Eglises d'Asie

LE POINT SUR LA SITUATION SOCIALE ET POLITIQUE

Publié le 18/03/2010




Les Khmers rouges ou la politique de la terre brûlée

Depuis deux mois, les Khmers rouges ont intensifié leur politique de la « terre brûléeS’infiltrant par petites unités de 40 à 100 hommes, ils incendient quelques dizaines de maisons, tuent quelques villageois, raflent de l’argent ou de la nourriture, puis se retirent avant que l’armée gouvernementale ait pu les intercepter.

Les observateurs continuent à s’interroger sur la stratégie des Khmers rouges. Certains voient dans ces incendies une réaction de gens acculés et désespérés. Il faut toutefois se souvenir que telle a été leur tactique de 1970 à 1975 dans leur combat pour la prise du pouvoir. On remarque qu’ils détruisent systématiquement tous les bâtiments construits par les ONG, écoles, dispensaires, voulant sans doute décourager tout effort de reconstruction ou de développement du pays.

L’amnistie proposée par le gouvernement en juillet 1994 aux Khmers rouges qui se rallieraient s’est terminée le 15 janvier. Plusieurs parlementaires, quelques chefs militaires et le roi Sihanouk étaient favorables à sa prolongation. De sources gouvernementales, on avance le chiffre de 5 000 ralliés pour la seule année 1994, et plusieurs centaines durant la première quinzaine de janvier 1995. Dernier en date, Vorn Kha, commandant de la division 305, opérant dans le secteur de Chikreng, se rallie le 21 février, annonçant le rallliement de 81 de ses soldats, s’il gardait la vie sauve.

Il convient toujours de prendre ces chiffres avec prudence, les « ralliés » du passé s’étant révélés n’être que des déserteurs gouvernementaux… Cependant, cette fois, une partie des ralliements semblent réels. Le général Toan Chhay, gouverneur de la province de Siemréap, fait toutefois remarquer que les « ralliements » ont eu lieu quand les soldats khmers rouges étaient prisonniers, ou sur le point de l’être, mais qu’ils ne sont pas venus se rendre de leur plein gré. Après la visite de Sihanouk dans la province de Battambang, le 24 janvier, 150 Khmers rouges se sont ralliés, dont 12 combattants effectifs, avec leurs armes.

La mise des Khmers rouges « hors-la-loi » en juillet 1994, les pressions internationales exercées sur la Thaïlande pour qu’elle cesse toute forme d’aide aux maquisards, leur a sans doute rendu plus difficile l’approvisonnement en nourriture, en armes et en munitions. Cependant, l’aide thaïlandaise n’a pas totalement cessé! Les Khmers rouges restent, d’autre part, l’une des organisations terroristes les plus riches du monde et il semble prématuré de dire qu’ils sont à cours d’armes et d’argent. Les ralliements et l’insertion dans les FARC (Forces armées royales cambodgiennes) ne seraient-elles pas une tactique de noyautage?

Selon plusieurs observateurs, les ralliés seraient des porteurs, des gens recrutés plus ou moins de force, mais peu seraient des combattants. Le dernier en date, Vorn Kha, n’est entré dans la clandestinité qu’en 1986. Il restait un noyau dur d’environ 1 000 cadres anciens, idéologiquement bien formés, entourant Pol Pot, Ta Mok et les leaders historiques. Ce noyau dur serait décidé à lutter sans compromission. La direction du Parti continuerait de penser que la solution militaire est la seule possible, et ne pardonne pas à Rannariddh de n’avoir pas tenu ses promesses, faites avant les élections de 1993, de les intégrer dans le gouvernement royal s’ils ne sabotaient pas le scrutin, comme ils en avaient la possibilité…

En décembre, Sar Kim Lamuth, haut responsable des finances des Khmers rouges s’est « rallié » aux autorités de Phnom Penh, à la demande de sa fille venue d’Amérique. Les Khmers rouges affirment qu’il est tombé dans un piège tendu par Phnom Penh, et continuent de le considérer comme un « patriote », sans doute pour invalider son témoignage. Il est vrai que Lamuth n’a pas révélé les secrets qu’il détient sur les finances khmères rouges! Cependant, son « ralliement » dénote un certain malaise chez les intellectuels khmers rouges: depuis leur mise « hors-la-loi », les intellectuels en poste à l’étranger ont reçu l’ordre de revenir vivre dans la jungle, ce qui n’est pas précisément pour leur plaire. Certains auraient choisi de quitter le mouvement. Selon Lamuth, Ieng Sary et Nuon Chéa seraient très malades. Il confirme que Khieu Samphan n’occupe qu’une place subalterne à l’intérieur du Parti.

