Eglises d'Asie

EGLISES PROTESTANTES A L’APPROCHE DE 1997Un avenir incertain

Publié le 18/03/2010




L’horloge digitale de plusieurs mètres de haut située au bord de la place Tiananmen propose une touche poétique à l’histoire de Hongkong. Alors que les fonctionnaires britanniques et chinois se crèpent le chignon sur les termes de la transition vers la souveraineté chinoise en 1997, l’horloge, impassible, compte le nombre de jours, d’heures et de minutes qui sépare Hongkong du retour à la mère-patrie.

Une horloge identique a été installée à Shenzen, la très vivante cité frontalière du sud. Pour les milliers de voyageurs chinois de Hongkong qui passent la frontière tous les jours, c’est un rappel poignant – si par hasard ils l’avaient oublié – que Hongkong est et a toujours été en sursis. Mais pour les six millions de personnes vivant sur le territoire, le retour à la Chine de la colonie britannique est une réalité incontournable. Des doutes continuent d’exister sur l’engagement de la Chine d’octroyer un haut degré d’autonomie à Hongkong après 1997, et ces questions travaillent presque tous les secteurs de la société de Hongkong.

Alors que les horloges de Pékin et de Shenzen continuent leur compte à rebours, les dirigeants chrétiens de Hongkong ont eux aussi commencé à regarder nerveusement leurs montres. Comment le transfert de pouvoir après 1997 va-t-il affecter la liberté religieuse des 1 200 églises et 200 organisations chrétiennes du territoire ? La question pèse lourd dans beaucoup d’esprits.

En théorie, la liberté religieuse après 1997 à Hongkong a déjà été affirmée par le gouvernement chinois. L’accord sino-britannique de 1984, qui régule la transition, stipule que la Chine ne changera pas la structure sociale ou le système capitaliste du territoire pendant les cinquante ans à venir.

La loi fondamentale de Hongkong, élaborée en 1989 par les fonctionnaires chinois, affirme aussi que les églises et les organisations ecclésiales peuvent continuer leurs activités librement après 1997. Selon la loi, les autorités chinoises et les dirigeants des organisations religieuses seront guidés par la politique des “trois réciprocités” : respect, non-interférence et non-subordination réciproques. Cela n’empêche pas que beaucoup de dirigeants religieux se posent des questions sur l’avenir. Au cours d’une rare manifestation d’unité, quelque 800 dirigeants chrétiens ont tenu un symposium de trois jours en janvier 1995 pour discuter des conséquences du passage de 1997.

“L’une des des craintes majeures exprimées durant la conférence a été la suivante : pouvons-nous faire confiance aux autorités chinoisesa déclaré le Dr Philémon Choi, directeur de l’organisation “Breakthrough Ministries”. “Nous sommes revenus à la loi fondamentale et nous avons décidé que nous continuerions à vivre selon la lettre, que nous prendrions cette loi fondamentale pour ce qu’elle dit être, et que nous ferions confiance à l’autre partie pour qu’elle respecte ce qu’elle a écritAu cours de la conférence, les dirigeants des églises ont accepté cette proposition avec enthousiasme. Cependant, Choi admet qu’après le symposium, beaucoup de délégués, en privé, continuent à exprimer des craintes sur l’avenir.

Des Eglises vulnérables

Si les promesses de la Chine devaient être prises à la lettre, la transition de 1997 ne donnerait aucune raison aux chrétiens de faire leurs valises. Pourtant, c’est par milliers qu’ils ont déjà émigré. Une enquête conduite en 1991 par l’Institut chrétien de Hongkong a trouvé qu’un chrétien sur quatre aura quitté le territoire pour de bon ou détiendra un passeport étranger en 1997. Ce chiffre est le double de celui de la population dans son ensemble qui est de un sur huit.

Beaucoup d’émigrés sont des pasteurs âgés qui ont fait l’expérience personnelle du régime communiste chinois. D’autres craignent que les assurances de la Chine sur le maintien des libertés fondamentales à Hongkong après 1997 soient trop vagues pour offrir une réelle protection.

Pour guider les chrétiens dans cette période d’incertitude, ne restent que des dirigeants jeunes, surmenés et très inexpérimentés. L’exode des vieux pasteurs a forcé beaucoup de jeunes ecclésiastiques à passer directement du séminaire à des postes de responsabilité. La moyenne d’âge des pasteurs de Hongkong qui ont des responsabilités est de moins de quarante ans.

