Au moment de sa dissolution, le mouvement compte environ 10 000 membres actifs et 100 000 sympathisants. Si la grande majorité d’entre eux résident en Malaisie, près de 200 étudiants malaisiens à l’étranger, en Jordanie et en Egypte en particulier, sont identifiés comme adhérents. En Malaisie même, on estime à 7 000 le nombre des fonctionnaires du service public adeptes du mouvement. Al-Arqam dispose de plus de quarante communes autonomes, gère environ 250 écoles maternelles, primaires et secondaires, fréquentées par près de 10 000 élèves en Malaisie, en Indonésie, en Thaïlande, à Brunei, Singapour et aux Philippines. Le mouvement possède aussi sa propre université à Pekan Baru (province de Riau sur l’île de Sumatra en Indonésie) ainsi qu’une institution pré-universitaire au Pakistan, depuis 1990. Al-Arqam est également un empire économique aux activités diverses, présent dans seize pays : agriculture, textile, édition et sociétés de taxis, société d’élevage à Ningxia en Chine, chaînes de restaurants en Inde et en Ouzbékistan. Ses actifs sont estimés à 630 millions de francs environ.
A la tête de ce conglomérat religieux et économique, Ashaari Muhammad, 57 ans, a fondé le mouvement en 1968 dans un faubourg de Kuala Lumpur, Kampung Datuk Keramat. D’abord nommé Kumpulan Rumah Putih (le groupe de la maison blanche), l’association, qui compte 11 membres à sa naissance, est ensuite rebaptisée Darul Arqam, nom donné à la maison où Mahomet conduisit ses enseignements à Médine. Ashaari est alors enseignant religieux et Darul Arqam combine activité missionnaire, fabrication de produits alimentaires et édition.
L’histoire du mouvement connaît un premier tournant en 1979 lorsque Ashaari Mohammad reconnaît être un fidèle de Suhaimi et adepte de Aurad Muhammadiah, courant islamique qui mêle la récitation d’une généalogie contenant des prières avec la connaissance d’un art martial, le pencak sunda. Après cette confession, Ashaari perd un de ses plus proches collaborateurs et plusieurs fidèles. En fait, c’est vingt-sept ans plus tôt, en 1952, qu’Ashaari est entré en contact avec ces pratiques par l’intermédiaire de son oncle, Lebai Ibrahim, qui lui a transmis la généalogie. Quatre ans plus tard, c’est à Klang, près de Kuala Lumpur, qu’il côtoie les petits enfants de Sheikh Muhammad As-Suhaimi, le fondateur de Aurad Muhammadiah. L’un d’eux relance Ashaari dans la récitation de la même généalogie à laquelle est toutefois ajouté le nom de Muhammadulil Mahadi, le futur imam Mahadi, qui ne serait autre que son grand-père Suhaimi, mort à Klang en 1925 dont on prédit ainsi qu’il reviendra à la fin du monde. L’intégration de ces croyances dans l’enseignement propagé par Al-Arqam est une des raisons de la dissolution du mouvement. Le conseil national de la Fatwa jugera en effet déviationniste la croyance en la résurrection de Suhaimi, dans le fait qu’il aurait rencontré le prophète dans la Kaabah de La Mecque où il lui aurait transmis l’Aurad Muammadiah, et dans le fait que Suhaimi aurait un statut équivalent à celui des quatre premiers califes.
Le second tournant intervient à la fin des années 1980. En 1986, plusieurs proches de Ashaari quittent le mouvement, jugeant que la pratique de Aurad Muhammadiah peut mener au syirik (polythéisme). En réaction, Al-Arqam publie “Aurad Muhammadiah Pegangan Darul Arqam Sekaligus Menjawab Tuduhan” (Aurad Muhammadiah, principe de Darul Arqam, répond en même temps aux accusations). Le livre est interdit par le ministère de l’Intérieur deux ans plus tard en même temps que le bureau gouvernemental des affaires islamiques publie “Penjelasan Terhadap Buku Aurad Muhammadiah Pegangan Darul Arqam” (éclaircissements concernant le livre Aurad Muhammadiah principe de Darul Arqam) afin de dévoiler les tendances déviationnistes prêchées par Al-Arqam. Par ailleurs, le conseil national des affaires islamiques décide l’interdiction de tout rapport entre les institutions ou activités gouvernementales et Al-Arqam. Le mouvement passe outre l’interdiction du livre, et, sous couvert d’activités économiques, éducatives, culturelles, et artistiques, continue de propager son enseignement.