Les ralliés, leur familles, et les personnes déplacées par les combats sont nourris par une aide américaine. Le 24 janvier, une première livraison de 50 000 rations, sur un total de 250 000, a été fournie à l’armée. Le gouvernement s’est également engagé à leur fournir des terres. Plus de 4 000 rations étaient en vente sur le marché de phnom Penh dès le 27 janvier.

Le 23 janvier, le roi Sihanouk a de nouveau tendu la main aux responsables Khmers rouges pour qu’ils cessent le combat et rejoignent la vie politique du pays. A part Pol Pot et Ta Mok qui devront s’exiler dans un pays d’accueil, les membres du gouvernement provisoire Khmer rouge, y compris Khieu Samphan, Ieng Sary, Son Sen, sont invités à former un parti politique et à préparer les prochaines élections de 1998. Ils doivent, pour cela, respecter la constitution, cesser les combats, et résoudre leur opposition par des moyens pacifiques.

Les Khmers rouges ont répondu dans la nuit qui a suivi cette proposition, en incendiant 72 maisons de Thmar Kaul, sur les lieux même où elle leur a été faite et ont lancé un appel aux villageois pour qu’ils se soulèvent contre la coalition gouvernementale!

En dépit d’offensives appuyées par du matériel lourd, l’armée gouvernementale s’est révélée, comme l’an dernier, incapable de reprendre aucune place forte Khmère rouge.

Selon le chef d’Etat-major adjoint des FARC, 3 000 soldats ont tenté de reprendre le temple de Préah Vihéar, situé au sommet d’une falaise dominant le Cambodge, et dont l’accès n’est possible que de Thaïlande. Le temple a été pris par les Khmers rouges en 1993. Le 22 janvier, les gouvernementaux ont pris le village de Prah Palai, à 20 km des temples. Le 10 février, 80 Khmers rouges se seraient ralliés, et les temples ne seraient défendus que par 60 Khmers rouges qui se procureraient de la nourriture auprès des villageois thaïlandais. Cependant, il semble que l’armée ait subi de lourdes pertes, et que l’ordre d’attaquer le temple soit reporté « sine die », officiellement pour ne pas endommager les monuments!

Quelque 3 000 hommes ont été dépéchés pour prendre la base d’Anlong Veng (on se souvient que la même base a été prise par les gouvernmentaux le 7 février 1994, puis reprise trois semaines plus tard par les Khmers rouges). Après le démembrement des réseaux d’approvisionnement des révolutionnaires, et après avoir annoncé la prise imminente de la base, l’armée gouvernementale a dû se replier, à cause des nombreux soldats blessés par les mines (environ 180 blessés). Selon les derniers ralliés, Ta Mok serait retranché à Anlong Veng avec 200 à 300 hommes. Le 6 mars, on apprenait que les FARC s’étaient rendus maîtres d’Anlong Veng, les 260 défenseurs s’étant ralliés (CD du 06.03.95).

Le 15 février, plus de 1 000 policiers et 300 soldats appuyés par 5 hélicoptères armés, ont attaqué la base de Kam Rieng, dans le district de Sangker (Battambang), qui serait défendue par 150 Khmers rouges. L’armée tente d’utiliser la tactique qui s’est révélée efficace au Phnom Voar et au Phnom Kulen: persuader les Khmers rouges par leurs femmes ou anciens amis, à se rendre…

Les forces de police, sans doute mieux organisées et disciplinées, dépendant de Sâr Kheng, beau-frère de Chéa Sim, président de l’Assemblée nationale, sont habituellement jointes aux forces armées dans les diverses opérations. On ne peut parler de recrutement forcé de la part des forces gouvernementales: c’est souvent la misère et la faim qui poussent les jeunes et moins jeunes hommes à rejoindre temporairement les rangs de l’armée nationale. Ces hommes sont envoyés sans entraînement au front, et meurent pour quelques francs. On signale des désertions en masse: 300 à 1 000 dans le secteur de Battambang. Les déserteurs affirment n’avoir pas reçu leur paie depuis plusieurs mois (PP Post du 10 février).

