formulée par l’opposition. Mais son parti a été très sensible aux propositions pro-islamiques du Jamaat-e-Islami, qui prévoyait un contrôle par l’Etat des organisations non gouvernementales, l’interdiction des journaux “anti-religieux”, l’adoption d’une loi anti-blasphème, etc. Les musulmans orthodoxes considèrent que les organisations non gouvernementales liées aux Eglises utilisent des fonds étrangers pour obtenir des conversions au christianisme. Leurs soupçons les poussent à plaider pour un contrôle de l’Eglise par le gouvernement (2). Ils sont à l’origine d’incidents antichrétiens.

Pendant la première semaine de janvier, par exemple, une école dirigée par Caritas, organisation sociale catholique, a été incendiée sous prétexte d’activités de conversion. L’école est située dans un territoire de minorités ethniques à forte population non musulmane. De l’avis du père Richard Timm, secrétaire de la commission catholique Justice et Paix, l’incident reflète l’opposition du fondamentalisme islamique à toute influence sur les populations pauvres des tribus.

En mai 1994, parmi ceux qui ont réclamé la mise en jugement de l’auteur bengali Taslima Nasreeen pour avoir insulté le Coran et l’islam dans une interview à un journal indien, il y avait des membres du parti national du Bangladesh . Au cours des manifestations du milieu de 1994 à Dhaka, les fondamentalistes ont attaqué des journaux jugés anti-islamistes, tel le journal Janakantha mis en cause pour un article où il leur avait reproché de se servir de versets du Coran pour exploiter les paysans. Un mois après cette attaque, c’est avec le consentement du ministre de l’intérieur que quatre rédacteurs du journal furent arrêtés, pour avoir “heurté les sentiments religieux de la population”. Selon Borham Ahmed, un de ces journalistes qui attendent encore d’être jugés pour leurs articles “antireligieux”, le gouvernement du Bangladesh, en dépit d’une apparente évolution vers une culture et une économie plus libérales, limite toujours la liberté d’expression et la liberté de la presse.

Des observateurs pensent que l’avenir de la liberté d’expression au Bangladesh et la probabilité d’une loi anti-blasphème dépendent du soutien politique que le parti national au pouvoir pourra recueillir grâce aux propositions fondamentalistes. Il existe aussi toutefois une forte opposition à ce parti, ainsi qu’au projet de loi anti-blasphème, dans d’autres formations politiques comme la ligue Awami, plus progressiste, le Front uni de gauche et le parti Jatiya.