D’après le Dr Kim Kwong Chan, aumônier du collège Chung Chi à l’université chinoise de Hongkong, beaucoup d’Eglises à extension internationale ont déjà discrètement retiré du territoire, du personnel et des capitaux. Pour la direction locale qui reste sur place, fatigue et démoralisation créent des problèmes. “Beaucoup de jeunes pasteurs arrivent au bout du rouleaudit Chan. “Ils se sentent poussés vers des positions sans issue

Bien que les dirigeants des Eglises de Hongkong préfèrent le plus souvent ne pas en parler, la plupart sont très conscients de la vulnérabilité de l’Eglise de Hongkong. En dépit des promesses du gouvernement de Pékin de ne pas s’immiscer dans les affaires religieuses du territoire, les autorités communistes ont déjà un certain nombre de leviers de commande stratégiques à leur disposition. “Tout ce qu’il suffira au futur gouvernement de faire sera d’examiner les régulations existantes et de les renforcerdéclare un responsable d’Eglise. “Les autorités pourront se donner toutes sortes de raisons liées à la sécurité publique pour déstabiliser les activités de l’Eglise

Les terrains étant une rareté dans cette cité surpeuplée, la majorité des assemblées dominicales se déroulent dans les centres commerciaux, les quartiers résidentiels ou les auditoriums et les salles de classe des écoles. Selon l’estimation de certaines sources, au moins 50% de ces églises ne respectent pas les règles de sécurité. Le gouvernement colonial semble avoir largement ignoré ces infractions, mais il n’y a pas de garantie que les futurs maîtres de Hongkong adoptent la même attitude. “Les Eglises de Hongkong sont devenues laxistes de ce point de vue et n’ont pas examiné leur statut juridique depuis longtempsdit Chan. “Beaucoup ont considéré leur liberté comme acquise et n’ont pas respecté les réglements

En dépit de cette vulnérabilité, peu d’observateurs d’Eglise croient que le gouvernement d’après 1997 puisse songer à fermer la moitié des églises du territoire, étant donné la position prominente de Hongkong sur la scène mondiale. Une telle initiative pourrait menacer la stabilité du territoire, selon le Dr Jonathan Chao du centre de recherche de l’Eglise chinoise de Hongkong. “Je ne pense pas que le contrôle des affaires religieuses telles que le culte ordinaire et les écoles de théologie soit en tête de leurs priorités“, dit-il. Malgré tout, ajoute Chao, les efforts continuels de Pékin pour contrôler les activités religieuses à travers la Chine sont difficiles à ignorer quand on discute de la liberté religieuse à Hongkong après 1997. Quoi qu’il en soit de la volonté du futur gouvernement chinois de profiter des points de vulnérabilité des Eglises, peu de gens mettent en doute l’avantage psychologique certain qui est ainsi donné à la future administration.

Selon le Rév. Kwok Nai Wong, directeur de l’Institut chrétien de Hongkong, la dépendance de l’Eglise par rapport aux subventions gouvernementales pour financer des projets communautaires la rend aussi ouverte à la manipulation. Bien que protestants et catholiques ensemble ne forment que 8% de la population, les Eglises sont responsables de 60% des programmes d’aide sociale du territoire, 40% de toutes les écoles primaires et secondaires, et 20% des hôpitaux. “Ces projets ne sont pas financés sur les fonds propres des Eglisesdit Kwok. “Naturellement, pour que leur financement continue, les dirigeants d’Eglise doivent maintenir une politique tacite d’amitié avec le gouvernement

Pour le gouvernement, le financement de ces programmes est une manière profitable de pourvoir au service public sans avoir à l’administrer lui-même. Ce qui inquiète Kwok, cependant, est que ce soutien pourrait être subtilement utilisé par une administration future pour forcer les Eglises au silence sur des sujets sensibles.

Rien de ce qui se passe dans les Eglises de Hongkong n’échappe aux autorités chinoises. L’agence “Chine nouvelle”, qui représente officiellement la Chine à Hongkong, emploie cinq fonctionnaires à temps plein pour suivre les activités des Eglises sur le territoire. Les dirigeants d’Eglise qui les ont rencontrés sont unanimement surpris de la qualité de leurs informations.

Des sources affirment aussi que le très secret Bureau de la sécurité de l’Etat chinois entretient plusieurs représentants dispersés à travers la colonie. La tâche de ces agents est de rassembler discrètement des informations sur les activités “potentiellement” subversives, y compris celles des Eglises.

Pourtant, en surface, la Chine n’approche pas les Eglises avec des menaces mais plutôt avec des promesses. Beaucoup de dirigeants chrétiens de haut niveau, y compris ceux qui sont engagés dans les projets d’évangélisation de la Chine, sont invités à des réceptions organisées par les fonctionnaires chinois de l’agence “Chine nouvelle” à Hongkong. Pendant ces réunions, les fonctionnaires essaient souvent de rassurer les dirigeants des Eglises et de forger avec eux des liens d’amitié.