Ces combats font de nombreuses victimes civiles et militaires: le gouvernement de Phnom Penh reconnaît la mort de 31 soldats et de 37 civils par faits de guerre dans les provinces de Battambang, Siemréap et Préah Vihéar durant le seul mois de janvier. Durant la même période, 60 maquisards auraient été tués, 51 blessés, 99 arrêtés. Le nombre des personnes déplacées atteint plus de 160 000.

Les hôpitaux militaires de Siemréap et de Phnom Penh sont débordés. 180 blesssés ont été transférés à Phnom Penh de Siemréap les 14 et 15 février! A Phnom Penh on en reçoit entre 50 et 60 par jour et l’hôpital militaire, prévu pour 500 lits, héberge 714 blessés. Selon le CICR, 460 blessés l’ont été par faits de guerre, 70% par explosion de mines. On est incapable de donner le nombre des morts, car les cadavres sont brûlés sur place. Les membres du CICR sont surpris de ce que le gouvernement semble peu se préoccuper du sort des blessés (CD du 17.02.1995).

Le Cambodge a demandé à la France, aux Etats-Unis et à l’Australie de le ravitailler en armes et en munitions. Mais les trois pays exigent une réforme préalable de l’armée. Même si plusieurs délégations américaines saluent les efforts accomplis dans ce sens, beaucoup reste à faire. Les autorités cambodgiennes se sont donc tournées vers le marché international des armes. Outre les 100 tanks achetés à la Pologne et à la République tchèque et débarqués au Cambodge le 12 février, les hélicoptères de combats ukrainiens réparés par les Israéliens (EDA 191), le Cambodge a acheté 300 tonnes de matériel militaire de type soviétique aux Seychelles. Cette cargaison destinée à la Somalie avait été saisie en 1993 par les autorités des Seychelles, pour infraction aux résolution de l’ONU sur l’embargo des livraisons d’armes à la Somalie. 90 tonnes de matériel ont été vendues au Rwanda et au Zaïre, et le reste au Cambodge, pour 400 000 dollars, alors que la cargaison en valait 4 millions. Ces armes sont arrivées à Kompong Som en décembre 1994.

Phnom Penh: La lutte pour le pouvoir et la succession dynastique

Devant l’impossibilité de vaincre les Khmers rouges et d’apporter du bien-être au pays, depuis les derniers mois de l’année 1994, un mouvement populaire, comprenant des parlementaires, des étudiants, des déçus du FUNCINPEC, (« Front uni national pour un Cambodge indépendant, neutre, pacifique et coopératif »), parti royaliste vainqueur aux élections de 1993), des membres de l’armée et de l’administration, sans parler des paysans, s’exprime de plus en plus ouvertement pour le retour de Sihanouk à la tête de l’Etat. N’est-ce pas pour lui qu’a voté le peuple en accordant son suffrage à Ranariddh, en mai 1993 ?

Le 27 décembre 1994, Son Sann, chef du Parti bouddhiste libéral démocratique (PDLB), qui détient 10 sièges à l’Assemblée nationale (sur 120) avait lancé un « appel urgent » pour que « tous les pouvoirs nécessaires » soient transférés au roi Sihanouk, en vue de réaliser la réconciliation nationale. Pour prévenir les critiques du PPC, les membres du PDLB précisaient le 3 janvier que cet appel était constitutionnel. Sihanouk (qui semble remis de son cancer) est rentré de Pékin le 4 janvier, et demeurera au Cambodge jusqu’au nouvel an khmer (mi-avril).