Craignant toutefois des représailles de la part des autorités, Ashaari et ses proches jugent alors plus prudent de s’exiler en Thaïlande, d’abord à Pattani, puis à Phuket et enfin à Chiang Mai. Il fait très peu d’adeptes en Thaïlande mais n’en continue pas moins de diriger son mouvement, oeuvrant pour son idéal d’une économie islamique complètement autonome, couvrant à la fois l’agriculture, l’industrie, l’éducation, les services médicaux, jusqu’aux arts et à la culture. Il se présente en fait comme le leader de ce qu’il considère comme une résurgence islamique en Asie du sud-est. Les communes autonomes se développent en Malaisie. Al-Arqam y gère toutes les facilités, recrutant médecins, ingénieurs et agronomes. A l’intérieur de ces unités, tous les revenus sont mis en commun puis redistribués selon la taille des familles. L’une des communautés les plus importantes en 1994 est celle de Sungai Ular près de Kuantan, sur la côte ouest dans la province de Pahang. Cette communauté compte quatre communes Al-Arqam. Créée en 1984, elle compte 400 habitants en août 1994. A la même époque, dans la province de Selangor, la plupart des 600 à 700 adeptes, dont 400 enfants, vivent dans trois villages autonomes. Les hommes portent robes longues et turbans. Les femmes sont couvertes de la tête aux pieds, leur voile étant uniquement fendu à hauteur des yeux. La polygamie est encouragée. Ashaari lui-même a quatre épouses et aurait, selon ses proches, 35 enfants et 54 petits enfants. La pratique du mariage des membres d’Al-Arqam, repose, selon le conseil national de la Fatwa, sur l’interprétation erronée d’un verset du Coran. Elle est par conséquent considérée comme une autre tendance déviationniste dans le jugement du 5 août 1994.
La tension avec le gouvernement monte encore d’un cran au début des années 1990. En 1991, le département gouvernemental des affaires islamiques interdit à tout le secteur public de prendre part à des activités gérées par Al-Arqam. L’année suivante, le livre “Berhati-hati Membuat Tuduhan” (gardez-vous de faire des accusations) est interdit. Peu après, Mahathir, premier ministre malaisien, ordonne une interdiction générale de toutes les publications du mouvement. En avril 1993, dix-neuf étudiantes malaisiennes, membres de Al-Arqam, sont détenues en Egypte et accusées de soutenir les extrémistes égyptiens. Un rumeur, lancée par le directeur général du département des affaires islamiques, fait état de la fondation par Ashaari d’un groupe armé de 313 hommes, dénommé Tentera Badar. Ces combattants seraient prêts à sacrifier leur vie pour combattre ceux qui refusent de se mettre au service d’Al-Arqam. On prête également à Ashaari des déclarations selon lesquelles il voudrait devenir premier ministre de Malaisie, proposant même un vote national afin de montrer qu’il est plus populaire et plus écouté que Mahathir.
A côté de ces ambitions politiques, Ashaari revendique une expérience mystique hors du commun qui, selon le conseil national de la Fatwa, a conduit à une idéalisation du leader par des fidèles croyant à ses pouvoirs surnaturels et à son titre de Abuya (père de tous). Ashaari prétend en effet avoir rencontré le prophète et ses compagnons et dialogué avec eux. Pour le conseil national, cette affirmation ébranle les fondements de la doctrine islamique parce qu’elle présuppose que le Coran et les hadiths sont incomplets. Ashaari Muhammad dit aussi que le prohète aurait reconnu les enseignements de Al-Arqam. Il se déclare encore investi d’un pouvoir divin de Kun-fayakun (être et devenir) qui, selon le conseil national, peut conduire au syirik. Enfin, le leader, se réclamant du clan du prophète, Bani Tamin, porte le titre de At-Tamini. cette revendication d’origine est rejetée par le conseil national qui affirme qu’il est en réalité descendant de Malais de Bawean (île de la mer de Java au nord de Madura).
Toutes ces raisons, ajoutées au refus d’Al-Arqam d’observer les lois religieuses islamiques de l’Etat ainsi que les conseils et décisions des plus hautes autorités religieuses du pays, ont conduit à la décision du 5 août 1994. Ashaari a été arrêté en septembre 1994 par les autorités thaïlandaises qui l’ont remis à la police malaisienne. Détenu avec la plupart de ses proches collaborateurs dans le cadre de la loi de sécurité interne, il a confessé avoir dévié des véritables enseignements de l’islam et formulé son repentir devant un comité national de Fatwa, le 20 octobre 1994. Toujours en détention, il est maintenant en cours de ré-insertion dans la “vraie” voie de l’islam.