Pour Choi, une telle interaction est un facteur positif : “Beaucoup des membres de l’agence Chine nouvelle sont des intellectuels de progrès. J’espère sincèrement qu’ils pourront comprendre la situation religieuse ici et considérer l’Eglise comme un élément positif”.

D’autres, comme Jonathan Chao, continuent de douter des promesses de la Chine de ne pas s’immiscer dans les affaires religieuses de Hongkong : “Tout cela semble très bien, mais nous ne savons pas vraiment s’il s’agit seulement d’une tactique de propagande de Front uni pour la période de transition, ou bien si c’est pour de vrai

Dans les coulisses, la situation est encore plus complexe. Des sources affirment que les fonctionnaires de l’agence “Chine nouvelle” ont déjà, avec subtilité et précision, soufflé les noms de plusieurs personnalités chrétiennes classées comme “hostiles”, encourageant les autres dirigeants chrétiens de Hongkong à les garder à distance.

Plusieurs librairies chrétiennes de langue chinoise ont reçu, en 1992, des lettres de fonctionnaires chinois leur demandant de retirer de la vente les ouvrages d’un certain intellectuel chrétien s’ils voulaient continuer leur opération après 1997. L’écrivain en question, sinologue et théologien, avait osé interpréter la situation politique de la Chine à partir d’une perspective chrétienne.

Le commencement d’une nouvelle phase

Il est impossible de prévoir ce qui se passera à Hongkong après 1997 sans analyser aussi les perspectives politiques de la Chine. L’attitude que la Chine d’après Deng Xiaoping prendra à l’égard des activités religieuses indépendantes aura des conséquences directes sur les Eglises de Hongkong.

Pourtant, la plupart des sinologues sont d’accord pour dire que les changements économiques adoptés par le gouvernement chinois amèneront des changements politiques correspondants. La rapidité et l’étendue de ces changements politiques pourraient être déterminantes pour le destin des Eglises de Hongkong.

Schématiquement, les chrétiens de Hongkong ont trois approches du passage de 1997. Un petit nombre d’Eglises se préparent au pire, abandonnant leurs structures traditionnelles et mettant en place des réseaux de petits groupes. D’autres estiment que la meilleure approche pour les chrétiens est de s’engager dans un dialogue actif avec les fonctionnaires chinois afin d’essayer d’influencer leurs positions dans le sens voulu. Mais la voix la plus forte est sans aucun doute celle de la majorité silencieuse. Selon Chan, de l’université chinoise de Hongkong, la plupart des dirigeants des Eglises s’abstiennent de proférer une quelconque opinion qui pourrait mettre en danger leur position après 1997. “Ils sont prêts à aller là où le vent les porteradit Chan.

Pour Wong, de l’Institut chrétien de Hongkong, l’échec des Eglises à se donner une voix à un tel moment est une manière d’apaiser la Chine. Approuvant les efforts d’une poignée de chrétiens qui font campagne pour des changements démocratiques plus larges à Hongkong, Wong critique cet échec des Eglises à se faire entendre. “Si l’Eglise n’est pas présente pour se tenir aux côtés du peuple de Hongkong, pour exprimer ses peurs et ses inquiétudes à ceux qui détiennent l’autorité, alors je pense que l’Eglise a échoué misérablementdit Wong.

En dépit d’opinions différentes sur la période de transition, les dirigeants chrétiens du territoire sont unanimes à dire que le risque le plus important est interne. Quand on leur demande quel est le plus grand danger pour l’Eglise de Hongkong, ils mentionnent tous la peur et l’égoïsme. “Le silence est l’un des plus grands ennemis parce qu’il est le signe d’une Eglise qui abdique ses responsabilités et qui n’est pas fidèle à sa vocationdit Wong.

Chao, du Centre de recherche sur l’Eglise de Chine, approuve : “La peur a le pouvoir d’empêcher l’Eglise d’atteindre ses objectifsdit-il. “Les communistes le savent. Il s’agit donc de renforcer notre foi pour dépasser cette peur

Alors que les horloges de Pékin et de Shenzen se rapprochent de l’heure fatidique de 1997,

quelques dirigeants chrétiens de Hongkong appellent à une nouvelle perspective sur les défis qui les attendent. “Je vois la porte ouverte sur la Chine comme une occasion pour l’Eglise de Hongkong de ne pas se contenter du status quo, dit Chan, de l’université chinoise de Hongkong. “L’Eglise chinoise est économiquement plutôt faible, mais en termes d’expérience spirituelle elle a beaucoup à nous proposer. Ce pourrait être pour nous l’ouverture d’un nouveau chapitre