Le Prachéachon (PPC, « Parti du peuple cambodgienex-parti communiste, mis en place par le Vietnam en 1979), réel détenteur du pouvoir, ne l’entend pas ainsi. Lors d’une réunion de son bureau politique central tenue à huis-clos, à la fin décembre, il avait, par avance, décidé de s’opposer à toute tentative de retour de Sihanouk au pouvoir. Il s’appuie sur la Constitution selon laquelle le roi « règne, mais ne gouverne pasCe sera la position continuellement rappelée par Hun Sen, second-premier ministre, joignant parfois la menace d’utiliser la force pour s’opposer à toute modification de la constitution. Le 19ème plenum du PPC, le 17 février reprendra les mêmes termes.

Même Ranariddh, fils de Sihanouk et premier-premier ministre, s’oppose au retour de son père aux affaires, et, le 9 janvier, qualifiait l’appel de Son Sann de « pas vers un coup d’Etat« , « coup en douceursuivant le « coup dur » du 2 juillet dernier. Après l’appel lancé, le 24 janvier, par le roi aux Khmers rouges en vue de la réconciliation nationale, et que beaucoup regardent comme un soutien à son fils, Ranariddh écrit le 30 janvier, une lettre à son père pour l’assurer de son « soutien inconditionnel » à sa proposition. Cependant, le 21 février, le roi réaffirme son refus de reprendre le pouvoir, et même s’il déclare ne pas admirer le gouvernement actuel, il doit l’accepter. Curieusement, durant le mois de février, beaucoup commencent à parler ouvertement de la succession au trône.

La constitution prévoit que la succession au trône sera assurée par un vote du Conseil du trône qui comprend Chéa Sim, président de l’Assemblée nationale, les deux co-premiers ministres, les chefs suprêmes des deux ordres monastiques et les deux vice-présidents de l’Assemblée nationale. Les électeurs du futur roi sont donc, pour moitié, membres du PPC.

Le roi tente de redorer son image royale en reprenant les méthodes d’autrefois: distribution de kramas (écharpes cambodgiennes), voyages en provinces, inauguration de ponts, etc. (Les visites royales ont pour effet positif de faire nettoyer les villes et restaurer quelques monuments en ruines). Mais il ne se fait guère d’illusion sur l’avenir du trône, et place son espoir dans les mérites de ses « ancêtres qui sauveront sans doute la monarchie. Mais comment puis-je sauver la monarchie, si les autres font toutes les erreurs imaginables pour la faire sombrer ? » (sans doute allusion à son fils Ranariddh). Pour le roi, le problème des Khmers rouges semble secondaire; les divisions à l’intérieur du gouvernement lui paraissent plus dangereuses pour l’avenir du pays.

Le roi voudrait changer le mode de désignation du futur monarque et choisir dès à présent un candidat « neutre, acceptable par le gouvernement et le parlement, ainsi que par toutes les tendances populaires, y compris par les Khmers rougesEn l’absence de consensus, Chéa Sim, président de l’Assemblée nationale et homme fort du PPC, deviendra régent. « Cela lui plairait beaucoupdit Sihanouk.

Une demi-douzaine de fils de Sihanouk sont prétendants. Le choix de Ranariddh sera automatiquement bloqué par le PPC et les Khmers rouges. Shihamoni, candidat de la reine, semble plus intéressé par la danse et les arts anciens que par le trône. Yuvanéath, réfugié à Boston, serait le candidat de Hun Sen, qui lui a demandé de rentrer au pays. Ce serait un roi sans personnalité et très malléable dans les mains du Prachéachon (FEER du 02.03.95).

C’est dans ce contexte qu’il faut lire la saisie, le 15 février, de 900 brochures (et interdiction d’éditer les dix mille prévus) intitulées « seul le roi peut sauver le Cambodgepubliées par le journal « Samleng Youvachoun Khmer » (La voix de la jeunesse khmère). Dans un essai en 18 points, la brochure démontrait comment le PPC avait violé la constitution. « La Constitution n’est pas un obstacle bloquant la recherche de la paixaffirmait d’autre part la brochure, ouvrant la voie à une modification éventuelle en faveur du roi. Aucun mandat n’a été délivré pour justifier cette saisie, ordonnée par Hun Sen en personne, qui craint que la diffusion d’une telle brochure soit « une provocation et une invitation à des manifestations de masse en vue de demander au roi de reprendre le pouvoir ». Le gouvernement se contente de dire qu’aucune autorisation préalable n’avait été accordée pour l’édition.

Tous les observateurs s’accordent à constater que le FUNCINPEC est en perte de vitesse, et que la réalité du pouvoir reste aux mains du Prachéachon, dont les hommes occupent tous les leviers de commande du pays. Le contigent de l’ONU qui devait contrôler l’administration de Phnom Penh avant les élections, a laissé les choses en l’état. La décision du roi Sihanouk de placer deux personnalités issues des deux parties à la tête de chaque ministère a contribué largement à la paralysie de l’administration du pays.

En janvier, au moins pour la troisième fois, on annonçait le changement de gouverneur des riches provinces de Battambang, de Kompong Cham, et de Kompong Thom. Bien que les noms des remplaçants aient circulé, aucun changement n’est intervenu, les détenteurs du pouvoir ne désirant guère abandonner des provinces si juteuses. (Il est de notoriété publique que le propre frère du Hun Sen, gouverneur de Kompong Cham, organise le trafic du caoutchouc et du bois dans la province). Selon Sam Rainsy, ancien ministre des finances, 25 millions de dollars provenant de l’exploitation du caoutchouc sont détournés chaque année (CD du 03.03.95).

Bun Sron (FUNCINPEC), gouverneur de la province de Kompong Sam, se plaint ouvertement de ce que ce soit son adjoint (PPC), ancien responsable de la province, qui exerce la réalité du pouvoir, qu’il doive lui en référer pour toute décision, « même pour envoyer une lettre », et que les fonctionnaires locaux refusent de lui obéir (Phnom Penh Post du 24.02.95). Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. Il est vrai, toutefois, que les ministres et fonctionnaires les plus compétents appartiennent au PPC.

Le prince Sirivudhh, ancien ministre des Affaires étrangères, et secrétaire général du FUNCINPEC, émet le voeu que son parti contrôle 50% de l’administration d’ici la fin de l’année. « Certains partis ont choisi de financer les organes de pouvoir, c’est-à-dire la police et l’armée, nous, nous voulons gagner les coeurs, afin de remporter les élections de 1998 » (CD du 28.02.95).

Le 3 février, Ranariddh nomme cinq de ses fidèles (Loy Sim Chhéang, Veng Sereyvuth, Por Bun Sreu, Toh Lah, Krauch Yoeun) à la tête du comité directeur du FUNCINPEC, pour contrebalancer l’influence du prince Sirivuddh, demi-frère de Sihanouk, qui a la confiance du roi et qui pourrait être le candidat à la succession au trône. Sur demande de Sihanouk, le prince Sirivuddh renonce à créer un parti royaliste au sein du FUNCINPEC.

Plusieurs craignent une opération montée contre Ranariddh dans les semaines ou les mois à venir, et un renforcement des pouvoirs du PPC. C’est sans doute pour affirmer haut et fort le soutien des Etats-Unis à Ranariddh, ou au maintien du calme relatif actuel, qu’on rappelle une lettre écrite l’an dernier par Charles Twining, ambassadeur des Etats-Unis au Cambodge, félicitant chaleureusement les deux co-premier minstres.

Imbroglios politico-financiers

Le partage du pouvoir semble être avant tout le partage des richesse et des revenus du pays. Beaucoup d’hommes politiques agissent plus au nom d’intérêts financiers personnels qu’au nom du bien de la nation (Le Monde diplomatique de février 1995). L’affaire des contrats avec la Malaisie en fournit un exemple éloquent. En décembre 1994, le gouvernement a accordé deux concessions à la société malaisienne Samling Corporation pour l’exploitation de 787 610 hectares de forêts, dans les provinces de Kratié, Mondolkiri, Kompong Cham, Koh Kong et Kompong Speu, soit 11% de la superficie des forêts restantes et 4,4% du territoire cambodgien! Le tout pour une valeur de 110 millions de dollars (CD du 13.01.1995).

Le 28 décembre, le gouvernement signe un contrat avec la société malaisienne Malaysia Helicopter Service (MHS), créant la société nationale Royal Air Cambodge (RAC) qui commence ses vols à partir du 2 janvier.

La RAC possède un capital de 10 millions de dollars, détenu pour 40% par la société malaisienne, et pour 60% par le gouvernement cambodgien. Le gouvernement, n’ayant pas les liquidités pour apporter ces 6 millions de dollars nécessaires, la société malaisienne lui prête cette somme, pour une durée de 7 ans.

Cette société mixte possède l’exclusivité de tous les vols intérieurs. La Compagnie thaïlandaise CIA (Cambodia International Airlines) qui assurait ces vols, a été prévenue le 24 décembre, qu’elle devait cesser imédiatement toutes ses activités (EDA 191). L’annonce brutale de l’interdiction de vol de la CIA a provoqué une protestation de la part des autorités thaïlandaises. Les avions de la RAC ont été interdits d’attérissage en Thaïlande. Le Cambodge n’ayant pas reconnu la convention internationale de l’aviation civile, toute action contre le gouvernement paraissait difficile. Finalement un accord est intervenu: la SK Air, à capitaux en partie thaïlandais a été intégrée dans la RAC, et ses avions repeints aux couleurs de la RAC. Les 30 000 billets vendus par la CIA ont été remboursés par la RAC.

Le 2 janvier, un contrat signé à Kuala Lumpur, en présence du premier ministre de Malaisie, accorde à la société malaisienne Ariston (affiliée au groupe FACB) le droit de construire un casino et un aéroport international sur l’île cambodgienne de Naga, au large de Sihanoukville, portant sur 1,3 milliard de dollars. La société malaisienne obtient la location de l’île pour 70 ans, dont 8 ans sans impôts, et une taxe de 7% sur les jeux. Elle obtient également l’exclusivité sur la création de tous les casinos pendant 10 ans.

Outre cette concession, Ariston possède des intérêts dans le journal de langue anglaise très pro-gouvernemental « Cambodia Times », la loterie cambodgienne et le Regent College de Phnom Penh. Cette société est éventuellement candidate à la construction d’un terrain de golf et d’une ligne de chemin de fer reliant Pochentong à Phnom Penh. Déjà, la société Casino Austria a obtenu la gestion du casino flottant installé sur la Tonlé Sap, à Phnom Penh. Un deuxième casino flottant va s’ouvrir à Sihanoukville. Cinq autres devraient s’ouvrir bientôt.

« Le Cambodge utilise le jeu de casinos comme moyen de promouvoir le tourisme, l’emploi et le développement économique régionaldit le ministre cambodgien du tourisme. Le ministre oublie sans doute la création d’un casino en 1968 par Sihanouk, affermé à des Chinois de Hong Kong, qui au lieu d’assurer le redressement économique prévu, avaient largement causé la fuite de capitaux vers l’étranger. Selon les experts internationaux, la création d’un casino est le moyen habituellement choisi pour blanchir l’argent sale. Déjà actuellement 700 000 dollars sont blanchis chaque semaine par 25 banques installées dans ce but au Cambodge (Le Monde Dipl., février 1995).

Un groupe de 15 parlementaires de 3 partis (tous sauf le PPC) demande des explications au gouvernement sur la signature de ces contrats. Le 19 janvier, le comité parlementaire de l’Education, la Culture et le Tourisme adressent une lettre officielle à Chéa Sim et demande à avoir une copie des contrats, dans les huit jours, comme le stipule la constitution. Le 30 janvier, Sam Rainsy qualifie ces contrats d’« anticonstitutionnelscar ils violent 4 articles de la constitution, et demande leur annulation. Des pressions sont exercées sur des parlementaires: plusieurs retirent leur signature. On accuse Rainsy de ne pas suivre la procédure légale, et, après s’être opposé aux investissements thaïlandais, de s’en prendre aux investissements malaisiens, de révéler des informations confidentielles, etc. Plusieurs députés entreprennent des démarches pour demander l’asile politique à l’étranger… Rainsy et trois autres députés se rendent en Malaisie pour demander au gouvernement de ce pays d’aider le Cambodge à devenir un pays de droit. Le gouvernement refuse de donner copie des contrats, qui, de toutes façons, contiennent des clauses secrètes non écrites… La session parlementaire est subitement écourtée, sans doute pour éviter les questions embarrassantes (CD du 22.02.95).

On s’étonne de ce qu’une petite société, jusqu’alors pratiquement inconnue, obtienne un contrat si juteux, alors qu’au moins 7 autres sociétés importantes avaient proposé leur candidature. La réponse sera donnée par le prince Ranariddh lui-même, le samedi 21 janvier, lors de la remise officielle du « cadeau » par la FACB: un Fokker 28, de 60 places. Les personnalités contactées refusent de préciser si le don de ce Fokker, d’une valeur de 108 millions de dollars, fait partie du contrat ou est un cadeau. « Ne cherchez pas à semer le troublea-t-on répondu aux enquêteurs. Ranariddh a reconnu que c’était « une pratique habituelle pour les investisseurs, de donner des cadeaux, et une partie de leur bénéfices au gouvernement » (CD du 26.01.95). Pour sa part, Sam Rainsy affirme qu’on a demandé un pot de vin de 10 millions de dollars aux différentes sociétés candidates à l’octroi de la concession, et que c’est celle qui a accepté de verserle plus, qui a obtenu le contrat (CD du 03.03.95)!

La presse en langue cambodgienne stigmatise souvent le pillage du pays par ses dirigeants, mais en confondant l’insulte, la diffamation et l’analyse politique, elle fournit des arguments pour se faire baillonner. Le 14 janvier, le journal « Samieng Youvachon Khmer » publie une caricature de Ranariddh portant un sac d’argent sur sa tête. Le journal est saisi. Le 6 février, le journal « Pondarméan séreiphéap They(Informations de la nouvelle liberté), qualifie le Cambodge de « pays de voleursLe 27 février, le directeur du journal est condamné à une amende de 2 000 dollars et à un an de prison ferme! Le même jour, le directeur de « Samrek Réas Khmer » (Cri du peuple khmer) est condamné à une amende de 1 230 dollars, pour avoir traité Ranariddh de « démonUn projet de loi sur la presse prévoit que les accusations de corruption, même fondées, seront interdites, parce qu’elles affaiblissent la popularité des fonctionnaires et du gouvernement.

Budget et Développement

Le 30 décembre 1994, l’Assemblée nationale a adopté le budget national de l’année 1995 sans discussion. Le prince Sirivuddh, secrétaire général du FUNCINPEC, avait demandé aux parlementaires de son groupe d’en accélérer l’approbation, afin d’éviter les dissensions au sein de son parti. Ranariddh, premier-premier ministre, justifie cette hâte par la difficulté d’établir un budget, et par l’obligation de le présenter dans les délais demandés par le FMI. Cependant ce dernier avait accordé une semaine supplémentaire.

Le budget porte sur une enveloppe de 426 millions de dollars. 180 millions de recettes proviennent d’aides internationales. 1,5 seulement proviennnent des revenus forestiers (contre 150 en 1994!), 46,6% du budget est affecté à l’armée et à la police (contre 48% en 1994), 11% à l’éducation nationale, 4,9% au développement rural, 4,2% à la santé (CD du 11.01.95).

Le FMI a recommandé d’augmenter les taxes sur les produits pétroliers afin d’augmenter les revenus de l’Etat et décourager la contrebande. Le litre d’essence est monté de quelques centimes. Des impôts commenceront à être réclamés pour les salariés gagnant mensuellement plus de 300 dollars (5 à 20% selon les salaires). Une taxe de 2% va être prélevée sur les sociétés réalisant un bénéfice de plus de 100 000 dollars par an (CD du 02.03.95).

Des efforts pour mettre fin à la contrebande sont lancés par le gouvernement qui estime qu’entre 30 à 40% des produits importés le sont clandestinement, entraînant une perte de recettes comprise entre 3,8 et 5,8 millions de dollars chaque mois. 1 050 douaniers sont chargés de contrôler les importations.

De source gouvernementale, on annonce un déficit alimentaire de 300 000 tonnes, dû aux inondation et à la sécheresse qui s’ensuivit. Le PAM (Programme alimentaire mondial), quant à lui, a fait une évaluation des besoins qui s’élèverait à seulement 90 000 tonnes. Plusieurs gouvernements se sont engagés à donner 40 000 tonnes de riz. 9 500 tonnes étaient effectivement livrées au début février. Le pape a accordé une aide de 70 000 dollars pour acheter du riz. Le PAM distribue son aide sous forme de « nourriture en échange de travail » (Food for Work), rémunérant en nature les paysans qui creusent des canaux, élèvent des digues, spécialement pour irriguer 3 000 hectares de rizières de saison sèche (CD du 02.02.95). Le 24 janvier, lors d’une session du parlement, un député a déclaré qu’il ne croyait pas que la distribution des aides parvienne au peuple à 100%. Michael Kirby, représentant spécial du secrétaire général de l’ONU pour l’observation du respect des droits de l’homme au Cambodge, a demandé, pour sa part, que soit mis en place un système de contrôle de la distribution des aides (CD du 26.01.95).

Selon le sous-secrétaire d’Etat à l’agriculture, la pêche en 1994 a produit 65 000 tonnes de poissons, soit 25 000 tonnes de moins qu’en 1993. Des postes de contrôles illégaux tentent d’arrêter les bateaux vietnamiens qui viennent chercher le poisson au Cambodge, et qui à chaque passage en emportent entre 3 000 et 5 000 tonnes (CD du 16.01.95).

Pressé par le FMI, le gouvernement veut réduire le nombre d’employés de son administration pléthorique (143 855 fonctionnaires), de 20% d’ici 1997. Le 7 février, tous les fonctionnaires devaient se rendre obligatoirement dans 493 centres et y passer la journée afin d’y être dénombrés. Ainsi ils pourraient toucher leur paie de décembre! On voulait ainsi éviter que des fonctionnaires ne soient inscrits à plusieurs postes. 8 707 fonctionnaires ont été portés manquants, dont 5 220 avec des raisons plausibles. L’opération a coûté 200 000 dollars pour la formation de 602 personnes chargées de l’organisation de ce décompte, l’achat d’ordinateurs, le transport des fonctionnaires… Les fonctionnaires gagnent en moyenne 23 dollars par mois, soit nettement au dessous du minimum nécessaire pour nourrir une famille, estimé entre 100 et 200 dollars pour les citadins (PP Post du 10 février).

Investissements

Depuis la promulgation du code des investissements, en avril 1994, des promesses d’investissements d’une valeur totale de 2 milliards de dollars ont été faites au Cambodge, permettant la création de 28 000

nouveaux emplois. Mais seulement 20% ont été concrétisés. Selon Sam Rainsy, ancien ministre des Finances, « les investisseurs sérieux et honnêtes ne viendront pas investir dans un pays sans loi. Un pays sans loi ne peut attirer que des investisseure véreux, qui tireront leur profit du pays et engendreront la corruption ». (CD du 03.02.95). Il est significatif que le Japon, le plus grand pays donateur d’aide au Cambodge, n’ait pratiquement rien investi dans le pays.

Dans ce contexte politico-financier pour le moins trouble, la Conférence internationale pour la reconstruction du Cambodge (ICORC) qui doit rassembler à Paris, les 14 et 15 mars prochains, les diplomates de 19 pays, de l’ONU, de la Banque mondiale, de la Banque asiatique pour le développement, du FMI sera décisive. Lors d’une séance préparatoire, qui s’est tenue à Phnom Penh le 20 février, les ambassadeurs des Etats-Unis, du Canada et de l’Australie ont exprimé une menace voilée de diriger leur aide vers d’autres pays de la planète: le Palestine, la Somalie, la Bosnie et ailleurs… le Cambodge n’est plus une priorité stratégique, et ne représente que peu d’intérêt économique. Après avoir apaisé leur conscience, les pays donateurs sont fatigués « Assez, c’est assezdit un ambassadeur (PP Post du 10.02.95). Suite au pots-de-vin exigés par les autorités cambodgiennes pour les contrats avec des entreprises malaisiennes, Sam Rainsy demande aux membres de l’ICORC de n’accorder que des aides conditionnelles, liées à une exigence de transparence. Michael Kirby, représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies pour l’observation des droits de l’homme au Cambodge, demande, pour sa part, que l’octroi d’aide soit lié à l’amélioration du respect de ces droits. Mais ce sera sans doute l’occasion, pour certains pays, dont la France, de faire de la surenchère, afin de vouloir à tout prix, assurer une présence en Asie du Sud-Est. Pour d’autres, de privilégier à tout prix la stabilité temporaire du pays.